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Processus de patrimonialisation

Patrimoine et patrimonialisation

1.2. Processus de patrimonialisation

Il convient alors d’étudier, après l’avoir défini, le processus de patrimonialisation par lequel un objet, matériel ou immatériel, devient patrimoine.

1.2.1. Définition

Le processus de patrimonialisation est défini par Jean Davallon (2014, p. 1) comme étant celui « par lequel un collectif reconnaît le statut de patrimoine à des objets matériels

Selon Jean-Michel Leniaud (cité dans Davallon, 2014, p. 9), la patrimonialisation intervient lorsqu’un objet perd sa « valeur d’usage » et qu’il acquiert, par une procédure « d’appropriation » collective, une « valeur patrimoniale » lui conférant une reconnaissance sociale en tant que patrimoine. Ainsi, nous définissons la patrimonialisation comme étant le processus de « production du statut social de l’objet patrimonial » (Davallon, 2006, p. 99).

1.2.2. Étapes de la patrimonialisation

Jean Davallon (2006, p. 119-126) a identifié six étapes, aussi appelées « gestes », qui composent le processus de patrimonialisation et en garantissent la réussite, bien que « ces gestes ne rendent pas compte de la diversité des pratiques propres à chaque cas de

patrimonialisation » (2014, p. 1).

Le prérequis de départ, sans lequel la patrimonialisation est impossible, est « qu’il

y ait eu rupture dans la continuité de la mémoire […] d’un objet venu du passé » (Davallon,

2006, p. 119). Cette rupture ne se traduit pas seulement par la perte ou l’oubli de l’objet en question. Elle peut aussi prendre la forme d’un changement de contexte ou de point de vue par rapport à l’objet.

La première étape réside dans la découverte de cet objet, « venu d’un univers avec

lequel nous n’avons plus de liens » (Davallon, 2006, p. 119). Umberto Eco35 (cité dans

Davallon, 2006, p. 120) utilise le terme de « trouvaille » afin de désigner « tout bien qui,

ayant été soustrait aux yeux de ses possibles bénéficiaires, est redécouvert », soit par

hasard, soit comme résultat d’une recherche scientifique. Lors de cette étape, la valeur que l’on confère à l’objet fait qu’on lui porte suffisamment d’intérêt pour le considérer comme une « trouvaille ». Cette « valeur symbolique de l’objet patrimonial est en relation directe

35 Umberto Eco (1932- 2016) est un philosophe et un écrivain italien, professeur émérite et directeur de l’École

avec la rareté des objets venus de son monde d’origine » (Davallon, 2006, p. 121).

Cependant, « tenir [l’objet] pour une « trouvaille » n’implique pas de la découvrir en tant

qu’objet disparu, mais de la voir sous un jour nouveau, comme on ne l’avait encore jamais vue, à l’instant où le monde auquel elle appartient risque de disparaître totalement avec lui » (Davallon, 2006, p. 121). Afin d’illustrer ce propos, nous pouvons prendre l’exemple

d’un héritage familial, où un héritier découvre une nouvelle valeur symbolique à un objet qu’il connaissait déjà, mais qui constitue maintenant un lien matériel avec son parent, porteur de souvenirs. Cette première étape, qui parait bien subjective, est complétée par deux autres étapes, quant à elles objectives.

La deuxième étape consiste à établir l’origine de l’objet. Il s’agit d’engager une « production de savoir » (Davallon, 2014, p. 2) sur la nature de l’objet et ses origines, permettant « de certifier qu’il vient bien du monde duquel il semble venir » (Davallon, 2006, p. 121). Pour cela, un important travail doit être mené par les historiens, les archéologues, et d’autres spécialistes. De plus, les scientifiques peuvent avoir recours à la datation au carbone 14, qui permet de déterminer l’âge d’un objet.

La troisième étape, en toute logique, est de certifier l’existence du monde d’origine de l’objet en question. En effet, la valeur de l’objet étant fortement corrélée à son statut de témoin d’un temps passé, celui-ci perd toute valeur, et donc tout intérêt, si les hypothèses sur son origine s’avèrent erronées (Davallon, 2006, p. 121-122). Dans le processus de patrimonialisation, conformément à la démarche scientifique vue dans le chapitre précédent, l’hypothèse sur l’origine de l’objet doit être vérifiée et validée afin « d’authentifier » l’objet, c’est-à-dire de certifier son origine d’authentique. L’origine de

La quatrième étape est celle de la représentation du monde d’origine par l’objet. En effet, celui-ci doit être porteur d’histoire et de symbolique propre à une époque passée afin d’avoir une valeur à nos yeux. Nous retrouvons ici un élément essentiel de définition du patrimoine, qui réside dans son rôle de créateur de lien social. Ainsi, toute reproduction d’un patrimoine, bien que fidèle, ne peut pas être qualifiée elle-même de patrimoine, car elle n’a pas la valeur symbolique ni l’authenticité de celui-ci. C’est le cas, par exemple, de la grotte de Lascaux II, reproduction minutieuse de la grotte de Lascaux, qui a été créée en 1983 afin de protéger cette dernière des dégradations, mais qui n’est pas considérée comme patrimoine. « L’objet de patrimoine représente en effet son monde social d’origine,

[…] de la même manière qu’un témoin représente l’événement en tant que sa personne est la « trace parlante » de celui-ci » (Davallon, 2006, p. 123).

La cinquième étape est celle de la célébration de l’objet et de son expression sociale par l’exposition (Davallon, 2006, p. 124). « Ce n’est ni le passé qui est célébré comme tel, ni

l’objet, mais l’opérativité de celui-ci en tant que médiateur capable de nous mettre en relation avec son monde d’origine » (Davallon, 2006, p. 125). Ainsi, les lieux d’exposition,

tels que les musées, au-delà de mettre en valeur des objets patrimoniaux, permettent de créer des ponts entre le présent et le passé.

La sixième et dernière étape du processus de patrimonialisation réside dans l’obligation de transmission du patrimoine aux générations futures. En tant que bénéficiaires du patrimoine, nous en sommes responsables (Davallon, 2006, p. 125). Pour autant, nous ne sommes pas les propriétaires de ce patrimoine, mais seulement les dépositaires (Davallon, 2006, p. 125). Ainsi, nous avons pour obligation de sauvegarder cet héritage, afin de le léguer aux générations qui nous succèderont, assurant de fait « la

continuité de l’humanité entre le passé et le futur » (Davallon, 2006, p. 125).

Le schéma ci-dessous illustre les six étapes du processus de patrimonialisation tel que nous venons de le décrire.

Figure 3 : Les étapes du processus de patrimonialisation (Davallon, 2006, p. 126)