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Première partie: le champ théorique

4. La communication en Amérique Latine : de la dépendance de deux mondes à une proposition théorique pour le monde

4.2 Caractéristiques de la pensée latino-américaine en Communication

Avant d’ouvrir ce chapitre, nous devons faire mention de façon particulière du soin pris par les Sciences Sociales latino-américaines à développer une pensée postcoloniale. L’exigence d’une forme de pensée différente, la capacité à proposer et à valider une réflexion au-delà de la reconnaissance des centres de pouvoir ont été constamment au centre des préoccupations des théoriciens de la région.

La pensée latino-américaniste s’est distinguée dans sa revendication du

Connaître autrement (Conocimiento de otro modo), ainsi que l’a qualifié Arturo

Escobar91. Il s’agit de rechercher un nouveau paradigme de connaissance qui ne soit

pas euro-centriste, ayant pour antécédent la Théologie de la Libération des années 1960 et 1970. En surgissent les débats des sciences sociales et philosophiques proprement latino-américains, la Théorie de la Dépendance, les débats autour de la modernité et de la postmodernité des années 1980, et plus avant, les discussions à propos d’hybrides en Anthropologie, Communication et Etudes Culturelles des années 1990, auxquelles viennent s’ajouter les travaux développés aux Etats-Unis par le groupe latino-américain d’études subalternes.

Cette position postcoloniale a évolué depuis : quand dans les années 1970, les savoirs locaux tendaient vers une décolonisation globale, on parle aujourd’hui de savoirs globaux déterritorialisés qui vont s’insérer dans d’autres géographies pour combattre des situations coloniales au niveau local. On ne cherche plus à

décoloniser l’ensemble, étant tenu pour acquis l’opacité de la pensée et de l’action

dans la globalisation, il s’agit aujourd’hui d’élaborer des résistances locales92.

S’agissant maintenant des caractéristiques de la pensée en Communication, il nous faut commencer par mentionner les prises de position assumées par les théoriciens de la région. La mise en question permanente en est sans doute le signe le plus distinctif, qui les pousse vers un travail exploratoire constant au-delà des frontières des Sciences de la Communication.

91 ESCOBAR Arturo. Mundos y conocimientos de otro modo. Programa de investigación demodernidad/colonialidad

latioamericano. Tabula Rasa, N01 [enero diciembre de 2003] p 56-86 Bogotá : Universidad Colegio Mayor de Cudinamarca 92 CASTRO Santiago. Geografías poscoloniales y translocalizaciones narrativas de “lo latinoamericano. Critica al

colonialismo en tiempos de la globalización. En : Enfoques sobre la posmodernidad en América Latina. Follari, Roberto y Lanz Rigoberto (comp.). Caracas : Editorial Sentido, 1998, p163.

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« L’autoréflexion sur leurs propres pratiques et leurs points de départs épistémologiques a conduit certains chercheurs latino-américains à « saper » la sécurité offerte par « l'objet même » de la communication « en pratiquant des ouvertures par lesquelles donner de l'oxygène au champ et le connecter aux intérêts et aux lignes de recherche » d'autres sciences sociales (Martín-Barbero, 1990). Cette attitude est inconnue dans de nombreux pays d'Europe où toute allusion à la pluridisciplinarité ou encore la transdisciplinarité — alors même que toutes les précautions scientifiques et méthodologiques sont prises — est vue comme une attaque contre le corporatisme universitaire et provoque la défense de la légitimité scientifique-universitaire et institutionnelle des Sciences de la Communications »93.

José Marques de Melo présente sans doute la meilleure des synthèses faite des caractéristiques de la pensée en communication. Selon son point de vue, on trouve en Amérique Latine un métissage théorique, une hybridation méthodologique, un engagement éthico-politique de même que les thèmes abordés ont une dimension extranationale94. Arrêtons-nous un peu sur chacun de ces aspects afin de

mieux comprendre la direction prise par la pensée latino-américaine en communication.

Le métissage théorique peut se comprendre au sein de la transdisciplinarité de la communication. Les Sciences Sociales contribuent à une meilleure compréhension des problématiques des Sciences de l’Information et de la Communication. Cette transdisciplinarité est fondamentale pour mieux saisir la réalité de nos pays.

