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Patrimoine et société au fil des siècles

Comme nous l’avons vu, la notion de patrimoine est large et sa définition a évolué depuis les premiers emplois du terme, peu après la Révolution française (Le Hégarat, 2015, p. 7). Néanmoins, la notion de patrimoine et le processus de patrimonialisation sont bien plus anciens.

2.1.

Moyen-Âge et Renaissance : le rôle des collections privées

Bien que le terme de « patrimoine » ne soit pas encore employé au Moyen-Âge, « se développent déjà à cette époque des réflexions sur la sauvegarde et la préservation

d’objets investis de valeurs » (Babelon et Chastel, cité dans Le Hégarat, 2015, p. 2). Ces

De plus, dès le début de la Renaissance, des collections artistiques sont constituées par la noblesse et l’aristocratie, à titre privé (Le Hégarat, 2015, p. 2). À cette époque, les élites aristocratiques, amatrices d’objets anciens et attachées à leurs collections personnelles, jouent un rôle important dans la préservation d’œuvres anciennes (Le Hégarat, 2015, p. 2).

Ces collections privées d’objets de valeur, entreprises par les religieux et par les aristocrates durant le Moyen-Âge et la Renaissance, ont permis de préserver de nombreux biens aujourd’hui qualifiés de patrimoine, à défaut d’une prise en charge par les institutions monarchiques et religieuses elles-mêmes. « En effet, la monarchie ignore la conservation

et n'hésite pas à démolir tout ou partie de châteaux, comme des ailes entières pour les besoins de leur habitation. Les religieux n'hésitent pas non plus à démolir l'antique (autrement dit le païen) s'il gêne le sacré » (Le Hégarat, 2015, p. 2).

2.2.

Révolution française : vers une démarche collective et encadrée

La Révolution française marque un tournant dans le processus de patrimonialisation, allant d’une démarche privée à une démarche collective. Dès 1789, la municipalité de Paris entreprend les premières initiatives de sauvegarde du patrimoine. C’est devant l’Assemblée nationale de 1791 que le terme de « patrimoine » est utilisé pour la première fois autrement que pour désigner les biens d’une famille : « L’orgueil de voir un

patrimoine de famille devenir un patrimoine national ferait ce que n’a pas pu faire le patriotisme » (François Puthod de Maison-Rouge, cité dans Le Hégarat, 2015, p. 7). À partir

de 1794, un inventaire des biens du clergé et de la noblesse est entrepris afin de rassembler des œuvres d’art ayant un intérêt pour la nation et une valeur esthétique et historique (Le Hégarat, 2015, p. 3). L’Église partage cette démarche et l’abbé Mercier demande «

qu'aucun monument ancien ne soit détruit sans une enquête préalable de l'autorité publique » (Le Hégarat, 2015, p. 2-3).

Une attention particulière est ainsi portée sur les monuments historiques, notamment avec la création de l’Inspection générale des Monuments historiques en 1830, chargé de l’inventaire et de la protection des édifices anciens d’intérêt historique et architectural (Le Hégarat, 2015, p. 3). Néanmoins, « l’inventaire ne répertorie pas

seulement les monuments historiques et les maisons particulières, mais aussi les œuvres qu’ils contiennent » (Le Hégarat, 2015, p. 3). Ainsi, les œuvres de peintres, sculpteurs et

autres artistes sont identifiées comme faisant partie du patrimoine national.

En 1887, le premier instrument de protection juridique du patrimoine est créé. Il s’agit du « classement au titre des monuments historiques »38, attribué au patrimoine bâti

et architectural. En 1905, lors du vote de la loi de séparation de l’Église et de l’État, le « budget des cultes » est supprimé, ayant pour conséquence la dégradation de certains monuments religieux n’ayant pas les fonds nécessaires à leur entretien (Le Hégarat, 2015, p. 3). La loi relative aux monuments historiques est alors votée en 1913, qui « régit

l'ensemble des dispositions relatives à la protection et à la conservation du patrimoine monumental français, qu'il s'agisse d'immeubles, d'objets mobiliers ou d'orgues »39.

