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1.Les industries culturelles: un secteur stratégique dans un monde globalisé

2. La diversité culturelle et les industries culturelles: réglementations et réalités

2.3 Analyse de la Convention: entre les tensions liées à son application et la promesse d'un dialogue entre cultures

2.3.4 La diversité culturelle et l'industrie phonographique, des relations complexes

« Oubliez les millions recueillis avec les quelques megahits au sommet des listes. Le futur du divertissement se trouve dans les millions de niches du marché dans la partie la moins profonde du flux des bits »249.

Dans les chapitres consacrés aux industries culturelles et à l'industrie de la musique, nous n'avons énoncé que de façon indirecte les problématiques relatives à la diversité culturelle, nous allons nous concentrer maintenant à l'industrie de la musique en particulier. Nous examinerons pour cela les mesures prises dans quelques pays - les quotas, par exemple - puis nous présenterons les obstacles que rencontre la production musicale indépendante face à la diversité culturelle. Enfin, nous observerons les opportunités qui surgissent dans le contexte globalisé.

Dans le secteur audiovisuel, le cinéma et la télévision plus particulièrement ont pris des mesures pour protéger les industries nationales face à l'arrivée de contenus internationaux. Ainsi, les quotas d'écran assurent et imposent des temps spécifiques de diffusion pour les programmes et les films réalisés ou produits dans chaque pays.

Dans le cas de la musique, nous devons mentionner les quotas imposés en radiodiffusion qui, à l'égal des mesures prises pour l'audiovisuel, promeuvent un espace dédié aux œuvres musicales répondant à certains critères déterminés. En France, par exemple, à la radio, il est imposé un pourcentage de diffusion de musique en langue française comme un temps minimum réservé à la promotion de nouveaux talents et productions. L’Argentine de la même façon exige que les œuvres diffusées soient le fruit d'une production indépendante et au Venezuela, un pourcentage précis est stipulé en faveur des productions nationales dans les programmes radiodiffusés250.

Afin d'apporter un éclaircissement sur l'ensemble des mesures de quotas et leur complexité, nous nous appuierons sur le cas de la France, pays dans lequel les résultats de ce mécanisme ont fait l'objet de débats et d'ajustements quant à leur

249 ANDERSON. Chris The long tail. [Consultado 10 de marzo de 2012]. Disponible :

http : //www.wired.com/wired/archive/12.10/tail.html

250 Nous développerons de façon plus étendue dans le chapitre consacré au contexte latino-américain les évolutions (et

148 efficacité. La loi des quotas française a été révisée et améliorée afin de mieux atteindre les objectifs définis concernant la diversité culturelle. C'est ainsi que le rapport du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel définit la réglementation en 2000 :

«La loi a assoupli les obligations de diffusion de chanson d’expression française par les radios, en ajoutant aux quotas antérieurs de 40% de titres d’expression française et de 20% de nouveaux talents et nouvelles productions, deux options supplémentaires que les radios peuvent choisir en fonction de leur format : 60% de titres francophones et 10% de nouvelles productions, ou 35% de titres francophones et 25% de nouveaux talents»251.

Plus tard en 2011, une nouvelle modification est apportée dans laquelle le CSA détermine les tranches de diffusion convenables entre 6:30 et 22:30, modifie les exigences de temps consacré à la diffusion de nouvelles productions, passant de 6 à 9 mois et détermine que la diffusion de chaque œuvre doit atteindre deux minutes252.

Bien que las quotas puissent représenter une véritable opportunité, la définition de ses paramètres n'en est pas moins complexe. Dans certains cas, les caractéristiques des contenus des quotas peuvent bénéficier à certaines expressions au détriment d'autres. En France par exemple, l'exigence faite par lesdits quotas de diffuser des musiques en langue française, si elle joue en faveur de la francophonie, n'en affecte pas moins la rotation d'œuvres traditionnelles en langue régionale et ne laisse que peu de place à d'autres genres comme la World music253. Si l'exigence de

la langue limite paradoxalement certaines opportunités, la non prise en compte d'autres moyens de diffusion permet aux diffuseurs de se soustraire aux mesures de quotas : les radios qui diffusent par internet sont exemptées des quotas de chanson en langue française254.Une autre critique formulée à l'encontre du système de quotas

est que de telles mesures ne garantissent pas la pluralité : d'autres mesures sont à prendre face aux autres processus de la chaîne de l'industrie musicale.

