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Première partie: le champ théorique

2. Cultural Studies: une théorie en perpétuel débat et mise en question en permanence

2.1 Origine et caractéristiques

Les Cultural Studies apparaissent pour la première fois dans le Centre for

Contemporary Cultural Studies, à Birmingham en 1964. Les travaux de Richard

Hoggart, dont la publication la plus connue est sans doute “La Culture du Pauvre”,

51“Il faut rappeler que depuis leurs origines, les Cultural Studies ont toujours été confrontées à la critique. Héritières d’un

espace de recherche dont la multiplicité déborde toute définition à priori, les Cultural Studies posent un problème de délimitation d’autant plus important que la dynamique d’exportation a encouragé l’extension d’un champ de références. On a affaire à un savoir dont l’identité reste en fait toujours à construire parce que les concepts, les méthodes, les institutions qui relèvent des Cultural Studies ont une faible autonomie, et forment plutôt des nœuds ou des carrefours entre des espaces hétérogènes. D’où cette impression d’un savoir qui semble à la fois partout et nulle part”. VAN DAMME Stéphane. Comprendre les cultural Studies : une approche d’histoires des savoirs. Revue d’histoire moderne et contemporaine 2004 /5 N. 51-4 bis p 48-58, Berlin, 2004, p.7

54 constituent dans ce domaine un précédent qui marque une rupture dans la production du savoir. L'on peut s'avancer à dire sans risque que ce courant de pensée, au-delà des frontières qui marquent le champ de travail d'une discipline ou d'une théorie, se fonde sur l'idée d'une interdisciplinarité, d'une variété de thématiques abordées et une tension permanente avec le monde académique. Cette théorie se refuse à toute catégorisation par des paramètres qui puissent limiter son champ de recherche du savoir et fixe son intérêt sur des problématiques qui se trouvent généralement en marge des préoccupations académiques.

« Une démarche typiquement Cultural Studies consiste en un débordement de frontières disciplinaires souvent étanches aux nouveautés et défiantes envers les hybridités. Il s’agit de saisir l’irruption des marges dans les processus centraux, de mesurer leur affirmation et leur refoulement, les formes qu’elles opposent et négocient. Avec le risque cependant, partagé à la fois par les acteurs et les chercheurs ainsi spécialisés (et souvent passionnés): celui d’une ré-essentialisation des marges, des sous-cultures, des groupes et des identités »52.

Examinons maintenant la conception de deux termes clé: communication et culture. Les médias ont en effet fait l'objet des premiers travaux des Cultural Studies. Les travaux d'analyses se sont organisés de façon complexe, dans un contexte déterminé qui prenait en compte les contenus, les pratiques et les relations entre l'émetteur, le message et le récepteur. Plusieurs auteurs se sont consacrés alors à l'analyse des médias, le pionnier étant Stuart Hill avec sa publication

Codage/Décodage qui détricotait l'analyse purement linéaire de la communication en

examinant séparément le producteur du message, le message lui-même puis le récepteur. Ce travail précurseur de cette école britannique est fondamental en ce qu'il questionne le rôle passif du récepteur53.

Hall distingue au cours de son analyse trois types de réception: le mode

hégémonique dans lequel le récepteur accepte totalement le contenu du message de

l'émetteur, le mode négocié, lorsque le récepteur comprend le message mais l'adapte à sa propre réalité, puis enfin, le mode oppositionnel qui caractérise le refus ou l'opposition du récepteur face au contenu proposé par l'émetteur.

52 GLEVAREC Hervé, MACE Eric et MAIGRET Eric.Cultural Studies. Anthologie. Paris : Armand Colin et Institut National de

l’Audiovisuel, 2008, p.7

55 Pour le volet culturel, un glissement s'est opéré depuis une conception d'inspiration marxiste vers une conception dite hégémonique selon Gramcsi et Althusser, conception qui prend comme champ d'analyse la culture populaire. La culture est ainsi comprise comme une instance aux pratiques en perpétuelle évolution dans un monde cosmopolite, post-colonialiste, marqué par les tensions entre le global et le local et caractérisé par les diasporas de différents groupes de population en raison des mouvements migratoires. L'intérêt porté à la Culture d'Elite glisse ainsi vers la Culture Populaire.

