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Chapitre 2. Problématique des biocarburants et du jatropha à l’échelle globale

2.3 Processus de production du jatropha et du biodiesel

Afin de mieux comprendre les contraintes et les besoins de main-d’œuvre que peuvent représenter les projets de jatropha pour les exploitations agricoles maliennes, il convient de détailler le processus de production du jatropha ainsi les étapes menant à sa transformation en biocarburant. Tout d’abord, il existe trois techniques couramment utilisées pour la multiplication du jatropha : le bouturage, le semis direct et la pépinière (Nguema et al. 2013). Traditionnellement, les paysans maliens procédaient par bouturage pour la confection des haies vives, c’est-à-dire qu’ils repiquaient tout simplement des boutures de jatropha dans le sol labouré, en les plantant de manière serrée. Bien que cette méthode de multiplication soit relativement facile et favorise un développement rapide des plants, leur résistance à la sécheresse demeure faible, entraînant par conséquent un taux de mortalité élevé et un regarnissage fréquent pour maintenir une bonne densité de plants (Tréboux et Desquilbet 2013). La multiplication par semis direct est également préconisée par certains producteurs paysans, en raison de sa facilité. Le succès de cette technique de reproduction dépend toutefois des conditions environnementales, notamment des températures moyennes, de la pluviométrie et de la fertilité des sols. Ici encore, le taux de survie tend à être faible et les jeunes plants sont susceptibles d’être attaqués par les insectes. La production de plants issus de semis en pépinière est quant à elle recommandée par plusieurs opérateurs. Toutefois, l’entretien des pépinières, le repiquage des jeunes plants dans les champs, l’apport de fumure et l’arrosage des plants représentent pour de nombreux producteurs paysans une charge de travail jugée rédhibitoire. Les barrières organisationnelles et logistiques associées à cette technique contribuent également à un développement plus lent des superficies. Peu importe la méthode de reproduction choisie, la réussite des plantations et leur productivité dépendent aussi des qualités physiques, physiologiques et génétiques des semences utilisées, d’où l’intérêt d’un programme de sélection massale visant à augmenter les rendements (Gaboret 2008 : 56 ; Nacro et Lengkeek 2011 : 22). La plupart des plantations dans le cadre des projets étudiés ont toutefois été mises en place à partir de semences non sélectionnées, collectées à partir des haies préexistantes, ce qui explique, pour les tenants des semences améliorées et des biotechnologies, la faiblesse des rendements observés dans les plantations maliennes (van der Linde 2012).

Divers modes de plantation du jatropha existent également : en haie monospécifique, en haie mixte (associé à une autre plante de la famille des euphorbiacées), en plein champ et en système

agroforestier, avec des cultures annuelles associées (Gaboret 2008 : 52-54). Encore une fois, les recommandations diffèrent selon les opérateurs, mais également en fonction de la capacité des exploitations agricoles en matière d’équipement, d’investissement et de main-d’œuvre. Au moment où les plantations ont été mises en place au Mali, les recherches agronomiques n’avaient pas encore permis de déterminer les effets précis des systèmes agroforestiers sur la productivité et la rentabilité des cultures alimentaires associées (principalement l’arachide et le niébé17), ce qui explique la

variabilité des recommandations (Ndiaye et al. 2015).

Contrairement aux affirmations initiales laissant croire que le jatropha avait de faibles besoins en nutriments, en eau et en main-d’œuvre, les plantations exigent le suivi d’un itinéraire technique rigoureux afin d’atteindre une productivité et une viabilité économique intéressantes (Jongschaap et

al. 2007). Le sarclage à la houe est nécessaire pour se débarrasser des mauvaises herbes qui nuisent

à la croissance des plants ; la taille des jeunes plants favorise la ramification des branches et l’augmentation de la fructification ; l’application des traitements phytosanitaires aide à endiguer les maladies fongiques ainsi que les attaques de ravageurs tandis que la fertilisation participe au développement végétatif des plants (Domergue et Pirot 2008 ; Nacro et Lengkeek 2011). La phase végétative, période du cycle de croissance qui se déroule après la germination et avant la floraison, varie selon plusieurs facteurs (pluviométrie, qualité des sols, entretien, etc.) et l’entrée en production, plus lente et imprévisible que les prévisions initiales des promoteurs, peut prendre plusieurs années (Romijn et al. 2014 : 6231).