251 CONSEIL SUPERIEUR DE L´AUDIOVISUEL. Rapport d’activité CSA en 2000. [Consulté 15 février 2012] Disponible :

www.csa.fr/content/download/17417/320083/file/2000.pdf

252Télérama. Une nouvelle ère pour les quotas de chanson française à la radio ? [10/11/2011]. [Consulté décembre 3 de

2012] Disponible :

http : //www.telerama.fr/radio/une-nouvelle-ere-pour-les-quotas-de-chanson-francaise-a-la-radio.74950.php

253 COLLECTIF REAGISSONS. Dossier Collectif Réagissons adressé au Ministère de la Culture et de la Communication.

[Consulté 15 février 2005] Disponible : http : collectifreagissons.free.fr/DOSSIER.pdf

149 Pour l’Observatoire de la musique255, il est nécessaire d’analyser toute la filière

musicale et pas seulement l’exposition aux médias. Or dans la production, la diffusion et la distribution il y a des changements qui bouleversent la dynamique du secteur. Le disque est une industrie en mutation et pourtant il faudra bien être au fait de ses processus pour arriver à des solutions pertinentes.

Les compagnies multinationales ont propagé un discours en faveur des droits d'auteur comme un mécanisme de promotion de la diversité culturelle. On y défend le sérieux et le professionnalisme de l'industrie musicale, seuls propres à garantir la bonne rémunération et par voie de conséquence, la reconnaissance des créateurs. Cependant, des voix comme celle de George Yúdice s'inscrivent en contre, pour qui ces arguments ne sont qu'un prétexte pour maintenir la rentabilité des majors :

«Les entreprises, surtout les majors, grands conglomérats et holdings transnationaux du divertissement justifient leur approche juridique prétextant du fait que les artistes doivent être récompensés de leurs efforts. Ce qu'ils défendent en réalité, c'est leur propre capacité de profit comme intermédiaires-péage»256.

Il reste de nombreux obstacles dans le monde de la musique s'agissant de diversité. Sans parler de la concentration et de la convergence médiatique, le pouvoir exercé au cœur de cette industrie par les majors sur le contrôle des outils de promotion, sur la distribution et leur influence sur les médias compliquent sérieusement l'entrée des productions indépendantes sur le marché de la musique.

Nous nous concentrerons sur trois aspects: le cercle vertueux257, le star-system

ou mainstream et le système de club ou d'abonnement.

Lorsque nous faisons référence au cercle vertueux, nous rassemblons une série de caractéristiques de l'industrie de la musique qui perpétuent le pouvoir des majors et qui empêchent l'accès d'autres productions au grand public.

255 OBSERVATOIRE DE LA MUSIQUE. La Diversité musicale dans le paysage radiophonique 2005. [Consulté 20 juin de

2005]. Disponible : http : /observatoire.cite-musique.fr/observatoire/document/DMR-2005.pdf, p.50

256 YÚDICE George. Nuevas tecnologías, música y experiencia. Barcelona : Editorial Gedisa, 2007, p 75

257 Le cercle vertueux est un concept employé par quelques acteurs pour nommer les pratiques de la grande industrie,

pratiques qui contribuent à accroître le pouvoir des majors face aux indépendants. Philippe Axel le présente en relation avec les quotas las quotas dans son texte : La révolution musicale. Liberté, égalité, gratuité. AXEL Philippe. La révolution musicale. Liberté, égalité, gratuité. París : Pearson villaje mundial, 2007, p AXEL Philippe. La révolution musicale. Liberté, égalité, gratuité. París : Pearson villaje mundial, 2007.94

150 Les remises de prix ou autres titres de reconnaissance sont, à nos yeux, un des aspects de ce cercle vertueux. Dans le monde de la musique les titres de reconnaissance octroyés aux musiciens, œuvres ou productions minimisent les aléas et incertitudes et consolident la popularité d'un petit nombre d'artistes. Une réflexion quant à la valeur de ces prix se trouve consignée dans le texte de James F. English:

« The price of prestige ».

Selon cet auteur, il existe aujourd'hui une étroite relation entre la vie économique et les pratiques culturelles. Il s'est développé une relation de dépendance entre les pratiques culturelles et les institutions culturelles concernées qui, par le truchement des compétitions déterminent l'attribution de ressources et subventions. C'est par ce biais que se trouve valorisée l'activité culturelle depuis les sphères institutionnelles qui définissent communément les succès et insuccès des artistes, musiciens, écrivains, une fois leurs œuvres soumises à ces formes d'évaluation. Dans un contexte local et national, le créateur jouit d'une visibilité après avoir gagné une reconnaissance internationale, c'est ainsi le cas en journalisme avec le prix Pulitzer ou en musique avec le prix Mercury258.

