• Aucun résultat trouvé

Biocarburants : instruments de la gouvernance internationale de l’environnement : écologie politique des projets de production de jatropha en contexte paysan au Mali

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Biocarburants : instruments de la gouvernance internationale de l’environnement : écologie politique des projets de production de jatropha en contexte paysan au Mali"

Copied!
462
0
0

Texte intégral

(1)

Biocarburants : instruments de la gouvernance

internationale de l’environnement. Écologie politique

des projets de production de jatropha en contexte

paysan au Mali

Thèse

Pascal Vallières

Doctorat en anthropologie

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

(2)

Résumé

Propulsée par la crise énergétique, la production de jatropha, plante oléagineuse cultivée comme biocarburant, a bénéficié d’investissements massifs à l’échelle globale à partir de 2007. Cette expansion est due à la fois aux politiques énergétiques incitatives, au soutien économique des différents gouvernements et à la puissance du lobby industriel. L’objectif des pays non-producteurs de pétrole de réduire une partie de leur facture énergétique par la production des biocarburants se conjugue à l’intérêt des investisseurs nationaux et étrangers face aux nouvelles opportunités de profit que représente la compensation des émissions de carbone à travers les plantations de jatropha. Adoptant une perspective multiscalaire et une approche issue de l’écologie politique et de l’anthropologie du développement, l’étude de cas proposée dans cette thèse examine les rôles et les implications économiques et politiques des différents acteurs nationaux et transnationaux (État malien, institutions transnationales, secteur privé, organismes non gouvernementaux) associés à la promotion et à la production du jatropha comme culture énergétique au sud du Mali, tout en offrant une analyse critique des discours qu’ils produisent et de la configuration développementiste sur laquelle ils s’appuient. Le dispositif de gouvernance internationale de l’environnement, faisant appel à la fois aux stratégies discursives et aux pratiques normatives de la lutte aux changements climatiques, est examiné afin de comprendre comment il participe à la construction des politiques publiques en faveur des biocarburants en général et du jatropha en particulier. Les mécanismes politiques et économiques impliqués dans la mise en place de la filière jatropha sont également étudiés, à la lumière de leurs impacts sur les dynamiques socioéconomiques locales. En dernier lieu, cette thèse démontre comment, face à la tentative d’intégration « participative » et subventionnée des producteurs paysans contractuels à l’économie de marché, ces derniers, déçus par les faibles rendements et les revenus insignifiants associés à la culture du jatropha, opposent une résistance passive en abandonnant progressivement les plantations de jatropha ou en détournant les petites quantités récoltées au profit de la transformation domestique en savon par les femmes.

Mots clés : anthropologie, biocarburants, jatropha, agriculture, gouvernance environnementale, développement durable, écologie politique, finance carbone, Mali, Sahel, Afrique de l’Ouest.

(3)

Abstract

Propelled by the energy crisis, the production of jatropha, an oilseed plant cultivated as a biofuel, has benefited from massive investments on a global scale since 2007. This expansion is due to both incentive energy policies, the economic support of various governments and the power of the industrial lobby. The objective of non-oil-producing countries to reduce part of their energy bill through biofuel production is combined with the interest of national and foreign investors in the new profit opportunities offered by offsetting carbon emissions through jatropha plantations.

Adopting a multiscalar perspective and an approach derived from political ecology and development anthropology, the case study proposed in this thesis examines the roles and economic and political implications of the various national and transnational actors (state of Mali, transnational institutions, private sector, non-governmental organizations) associated with the promotion and production of jatropha as an energy crop in southern Mali, while providing a critical analysis of the discourses they produce and the developmental configuration on which they rely. The international environmental governance mechanism, which draws on both discursive strategies and normative practices in the fight against climate change, is examined in order to understand how it participates in the construction of public policies in favour of biofuels in general and jatropha in particular. The political and economic mechanisms involved in the establishment of the jatropha sector are also studied in the light of their impacts on local socio-economic dynamics. Finally, this thesis demonstrates how, faced with the attempt to integrate contract farmers into the market economy in a "participatory" and subsidized manner, the latter, disappointed by the low yields and insignificant incomes associated with jatropha cultivation, are putting up passive resistance by gradually abandoning jatropha plantations or diverting the small quantities harvested in favour of domestic processing into soap by women.

Keywords : anthropology, biofuels, jatropha, agriculture, environmental governance, sustainable development, political ecology, carbon emission trading, Mali, Sahel, West Africa.

(4)

Tables des matières

RÉSUMÉ II

ABSTRACT III

TABLES DES MATIÈRES IV

LISTE DES CARTES VIII

LISTE DES FIGURES IX

LISTE DES GRAPHIQUES X

LISTE DES TABLEAUX XI

LISTE DES SIGLES ET DES ACRONYMES XII

GLOSSAIRE DES MOTS EN LANGUE BAMBARA XV

REMERCIEMENTS XVI INTRODUCTION 1 PRÉSENTATION DU MALI 4 ENJEUX ÉCONOMIQUES 6 ENJEUX ÉNERGÉTIQUES 9 ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX 13 OBJECTIFS DE RECHERCHE 18 QUESTION DE RECHERCHE 19

PERTINENCE ET CONTRIBUTION DE LA THÈSE 21

PLAN DE LA THÈSE 23

CHAPITRE 1. CADRE DE LA RECHERCHE ET MÉTHODOLOGIE 26

1.1ÉCOLOGIE POLITIQUE 27

1.1.1 Écologie politique classique 29

1.1.2 Écologie politique poststructuraliste 32

1.1.3 Écologie politique globale 34

1.1.4 La notion de pouvoir à travers la perspective de l’écologie politique 36

1.1.5 La notion de gouvernance 40

1.1.6 Gouvernance internationale de l’environnement 42

1.1.7 Le concept de régime 44

1.1.8 Diffusion et transfert des politiques publiques 48

1.1.9 Recherches ethnographiques sur la gouvernance internationale de l’environnement 50

1.1.10 Économie verte et services écosystémiques 52

1.2ANTHROPOLOGIE DU FONCIER 59

1.2.1 Système foncier coutumier et tenure foncière communautaire 62

1.2.2 Propriété étatique 68

1.2.3 Processus de privatisation 70

(5)

1.2.5 Pluralisme juridique et tenure foncière 76

1.2.6 Pressions sur le marché foncier 78

1.3ANTHROPOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT 80

1.3.1 Régime d’aide 85

1.4LE MALI COMME TERRAIN DE RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE 87

1.5ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES 92

1.6LA RECHERCHE DOCUMENTAIRE 94

1.7LA CONSTRUCTION DE L’ÉCHANTILLON 95

1.8LES ENTRETIENS SEMI-DIRIGÉS 102

1.9LE QUESTIONNAIRE OUVERT ET LES GROUPES DE DISCUSSION EN CONTEXTE RURAL 106

1.10L’OBSERVATION PARTICIPANTE 110

1.11RÉFLEXIVITÉ 112

1.12ANALYSE DES DONNÉES 115

1.13ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE 116

CONCLUSION 117

CHAPITRE 2. PROBLÉMATIQUE DES BIOCARBURANTS ET DU JATROPHA À L’ÉCHELLE GLOBALE 120 2.1PRÉCISIONS SUR LES NOTIONS DE BIOCARBURANTS ET DE BIOÉNERGIE 122

2.2.BRÈVE PRÉSENTATION DU JATROPHA 125

2.3PROCESSUS DE PRODUCTION DU JATROPHA ET DU BIODIESEL 129

2.4STRATÉGIES DE LÉGITIMATION DES BIOCARBURANTS 133

2.4.1 Discours de légitimation du jatropha 135

2.5CONSTRUCTION DE LA GOUVERNANCE DES BIOCARBURANTS À L’ÉCHELLE GLOBALE 139

2.6MÉCANISMES DE CERTIFICATION DE LA DURABILITÉ DES BIOCARBURANTS 144

2.7RÉSEAUX D’ACTEURS PRIVÉS 148

2.8RÉFUTABILITÉ DE LA DURABILITÉ DES BIOCARBURANTS 149

2.9REMISE EN CAUSE DE LA DURABILITÉ DU JATROPHA 154

2.9.1 Impacts environnementaux de la production du jatropha 155 2.9.2 Impacts fonciers et socioéconomiques de la production du jatropha 157 2.9.3 Échecs de projets de plantations à grande et à petite échelle 160

