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Chapitre 2. Problématique des biocarburants et du jatropha à l’échelle globale

2.1 Précisions sur les notions de biocarburants et de bioénergie

Équivalent du terme anglais biofuels, l’appellation de biocarburants réfère à des « carburants de substitution obtenus à partir de la biomasse (matière première d’origine végétale, animale ou issue de déchets) […] généralement incorporés dans les carburants d’origine fossile » (Ministère de la Transition écologique et solidaire : 2020). Les carburants issus de l’agriculture sont considérés comme des ressources renouvelables puisqu’ils sont dérivés de la biomasse, et non pas produits à partir de matières fossiles. Il existe principalement deux types de biocarburants : d’une part, l’éthanol, pouvant être utilisé dans les moteurs de type essence et, d’autre part, le biodiesel, qui alimente les moteurs diesel. L’éthanol est produit à partir de deux grands types de cultures, soit les plantes sucrières (canne à sucre, betterave à sucre, sorgho doux) et les plantes riches en amidon (maïs, blé, orge, seigle, pomme de terre, manioc). L’éthanol produit aux États-Unis et au Brésil, à partir du maïs et de la canne à sucre, représente environ 75 % des biocarburants consommés dans le monde (Ajanovic et Haas 2014 : 731). Quant au biodiesel, il provient principalement des cultures oléagineuses telles que le colza, le palmier à huile, le soja, le tournesol, l’arachide. Il s’agit, techniquement parlant, d’esters méthyliques d’huiles végétales (EMHV). Le biodiesel, majoritairement consommé sur le marché européen, provient principalement du biodiesel de première génération, issu de cultures alimentaires (Boutesteijn et al. 2017).

Les biocarburants dits de seconde génération sont produits à partir de plantes oléagineuses non comestibles (jatropha), de plantes graminées (panic érigé, miscanthus), de sous-produits végétaux ainsi que de déchets agricoles et ligneux (cellulose, lignine). Leur développement fait depuis quelques années l’objet d’une vive compétition entre les multinationales. Leur intérêt est lié à l’idée qu’ils pourraient potentiellement mettre fin à la concurrence entre l’usage alimentaire et l’usage énergétique des cultures, associée aux biocarburants de première génération (Vogelpohl 2015). Parmi ces biocarburants de seconde génération, l’éthanol cellulosique, exploité industriellement depuis peu aux États-Unis et produit à partir de déchets agricoles et ligneux, est annoncé comme étant le biocarburant de l’avenir et pourrait être privilégié par les gouvernements au cours des prochaines années (Service 2014 ; Spross 2014). Des recherches concernant la production industrielle de biocarburants de troisième génération sont également en cours. Les biocarburants à base d’algues (algocarburants)

sont envisagés afin de contrer la concurrence pour les terres arables et l’eau douce tout en valorisant les marées vertes (Singh et al. 2011). Appelés à être de plus en plus utilisés dans le domaine des transports à l’échelle globale, les biocarburants, tous types confondus, devraient fournir jusqu’à 27 % de l’énergie nécessaire dans ce domaine d’ici 2050, selon un rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE 2011 : 5).

L’usage du terme biocarburant est toutefois sujet à controverse en raison du préfixe « bio », qui met de l’avant l’idée de vie sans toutefois souligner les procédés agro-industriels auxquels ils sont soumis. Le terme peut également entraîner une certaine confusion auprès du grand public, qui l’associe à la notion de « biologique », laissant ainsi supposer un mode de production durable (Dietz et al. 2015 : 3). Ceci n’est généralement pas le cas pour plusieurs de ces cultures énergétiques de première génération, produites sur le mode de la monoculture sur de vastes superficies, avec une utilisation massive de produits agrochimiques. Comme le souligne Paul B. Thompson, professeur de philosophie au Michigan State University, la terminologie utilisée pour parler des biocarburants joue très certainement un important rôle dans la façon dont cette technologie est promue et se développe à l’échelle globale (Thompson 2008 : 184). Les ONG environnementales (notamment Greenpeace et Friends of the Earth), les organisations paysannes et plusieurs chercheurs issus des sciences sociales qui adoptent une position critique par rapport aux biocarburants préfèrent utiliser le terme « agrocarburants » (agrofuels), afin de souligner le mode de production issu de l’agriculture intensive et industrielle, ainsi que les liens qu’entretient le secteur de l’agrobusiness avec cette filière (Dietz et

al. 2015). Dans le cadre de cette thèse, j’utiliserai le terme « biocarburant » en raison du fait que, à

l’instar du jatropha cultivé au Mali, ce ne sont pas tous les biocarburants qui sont issus de l’agriculture industrielle.

Les biocarburants sont englobés dans le concept plus large de bioénergie, qui désigne toutes les formes d’énergies renouvelables produites à partir de la biomasse (Rutz et Janssen 2012). Les ressources bioénergétiques sont classées en trois catégories : 1)les matières biocombustibles solides, tirées directement de la biomasse ligneuse (bois de feu, charbon), sources traditionnelles de bioénergie et principales sources d’énergie pour la majorité des personnes vivant dans les pays des Suds (González-Eguino 2015) ; 2) les biocarburants liquides produits à partir de plantes (canne à sucre, palmier à huile, jatropha, etc.), utilisés principalement pour le transport ; 3)le biogaz produit à

partir de la fermentation des déchets organiques (lisier, résidus agricoles) ou de la foresterie (sciure de bois, etc.).

La notion de bioénergie est très prisée au sein des institutions onusiennes, telles que la FAO, notamment avec le projet « Critères et indicateurs sur la bioénergie et la sécurité alimentaire16 ». Ce

projet visait à établir une série de critères, d’outils et de méthodologies servant à « évaluer les impacts environnementaux et socioéconomiques principaux de la bioénergie », en vue de promouvoir le développement rural et la sécurité alimentaire (FAO 2012 : 1). Dans la perspective des agences onusiennes et des gouvernements nationaux, les solutions bioénergétiques modernes comme le biogaz ou les biocarburants permettent de produire davantage d’énergie, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, en utilisant les ressources naturelles de manière plus durable et en assurant aux populations appauvries des moyens d’existence. C’est pourquoi la production du jatropha par les producteurs contractuels des pays des Suds a été identifiée par la FAO comme l’une des bonnes pratiques socioéconomiques dans la production bioénergétique moderne (Beall 2011).