Le type d'approche des objets d'étude développé par les Cultural Studies s'est caractérisé par une analyse des résistances, c'est-à-dire, la capacité du récepteur à exercer une forme d'opposition aux messages de la société des masses quand ce n'est pas une capacité à produire ses propres contenus en marge des structures formelles provenant des productions médiatiques. Priorité a été donnée presque toujours à la réception plus qu'à la consommation du message.

Si l'étude des médias a été le point de départ des Cultural Studies, d'autres problématiques ont fait ensuite l'objet de travaux de recherche et d'analyse. En plus des sujets comme le postcolonialisme ou la citoyenneté, des thèmes relatifs aux rapports masculin/féminin et à l'homosexualité, les Queer Studies54, ont commencé à

susciter l'intérêt des chercheurs. Le choix des thématiques prises en compte a à voir avec un contexte déterminé. Ainsi, la réflexion développée autour des sous-cultures ethniques, sexuelles et de genre ont eu une influence plus importante aux Etats Unis alors que les thèmes de citoyenneté ou la relation entre la société civile et l'Etat ont été des sujets d'analyse plus proprement latino-américains55, à titre d'exemple.

Mais au-delà de l'éventail de sujets abordés avec le regard propre aux Cultural

Studies, tant l'adhésion des institutions d'étude et de recherche que les

méthodologies employées représentent un fait nouveau. Il est important de souligner

54 Queer en anglais signife étrange, bizarre. Les Queer Studies ont pour thématiques les populations proches des sous-

cultures qui ne sont pas prises en compte par la société.

55 En Amérique Latine, les Etudes Culturelles se sont développées dans les pays où les pratiques culturelles sont un

mélange de produits de la culture populaire et de la culture importée, essentiellement des Etats-Unis. Une grande part de la recherche est consacrée à trouver des réponses aux questionnements liés aux médias, la démocratie et la création d’une sphère publique plurielle. Plus que des catégories duales telles que puissants et sans pouvoir, les concepts d’analyse développés ont été plutôt syncrétisme, hybridation et métissage pour expliquer des phénomènes d’appropriation culturelle, d’adaptation et de médiation entre les pratiques populaires; la culture populaire et la démocratisation des médias et de la politique. FERGUSSON Marjorie y GOLDING Peter. Estudios culturales y tiempos cambiantes : Introducción. En : Economía Política y Estudios Culturales. M. Fergusson y P. Golding (Eds). Barcelona : Bosch Casa Editorial, 1998, p.21

56 que la variété des sujets de recherche a rendu plus complexe le lien des professeurs et étudiants à un secteur déterminé clairement défini au sein des institutions académiques.

Nous prendrons deux exemples pour illustrer cette situation: la France et les Etats Unis. Au sein des institutions universitaires françaises, la structure disciplinaire a engendré des obstacles à l'introduction des Cultural Studies. A l'opposé, l'interdisciplinarité a représenté aux Etats Unis un avantage économique, au moins, dans la mesure où une personne peut occuper une poste et travailler pour plusieurs départements simultanément. De plus, cela représente un bénéfice politique en ce que le développement de ce courant théorique suppose et induit dans le renouvellement des disciplines56.

De nouveaux horizons se sont ouverts également en ce qui concerne les méthodologies, l'ethnographie par exemple y trouve une place centrale dans les recherches. L'observation et la place du chercheur changent, qui favorisent une plus grande proximité avec la problématique à l'origine de la recherche.

Les Cultural Studies attachent une importance toute particulière aux méthodologies qualitatives, aux outils propres à l'étude ethnographique et à l'observation dynamique57. Chacune de ces méthodologies implique un engagement

du chercheur avec la problématique qu'il a définie, et c'est au cœur-même des communautés et des collectivités qu'il cherchera à comprendre les valeurs culturelles essentielles et signifiantes partagées par ses intégrants58.

Après ce bref parcours des origines et des caractéristiques des Cultural

Studies, nous allons nous intéresser au regard porté sur les industries culturelles en

suivant la démarche de David Hesmoldagh qui donne les raisons de la proximité des

Cultural Studies avec ce champ d'étude. Pour s'être concentrées sur l'étude de la

réception des messages, les travaux de recherche anglo-saxons ne s'en sont pas moins proposé d'étudier les productions des industries culturelles.

