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1.Les industries culturelles: un secteur stratégique dans un monde globalisé

1.5 L'industrie de la musique : elle se joue et se déploie au-delà de la dénommée crise

1.5.3 Production in dépendante

« De nombreux disques voyagent de par le monde malgré les dispositions, les priorités et les préjugés des grandes multinationales. Cela est rendu possible grâce à l'activité déployée par quelques enthousiastes, dont les actions contribuent à la création d'industries musicales, industries qui sont loin de s'institutionaliser »200.

Les tentatives audacieuses et les prises de risque au cœur de l'industrie musicale sont le fait de petites productions indépendantes qui déploient de grands efforts dans le processus créatif tout en rencontrant de grandes difficultés au moment de la distribution et de la commercialisation des biens. En ce sens, il serait plus juste de dire que ces organisations et personnes (autoproductions) sont libres et autonomes dans l'instance créative mais dépendantes dans les autres processus de l'industrie de la musique. Et une des limitations les plus importantes concernant les indépendants a à voir avec la distribution.

« Les groupes de communication, depuis longtemps, se sont positionnés plus comme des diffuseurs que comme des producteurs (laissant ainsi un espace aux indépendants). Mais des faits nouveaux surgissent qui viennent renforcer incontestablement la tendance à la concentration: c'est le rôle chaque jour plus décisif de la « grande distribution commerciale » »201.

La production indépendante est vue comme une pépinière, un vivier de la création202 à qui l'on attribue la défense d'objectifs et de principes liés à la diversité

culturelle de par son travail de recherche permanente de nouveaux talents, de par l'innovation dans ses contenus et de par l'offre proposée, aux visées plus culturelles et esthétiques qu'économiques.

Selon Gustavo Buquet, les activités développées par les indépendants sont identiques à celles de la grande industrie, la différence réside dans le montant des ressources investies dans chacune des étapes. Ainsi, toujours selon cet auteur, un

200NEGUS Keith. Los géneros musicales y la cultura de las multinacionales. Barcelona : Paidós Comunicación 164, 2005,

p.290

201 MIEGE Bernard. La concentración y las industrias culturales y mediáticas y los cambios de contenidos. Cuadernos de

Información y de Comunicación. Madrid : Universidad Complutense de Madrid, 2006, Vol 11 p.163

129 petit label vend en moyenne 1000 copies par disque, sa production ne dépasse pas le stade de subsistance, son propriétaire a d'autres activités en parallèle et le manque de budget à consacrer à la publicité et à la promotion est compensé en partie par le travail bénévole des intégrants du groupe musical et des personnes proches des musiciens. Paradoxalement, le manque de moyens est justement à la source de la multiplicité des pratiques nécessaires déployées pour mener à bien une production musicale.

La production indépendante se partage entre labels et autoproductions. Dans la première, l'artiste peut compter avec une structure organique pour soutenir ses initiatives; dans le second cas, l'édition personnelle, le musicien prend en charge l'essentiel des étapes du processus.

« A partir du moment où l'artiste prend l'initiative de voir son travail couché sur un objet matériel, les labels indépendants proposent un service d'appui commercial, légal et de distribution, en plus de l'inclure dans un catalogue déterminé, chose qui représente un bénéfice en termes de diffusion et une valeur ajoutée esthétique. La décision première de l'édition revient à l'artiste, qui doit disposer des ressources pour produire le travail discographique mais ensuite, le pouvoir de décision appartient au label qui décide de l'opportunité d'inclure ce profil dans le catalogue qu'il développe et des moyens qu'il peut mettre à disposition pour prendre en charge le projet. L'autoédition, également motivée par des critères artistiques, représente une autre option par laquelle le musicien assume le rôle de producteur exécutif de l'édition discographique, prenant ainsi en charge la totalité des aspects économiques et légaux, bien qu'il délègue normalement la distribution à une compagnie spécifique par un accord ponctuel »203.

Afin de comprendre les spécificités de la production musicale indépendante, nous regarderons d'abord quels en ont été les antécédents, nous exposerons ensuite les raisons qui motivent ce type de productions, qui en sont les acteurs et finalement les impacts générés par ce type de biens.

203 CORTI Berenice. Las redes del disco independiente : apuntes sobre producción, circulación y consumo. 2007

[Consultado 24 de octubre 2009]. Disponible : www.comercioexterior.buenosaires.gov.ar/.../produccion/.../ensayo-berenice- corti.doc, p. 4

130 Le « phénomène » de la production de musique indépendante semble être un fait récent – postérieur à 1990 - en relation avec les avancées technologiques qui ont rendu possible la réduction des coûts des équipements de qualité pour la production phonographique.

Cependant, les antécédents sont antérieurs à cette décennie, antérieurs également à l'ère du numérique. Dès les débuts de cette industrie204, de petits labels ont surgi ainsi que des autoproductions, fruit de l'intérêt et de la passion de mélomanes et créateurs qui ont fait l'acquisition d'unités de productions d'acétate ou qui proposaient leurs services aux maisons de disque d'alors205. Les productions

indépendantes depuis lors cherchent à garantir la production « massive »206 de la

musique et à générer des contenus qui ne soient pas ceux soutenus par la grande industrie discographique.