2.10JATROPHA ET BIOTECHNOLOGIES 162

CONCLUSION 163

CHAPITRE 3. ENJEUX AGRICOLES ET FONCIERS ET BRÈVE HISTOIRE DU JATROPHA AU MALI 165

3.1CONTEXTE AGRICOLE 166

3.2LOI D’ORIENTATION AGRICOLE 171

3.3SYSTÈMES ET ENJEUX FONCIERS AU MALI 176

3.3.1 Systèmes fonciers coutumiers et pratiques locales 177

3.3.2 Code domanial et foncier 179

3.3.3 Mythe des « terres vacantes et sans maîtres » 182

3.3.4 Réformes foncières néolibérales 183

3.3.5 Mobilisation paysanne face au phénomène d’accaparement des terres 185

3.4HISTORIQUE DES INTERVENTIONS ANTÉRIEURES À 2006 PORTANT SUR LE JATROPHA AU MALI 188

(6)

CHAPITRE 4. BAILLEURS DE FONDS ET ORGANISMES DE RECHERCHE INTERNATIONAUX 195 4.1L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT EN CONTEXTE MALIEN 196

4.1.1 L’inclusion des questions environnementales et des biocarburants dans l’aide au

développement 200

4.1.2 Banque mondiale et Fonds pour l’environnement mondial 203

4.1.3 Agences onusiennes 209

4.1.4 Agences de développement européennes 212

4.1.5 Corporations transnationales et fondations privées 217

4.2FORUM RÉGIONAL SUR LA BIOÉNERGIE 218

4.3INSTITUTS DE RECHERCHE INTERNATIONAUX 220

CONCLUSION 226

CHAPITRE 5. AGENCES ÉTATIQUES ET INSTITUTS DE RECHERCHE NATIONAUX 227

5.1AGENCES ÉTATIQUES 228

5.1.1 Agence nationale de développement des biocarburants 231

5.2INSTITUTS DE RECHERCHE NATIONAUX 241

CONCLUSION 246

CHAPITRE 6. SOCIÉTÉS PRIVÉES ET ONG IMPLIQUÉS DANS LA PROMOTION ET LA PRODUCTION DU

JATROPHA 247

6.1SOCIÉTÉS PRIVÉES 248

6.1.1 Mali Biocarburant S.A. 249

6.1.2 Jatropha Mali Initiative 262

6.1.3 Compagnies ayant tenté de produire du jatropha à grande échelle au Mali 270

6.2LES ONG INTERNATIONALES ET NATIONALES 273

6.2.1 GERES 275

6.2.2 Mali Folkecenter 283

CONCLUSION 294

CHAPITRE 7. ORGANISATIONS PAYSANNES ET PRODUCTEURS PAYSANS DE JATROPHA 296 7.1ORGANISATIONS PAYSANNES ET ORGANISMES DE LA SOCIÉTÉ CIVILE 297

7.2PRODUCTEURS PAYSANS ET LEURS ASSOCIATIONS 302

7.3PAYSANS ET INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE 307

7.4USAGES PAYSANS DU JATROPHA 310

7.5FACTEURS D’ADOPTION DU JATROPHA 312

7.6IMPACTS FONCIERS ET ENVIRONNEMENTAUX PERÇUS PAR LES PAYSANS 313

7.7ACCÈS À L’ÉNERGIE ET L’ÉLECTRIFICATION RURALE 317

7.8PRODUCTEURS PAYSANS ET CRÉDITS-CARBONE 319

7.9RAPPORTS DE GENRE ET DIVISION DU TRAVAIL AU SEIN DES EXPLOITATIONS AGRICOLES FAMILIALES 322

7.10FACTEURS LIÉS À L’ABANDON DES PLANTATIONS DE JATROPHA 326

7.11STRATÉGIES DE RÉSISTANCE PASSIVE DES PAYSANS 331

CONCLUSION 336

CONCLUSION 339

BIBLIOGRAPHIE 350

(7)

ANNEXE 2. GRILLE D’ENTRETIEN 1 430

ANNEXE 3. GRILLE D’ENTRETIEN 2 433

ANNEXE 4. GRILLE D’ENTRETIEN 3 437

ANNEXE 5. QUESTIONNAIRE ADMINISTRÉ AUX PRODUCTEURS PAYSANS 440 ANNEXE 6. LISTE DES CATÉGORIES ET CODES DE L’ANALYSE DE DONNÉES QUALITATIVES 445

(8)

Liste des cartes

CARTE 1. CARTE DU MALI (ONU 2013) ... 5 CARTE 2. ZONES AGRO-ÉCOLOGIQUES DU MALI ... 14 CARTE 3. ZONES D’INTERVENTION DES ACTEURS IMPLIQUÉS DANS LA FILIÈRE JATROPHA SUIVANT LE

DÉCOUPAGE ADMINISTRATIF DES CERCLES ... 101 CARTE 4. VILLAGES ENQUÊTÉS DES PRODUCTEURS CONTRACTUELS POUR MALI BIOCARBURANT ... 251 CARTE 5. VILLAGES ENQUÊTÉS DES PRODUCTEURS CONTRACTUELS POUR JATROPHA MALI INITIATIVE

... 268 CARTE 6. VILLAGES ENQUÊTÉS DES PRODUCTEURS CONTRACTUELS POUR LE GERES ... 276 CARTE 7. VILLAGES ENQUÊTÉS DES PRODUCTEURS CONTRACTUELS POUR MALI FOLKECENTER ... 288

(9)

Liste des figures

FIGURE 1. ILLUSTRATION DE JATROPHA CURCAS (BLANCO 1883) ... 125

FIGURE 2. PLANTATION, FRUITS ET GRAINES DE JATROPHA ... 126

FIGURE 4. PLATEFORME MULTIFONCTIONNELLE DANS LE CERCLE DE KOLOKANI ... 209

FIGURE 5. AFFICHE DU FORUM RÉGIONAL SUR LA BIOÉNERGIE, AZALAÏ HÔTEL DE BAMAKO ... 218

FIGURE 6. LOGO DE MALI BIOCARBURANT ... 249

FIGURE 7. CADRE INSTITUTIONNEL DE MALI BIOCARBURANT (VERKUIJL 2012) ... 254

FIGURE 8. LOGO DE JATROPHA MALI INITIATIVE ... 262

FIGURE 9. SAVON ARTISANAL FABRIQUÉ À KITA ... 268

FIGURE 10. PLAQUE SUR LA FAÇADE DES BUREAUX DU GERES, À KOUTIALA ... 275

FIGURE 11. PLANTATION DE JATROPHA DANS LE CERCLE DE YOROSSO ... 277

FIGURE 12. CALENDRIER ILLUSTRÉ DU PROJET ALTERRE, EN LANGUE BAMBARA (GERES 2011B) ... 280

FIGURE 13. RENCONTRE COMMUNALE À KOURY, ORGANISÉE PAR LE GERES ... 281

FIGURE 14. LOGO DE MALI FOLKECENTER ... 283

FIGURE 15. PLAQUE DE LA CENTRALE ÉLECTRIQUE DE GARALO BAGANI YELEN ... 283

FIGURE 16. PAGE COUVERTURE DU PHOTO REPORTAGE SUR LE PROJET BAGANI COURANT 10 ... 284

FIGURE 17. STOCK DE GRAINES DE JATROPHA DÉTÉRIORÉES À DIDIÉNI ... 286

FIGURE 18. FILS ÉLECTRIQUES NON RACCORDÉS DANS LE VILLAGE DE BLADIÉ, RÉGION DE SIKASSO 318 FIGURE 19. PLANT DE JATROPHA INFESTÉ DE TERMITES ... 327

(10)

Liste des graphiques

GRAPHIQUE 1. ÉVOLUTION DES SUPERFICIES EMBLAVÉES (HA) EN PLANTES ÉNERGÉTIQUES AU MALI (RÉALISÉ À PARTIR DES DONNÉES DE L’ANADEB) ... 235

(11)

Liste des tableaux

TABLEAU 1. RÉCAPITULATIF DES ENTRETIENS SEMI-DIRIGÉS ... 97 TABLEAU 2. RÉCAPITULATIF DES LIEUX D’APPARTENANCE DES PRODUCTEURS DE JATROPHA

