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3.2 Le processus de professionnalisation et l’évolution des savoirs de référence dans les formations à l’enseignement

« La question des savoirs est au centre des institutions d’enseignement et de formation et, partant, du mandat des professionnels qui y interviennent. » Hofstetter & Schneuwly, 2009, p. 16

Dans ce sous-chapitre, nous souhaitons présenter et définir la notion de professionnalisation, ainsi qu’évoquer les débats en lien avec les savoirs de référence des formations à l’enseignement.

La professionnalisation est devenue un concept « à la mode » pour toute une série de corps de métiers. Mais qu’entend-on par « professionnalisation » des métiers de la formation et de l’éducation ?

Pour Bourdoncle (2000), il y a plusieurs sens au mot professionnalisation et celui-ci est utilisé dans différents contextes. En effet, on parle de ce terme à propos de :

! « L’activité elle-même (…)

! Le groupe qui exerce cette activité (…)

! Les savoirs liés à cette activité (…)

! L’individu exerçant l’activité (…)

! La formation à l’activité (…) » (p. 118).

Pour ce qui relève de l’activité, Bourdoncle attire notre attention sur le fait que la professionnalisation passe le plus souvent par l’universitarisation de la formation. « Ceci entraînerait la rationalisation de sa pratique grâce à l’acquisition par les praticiens de savoirs de haut niveau produits par les universitaires de la profession. » (Bourdoncle, 2000, p 121). Ce processus permet « au groupe occupationnel de se professionnaliser, c’est-à-dire de rejoindre l’état envié des professions établies. » (Bourdoncle, 2000, p. 121).

Quant à la professionnalisation du groupe exerçant l’activité, il s’agit, notamment, pour l’auteur, « de la création d’association professionnelle nationale ; de l’apparition d’un conflit

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entre les anciens et les jeunes professionnels qui veulent faire progresser la profession. » (Bourdoncle, 2000, p. 121). Bourdoncle ajoute aussi la compétition avec les professions voisines, l’activisme politique et la création de règles professionnelles.

La professionnalisation des savoirs désigne « les savoirs pour enseigner », soit « l’ensemble de savoirs, de connaissances, d’habiletés et d’attitudes dont un enseignant a besoin pour accomplir son travail de façon efficace dans une situation d’enseignement donnée » (Bourdoncle, 2000, p. 124). Ces savoirs peuvent être reliés à des compétences, elles-mêmes rassemblées dans un référentiel de compétences professionnelles. Nous en reparlerons plus loin.

En ce qui concerne la professionnalisation des personnes exerçant l’activité, elle est liée à la

« socialisation professionnelle » des stagiaires (Bourdoncle, 2000, p. 125). Il s’agit d’un

« processus par lequel les gens acquièrent sélectivement les valeurs et attitudes, les intérêts, capacités et savoirs, bref la culture qui a cours dans les groupes dont ils sont ou cherchent à devenir membres » (Bourdoncle, 2000, p. 125).

Enfin, la professionnalisation de la formation, passe, quant à elle, par le fait que la certification et la reconnaissance des diplômes, notamment, doivent être effectuées par les Universités, mais également par les praticiens professionnels, qui attestent ainsi de l’aptitude et des compétences acquises par l’étudiant-stagiaire. Ainsi, « les formations professionnelles sont extéro-référencées, c’est-à-dire qu’elles se réfèrent à une activité, l’exercice de la profession, qui s’effectue et se gouverne à l’extérieur de l’Université » (Bourdoncle, 2000, p.

129).

Selon Lang (2001), la professionnalisation peut être définie en deux pôles autour desquels se construisent les débats et polémiques. Le pôle « positif » fait référence à la modernisation du métier, à l’amélioration sociale et au renouvellement des métiers. Le pôle « négatif », quant à lui, critique des intérêts corporatistes et l’instrumentalisation de la fonction enseignante. De plus, il rend attentif sur la possible adaptation du système éducatif au marché du travail.

La professionnalisation, pour Lang (2001), touche tous les acteurs du système éducatif. Mais, chacun d’entre eux a une perception différente de ce que devrait être la professionnalisation et

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quelle répercussion elle devrait avoir. Ainsi, chaque groupe d’acteurs a développé ses arguments :

• Pour les responsables du système éducatif, la professionnalisation permet de moderniser l’Ecole et sa gestion (notamment des ressources humaines).