2.3.

Première et Seconde Guerre mondiale : un attachement

renforcé

La Première Guerre mondiale, ainsi que la Seconde, ont entrainé la destruction de certains monuments historiques, due aux bombardements. De plus, de nombreuses collections et œuvres d’art ont dû être déplacées afin de les préserver, entraînant la perte

reconstruites » (Le Hégarat, 2015, p. 4). Cette période a permis de mettre en évidence

l’attachement des Français à l’égard des monuments historiques et de leur patrimoine. De cette forte volonté de préservation du patrimoine a été créée, dès 1945, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), qui « a

fortement contribué à valoriser la dimension culturelle de certains biens en les inscrivant sur la liste du patrimoine mondial, leur conférant ainsi une reconnaissance internationale »

(Vernières, 2015, p. 7). La création de cette institution marque le début d’une reconnaissance internationale du patrimoine, partagée par les différentes cultures et les différents pays.

2.4.

Années 1980 : le rôle actif des citoyens dans la reconnaissance

des patrimoines

Les années 1980 marquent un nouveau tournant majeur dans la gestion du patrimoine français. « Les politiques culturelles de l’État […] ont fait passer le culte de

l’héritage de la préoccupation traditionnelle des élites à une forme d’engagement en faveur de la démocratisation culturelle » (Poulot, 2013, p. 191). Le public, destinataire jusqu’alors

passif des politiques culturelles, s’affranchit « pour revendiquer une capacité à exprimer un

avis et à formuler des choix en matière de patrimoine » (Le Hégarat, 2015, p. 5). Dès lors,

les citoyens français jouent un rôle actif dans l’inventaire et la définition du patrimoine et sont invités « par le Ministère de la Culture à enrichir les collections et les listes par [leurs]

suggestions » (Le Hégarat, 2015, p. 6).

La vision du patrimoine change aussi, avec l’intention de « faire passer dans notre

patrimoine le souffle de la vie et en finir avec une vision trop répandue selon laquelle le patrimoine ne serait qu’un ensemble de choses inertes » (Querrien, 1982, cité dans Poulot,

2013, p. 191). C’est aussi à cette époque que sont reconnus comme patrimoine les témoignages de l’ère industrielle. On parle alors de patrimoines, au pluriel, et non du patrimoine. Cela se traduit par la création d’une « cellule du patrimoine industriel à

l’Inventaire général et une section du patrimoine scientifique, technique et industriel au sein

de la Commission supérieure des monuments historiques »40.

*****

En ce qui concerne la relation qu’entretient la société française avec son patrimoine, l’histoire nous montre que celui-ci est une composante essentielle de l’identité de ceux qui le détiennent. D’abord, celui-ci est préservé, tel un « trésor », par les hommes d’Église au titre de la collectivité religieuse de l’époque, puis par les élites aristocratiques au titre de leur prestige familial. Ensuite, les deux épisodes de crise à envergure nationale puis internationale, que sont la Révolution française et les Guerres mondiales, démontrent que face au risque et à la peur liée à la perte de son patrimoine, la société s’est mobilisée, au nom de l’identité nationale, afin de préserver son héritage commun. Dans un contexte d’accélération des changements sociétaux à la fin du XXème siècle, notamment liés à

l’apparition d’Internet, la société est entrée dans le « tout patrimoine ». Il devient alors impossible de dresser une classification exhaustive du patrimoine. Un indicateur de l’engouement pour le patrimoine est la fréquentation des Journées Européennes du Patrimoine, rassemblant 50 pays d’Europe et accueillant chaque année 30 millions de visiteurs dans 50 000 monuments, le temps d’un week-end41. En France, 12 millions de

personnes ont participé à l’édition 2019, tout comme les années précédentes.

L’une des catégories patrimoniales pour laquelle il semble nécessaire d’apporter des précisions, dans le cadre de cette étude, est celle du patrimoine scientifique, et notamment de la composante hydraulique.