ENQUÊTÉS ... 100 TABLEAU 3. CULTURES VIVRIÈRES LES PLUS IMPORTANTES CHEZ LES PRODUCTEURS INTERROGÉS . 305 TABLEAU 4. CULTURES DE RENTE LES PLUS IMPORTANTES CHEZ LES PRODUCTEURS INTERROGÉS .. 305 TABLEAU 5. STRUCTURE DE GOUVERNANCE ENVIRONNEMENTALE DE LA FILIÈRE JATROPHA AU MALI

(12)

Liste des sigles et des acronymes

AAPB Association africaine pour la promotion des biocarburants

ACV Analyse de cycle de vie

ADECIA Agence pour le développement de la coopération internationale dans les

domaines de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (France)

ADEME Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (France)

ADER Action pour le développement des énergies renouvelables (Mali)

AEDD Agence de l’environnement et du développement durable (Mali)

AFD Agence française de développement

AGRA Alliance for a Green Revolution in Africa

ALTERRE Agrocarburants locaux, territoires ruraux et énergies

AMADER Agence malienne pour le développement de l’énergie domestique et de

l’électrification rurale

AMASSA Association malienne pour la sécurité et la souveraineté alimentaire

AMEDD Association malienne d’éveil au développement durable

ANADEB Agence nationale de développement des biocarburants

AND MDP Autorité nationale désignée du mécanisme de développement propre

AOPP Association des organisations professionnelles paysannes

API Agence pour la promotion des investissements

CASCADE Carbon Finance for Agriculture, Silviculture, Conservation and Action Against Deforestation

CCNUCC Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

CEDEAO Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

CEREEC Centre régional pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique

CFA Communauté financière africaine

CILSS Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel

CIRAD Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le

développement

CMDT Compagnie malienne pour le développement des textiles

(13)

CNOP Coordination nationale des organisations paysannes

CRES Centre régional d’énergie solaire

CSCRP Cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté

DNE Direction nationale de l’énergie

DSRP Document stratégique pour la réduction de la pauvreté

EMHV Ester méthylique d’huile végétale

ENI École nationale d’ingénieurs du Mali

FAO Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation

FEM Fonds pour l’environnement mondial / Global Environment Facility

FFEM Fonds français pour l’environnement mondial

FIDA Fonds international de développement agricole

GBEP Global Bioenergy Partnership

GERES Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarité

GERSDA Groupe d’études et de recherche en sociologie et droit appliqué

GES Gaz à effet de serre

GIZ Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (Agence

allemande de coopération internationale)

GTZ Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit (Agence allemande

de coopération technique pour le développement)

GRAT Groupe de recherches et d’applications techniques

HVP Huile végétale pure de jatropha

ICRISAT International Crops Research Institute for the Semi-Arids Tropics

IER Institut d’Économie Rurale

INRSP Institut national de recherche en santé publique

IPR/IFRA Institut polytechnique rural de formation et de recherche appliquée (Katibougou, Mali)

IRAM Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement

(Montpellier)

JMI Jatropha Mali initiative S.A.

LOA Loi d’orientation agricole

(14)

MDP Mécanisme de développement propre

OHVN Office de la haute vallée du Niger

ONG Organisation non gouvernementale

ONUDI Organisation des Nations Unies pour le développement industriel

OSC Organisation de la société civile

PAM Programme alimentaire mondial

PANA Programme d’action nationale d’adaptation aux effets néfastes des

changements climatiques

PNAE Plan national d’action environnementale

PNCC Politique nationale sur les changements climatiques

PNUD Programme des Nations Unies pour le développement

PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement

PNVEP Programme national de valorisation énergétique de la plante pourghère

RAI Responsible Agricultural Investment that Respect Rights, Livelihoods and

Resources

REDD+ Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation “plus”

conservation, the sustainable management of forests and enhancement of forest carbon stocks

ROPPA Réseau des organisations paysannes et des producteurs d’Afrique de l’Ouest

RSB Roundtable on Sustainable Biofuels

SNCC Stratégie nationale sur les changements climatiques

SNV Stichting Nederlandse Vrijwilligers (Organisation néerlandaise de

développement)

SREP Scaling-Up Renewable Energy in Low Income Countries Program

UE Union Européenne

UEMOA Union économique et monétaire ouest-africaine

UICN Union internationale pour la conservation de la nature

ULSPP Union locale des sociétés coopératives de producteurs de pourghère

(Koulikoro, Mali)

UPA Unité de production agricole

(15)

Glossaire des mots en langue bambara

Bagani Jatropha

Cíkɛ Travail agricole, cultiver

Cí kɛgwa Exploitation agricole familiale

Daba Houe à manche court

Concession familiale

Dutigi Chef de famille

Dudenw Cadets

Dugukolotigi Chef ou maître de terre

Dutigi Chef de famille

Père

Faan Pouvoir familial

Faantan Sans pouvoir

(16)

Remerciements

À l’issue de ce long parcours que constitue la formation doctorale, je tiens à témoigner toute ma reconnaissance envers ma directrice de recherche, Sabrina Doyon, qui, grâce à des échanges intellectuels stimulants, a su me guider judicieusement dans le choix de mes orientations théoriques et méthodologiques, tout en encadrant avec minutie le processus de recherche et de rédaction menant à cette thèse. Je dois également exprimer toute ma gratitude envers Mamadou Kani Konaté, qui a su superviser avec bienveillance mon terrain de recherche tout en m’offrant un environnement de travail agréable au sein du CAREF, centre de recherche de Bamako. De plus, je tiens à souligner le travail constant de mon assistant de recherche, Abdoul Kader Koné, dont les aptitudes de cartographe, d’interprète et de transcripteur m’ont permis de mener à bien cette recherche sur le terrain.

Je tiens également à remercier tous ceux et celles qui se sont montrés disponibles et intéressés à participer à des entretiens parfois longs et pointus grâce auxquels j’ai pu mieux comprendre les enjeux et les contraintes entourant la production du jatropha au Mali. Bien évidemment, ce travail de recherche n’aurait pas été complet sans la précieuse collaboration de cette centaine de producteurs paysans rencontrés dans les différents villages ciblés par la recherche. Leur accueil, leur générosité et leur partage d’expériences m’ont permis d’appréhender de l’intérieur les changements vécus dans le contexte local, avec les espoirs et les déceptions qui y sont associés. Cette recherche vous est dédiée.

Je dédie également cette thèse à ma conjointe Pascaline, à nos enfants, Amaly, Akim et Céleste, ainsi qu’à ma mère et à mes amis, qui m’ont motivé et soutenu sur le plan affectif et moral. Je vous en suis sincèrement reconnaissant. En terminant, j’aimerais rendre hommage à mon regretté père, qui m’a toujours supporté et qui serait sûrement très fier de constater que j’ai finalement pu mener à terme ce chantier intellectuel.

Cette recherche a été rendue possible grâce au financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Bureau international de l’Université Laval.

(17)

Introduction

À l’automne 2009, je réalisais une enquête socioéconomique dans différents villages de la région malienne de Koulikoro, dans le cadre d’un projet en agroforesterie1. Les paysans bambaras avec

lesquels je m’entretenais m’affirmèrent alors, documents à l’appui, avoir été incités à cultiver sur leurs terres une plante non comestible, connue sous le nom scientifique de Jatropha curcas Linnaeus2. Les

graines oléagineuses produites par cet arbuste étaient appelées à approvisionner une nouvelle usine de biodiesel, implantée dans la ville de Koulikoro par la société Mali Biocarburant. Profitant du marché volontaire du carbone3, cette société nouvellement mise sur pied prétendait avoir construit la plus

importante unité de production de biodiesel dans tout le Sahel. À l’époque, j’étais loin de savoir à quel point cette filière, encore à ses balbutiements, soulèverait des enjeux économiques, politiques, fonciers et environnementaux, tant au niveau local qu’à l’échelle nationale et internationale.

De retour à Québec quelques mois plus tard, j’entamais ma scolarité doctorale avec la volonté de travailler sur des questions touchant à la fois l’environnement et le développement rural en contexte malien. En me remémorant ces paysans bambaras sur les rives du fleuve Niger et leurs interrogations quant aux conséquences incertaines de l’introduction de cette nouvelle culture de rente sur leurs conditions de vie, j’ai commencé à explorer le sujet et c’est ainsi que s’est dessinée progressivement la problématique de cette recherche. Au fur et à mesure que je consultais les articles scientifiques, les recherches et les rapports qui s’accumulaient sur le jatropha, je prenais conscience que le dilemme auquel faisaient face les paysans de la région de Koulikoro se posait vraisemblablement de manière similaire pour des milliers de paysans africains, asiatiques et latino-américains, incités également à cultiver dans leurs champs cette plante dans le cadre de projets de production de biocarburants, fruits

1. Le projet « Des arbres et des champs contre la pauvreté au Mali » était mené par l’Université Laval, en partenariat avec l’Institut Polytechnique Rural de Formation et de Recherche Appliquée de Katibougou.