• Les responsables d’établissement souhaitent transformer l’organisation et le fonctionnement des écoles.

• Certains formateurs d’enseignants et les chercheurs en sciences de l’éducation voient dans la professionnalisation « l’occasion de nouvelles opportunités de carrière, d’une reconnaissance identitaire » (Lang, 2001, p. 99). De plus, cela permettrait de donner une image plus « positive » de leur discipline.

• Pour les syndicats, la professionnalisation permet de redorer le blason de la profession enseignante.

• Les enseignants, quant à eux, partagent des vues différentes relativement à la professionnalisation de leur métier. Ainsi, certains « y voient l’occasion de développer et de faire reconnaître de nouvelles pratiques tournées vers les démarches de projet, de partenariat, (…), etc… » (Lang, 2001, p. 99). Pour un autre groupe d’enseignants, la professionnalisation permet une revalorisation sociale et professionnelle. Enfin, pour d’autres enseignants, « la professionnalisation ou le développement d’un « professionnalisme », sont des réponses à la rupture qu’ils vivent entre travail prescrit et travail réel et à des difficultés professionnelles identifiées » (Lang, 2001, p.

100).

Il est intéressant encore de relever que d’après Lang (2001) :

Le discours sur la professionnalisation des enseignants est également une réponse aux différentes formes de « désinstitutionnalisation » de l’école (…) : l’érosion ou l’épuisement des principes de légitimation, les transformations de la relation pédagogique et des formes de socialisation scolaire, l’incapacité institutionnelle à mettre en place des modes de régulation (…). (p. 110)

Au vu des diverses acceptions du terme de professionnalisation, nous pouvons donc constater que celui-ci est polysémique et qu’il touche de nombreuses composantes du métier d’enseignant, ainsi que tous les acteurs des systèmes éducatifs. Cependant, une de ces composantes essentielles concerne les savoirs de référence, ainsi que l’évolution et

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l’institutionnalisation de ces derniers. C’est sur cet aspect-là que nous allons à présent nous centrer.

En effet, l’enseignant a pour fonction de transmettre des savoirs. « Le choix des savoirs et leur transformation en savoirs à enseigner est le résultat de processus complexes qui transforment fondamentalement les savoirs afin de les rendre enseignables. » (Hofstetter & Schneuwly, 2009, p. 18). Par contre, il doit disposer des moyens de le faire. « Former, comme toute activité humaine, implique de disposer de savoirs pour l’effectuer, qui constituent des outils de travail. » (Hofstetter & Schneuwly, 2009, p. 19).

Lussi Borer (2008) indique que « l’enjeu pour le champ professionnel de l’enseignement est de définir les savoirs que doivent acquérir les futurs enseignants durant leur formation afin qu’ils puissent ensuite exercer au mieux leurs fonctions professionnelles. » (p. 369) Or, « ces savoirs sont investis d’enjeux cruciaux : ils doivent assurer aux enseignants une formation de qualité qui puisse se répercuter sur l’ensemble du système éducatif. » (Lussi Borer, 2009, p.

41).

Dans une recherche conduite sur l’évolution des formations à l’enseignement primaire et secondaire en Suisse romande entre la fin du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle, Lussi Borer (2009) constate, pour l’institutionnalisation des formations à l’enseignement primaire, un développement selon deux modèles. En effet, les futurs instituteurs, selon les cantons et les périodes historiques, suivent des cours, soit en Ecoles normales de degré secondaire dispensant simultanément une formation en culture générale et en culture professionnelle (modèle normal), soit dans des institutions pédagogiques faisant suite à l’obtention d’une maturité (modèle supérieur). Avec la mise en œuvre de ces deux types de cursus :

On constate que le modèle supérieur est plus favorable au développement de savoirs pour enseigner au sein des formations à l’enseignement, le modèle normal se trouvant en tension entre la mission d’assurer la meilleure formation générale possible et sa vocation professionnelle. (Lussi Borer, 2009, p. 45)

Tout au long de la période susmentionnée, on assiste à une évolution des savoirs de référence et plus particulièrement à un développement des sciences de l’éducation et de la pédagogie,

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en lien avec les Universités (Lussi Borer, 2009). En effet, l’institutionnalisation des formations à l’enseignement primaire génère une demande de savoirs de référence, qui à nos yeux, est un des éléments central du processus de professionnalisation. Ainsi, « la pédagogie ou science de l’éducation va alors être investie comme discipline de référence pour la profession dans le même temps où elle conquiert une reconnaissance universitaire. » (Lussi Borer, 2009, p. 49).