Il existe d'autres formes de reconnaissance en musique, en plus du prix Mercury. Les artistes sont primés pour le volume de ventes atteints et les disques d'argent, de platine, d'or ou d'uranium témoignent ainsi des niveaux record de vente des productions en tenant en compte le pourcentage de la population des pays concernés et le nombre de copies diffusées. De plus, des chaînes de télévision, des associations de l'industrie phonographique ou des revues spécialisées organisent également des remises de prix tels que les Grammy Awards, les Billboard Music Awards et autres MTV Awards. Chaque fois qu'un prix est décerné à un artiste ou qu'il est fêté, sa popularité croît d'autant et entraîne une présence plus importante dans les médias, une augmentation significative des contrats de concert et de ventes de disques ou en téléchargement.

De la même façon, les Playlists ou autres Top ten, listes publiés par les médias qui hiérarchisent la musique – et c'est une autre pratique participant du cercle vertueux - contribuent-elles à fixer l'intérêt de l'auditeur ou du téléspectateur sur un certain nombre d'œuvres qui deviennent alors les plus populaires et les plus diffusées au cœur des programmations.

258 ENGLISH James. The economy of prestige : prizes, awards, and the circulation of cultural value. London : Harvard

151

« Les producteurs indépendants estiment être dans une situation délicate. Comme l’entrée d’un titre en playlist est de plus en plus difficile, diminuant ainsi ses chances d’être entendu et donc d’être vendu, la part des indépendants baisse car, de l’avis des représentants de la radio, les majors ont la “puissance de feu” pour faire passer leur titres en priorité »259.

Le star system ou mainstream est très étroitement lié à ces pratiques de reconnaissance, ses stratégies, comme nous l'avons mentionné précédemment, consistant à concentrer ses efforts de promotion sur un petit nombre d'artistes de portée internationale.

« Le phénomène de domination des stars sur le marché n’est pas le seul résultat d’une juste concurrence des talents mais résulte d’une nécessité du développement des industries culturelles, des médias de masse, et plus largement de tout progrès des techniques de reproduction [Moshe, 1985] Il contribue autant à une diminution du prix d’accès à l’information sur les produits de divertissement qu’à l’accroissement de l’audience, favorisant la formation d’économies d’échelle de l’exploitation de stars sans possibilité aisée de substitution de talents »260.

Par ailleurs, les systèmes d'abonnement ou le fonctionnement en club conditionnent le téléchargement de la musique comme le font les compagnies de téléphonie mobile pour les sonneries. L'idée de recevoir des contenus par le paiement d'un forfait fait que le public n'accède qu'aux offres de musique d'artistes ayant signé un accord préalable avec les majors ou les entreprises de téléphonie ou d'internet concernées. Au sein des clubs se créent des communautés d'accès à un matériel déterminé261 : les options restent concentrées autour d'un petit nombre

d'artistes qui bénéficient d'autre part d'une meilleure rotation dans les médias traditionnels.

259 MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION. Rapport Baptiste. Rapport du groupe de travail sur les

relations entre les radios et la filière musicale. [Consulté novembre 23 de 2012]. Disponible : http : //www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/baptiste/rapport.pdf p14

260 CHANTEPIE Philippe et LE DIBERDER Alain. Révolution numérique et industries culturelles. Paris : La Découverte,

2005, p.46

261 BOUQUILLION Philippe. Livre et musique enregistrée sur internet : quelques enjeux empiriques et théoriques. Ce texte a

été publié pour la première foi dans les actes du XII Congrès National des Sciences de l´information et de la Communications. Paris : UNESCO 10 au 13 janvier 2001, p.157

152 Si nous nous concentrons maintenant sur les opportunités qu'offre la diversité culturelle, nous mentionnerons le Long Tail, concept développé par Chris Anderson. De son point de vue, il existe une offre étendue de production culturelle par delà le peu de choix que propose la grande industrie. Les espaces numériques proposent une abondance d'offres qui contredit les limitations du commerce physique. A la marge des playlists se trouvent disponibles un nombre illimité de films, livres, CDs et DVDs qui trouvent également leur public, générant des formes de rentabilité sans faire partie pour autant des biens et services culturels promus ou reconnus.