2. Dans l’ensemble de la thèse, je réfèrerai à cette plante en utilisant le terme jatropha.

3. Parallèlement au Mécanisme de développement propre (MDP) réglementé dans le cadre du protocole de Kyoto, un marché de compensations volontaires de carbone a été développé, permettant aux particuliers et aux organisations de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en achetant des crédits-carbone générés par des projets de réduction d’émissions menés ailleurs dans le monde. Le marché volontaire est caractérisé par la présence de plusieurs standards de certification, plus ou moins contraignants les uns que les autres (Bayon et al. 2007 ; Bumpus et Liverman 2008).

(18)

d’initiatives privées ou publiques (Achten et Verchot 2011 ; Ariza-Montobbio et Lele 2010 ; Hunsberger 2009 ; Messemaker 2008 ; Ye et al. 2009).

Officiellement, les projets de Mali Biocarburant et des autres acteurs impliqués dans la promotion et la production du jatropha s’inscrivaient dans la stratégie gouvernementale visant la production d’une énergie renouvelable et abordable, la protection de l’environnement et l’amélioration des conditions socioéconomiques des populations rurales, dans le cadre d’une agriculture paysanne contractualisée. Le développement de cette filière reposait principalement sur des investisseurs étrangers (sociétés privées et ONG), dont l’engagement était facilité par les opportunités offertes par les programmes de compensation volontaire des émissions de gaz à effet de serre. Or, la mise en place de ces projets suscitait plusieurs questionnements. Quels étaient les impacts de ces projets sur le terrain ? Les bénéfices annoncés pour les producteurs paysans étaient-ils véritablement au rendez-vous ? Quels étaient les mécanismes de contrôle mis en place par le gouvernement malien ? Comment s’articulaient la concertation et la coordination entre les acteurs publics et les acteurs privés ?

Les programmes en faveur des biocarburants mis en œuvre par le gouvernement malien s’inscrivent dans un contexte global où les biocarburants ont été promus comme une solution aux changements climatiques. Présentés initialement comme une alternative durable, les biocarburants (biodiesel et éthanol combinés) ont bénéficié à la fois des politiques énergétiques volontaristes, du soutien économique des gouvernements et de la puissance du lobby industriel. Propulsée par la crise énergétique des années 2007-2008, l’expansion remarquable des biocarburants s’est toutefois heurtée à de vives critiques de la part des organisations de la société civile et des chercheurs issus des sciences sociales et des sciences environnementales, concernant leur empiètement sur les terres agricoles dédiées à l’alimentation, leur responsabilité dans la hausse des prix des denrées alimentaires enregistrée à partir de 2008 et leur impact environnemental (Borras et al. 2010 ; Rosillo-Calle et Johnson 2010).

Face à cette controverse, le jatropha a été présenté comme une alternative aux biocarburants produits avec des denrées alimentaires (maïs, soja, canne à sucre, huile de palme, etc.). Promu comme une plante résistante poussant sur des terres marginales, le jatropha a bénéficié d’investissements

(19)

massifs permettant un accroissement rapide des superficies cultivées à l’échelle globale à partir de 2008 (Renner et al. 2008 : 5). Il faut toutefois savoir que cet intérêt pour cette plante oléagineuse n’est pas nouveau. Avec un pouvoir calorifique presque équivalent à celui du diesel conventionnel, l’huile de jatropha est reconnue pour son potentiel énergétique depuis la Seconde Guerre mondiale (Vaitilingom 2006). Les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 ont insufflé une dynamique pour les projets et les recherches portant sur les énergies renouvelables, avec le soutien financier de certaines agences de coopération européennes. Toutefois, le retour à un pétrole bon marché, dans la deuxième moitié des années 1980, a compromis l’intérêt de ces recherches. Il a fallu attendre les années 2000, avec l’annonce du pic pétrolier et surtout l’augmentation du prix du pétrole à partir de 2003, pour que le jatropha soit considéré à nouveau comme une solution de rechange intéressante aux carburants fossiles. Suite à la période d’engouement de la deuxième moitié des années 2000, les années 2010 ont été marquées par une période de désenchantement, caractérisée par une vague de désinvestissements et une baisse significative des superficies cultivées (Texier et al. 2015 ; von Maltitz et al. 2014). C’est dans ce contexte global que cette recherche a été effectuée dans le sud du Mali au cours des années 2012 et 2013.

(20)

Présentation du Mali

La République du Mali est un pays enclavé d’Afrique de l’Ouest. D’une superficie de 1 240 190 km2,

65 % de son territoire est situé en région désertique ou semi-désertique. La population malienne était estimée à 17,6 millions d’habitants en 2015, avec une proportion de 39 % vivant en milieu urbain. Au moment de cette recherche, le pays était divisé en huit régions administratives (Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao et Kidal), en plus du district de la capitale, Bamako. Depuis 2016, deux régions ont été ajoutées dans le nord du pays, soit Taoudénit et Ménaka. Le pays compte 703 communes, dont seulement 19 sont considérées urbaines. Avec ses 2,4 millions d’habitants, Bamako, la capitale nationale, englobe environ 40 % de la population urbaine du pays et connaît une très rapide expansion. Avec un taux brut de natalité avoisinant les 47 ‰ et une augmentation naturelle de 34 ‰, les Nations Unies prévoient que la population malienne pourrait quintupler d’ici la fin du siècle. La pyramide des âges démontre que 47 % de la population est âgée de 14 ans et moins. En 2015, l’espérance de vie à la naissance était estimée à 55 ans (Banque mondiale 2015 ; CIA 2015 ; UNDESA 2015).

La population malienne est constituée de divers groupes culturels et ethniques parlant autant de langues différentes. Le groupe mandingue, formé essentiellement par les Bambaras et les Malinkés, représente 40 % de la population totale. Il est suivi du groupe dit soudanien, constitué des Songhaïs, des Dogons, des Soninkés et des Bozos, ainsi que par le groupe dit voltaïque, formé par les Sénoufos et les Bobos. Les Peulhs, les Touaregs, les Maures, les Toucouleurs, les Arabes bérabiches, les Khassonkés, les Minyankas et les Bwa comptent également parmi les différents groupes ethnoculturels répartis sur ce vaste territoire. Environ 80 % de l’ensemble de la population travaille dans l’agriculture ou la pêche. L’activité industrielle demeure principalement concentrée autour des activités agricoles (Arditi et al. 2011 : 9). Traditionnellement, une partie des populations des régions septentrionales du Mali conservait un mode de vie basé sur le nomadisme pastoral.

(21)

Depuis plusieurs décennies, le Mali fait partie de la liste des pays les moins avancés (PMA) en matière de développement socio-économique, selon les critères des institutions financières internationales. Il occupe l’une des dernières positions dans le classement de l’indice de développement humain, arrivant au 175e rang sur 188 (PNUD 2016). Selon les données de la Banque mondiale, 50,6 % de la population

disposait de moins de 1,25 $ par jour pour vivre en 2010 (Banque mondiale 2015). Le pays dépend fortement de l’aide internationale et demeure très vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux de l’or et du coton, ses deux principales sources de devises étrangères. En 2013, l’aide publique au développement destinée au Mali représentait 1,39 milliards de dollars, soit 12,5 % de son PIB (Banque mondiale 2015).