On assiste tout au long de la période étudiée par Lussi Borer – et nous nous permettons d’ajouter encore de nos jours – à une confrontation entre les deux types de savoirs présentés précédemment, c’est-à-dire les savoirs à enseigner et les savoirs pour enseigner. La question principale est bien la place accordée à chacune de ces composantes dans la formation des enseignants. Il semblerait que les formations à l’enseignement primaire se soient plutôt développées du côté des savoirs pour enseigner, car « seules les sciences de l’éducation peuvent offrir un champ disciplinaire de niveau universitaire à même de produire une base de savoirs de référence pour la profession. » (Lussi Borer, 2009, p. 51). Dans ce débat, selon Hofstetter & Schneuwly (2009), on trouve un pôle dit « instrumentaliste » qui développe une vision progressiste de l’éducation basée, entre autres, sur le concept de compétences et sur la construction dans l’action et la réflexion de celles-ci. De l’autre côté, le pôle

« néoconservateur » qui soutient une forme immuable, voire élitiste du savoir. Dans cette perspective, « savoir et savoir à enseigner ne forment qu’un : le problème de la transformation des savoirs pour les rendre enseignables n’existe pas. » (Hofstetter &

Schneuwly, 2009, p. 20).

Il apparaît qu’en plus de la confrontation entre les savoirs pour enseigner et les savoirs à enseigner, les professionnels de l’enseignement et les étudiants à l’enseignement sont confrontés à une tension entre un pôle « théorique » et un pôle « pratique ».

Comme le relèvent à juste titre Perrenoud & al. (2008) :

Il y a en formation des enseignants coexistence voire concurrence de savoirs accumulés indépendamment les uns des autres :

• Il y a, d’une part, les savoirs issus de la recherche, portés par des spécialistes des didactiques et plus globalement des sciences sociales et humaines (…)

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• Il y a, d’autre part, les savoirs professionnels qui circulent dans le milieu scolaire.

(p. 11)

En outre, ces catégories de savoirs sont incarnées par des personnes différentes. D’un côté, les chercheurs et formateurs des HEP et des Universités et, de l’autre, les praticiens formateurs et les collègues rencontrés en stage et en remplacement. Il peut donc exister une sorte de confrontation entre ces deux entités. A ce propos, Maulini & Perrenoud (2008) indiquent :

La formation de praticiens réflexifs disposant d’une culture en sciences de l’éducation ne règle pas ce problème. Elle transforme au mieux le dialogue praticien-chercheur en un dialogue intérieur. La double identité ne rend pas schizophrène, mais ne réconcilie pas magiquement les rapports au savoir. (pp. 141-142)

Enfin, il apparaît encore pertinent de relever que l’articulation entre ces deux pôles de la formation professionnelle est importante. Pour Perrenoud & al. (2008) : « leurs rapports peuvent se réduire à une simple juxtaposition, d’abord dans le curriculum formel, ensuite dans le curriculum réel, enfin dans l’esprit des futurs professionnels. » (p. 12). Cette juxtaposition sans lien ne permettant pas de développer toutes les compétences requises.

Au vu de ce qui précède, nous souhaitons indiquer en guise de conclusion de cette partie, que dans ce travail, nous entendrons par savoirs professionnels, les savoirs pour enseigner qui sont acquis dans les pôles pratique (durant les stages) et théorique (cours de sciences de l’éducation, de didactique, etc…). Cette définition des savoirs professionnels sera reprise au chapitre 5 et permettra de catégoriser les cours proposés par les plans d’études des différentes institutions de formation, afin de pouvoir les comparer. Le processus de professionnalisation présenté succinctement ici sera aussi utilisé pour l’analyse des programmes.

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3.3 Les référentiels de compétences et les curricula de