Au sein des exploitations agricoles familiales africaines, il importe de tenir compte du rôle de chaque membre dans le cadre de la double division du travail, soit entre hommes et femmes ainsi qu’entre adultes et enfants. Dans une approche combinant la sociologie du travail et la sociologie de la famille, Barrère-Maurisson aborde le processus social qu’elle nomme la division familiale du travail, consistant « à répartir le travail en fonction des statuts familiaux des individus […], cette division du travail [portant] à la fois sur le domestique et le professionnel » (Barrère-Maurisson 1992 : 243). Ainsi, les activités précédemment décrites, liées à la mise en place et à l’entretien des plantations, reposent essentiellement sur le travail des hommes, tandis que la cueillette des fruits de jatropha est

habituellement une activité qui incombe aux femmes, pour laquelle elles sollicitent parfois l’aide de leurs enfants. La cueillette se fait à la main, après la saison des pluies (vers le mois d’octobre), sans qu’il soit possible de mécaniser l’opération car le mûrissement des fruits est étalé dans le temps. Il faut donc récolter les fruits régulièrement pour éviter leur chute et leur pourrissement au sol. Après la cueillette, les fruits doivent être rapidement décortiqués, afin de séparer plus facilement les graines de l’enveloppe. Cette opération se fait habituellement de manière manuelle, mais il existe des décortiqueuses manuelles, dont certaines ont été mises à la disposition des coopératives et des associations de paysans producteurs. Encore une fois, les femmes sont sollicitées pour ce travail, tout comme pour les opérations subséquentes telles que le tri, le vannage et le séchage des graines. Pour cette dernière opération, les graines doivent être étalées sur une bâche dans un endroit sec ou au soleil, retournées occasionnellement et ce, pendant une période d’environ trois semaines (Henning 2000). Ce processus de conditionnement est très important, permettant d’éliminer l’humidité des graines et d’éviter ainsi leur détérioration. Les femmes sont donc impliquées à plusieurs niveaux dans le processus de production du jatropha, ce qui constitue pour elles un surplus de travail (De Noray et

al. 2015 : 22).

Une fois les graines conditionnées, elles sont conservées dans des sacs de jute ou de polyéthylène tissé avant d’être vendues aux opérateurs, lesquels se chargent de leur pressage et de leur transformation. Les graines de jatropha possèdent un taux d’huile variant entre 27 % et 32 % (Nacro et Lengkeek 2011 : 22). Pour l’extraction de l’huile à des fins commerciales, la méthode principalement utilisée repose sur l’utilisation de presses à vis mécaniques, permettant d’extraire entre 90 % et 95 % de l’huile (Ajav et al. 2018 ; Shahidi 2005). Les unités d’extraction artisanales peuvent quant à elles utiliser des presses manuelles de type Bielenberg Ram (Henning 2002). Après décantation et filtration, l’huile ainsi obtenue peut alimenter les moteurs thermiques stationnaires employés en milieu paysan (plateformes multifonctionnelles, moulins à céréales, etc.), en remplacement du diesel conventionnel. Le tourteau, l’un des sous-produits de l’extraction, peut quant à lui servir comme fertilisant, en raison de sa richesse en minéraux (Amsallem et Tréboux 2014 ; Tréboux 2013). L’obtention du biodiesel nécessite quant à elle un processus de transformation industrielle complexe et coûteux nommé transestérification, au cours duquel l’ajout de méthanol est nécessaire (Abdulla et al. 2011 ; Elliott 2013). Le biodiesel doit par la suite être mélangé au diesel conventionnel, dans différentes proportions,

permettant ainsi la production d’un carburant commercialisable dans le domaine des transports (Manivannan et al. 2019).