(22)

Enjeux économiques

Comme plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, l’économie du Mali est fortement dépendante du secteur agricole (comprenant la foresterie, la pêche, l’agriculture et l’élevage), qui comptait pour 38,5 % du PIB en 2018 (Banque mondiale 2019a). En raison du faible développement du secteur industriel, le pays importe la majeure partie des biens de consommation, en particulier de la Chine (Esterhuyse et Kane 2014). Enclavé et tributaire de l’aide internationale, le Mali demeure vulnérable aux variations météorologiques ainsi qu’aux troubles politiques et économiques internes et externes (Staatz et al. 2011 : 12). Premier producteur et exportateur de coton d’Afrique subsaharienne, le Mali compte depuis son indépendance sur cette culture de rente comme source importante de devises étrangères. Toutefois, cette production n’a pas été accompagnée d’une industrie textile orientée vers les marchés extérieurs. De plus, le secteur cotonnier malien a été grandement affecté par la baisse des cours mondiaux du coton à partir du milieu des années 2000 et par l’octroi de subventions aux producteurs états-uniens et européens (Droy 2011 ; Nubukpo et Keïta 2006). À cela s’ajoute la valeur du franc CFA, arrimé à l’euro, faisant perdre à la filière cotonnière de 2008 à 2010, « entre 35 et 40 % de [sa] compétitivité à l’exportation, ce qui est largement supérieur aux effets néfastes de subventions européennes et surtout américaines à leurs producteurs » (Jacquemot 2012 : 135).

Dès la fin des années 1960, le Mali se trouve confronté à un problème de surendettement et est contraint d’adopter, à partir de 1980, les programmes d’ajustement structurel mis en œuvre par les institutions de Bretton Woods. Cette politique se traduit par une mise sous tutelle progressive de son économie et par une liquidation et une privatisation des entreprises publiques, sous l’influence de la doctrine du libéralisme économique. À l’instar des autres pays riches en ressources minières, le Mali est appelé à ouvrir son économie « à l’investissement et au commerce internationaux comme condition à l’accès aux prêts accordés par [les institutions financières internationales] » (Belem 2010 : 119). De nouveaux cadres règlementaires sont adoptés, visant notamment le secteur du commerce et des mines. Ce dernier secteur connaît, à partir du début des années 1990, « un développement se traduisant par un regain des activités d’exploitation menées par plusieurs investisseurs étrangers et maliens attirés par les nombreux gisements aurifères dont regorgent certaines localités du pays » (Keïta et al. 2008 : 3). Le code minier de 1991, adopté sous la conduite de la Banque mondiale, marque

(23)

le tournant libéral de la politique minière malienne (Belem 2009, 2010). Il réserve à l’État une position d’actionnaire minoritaire des sociétés d’exploitation minière, tandis que ces dernières bénéficient de coûts d’exploitation parmi les plus bas au monde en raison des régimes d’exonération offerts par le gouvernement malien (Anani 2019 ; Gagné-Ouellet 2013 ; Laporte et al. 2015 ; Sidibé 2004). Bien que l’or constitue la première source de revenus d’exportation du Mali et que le pays soit aujourd’hui le quatrième producteur aurifère du continent africain, les activités minières fragilisent la balance commerciale malienne en la surexposant aux fluctuations du cours mondial de l’or. La contribution des investissements des entreprises minières transnationales au développement économique du Mali peut être remise en cause, compte tenu de leurs incidences négatives sur la situation économique, sociale

et environnementale des pays hôtes (Belem 2010 : 116). L’amélioration de la transparence et de la

gouvernance de l’industrie extractive demeure pour le Mali un défi de taille (ITIE 2014).

En raison de la charge accablante que représentait son endettement envers les créanciers multilatéraux, le Mali est devenu admissible, en 2006, à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), bénéficiant de l’annulation d’une partie de sa dette. En contrepartie, le Mali a dû se plier à certaines réformes économiques et suivre la feuille de route énoncée dans le document stratégique pour la réduction de la pauvreté. Sous l’égide de la Banque mondiale, le gouvernement malien a initié à partir de 2008 de nouvelles réformes visant l’amélioration du climat des affaires et la promotion de l’investissement privé national et étranger. Le Programme de réforme du climat des affaires a pour objectif d’aplanir les contraintes administratives et légales afin de rendre le pays plus attractif pour les investisseurs au niveau régional et international (Magassouba 2011 : 8). Le code des investissements adopté en 2012 accorde notamment aux investisseurs étrangers les mêmes privilèges que les investisseurs nationaux ainsi que des avantages fiscaux aux entreprises qui valorisent les matières premières locales, tel que les sociétés privées œuvrant dans la production d’huile végétale et de biodiesel à base de jatropha. La promotion des énergies renouvelables, en particulier le jatropha, s’appuie en partie sur un argumentaire économique, à l’effet que les recettes fiscales de l’État sont grevées par les coûts importants que représentent les importations d’hydrocarbures, l’objectif étant ainsi de « fournir à moindre coût de l’énergie pour satisfaire les besoins socio-économiques du pays » (ANADEB 2012). Toutefois, comme je le présenterai plus loin, la filière jatropha n’arrive pas à concurrencer les produits pétroliers.

(24)

D’autre part, le coup d’État de mars 2012 a eu des conséquences économiques majeures sur le pays, avec la suspension temporaire de la coopération institutionnelle et gouvernementale par les donateurs multilatéraux, plongeant le pays dans une crise économique sans précédent. Suite à l’intervention armée internationale lancée en janvier 2013 et au retour à l’ordre constitutionnel, la communauté internationale a promis une aide substantielle pour la reconstruction du Mali (AFP 2014). Toutefois, le président Ibrahim Boubacar Keïta, élu en août 2013, n’a pas réussi à endiguer la fraude, la mauvaise gestion et l’évasion fiscale, son gouvernement faisant face à une accumulation de scandales financiers, révélés notamment par le Consortium international des journalistes d’investigation (Bureau du Vérificateur général 2014 ; ICIJ 2015 ; Raineri 2016). En mai 2014, le Fonds Monétaire International a suspendu le versement de ses crédits, dénonçant une mauvaise gestion des fonds publics alloués à la reconstruction du pays (AFP et Jaffe 2014). Malgré un bilan mitigé en matière de gouvernance, le gouvernement a instauré différentes réformes qui ont eu pour effet d’améliorer le classement du Mali dans le rapport Doing business 2015 de la Banque mondiale (Banque mondiale et Société Financière Internationale 2014). Ainsi, le pays tente progressivement de regagner la confiance des investisseurs, tant dans le secteur industriel qu’à travers les opportunités que présente le « green business » des énergies renouvelables.

(25)

Enjeux énergétiques

À l’instar d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Mali est peu développé sur le plan énergétique et demeure « tributaire de contraintes géographiques, climatiques et économiques aggravées par les conséquences d’une sécheresse endémique » (Ministère des Mines, de l’Énergie et de l’Eau et al. 2004 : 4). La consommation énergétique annuelle du pays était estimée à 3,6 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2007, dont 78 % était assurée par les combustibles ligneux (bois de chauffage et charbon de bois) (Boccanfuso et al. 2013 : 2). Cette situation entraîne une exploitation excessive des ressources ligneuses, avec une consommation annuelle de près de 6 millions de tonnes de bois et un rythme de déboisement annuel de 400 000 ha (Djiré et Barton 2012 : 49 ; Sovacool et al. 2013 : 116).

Ne produisant pas de pétrole, le Mali est totalement dépendant des importations pour assurer ses besoins en hydrocarbures. Importés via les ports maritimes du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Togo et du Ghana, les hydrocarbures comptent pour 18 % de la consommation énergétique nationale. Cette vulnérabilité a des conséquences importantes au niveau économique, politique et social lorsque les prix du pétrole augmentent fortement sur le marché mondial. « En effet, cette importation a coûté en 2004 environ 152 milliards de francs CFA. En 2007, la facture pétrolière a atteint 242 milliards de francs CFA, soit un accroissement global de 59,21 % sur la période 2004-2007 » (Ministère de l’Énergie et de l’Eau et Direction Nationale de l’Énergie 2011 : 140).

La production d’électricité, réalisée principalement par les barrages de Manantali et de Sélingué, ne fournit que 3 % de la consommation énergétique du pays et ne dessert que 15 % de la population (Sow 2008 : 11). La compagnie nationale Énergie du Mali (EDM) a été privatisée en 2000 et renationalisée en 2005 (Gualberti et al. 2009). Dans les petites localités, la production d’électricité à partir de centrales thermiques, en plus d’être peu écologique, demeure assujettie aux prix des hydrocarbures, importés à des coûts toujours plus élevés.

Le pays dispose toutefois de potentialités intéressantes en matière d’énergies renouvelables, notamment en ce qui a trait à l’énergie éolienne dans la partie nord du pays ainsi qu’à l’énergie solaire

(26)

dans le sud (Nygaard et al. 2010). Malgré certaines avancées, avec le développement de microcentrales hybrides (solaire et diesel) destinées à l’électrification rurale, ces sources d’énergies renouvelables, qui représentent environ 1 % de la consommation énergétique nationale, connaissent un développement modeste en raison des coûts d’importation élevés des installations photovoltaïques et éoliennes. Le portrait de la situation permet de démontrer les besoins impérieux du pays en matière de sécurité énergétique.