Les premiers pas de la production indépendante commencent à l'époque de la technologie analogique. Les processus d'enregistrement étant coûteux, il fallait donc recourir à des personnes ou à des organisations disposant des équipements spécifique nécessaires à l'enregistrement. Dès l'époque de l'acétate, les productions musicales devaient prendre en charge la location de studios. L'avènement du format cassette facilitera l'enregistrement « maison » mais avec des critères de qualité207relatifs. L'arrivée du numérique voit fleurir et se multiplier les « home

studios » qui non seulement ont permis de réduire considérablement les coûts d'enregistrement mais ont mis à la portée de tous un outil avec d'excellents critères de résolution en termes de prise de son et de rendu.

Si la technologie a progressivement aidé à la prolifération des productions indépendantes, il nous faut souligner le fait que quelques genres musicaux ont adopté l'enregistrement de leurs morceaux comme faisant pratique intégrante de leur activité musicale. Le rock en est un exemple, qui par sa dimension contestataire, a

204 Selon Simon Frith, il existait dès 1950 une distinction claire entre majors et indépendants dans l'industrie. FRITH Simon.

The industrialization of popular music. En : Popular Music and Communications. LULL James. Newbury Park, CA : Sage Publication, 1992, p.55

205 CABALLERO Elías. Guillermo Buitrago Cantor del tiempo de todos los tiempos. Medellín : Discos Fuentes, 1999

206 L'emploi des guillemets est ici pour souligner la réalité limitée des tirages desdites productions massives des maisons de

production indépendantes.

207 Les enregistrements se faisant dans des espaces non isolés phoniquement, des interférences sonores non désirées

131 suscité des enregistrements et des productions underground, tant de la part du public que des musiciens. Ce type de production est un élément nouveau dans l'ensemble de la production indépendante, nous parlons ici de production informelle. Les productions de rock sont aussi une émanation en marge des productions officielles, leur lien avec la grande industrie a même été mis en question par son public.

Très liée aux amateurs, cette pratique de la production underground commune dans l'univers du rock208s'étend maintenant à d'autres genres musicaux. De plus, la

classification au sein de la production indépendante à partir d'un concept de genre devient problématique en raison de la liberté implicite propre à ce type de biens, ce qui complique un peu plus la taxonomie propre à une musique déterminée209.

« Dans les genres musicaux alternatifs, la singularité est revendiquée, stigmatisée ou commercialisée à outrance. C'est la résultante d'une adhésion très forte à certains codes, à certains modèles et croyances qui agissent sur le groupe par l'imposition d'un style. Les cristaux de la masse underground forment des ensembles d'individus bien informés, plus imprégnés des cultures musicales et plus engagés dans la fabrication d'un produit. La négation de la hiérarchie n'est pas autre chose que la manifestation paradoxale d'une règle non écrite au sein de ces milieux. Comme toute négation, l'objet sur lequel elle s'applique resurgit de façon dissimulée mais certaine »210.

Le concept de liberté et d'autonomie propre à la production indépendante nous conduit aux raisons pour lesquelles les musiciens et les producteurs cherchent à se détacher de la grande industrie.

Une alternative se présente dans le monde de la musique entre l'art et le commerce. La production indépendante se revendique comme une façon de profiter de la reproductivité sans pour autant s'aliéner les critères esthétiques, sans devoir

208 S'agissant de l'expression musicale rock, la valorisation de la qualité musicale se mesure à sa résistance à intégrer

l'industrie commerciale. «“L'authenticité" se réfère à la capacité de résistance des interprètes ou au fait qu'ils retournent la logique commerciale, de la même façon que la qualité d'une idole du rock se mesure à sa capacité à faire prévaloir son individualité au travers du système » FRITH Simon. Hacia una estética de la música popular. En : Las culturas musicales. Lecturas de etnomusicología. VELASCO Honorio (dir). Madrid : Editorial Trotta, 2001, p. 417

209 En ce sens, nous devons rappeler ici les antécédents de la world music, qui naît de l'intérêt (et du désir) de voir publié

une musique et qui confie ensuite à l'industrie le soin de définir les paramètres propres à faciliter l'emplacement (et l'identification) de ces productions dans les points de vente.

132 s'en tenir aux tendances générées par le marché. Les producteurs indépendants veulent marquer leur différence face à l'industrie et profiter au maximum de la maîtrise qui est la leur à tous les niveaux du processus de la production.

« L'obsession narcissique du « faire soi-même », de développer un don, de construire un univers propre de croyances et de sensations structure le pôle praxéologique de ces vocations en les assimilant à une forme d'artisanat: faire son propre « pain musical » et le servir immédiatement après la fournée, avec l'idée d'en tirer un bénéfice ou de le partager. Voilà là aussi un aspect déconcertant des pratiques aux connotations modernes ou avant gardistes. Au nom de ce principe, l'on arrive au contrôle complet d'un processus: « fabriquer » la musique de manière confidentielle dans un premier temps, avec le sentiment de contrôler le processus de A à Z »211.