56 MIGNOLO Walter. Los Estudios Culturales : Geopolítica del conocimiento y exigencias/necesidades institucionales.

Revista Iberoamericana, 2003 Vol, LXIX N0 203 [Abril-Junio 2003] p. 401-415

57 MAIGRET Eric. Sociologie de la Communication et des médias. 2ème Edition, Paris : Armand Colin, 2010, p. 137

58 Fiske, J., Hartley, J. Montgomery, O’ Sullivan, T., M., Saunders, D., Concepts fondamentaux en communication et études

culturelles, Buenos Aires : Editions Ammorrortu 1995 FISKE Jhon, HARTLEY Jhon O´SULLIVAN Tim, et al.Conceptos clave en comunicación y estudios culturales. Buenos Aires : Ammorrortu editores, 1997, p.147

57 L'influence des contenus, la façon particulière de créer ces biens comme le poids de ce secteur dans l'économie d'aujourd'hui justifient pleinement l'intérêt porté à la production symbolique.

S'agissant du premier point, les textes que crée ce type de production ont une influence sur les personnes quant à leur perception du monde. Tant les messages à caractère informatif que ceux destinés au divertissement ont une incidence sur la vie privée et publique de ceux qui les reçoivent. De plus, en tant que propriété de grandes compagnies, les industries culturelles œuvrent dans le sens de la conservation de leur pouvoir économique à partir des messages qu'ils génèrent. Pour autant, la complexité, l'ambivalence et la dimension contestataire des industries culturelles font que les messages ne soient pas toujours au service exclusivement d'un objectif économique.

Deux types de situations peuvent apparaître, les grandes entreprises choisissant d’exercer un compromis avec les messages d’intérêt public ou bien avec les productions qui trouvent leur source dans un culture populaire, engagées en faveur d’un changement, d’une utopie ou d’un espoir. Les cultures musicales hip hop ou rock en sont une illustration, qui diffusent, depuis une position marginale, des messages contestataires ou des propositions en forme de réponse à des problématiques liées à un contexte déterminé59.

En ce qui concerne le second point, c’est-à-dire la façon particulière de créer ces biens, nous reprenons deux concepts propres à Hesmoldagh : Créativité

Symbolique et Créateurs de Symboles. De son point de vue, les artistes ont un mode

particulier et mystique de générer et de manipuler des symboles, que ce soit pour diffuser des informations ou pour le simple divertissement. La Créativité Symbolique fait référence à cette capacité de distanciation face à la définition de l’art, terme par lequel on fait référence aux conditions individuelles et à un propos noble qui n’apparaît pas toujours dans la production culturelle.

Par Créateurs Symboliques, sont qualifiés ceux qui créent les textes, que ce soit pour les systèmes de type industriel ou pour d’autres types de production indépendante. Leurs créations ne sont pas toujours bien acceptées par le public, ce

59 HESMONLDHALGH David. « Industries Culturelles et cultural Studies (anglophones) » En : Cultural Studies, Anthologie.

58 qui ne les disqualifie pas pour autant. Les Créateurs Symboliques mettent en évidence de par leur activité les difficultés rencontrées à produire des contenus au cœur des industries culturelles, mais également dans les organisations au fonctionnement distinct de la grande industrie.

« Il existe d’énormes inégalités d’accès aux industries culturelles. Ceux qui y ont accès sont parfois traités de façon mesquine et beaucoup de ceux qui souhaitent créer des textes doivent se battre pour gagner leur vie. L’échec est bien plus fréquent que le succès. Les pressions sont très fortes pour que certains types de texte soient produits plutôt que d’autres. Et il est difficile de se procurer des informations sur l’existence de textes et d’organisations qui essaient de faire des choses différemment »60.

En fin de compte, l’ensemble des industries culturelles est un secteur à l’importance sans cesse croissante au cœur des économies du monde entier. Son incidence dans la création d’emplois et de richesse revêt un rôle de premier plan en relation directe avec la culture, l’économie et la société. Dans cette société post- industrielle où le savoir constitue un élément de pouvoir et de richesse, les bouleversements dans la production de biens symboliques se doivent d’être observés précisément et analysées. Dans ce contexte, nous devons analyser les changements intervenus avec l’apparition d’Internet et les avantages liés aux développements des technologies de la communication, l’essor des grandes enseignes du divertissement et la place centrale occupée par la créativité comme moteur au cœur de nos sociétés61.

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