Le gouvernement malien reconnaît que « l’énergie est un secteur à vocation économique et sociale, pourvoyeur de produits, de services et de commodités » et que, par son caractère transversal, elle « est nécessaire à la plupart des secteurs du développement socio-économique, [...] qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, de l’accès à l’eau potable et des activités génératrices de revenus » (Ministère des Mines, de l’Énergie et de l’Eau 2005a : 8). Un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) abonde dans le même sens, soulignant que l’accès aux services énergétiques demeure fondamental pour la réduction de la pauvreté dans les pays des Suds4 et que l’atteinte des

Objectifs du Millénaire pour le Développement ne peut se faire sans une amélioration de l’accès aux services énergétiques (Takada et Charles 2007 : 38). À cet effet, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé l’année 2012 « année internationale de l’énergie durable pour tous », soulignant que « l’accès à des services énergétiques modernes et abordables dans les pays en développement est essentiel pour réaliser les objectifs de développement arrêtés au niveau international » (Nations Unies 2011).

La situation de « pauvreté énergétique » que l’on observe au Mali, où seulement 43,1 % de la population avait accès l’électricité en 2017 (Banque mondiale 2019b), demeure associée à de nombreux problèmes de santé publique, tels que la pollution de l’air à l’intérieur des habitations où le bois et le charbon sont utilisés pour la cuisson des aliments de même que le manque d’accès à certains services médicaux et aux vaccins dans les régions dépourvues d’électricité (Sovacool 2012 : 275).

4. Dans cette thèse, je favoriserai l’expression « pays des Suds » afin de signifier la diversité des situations politiques et économiques parmi les pays rangés de manière abusive sous l’étiquette de « pays du Sud » (Dufour 2007 : 36).

(27)

L’énonciation des Objectifs du Millénaire pour le Développement a eu une influence sur les politiques publiques de nombreux pays des Suds, qui ont progressivement intégré la question de l’accès aux services énergétiques dans leurs stratégies de développement (Modi et al. 2005 : 1). En 2003, l’Agence Malienne pour le développement de l’Énergie Domestique et de l’Électrification Rurale (AMADER) a été créée afin d’améliorer l’accès des populations rurales défavorisées à des services énergétiques de base et ainsi « accélérer l’utilisation de l’énergie moderne dans les zones rurales et périurbaines de manière à accroître la productivité des petites et moyennes entreprises » (CEREEC s.d.). Parmi les moyens choisis pour rencontrer ces objectifs, le développement des énergies renouvelables, et en particulier celui des biocarburants, est apparu à la fois comme une mesure visant à diminuer la vulnérabilité énergétique du pays tout en favorisant l’accès aux services énergétiques pour les habitants des zones rurales.

L’élaboration, entre 2006 et 2011, d’une série de politiques, de stratégies, de mesures et de programmes en faveur du développement des énergies renouvelables, en particulier les biocarburants (Politique énergétique nationale 2006 ; Stratégie nationale pour le développement des énergies renouvelables 2006 ; Stratégie nationale pour le développement des biocarburants 2008), s’inscrit dans un processus de construction d’un cadre politique visant la mise sur pied d’une filière économique répondant autant à des préoccupations nationales qu’à des enjeux plus globaux. Ce cadre politique national constitue une réponse directe aux orientations émises par les organisations internationales et régionales (PNUD, PNUE, FAO, UE, CEDEAO, UEMOA, etc.) et leurs initiatives, tel que le Global Bioenergy Partnership (GBEP) et le Centre Régional pour les Énergies Renouvelables et l’Efficacité Énergétique (CEREEC), pour lesquelles il est nécessaire d’élargir et « [d’]accélérer le développement et le déploiement de la bioénergie moderne et durable » dans l’ensemble des pays des Suds, particulièrement en Afrique (CEREEC 2012 : 3). Ainsi, dans un document présentant les principales orientations stratégiques pour « une économie verte et résiliente aux changements climatiques », le Ministère de l’Environnement et de l’Assainissement du Mali et le Programme des Nations Unies pour le développement soulignaient que le développement des énergies renouvelables, en particulier celui des biocarburants à base de jatropha, constituait « le premier levier pour limiter les émissions de gaz à effet de serre du secteur énergie » (2011 : 21).

(28)

Les normes et les exigences de durabilité des biocarburants fixées par le gouvernement malien répondent également aux mêmes prescriptions des organisations internationales. L’intégration des principes reconnus à l’échelle globale dans les politiques nationales maliennes s’est avérée efficace pour attirer le support monétaire, institutionnel et technique des organisations internationales et des donateurs (Favretto et al. 2015 : 36). Il est à noter que le Mali a bénéficié du projet Scaling-Up Renewable Energy in Low Income Countries Program (SREP), accompagné d’un prêt de 40 millions de $ US par la Banque mondiale pour la valorisation à grande échelle des énergies renouvelables, dont le jatropha (Climate Investments Funds 2011).

Le Mali a entrepris au cours de la décennie 2000 une série de réformes économiques, dont l’un des objectifs visait le désengagement de l’État des activités productives et la privatisation des entreprises publiques. Ces réformes ont eu un impact important dans le secteur de l’énergie, où les opérateurs privés sont venus remplacer l’État, dont le rôle est maintenant réduit à l’élaboration des politiques et des réglementations ainsi qu’au contrôle et à la coordination des activités des acteurs (Dabat et al. 2014 : 8). Il apparaît que les mécanismes de contrôle et de supervision des activités des opérateurs de la filière jatropha demeurent insuffisants. Des recherches soulignent qu’au début des années 2010, il n’existait au Mali aucun programme permettant de collecter les données sur les projets en cours, d’en assurer la surveillance, de mesurer les réalisations et de les comparer aux cibles définies dans les politiques nationales (Dupré et al. 2012 ; Favretto et al. 2015 : 52). Ainsi, en présentant une étude de cas sur la promotion et la production du jatropha au Mali, cette thèse permet d’explorer les défis et les opportunités associés à cette filière, tout en comblant le manque de données empiriques.

(29)

Enjeux environnementaux

Les changements climatiques observés à l’échelle planétaire représentent un défi majeur pour l’ensemble des pays, et plus particulièrement pour les pays vulnérables tel que le Mali. La région sahélienne est en proie à des périodes de sécheresse récurrentes, ayant eu lieu au cours des années 1910, 1940, 1960, 1970, 1980 et 2010 (Bader et Latif 2011 ; Glenzer 2002 ; Mortimore 2010). La sécheresse historique de 1973-1974 dans le nord du pays a dévasté les cultures et décimé les troupeaux des habitants des régions sahéliennes. La famine qui en a résulté a coûté la vie à des milliers de personnes et causé le déplacement de dizaines de milliers d’autres, démontrant la faiblesse des institutions gouvernementales nationales et ouvrant, par conséquent, la porte à l’intervention massive des ONG internationales au Sahel, particulièrement dans le nord du Mali. « Foreign voluntary agencies, which would come to be known as NGOs, began to fill that gap as they adopted an ever greater role in delivering relief » (Mann 2015 : 172). Cet événement a mené à la création, en septembre 1973, du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), visant à mobiliser les gouvernements des pays sahéliens et la communauté internationale autour de l’aide d’urgence et de la mise en œuvre de divers programmes, notamment dans le domaine agricole. En plus des sécheresses, des événements climatiques extrêmes tels que les inondations, les vents violents et les vents de sable se présentent aujourd’hui avec une fréquence plus importante, affectant tous les secteurs de l’économie du pays, en particulier le secteur primaire (agriculture, élevage, pêche, foresterie) (Butt et al. 2005 ; Morand et al. 2012 ; Traoré et al. 2013 ; Traoré 2014 ; Waldman et Richardson 2018). Les impacts des aléas climatiques sur l’agriculture sont perçus comme des « enjeux majeurs pour le développement économique et la sécurité alimentaire » (Sultan et al. 2012 : 64).