Au-delà des exigences de liberté et d'autonomie, la nécessité de générer des productions à but non exclusivement commercial constitue une autre raison de se tourner vers la production indépendante. C'est une façon d'échapper à la pression financière et une opportunité pour créer des biens aux bénéfices autres qu'économiques: ce sont d'autres types de rentabilités qui sont en jeu, on parle alors de développement culturel ou de renforcement de ressources locales.

Face à l'importance des indépendants, Leadbeater y Oakley212 expliquent leur impact sur les environnements locaux. Les indépendants sont importants non seulement parce qu'ils créent de nouvelles sources d'emploi mais parce qu'ils apportent également de nouveaux schémas de travail et de production. Ces petites entreprises renforcent dans leur lieu d'implantation ces économies de proximité en y développant un savoir tacite qui leur facilite un accès aux environnements proches et les distingue du contexte global. Les indépendants entrent tout d'abord dans une première phase exploratoire afin d'identifier leurs sources de revenus potentielles. Etape pleine d'inconnus, c'est aussi l'étape de l'autoproduction.

Dans un second terme, dépassée la première étape, vient le temps des entreprises unipersonnelles, moment où les créateurs doivent déployer tous leurs

211 Ibid., p.78

212 LEADBEATER Charles y OAKLEY Kate. The Independents : Britain’s new cultural entrepreneur. Londres : Demos, 1999

133 talents en administration et en négociation. En certaines occasions, les entrepreneurs culturels doivent raffermir leurs connaissances par une formation liées à ces thématiques en raison des exigences nouvelles liées aux structures entrepreneuriales unipersonnelles ou PME (PYMES).

Finalement, face à l'impact généré par la production indépendante sur le marché, nous devons souligner non seulement son caractère pratique pour les grandes majors, mais aussi la place que revendique cette activité en dehors de la grande industrie, en dehors même du statut officiel que la société exige aux structures légalement installées, autrement dit, un statut informel, non déclaré.

De ce point de vue, nombre de ces productions musicales alternatives fonctionnent comme une carte de présentation de l'activité musicale ou n'ont pour objectif que la participation à un événement ou l'obtention d'un contrat futur. Cette part de l'activité musicale parallèle en marge de toute structure officielle augmente de plus en plus.

« Elles traduisent aussi un déplacement des enjeux attachés à la production phonographique, corollaire de la réduction des barrières à l´entrée sur le marché du disque. Pour bien des musiciens, le disque ne représente plus un aboutissement en soi, mais bien plutôt le sésame pour accéder aux réseaux de diffusion de la musique vivante, où s´accomplit la majeure partie des carrières. Équivalent fonctionnel du curriculum vitae, le disque « carte de visite » est alors davantage un investissement qu´une source de revenu. Seul un petit nombre d´artistes vedettes du show- business et leurs ayants droit, souvent adossés à d´authentiques rentes de situation, continue à vivre essentiellement – voire exclusivement – des revenus tirés de l´industrie du disque et de ses dérivés radiophoniques ou télévisuels. Pour la grande majorité des musiciens, en revanche, la musique enregistrée ne constitue pas à proprement parler un enjeu économique. De ce fait, les artistes qui réalisent les gains le plus élevés sur le marché du disque ne sont pas nécessairement les plus actifs sur le marché de la musique vivante »213.

213 COULAGEON Philippe. Les musiciens interprètes en France. Portrait d’une profession. Paris : La Documentation

134 Comme l'explique George Yúdice, il existe un grand nombre de sites web sur lesquels les musiciens publient leurs œuvres. Ces artistes n'ont pas un statut officiel dûment enregistré, leur activité ne s'exerce pas en relation avec un label ni avec des producteurs indépendants. Leur principal objectif est de gagner en visibilité, de créer une communauté d'auditeurs et de participants à l'échange musical et de styles de vie, nombre d'entre ces musiciens ne considérant pas comme une fin en soi la production d'un disque214.

Cette production indépendante, qu'elle soit officielle ou informelle, interagit avec les institutions du secteur public et privé avec qui elle exécute des contrats lui permettant de conserver son caractère libre et l'accomplissement des objectifs qu'elle s'est donnés :

« Les indépendants ne peuvent être considérés comme un phénomène isolé. Mais ils sont étroitement liés avec d'autres lieux de la production culturelle et musicale tels que les centres culturels d'Etat ou les organisations non gouvernementales et avec des artistes spécifiques. Par conséquent, ils font partie intégrante d'un réseau de la politique culturelle qui agit à petite échelle de production. Les relations entre les différentes participants à ce réseau ne sont pas nécessairement faciles. Des institutions aussi variées que sont les ministères de la Culture, les compagnies discographiques et les entités artistiques proviennent souvent de cultures de la production totalement différentes et la médiation entre ces relations est à chaque fois plus importante dans la crise actuelle »215.

2. La diversité culturelle et les industries culturelles:

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