Ce métissage s’impose également dans la critique du modèle international, fonctionnaliste et empiriste de la Mass Communications Research nord-américaine. Par ce biais, on cherche à définir un paradigme plus complexe et participatif au-delà des réflexions ci-mentionnées. De plus, on y fait la distinction entre l’information comprise comme persuasion et domination d’une part, et la communication comme processus horizontal, dialogique et démocratique, d’autre part.

93 BUSTAMANTE Enrique. “Limites” de l’analyse Altino-Americaine sur la comunication. Revue Hermes N0 28, 2000

[Consultado 16 de agosto de 2012]. Disponible : http : //hdl.handle.net/2042/14802, p2

94 MARQUES DE MELO José. Desafíos actuales de la comunicación. Reflexiones en torno a la experiencia brasileña.

Revista Diálogos de la Comunicación, N019 [Enero 1990] Lima : Federación latinoamericana de Facultades de

Comunicación, FELACOM. [Consultado 22 de agosto de 2012]. Disponible : http : //www.dialogosfelafacs.net/wp- content/uploads/2012/01/19-revista-dialogosla-ense%C3%B1anza-de-la-comunicacion.pdf

76 S’agissant des concepts européens, s’agissant du défi de la Théorie Critique, on rompt avec la dichotomie objet/sujet du positivisme pour privilégier la relation théorie/praxis. Dans ce cas, la recherche se doit d’être liée à la pratique quotidienne et au changement social95.

Pour ce qui est des méthodologies et de leur caractère hybride, il faut le concevoir comme l’appropriation de différents types d’approche en fonction de l’objet d’étude. La forme la plus représentative en est sans doute l’Investigation Action Participation (IAP), qui implique une proximité entre le chercheur et les communautés avec lesquelles il travaille. Pour autant, la diversité de méthodologies employées est fortement conditionnée par les objets d’étude de la région eux-mêmes qui vont privilégiant la Communication pour le Développement et l’étude des cultures populaires.

Les méthodologies qualitatives se déploient simultanément avec les méthodes quantitatives. On cherche l’information au moyen d’outils que sont les groupes focaux, les entrevues en profondeur, les journaux de bord de travail sur le terrain, les récits de vie ou les enquêtes, entre autres. Les résultats sont exprimés en données statistiques et en récits qualitatifs qui représentent les témoignages des gens qui ont participé de l’investigation.

L’engagement éthico-politique dont nous avons fait mention apparaît clairement chez les auteurs latino-américains dans leurs prises de position critiques et leur capacité de propositions face à la réalité de la région. Leurs dénonciations répétées face à l’inadéquation de la formation des communicants, aux inégalités sociales comme leur appel à la nécessité de contribuer à la formation des sujets politiques et au renforcement des liens entre l’éducation et la communication en sont une bonne illustration.

Enfin, nous devons signaler les changements intervenus dans le concept du fait latino-américain, au niveau extranational : les théories développées initialement étaient conçues par des auteurs qui pensaient leurs problématiques depuis et pour la région.

95 BARRANQUERO Alejandro. Latinoamericanizar los Estudios de comunicación. De la dialéctica centro-periferia al diálogo

interregional. Revista Electrónica, Razón y Palabra,

77 Les travaux de ces dernières décennies ont reçu l’apport complémentaire de professeurs étrangers qui ont entrepris des voyages exploratoires de la réalité latino- américaine, de descendants de latino-américains nés aux Etats-Unis et en Europe, ou bien d’étudiants ou de professeurs formés dans des universités étrangères. Y ont contribué également l’intérêt affiché par le monde universitaire espagnol pour des recherches sur le continent d’Amérique Latine et les flux migratoires qui donnent à comprendre plus précisément le fait latino-américain hors des frontières.

Le nombre important de latino-américains aux Etats-Unis et en Europe, en Espagne particulièrement, les mouvements migratoires entre les pays latino- américains, et même le grand nombre de medias et de produits de communication en circulation au-delà des frontières de la région imposent aujourd’hui que les préoccupations en communication soient pensées dans des réalités autrefois considérées comme lointaines. Il en découle que les sujets d’études se situent non seulement hors des frontières de la région, mais encore que la théorie de la communication se projette de l’Amérique Latine vers le monde entier.

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