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) distingue, pour le territoire malien, quatre grandes zones agro-climatiques en fonction de la répartition graduelle des pluies :

- la zone saharienne (632 000 km2, soit 51 % de la superficie du territoire national) avec des

précipitations annuelles inférieures à 200 mm couvrant la partie nord ;

- la zone sahélienne (320 000 km2, soit 26 %) dans le nord et le centre avec des précipitations

(30)

- la zone soudanienne (215 000 km2, soit 17 %) au centre avec des précipitations variant entre

600 et 1200 mm ;

- la zone soudano-guinéenne sub-humide (75 000 km2, soit 6 %) où les précipitations moyennes

dépassent 1 200 mm (Ministère du développement rural 2002 : 11).

Les zones écologiques résultent de la combinaison entre zones écologiques et zones climatiques. La carte présentée à la page suivante donne un aperçu des grandes zones agro-écologiques du Mali.

Carte 2. Zones agro-écologiques du Mali

Une recherche réalisée en 2010 et 2011 dans la région de Sikasso démontre que les agriculteurs maliens perçoivent une augmentation de la variation interannuelle des précipitations, une augmentation de la fréquence des intervalles de sécheresse au cours la saison des pluies ainsi qu’une

(31)

augmentation de la température moyenne (Traoré 2014 : 34). Ces observations sont d’ailleurs corroborées par les relevés météorologiques qui indiquent un glissement progressif des isohyètes au Sahel depuis les années 1970 (Frappart et al. 2009 ; Le Barbé et Lebel 1997 ; Lebel et Ali 2009). Les modifications du régime des précipitations ont un impact considérable sur l’économie rurale malienne, qui dépend fortement de l’agriculture pluviale (Ebi et al. 2011 : 424). Les déficits pluviométriques ont amené le gouvernement malien à s’engager, à partir de 2005, dans des opérations de pluies provoquées, résultant de l’ensemencement des nuages (Delene 2008 ; National Center for Atmospheric Research s.d.).

Depuis le milieu des années 1980, le Mali a cherché à mener des actions de gestion des ressources naturelles en se dotant de politiques et de stratégies environnementales, parmi lesquelles il faut noter le Plan national de lutte contre la désertification et l’avancée du désert (1985-2000), le Plan national d’action environnementale (1998), le Programme d’action nationale d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques (2007) ainsi que le Cadre stratégique d’investissement pour la gestion durable des terres (2010). Appuyée par le Fonds de l’Environnement Mondial (FEM) et le PNUD, l’élaboration et l’exécution du Programme d’action nationale d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques entrent dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), adoptée lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 et ratifiée par le Mali en décembre 1994.

Dans un contexte de mondialisation des questions environnementales, le Mali a signé le protocole de Kyoto en 1999 et l’a ratifié en 2002. Ce protocole comprend des dispositions visant à soutenir les réductions dans les pays non tenus par des objectifs d’émissions, tel que le Mali. L’une de ces dispositions est le Mécanisme de Développement Propre (MDP), permettant aux pays développés et à leurs industries de réduire une partie de leurs émissions de gaz à effet de serre en financant des projets qui réduisent ou évitent les émissions de gaz à effet de serre dans les pays des Suds, où cette réduction est censée être moins coûteuse. Ainsi, les pays développés et leurs industries achètent des crédits pouvant être utilisés pour atteindre leurs propres objectifs d’émissions. Les projets qui s’insèrent dans ce cadre sont présentés aux pays des Suds comme des opportunités de bénéficier de technologies vertes et efficaces. Le Mali est éligible pour le financement de projets de réduction

(32)

d’émissions de gaz à effet de serre, que ce soit grâce au MDP ou par la voie du marché volontaire de crédits-carbone.

En 2003, l’Autorité nationale désignée du Mécanisme de Développement Propre (AND MDP) a été créée comme organisation institutionnelle ayant pour objectif d’aider les projets nationaux à accéder au marché du carbone. En 2011, le portefeuille de projets carbone comptait différents projets de plantation de jatropha et de production de biodiesel et d’huile végétale pure, considérés comme des projets d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (Ministère de l’Environnement et de l’Assainissement 2011a). La participation au MDP nécessite de s’appuyer obligatoirement sur une méthodologie de calcul des réductions d’émissions validée par les organes de contrôle de la CCNUCC. Cette méthodologie a toutefois fait l’objet de critiques, en raison des méthodes de calcul pouvant entraîner une projection exagérée des quantités de gaz à effet de serre réduites par les projets, posant ainsi « la question de l’efficacité de l’utilisation des projets MDP comme outils de lutte contre les changements climatiques » (Tsayem Demaze 2013 : 8).

À l’instar d’autres pays des Suds, le Mali s’est également doté d’une Politique nationale sur les changements climatiques. Adoptée en 2011, cette dernière doit servir de cadre de référence pour les différentes interventions relatives aux changements climatiques au Mali, visant ainsi à promovoir « une intégration des changements climatiques dans les politiques et stratégies sectorielles et dans la planification du développement au niveau national et des collectivités territoriales » (Ministère de l’Environnement et de l’Assainissement 2011b : 18). Quant à elle, l’Agence de l’environnement et du développement durable (AEDD) a été créée en 2010 pour coordonner l’ensemble des actions liées aux changements climatiques. Cette agence veille également à la mise en œuvre de la Stratégie nationale sur les changements climatiques (SNCC). Pour assurer le financement des projets en matière de lutte contre les changements climatiques, le Mali a développé un partenariat avec le Bureau des fonds multipartenaires du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), afin de constituer le Fonds National Climat du Mali, un des premiers fonds nationaux climat sur le continent africain, de manière à pouvoir « combiner des financements en provenance des secteurs public et privé et des sources bilatérales et multilatérales » (PNUD s.d. : 1).

(33)

Le cas du Mali est à l’image des autres pays d’Afrique subsaharienne, dont l’insertion « dans la mondialisation des préoccupations environnementales [par la ratification des] conventions internationales […] leur permet de participer aux initiatives émergeantes et d’obtenir des subsides financiers » (Tsayem Demaze 2010 : 185). Ne voulant pas être en reste par rapport aux financements disponibles concernant les changements climatiques, l’État malien a voulu officialiser son engagement dans la lutte aux changements climatiques auprès des institutions internationales, ouvrant la voie aux interventions extérieures, par le biais des agences multilatérales et des bailleurs de fonds. Sans l’implication de ces partenaires, le Mali n’aurait ni la capacité financière, ni la capacité technique de mettre en place des politiques, des structures et des programmes visant à lutter contre les changements climatiques. L’adhésion du Mali aux principes énoncés dans les différents accords internationaux susmentionnés s’explique également par le fait que les normes formulées par les institutions internationales représentent, pour une administration nationale en situation de faible capacité d’expertise, une source importante de légitimation et de mise en conformité (Finnemore et Sikkink 1998 : 895). De plus, il faut comprendre que, pour le Mali comme pour plusieurs pays des Suds, la lutte aux changements climatiques n’est pas une priorité tandis que la réduction de la pauvreté et l’approvisionnement en énergie constituent des préoccupations plus pressantes (Halsnæs et Garg 2011 : 987).

La réduction des émissions de gaz à effet de serre et la contribution au développement durable du pays constituent des arguments mis de l’avant par les promoteurs des projets de production de jatropha impliquant les communautés paysannes. De tels projets de réduction de gaz à effet de serre constituent le résultat d’une gouvernance environnementale multi-située et transnationale (Newell 2008 : 528). Ainsi, cette étude de cas cherche à appréhender la manière dont les forces économiques et sociales à l’œuvre à l’échelle globale contribuent à modifier les politiques et les pratiques environnementales à l’échelle locale, tout en analysant les rapports de pouvoir inégalitaires qui existent entre les institutions du Nord et les acteurs nationaux et locaux du Sud.

(34)

Objectifs de recherche

À la vue des projets de jatropha qui se sont multipliés sur le territoire malien à partir de la deuxième moitié des années 2000, il est nécessaire de se questionner sur le cadre politique mis en place pour structurer le développement de cette filière. Alors que l’État malien affirme s’être engagé dans une stratégie de maîtrise de l’énergie via les biocarburants, un questionnement s’impose concernant l’adéquation entre cette vision et les résultats obtenus par les opérateurs pratiquant une agriculture contractuelle auprès de petits producteurs paysans.

