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Chapitre 3. Enjeux agricoles et fonciers et brève histoire du jatropha au Mal

3.3 Systèmes et enjeux fonciers au Mal

3.3.2 Code domanial et foncier

Avant l’adoption de la loi foncière agricole en avril 2017 (Neimark et al. 2018 : 321), le cadre juridique et institutionnel de gouvernance foncière du Mali était basé sur le Code domanial et foncier de 2000, qui constituait le texte fondamental déterminant le statut des terres sur l’ensemble du territoire national. Celui-ci instituait le principe de la domanialité, qui désigne le régime des biens appartenant aux personnes publiques, affirmant la prééminence étatique dans la gestion foncière. L’article 28 de ce code soulignait que le domaine privé immobilier de l’État comprenait les terres faisant l’objet d’un titre foncier en son nom, les terres acquises ou confisquées par celui-ci, de même que les terres non immatriculées, y compris « celles vacantes et sans maîtres, sur lesquelles ne s’exerce aucun droit d’usage ni de disposition, que ce soit en vertu des règles de droit écrit ou de celles des droits fonciers coutumiers ; celles sur lesquelles s’exercent des droits fonciers coutumiers d’usage ou de disposition, que ce soit à titre collectif ou individuel ; celles sur lesquelles s’exercent des droits d’usage ou de disposition en vertu des règles de droit écrit » (République du Mali 2000).

L’article 43 du Code domanial et foncier reconnaissait que les « droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur les terres non immatriculées sont confirmés. Nul individu, nulle collectivité ne peut être contraint de céder ses droits si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnisation ». Il faut toutefois mentionner que les terres sur lesquelles portaient ces droits étaient comprises dans le domaine privé de l’État.

L’article 45 soulignait les conditions pour lesquelles les droits coutumiers individuels étaient constatés, c’est-à-dire dans les cas où les terres comportent une « emprise évidente et permanente sur le sol se traduisant par des constructions ou une mise en valeur régulière ». Cet article établissait que les droits coutumiers individuels pouvaient être transformés en propriété, ce qui requérait l’immatriculation des terres en question. Toutefois, l’article 31 prévoyait que l’État « peut recourir à une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique », les dispositions pour cette procédure « applicable en matière de purge des droits coutumiers » étant définies dans l’article 47 (République du Mali 2000). Dans ce cas, les droits coutumiers n’étaient considérés qu’au même titre que des droits d’usage, ne donnant lieu à aucune indemnité.

Si le régime foncier officiel reconnaissait formellement l’existence des droits coutumiers, qui « comblent un vide que le droit écrit [n’est] vraisemblablement pas prêt à occuper », dans les faits, il n’intégrait ces droits « que pour mieux en organiser la disparition » (Barrière et Barrière 2002 : 217). Les autorités maliennes de l’époque ne semblaient pas disposées à sécuriser les droits fonciers des paysans, étant donné que les procédures qui devaient encadrer la constatation des droits coutumiers et « leur enregistrement [n’étaient] pas encore été déterminées » et que « les décrets d’application nécessaires [n’avaient] pas encore été adoptés » (Djiré et al. 2012 : 19).

Ainsi, plutôt que de sécuriser les droits fonciers de la majorité de la population rurale, le Code domanial et foncier contribuait à fragiliser ces droits, en plaçant les terres détenues selon les systèmes fonciers coutumiers dans le domaine privé de l’État, retirant de cette façon aux paysans tout « pouvoir de décision ou de gestion sur leurs propres terres » (Djiré et al. 2012 : 23). Les coûts élevés des différentes procédures administratives menant à l’immatriculation, combinés à l’ignorance des paysans sur les procédures légales, ont contribué à maintenir les paysans dans une inexistence juridique, se traduisant par une insécurité foncière effective (Djiré 2007 : 12). Dans ces conditions, seule la bourgeoisie urbaine, bureaucratique et commerçante pouvait réussir à manipuler le processus d’immatriculation à son avantage, sécurisant ainsi ses acquisitions foncières et développant des opportunités d’affaires en tant qu’intermédiaires pour les investisseurs avides de terres arables (Cotula

et al. 2009 ; Djiré 2007). À terme, cela s’est traduit par un accroissement des expropriations visant les

paysans, dont les moyens de subsistance ont été littéralement accaparés par les corporations transnationales et les fonds d’investissements étrangers, avec la collaboration des autorités locales.

Comme l’ont affirmé les chercheurs maliens Djiré, Keïta et Diawara32, nombre des dispositions de la

législation nationale concernant le foncier « sontencore incomplètes, inefficaces et peu adaptées aux réalités socio-économiqueslocales, notamment dans le monde rural. Certaines dispositions des textes envigueur sont tellement ambiguës qu’elles sèment la confusion et sont sources de conflits et d’abus, donc d’insécurité foncière et, partant, de mauvaise gouvernancefoncière » (Djiré et al. 2012 : 2-3).

32. Membres du Groupe d’études et de recherche en sociologie et droit appliqué de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako.

Les interventions en faveur de la privatisation des terres et de la clarification des droits fonciers reposent sur l’idée que la propriété collective inhibe le développement économique et limite les possibilités d’utiliser les ressources de manière plus productive. L’État malien s’était alors donné les pleins pouvoirs d’attribuer des baux emphytéotiques renouvelables, d’une durée oscillant entre 50 ans et 99 ans, proposant aux investisseurs étrangers des coûts de location excessivement bas. Les investisseurs pouvaient également se voir accorder une exemption de taxe foncière pour une période donnée, représentant pour eux des économies de plusieurs millions de dollars. Les répercussions économiques de ces investissements sont perçues comme étant les principaux bénéfices (Cotula et

al. 2009 : 76-79).

L’idéologie néolibérale a conduit le Mali à renoncer à ses attributs souverains et à se comporter en véritable « corporate state », c’est-à-dire en État-entreprise dont les instruments (lois, administrations, corps professionnels, recherche) sont mis au service des entreprises (Chouquer 2012 : 183). Dans le domaine du foncier, le pouvoir de régulation de l’État « est de plus en plus concurrencé par certains types de firmes ou de fonds souverains qui récusent un monopole juridique jugé excessif et, pour eux, contre-productif, tentant d’imposer un modèle d’État-entreprise » (Le Roy 2015 : 205).