«La capacité illimitée de sélection et de choix permet de comprendre ce que le consommateur recherche et comment il le recherche, allant de service en service, passant des DVDS au Netflix jusqu'aux vidéos musicales sur Yahoo!, quand ce n'est pas en allant écouter des chansons sur Itunes ou Rhapsody. Le public examine en détail les catalogues, balayant les longues listes de titres disponibles qui vont bien au-delà des disponibilités des magasins Blockbuster, Tower Record ou Barnes & Noble. Et plus ils trouvent, plus ils aiment. Au fur et à mesure que les consommateurs s'éloignent de plus en plus du chemin marqué par le plus grand nombre, ils découvrent chemin faisant que leurs goûts ne sont pas aussi classiques qu'ils pouvaient le penser (ou bien qu'ils ont été amenés à le croire grâce aux campagnes de marketing, l'absence d'alternatives et une culture fondée sur les modes)»262.

Toujours selon Anderson, l'économie du divertissement numérique va marquer un profond changement avec les marchés de masse actuels. Si le XXème siècle a été

marqué par les listes de grands succès, le XXIème siècle intégrera les productions qui

au regard de certains paramètres sont des échecs en termes de vente. L'auteur part de l’hypothèse que l'industrie n'a pas une idée clairement définie de désir du public, que le goût populaire n'est qu'une tentative pour encadrer l'offre et la demande et il y voit là une réponse à une distribution inefficiente263. D'où, dans le concept du Long

Tail, l'idée que les productions même les plus inconnues ou démodées peuvent avoir

leurs chances grâce à l'accessibilité, leur faible coût – les investissements ont déjà

262 ANDERSON. Chris. The long tail. [Consultado 10 de marzo de 2012]. Disponible : http :

//www.wired.com/wired/archive/12.10/tail.html, p.1

153 été amortis – et l'étiquetage, les recommandations. Ces trois aspects peuvent avoir une incidence positive en faveur des biens et services qui se trouvent hors du champ des grands succès.

Voici comment Anderson présente les bénéfices du Long Tail:

« Pour l'industrie du divertissement elle-même, ces recommandations signifient une forme de marketing très efficace, qui permet aux films à petit budget ou aux musiques moins populaires de trouver leur public. Pour les consommateurs, les techniques de recommandation incitent à l'exploration, en ce qu'elles améliorent sensiblement le ratio de résultats intéressants en rapport au brouhaha produit par les quantités de contenus poubelle ou inintéressants. Ce peut être également l'occasion de redécouvrir une passion pour la musique et le cinéma, et d'augmenter potentiellement la taille globale de ces marchés. (Le client habituel de Netflix loue sept DVDs par mois, trois fois plus que ce que loue un client dans un magasin traditionnel de location de vidéos physiques.) De plus, il faut tenir en compte le bénéfice culturel obtenu en ce qu'il met à la disposition du public une plus grande variété et que celui-ci se trouve libéré d'un siècle de limitations imposées par la distribution physique comme de la tyrannie des grands succès »264.

Et de la même manière que le Long Tail ratifie un monde d'opportunités dans l'environnement numérique pour les industries culturelles, la "Musique Parallèle" met en évidence des pratiques qui favorisent la diversité culturelle.

Le concept de Musique Parallèle, créé par le frère Vianna de Brasil, réunit toutes ces pratiques qui fonctionnent en marge de l'industrie officielle. Le lien de la musique aux circuits non traditionnels fait que les œuvres atteignent le public en profitant des environnements proches, des lieux de festivités ou bien même des vendeurs ambulants quand ce n'est pas des pirates. Il existe selon Vianna une musique qui fonctionne en parallèle à l'industrie qui est hors du circuit des exigences que la société réclame des organisations classiquement constituées.

264 ANDERSON. Chris. The long tail. [Consultado 10 de marzo de 2012]. Disponible : http :

154 Et de fait, dans la Musique Parallèle, une grande variété de pratiques et d'expressions mettent à profit leur statut informel pour atteindre le public.

Selon Vianna, les musiciens n'ont plus à se préoccuper de trouver une production pour enregistrer, pour imprimer les couvertures des CDs ni pour les distribuer, les vendeurs ambulants et autres systèmes non conventionnels de l'industrie et du commerce les prenant en charge265. La Musique Parallèle prend en considération la vitalité de l'économie brésilienne et du reste du monde, celle-ci qui n'apparaît pas dans les statistiques des ministères des finances ou du travail : c'est une économie qui n'entre pas dans le cadre des accords précaires de l'OMC. Tant les musiciens que les danseurs trouvent tout ce dont ils ont besoin auprès des circuits informels auprès des vendeurs ambulants qui ne s'acquittent d'aucune forme d'impôt266.

265 VIANNA Hermano. Overmundo. 2003 [Consultado noviembre 23 de 2012]. Disponible : http :

//www.overmundo.com.br/banco/a-musica-paralela#-banco-1854 p.2

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Deuxième partie: le contexte

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