Cette thèse portant sur la promotion et la production du jatropha au Mali s’inscrit dans une analyse de la gouvernance internationale de l’environnement, étudiée dans une perspective d’écologie politique. Elle vise à comprendre les rôles et les implications économiques et politiques des différents acteurs transnationaux et nationaux impliqués dans la production du jatropha, tout en déconstruisant les récits gagnant-gagnant produits par ces derniers, les opposant notamment à ceux recueillis sur le terrain auprès des producteurs locaux de jatropha qui oscillent entre espoirs déçus et désirs d’améliorer leurs conditions de vie. Les systèmes de production du jatropha y sont examinés afin de mettre en lumière les conséquences sur les dynamiques foncières rurales et socioéconomiques.

(35)

Question de recherche

Ma question de recherche principale est la suivante : Comment les processus à l’œuvre dans les projets de promotion et de production de jatropha au Mali sont influencés par les structures, les discours et les mécanismes de la gouvernance internationale de l’environnement et quelles en sont les conséquences socioéconomiques et foncières à l’échelle locale ?

Cette question sous-tend quatre sous-objectifs, qui peuvent être formulés ainsi :

a) Identifier les acteurs transnationaux, nationaux et locaux (institutions internationales, bailleurs de fonds, centres de recherche, secteur privé, agences publiques, organismes non gouvernementaux et associatifs, regroupements de producteurs paysans) impliqués dans la promotion du jatropha comme biocarburant au Mali tout en confrontant et en analysant de manière critique les discours qu’ils produisent sur cette question ;

b) Analyser les mécanismes légaux, politiques et économiques favorisant la promotion du jatropha à l’échelle internationale, nationale et locale ;

c) Décrire les mécanismes impliqués dans la production du jatropha et expliquer comment s’organisent sa gestion et son exploitation localement ;

d) Décrire les rapports que les acteurs locaux entretiennent avec les acteurs nationaux et transnationaux et les effets de pouvoir observés au niveau économique, politique et foncier.

Cette thèse s’inscrit à la fois dans le champ de l’anthropologie de l’environnement et dans celui de l’anthropologie du développement. Dans un contexte d’accroissement des espaces dédiés aux cultures énergétiques dans les pays des Suds, l’anthropologie de l’environnement permet d’appréhender une problématique globale, en prenant appui sur une étude de cas portant sur des projets de production de biocarburant en contexte malien. L’anthropologie du développement offre le cadre analytique propice à l’examen des politiques de développement rural, en permettant de questionner la mise en

(36)

œuvre des politiques sur lesquelles se fondent ces projets et d’analyser les réactions locales aux projets qui découlent de ces politiques.

(37)

Pertinence et contribution de la thèse

Problématique complexe et multidimensionnelle, la question des biocarburants a été traitée à travers de nombreuses perspectives et approches disciplinaires (droit, économie, géographie, science politique, éthique, agronomie, biologie, management industriel, foresterie, études environnementales, études internationales, etc.). L’originalité de cette thèse en anthropologie repose sur le fait que peu de recherches ethnographiques sur la question ont été effectuées et aucune autre recherche propose une analyse comparative des activités de quatre opérateurs (ONG et sociétés privées) en contexte malien. D’autre part, la particularité de l’approche anthropologique permet une compréhension intégrée de la problématique des biocarburants et des relations qui existent entre le global et le local, en examinant les processus de promotion et de production du jatropha à travers les perspectives micro et macro. La réalisation d’une recherche ethnographique sur le terrain sur une longue période (16 mois) m’a permis d’accéder aux différents discours sur la question en provenance des acteurs internationaux, nationaux et locaux impliqués au sein de cette filière, dont les producteurs paysans, au cœur des interventions menées par les sociétés privées et les ONG impliquées dans la promotion et la production du jatropha. Les entrevues réalisées offrent la possibilité d’accéder aux transcriptions cachées (hidden transcripts) (Scott 1990) de plusieurs de ces acteurs, notamment les chercheurs maliens et les producteurs paysans, mettant en lumière les systèmes de domination et leur remise en question par les groupes subalternes. Ainsi, l’une des contributions de cette thèse réside dans le fait qu’elle permet d’appréhender les stratégies de résistance passive mises en place par les producteurs paysans face aux projets de jatropha. À travers l’examen des projets de promotion et de production de biocarburant à base de jatropha au Mali, l’approche ethnographique permet de mettre en évidence l’impact de la gouvernance internationale de l’environnement sur le local, en confrontant les discours des différents acteurs de la filière aux expériences vécues au sein des exploitations agricoles familiales.

Tout comme la supériorité revendiquée des administrateurs coloniaux était caractérisée par une « dévalorisation systématique des manières de penser, de croire, de dire et de faire » des populations locales (Arditi 2011 : 453), les développeurs et les administrations postcoloniales ignorent trop souvent les discours, les pratiques et les expériences des paysans africains dans l’élaboration des politiques de développement rural. Les sciences sociales en général, et l’anthropologie en particulier, peuvent contribuer à la compréhension des logiques et des stratégies propres à la paysannerie africaine, à

(38)

l’étude de l’organisation sociale des systèmes de production agricole ainsi qu’à l’analyse des réactions et des attitudes des paysans africains face aux actions des développeurs et de l’administration postcoloniale. Suite aux échecs des projets de production de jatropha financés par les agences de développement international, il apparaît nécessaire de se pencher sur les écueils rencontrés par les développeurs dans la mise en place de cette filière, en portant une attention particulière à la rationalité des producteurs paysans engagés dans une agriculture contractuelle, aux raisons pour lesquelles ils ont progressivement délaissé leurs plantations de jatropha et à la place des femmes paysannes dans la récolte et le conditionnement des graines de jatropha, alors qu’elles n’avaient initialement pas été prises en compte dans la définition et la mise en œuvre des projets.

Ainsi, dans un contexte global où les politiques faisant la promotion du jatropha comme biocarburant ont rencontré des insuccès dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine (Castellanos-Navarrete et Jansen 2017 ; Jingura et Kamusoko 2018 ; Neimark 2016 ; Singh et al. 2014), cette thèse présente une pertinence particulière en démontrant comment et pourquoi, malgré la mise en place de politiques publiques et les fonds considérables consacrés au développement de cette filière, de tels projets de développement rural se soldent par des échecs. En se penchant attentivement sur les expériences et les discours de la paysannerie, encore trop rarement considérés par les décideurs politiques et les développeurs, cette thèse permet d’observer comment des projets, suivant une logique descendante et reposant essentiellement sur des calculs économiques, peuvent être déroutés par les paysans, non pas en raison d’une opposition frontale et organisée de leur part, mais plutôt par leur désaffiliation et leur désintérêt suite à leur propre évaluation des coûts d’opportunité et des pertes associées à cette culture de rente.

Figure

Tableau 1. Récapitulatif des entretiens semi-dirigés
Figure 1. Illustration de jatropha curcas  (Blanco 1883)
Figure 2. Plantation, fruits et graines de jatropha

Références

Documents relatifs

Le générique soigne aussi bien que le médicament auquel il se substi- tue car il contient la même substance active à la même dose.. Un médicament très cher est

Les acteurs de votre traitement : Votre rôle d’acteur, c’est : VOUS ÊTES UN ACTEUR DU CIRCUIT DU MÉDICAMENT.. Indiquer les médicaments que vous prenez à votre médecin et à

Pour vous procurer un carnet de suivi AVK : demandez à votre pharmacien ou à votre médecin.. AP-HM – Réalisation SCQIP – Validation COSEPS – Juin 2013 plaquette phamacie3_Mise

IUT Dijon-Auxerre Martine Galindo Il s’agit d’un nouvel accord qui permet à l’IUT Dijon-Auxerre d’envoyer jusqu’à 6 étudiants dans cette université pour suivre des

Graphe 2.1 : concentrations moyennes de dioxyde d’azote (NO 2 ) mesurées pendant la période de référence (mai 2017-2019) ainsi que pendant la période de déconfinement (4 mai 2020

Graphe 3.a.2 : concentrations moyennes de monoxyde d’azote (NO) mesurées pendant la période de référence (mars-avril 2017-2019) pendant les jours ouvrés et les dimanches, ainsi

Graphe 3.c.1 : variation semi-horaire des concentrations de dioxyde d’azote (NO 2 ) durant une journée moyenne, mesurées pendant la période de référence (mars-avril 2017-2019)

En ce qui concerne l’évolution de la situation entre la période de confinement au 19/4 et au 3/5, on peut constater que nos conclusions précédentes sont restées identiques