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En allant à la rencontre des guérisseurs, nous avons adopté une démarche de chercheur en ethnopsychologie, au contraire de notre habituelle démarche de psychologue clinicienne recevant des patients dans son bureau. Nous avons mené de la sorte une recherche de terrain. Le recueil des données a été réalisé de octobre 2014 à novembre 2016.

II.3.1.- Prise de contact

Nous avons privilégié le premier contact de visu en nous rendant chez le guérisseur dans la majorité des cas. L’objectif a été d’établir une première relation de confiance, une alliance propice à la rencontre. Dans certains cas, des numéros de téléphone ont été échangés. Nous n’avons pu obtenir d’entretien de trois praticiens avec un contact téléphonique (refus franc, évitement, non rappel malgré les relances). Parfois, ce premier contact s’est établi lors de cérémonies, rituels, auxquels nous avons été conviée. Ainsi, nous sommes allée aux cérémonies où les pusaris officiaient l’un pour le cavadee168 et l’autre pour une marche sur

le feu, à un service zancêtre169 d’un praticien officiant en malgache-malbar, de deux

rumbu170 pour les fundis mahorais. Nous nous sommes également imprégnée de l’ambiance

de la messe des malades171 que le prêtre de notre échantillon avait mené auparavant. Par

ailleurs, nous avons pu observer des séances de guérissages de sept d’entre eux. Cette approche in situ a permis d’établir un rapport de proximité, sinon de confiance, avec le praticien. Elle a facilité l’entretien de recherche ultérieur, permettant de plus, de pénétrer, d’observer et de nous sensibiliser à leur univers de pratiques.

D’autre part, les informations d’adresses à La Réunion de ces personnages hors du commun sont rarement le numéro et le nom d’une rue, mais des explications situant le lieu général, puis donnant des repères tels que « passer devant la pharmacie », « tourner à

gauche à la boulangerie », « route qui tourne, qui monte » etc. D’autant plus dans ces

168 Cavadee : célébration hindoue en l’honneur du Dieu Mourouga 169 Service zancêtre : culte des morts malgaches

170 Rumbu : culte de possession pour les esprits trumba d’origine malgache

171 Messe des malades : messe catholique spécifique à La Réunion, animée par des laïcs du “renouveau

catholique” au côté d’un prêtre, pendant laquelle les malades tombent en transe et sont guéris par l’Esprit- Saint figuré par l’ostensoir que le prêtre passe dans la foule.

circonstances où les noms et les lieux restent dans un halo de mystère et de clandestinité, comme par exemple dans ce cas auquel nous avons été confrontée au cours de l’étude « mi

connai un Madame y habite côté St André, ou voi quand ou prend le chemin par en bas, na un l’église, ben après l’église ou arprend le chemin qui armonte, elle y habite ter là un peu plus haut, ou dépasse la pharmacie son chemin lé juste après »172. De plus à plusieurs

occasions, lorsque nous pensions être arrivée, il y avait encore quelques kilomètres de chemin parfois impraticable à faire, nous faisant douter d’avoir pris la bonne direction. Aussi, chaque premier déplacement est une aventure dans des endroits insoupçonnables parfois tellement reculés de La Réunion, que nous nous sommes questionnée sur la survivance de ces dispositifs et l’attachement de fidèles. Et pourtant au détour d’un bois, d’une ravine, d’un panneau, les petites maisons au fond d’une cour sont bien là, la véranda remplie de monde qui attend. Nous insistons sur l’importance de ce premier contact car il conditionne la suite des échanges et l’acceptation du praticien de se raconter dans un entretien de recherche.

II.3.2.- Déroulement des entretiens

Dans la majorité des cas, sauf pour un où cela s’est passé dans un parc public, nous avons été reçue chez le praticien après les premières prises de contact, le plus souvent dans son espace de travail. Le jour choisi, il n’y a pas en principe de réception du public bien que cela soit arrivé à cinq reprises de personnes venant trouver le guérisseur. Nous avons été autorisée à y assister une fois, après accord d’un malade connu du praticien. Les autres fois, s’agissant de nouvelles demandes, le praticien les a fait attendre ou revenir pour les recevoir après notre départ. Les entretiens se sont déroulés en face à face sauf pour deux, l’un où son enfant était présent, interférant par ses jeux, allaitement, etc., l’autre où pour les deux entretiens de recherches réalisés à quelques mois d’écart, l’un de ses disciples se trouvait là à chaque fois, se permettant d’intervenir à deux ou trois reprises, cependant nous laissant seuls la deuxième fois au bout de vingt minutes d’entretien environ. Il n’y a généralement pas eu de contraintes de temps, les entretiens ayant duré globalement entre

172 « Je connais une femme qui habite dans ce quartier de St André, tu vois quand tu prends le chemin du

littoral, il y a l’église, et après l’église tu tournes dans la rue sur ta droite (celle qui va vers la montagne). Cette femme habite un peu plus loin, il faut prendre le chemin juste après la pharmacie ».

deux et trois heures constituant un bon recueil d’informations.

Les entretiens ont été entièrement enregistrés pour éviter les scotomisations et interférences liées à une prise de note. La relation d’intersubjectivité prend place dans ce cadre méthodologique qui assure un enregistrement de la réalité de ce qui s’est dit, ainsi d’avoir un rendu objectif du discours. Cet enregistrement a permis, en outre, de rester disponible pour avoir une écoute attentive et empathique ainsi qu’une observation et une description du contexte et de l’environnement. Cela nous a permis de mieux se focaliser sur l’expérience et l’écoute latente de tout ce qui se passe durant ce temps de rencontre. Le matériel sur lequel portera l’analyse se fait sur ce verbatim d’entretiens audio.

Après les présentations, les accords obtenus, la consigne que nous donnons au tradipraticien est : « Alors si vous le voulez bien, j’aimerais que vous me parliez de votre

parcours, de la vie que vous avez eue et de ce qui vous a amené à devenir ce que vous êtes. Mais au fait comment vous dénommez-vous ? »173.

Après la dénomination de soi, nous réitérons la consigne engageant le récit de vie si besoin, nous le laissons ensuite dérouler librement son discours sur ce thème. Cette recherche suppose que les entretiens soient fait dans des conditions optimales, notamment par l’usage d’entretiens semi-structurés avec l’emploi de questions ouvertes et une attitude de non jugement autorisant la libre parole. Autrement dit, nous avons privilégié le discours spontané du praticien après la consigne thématique de départ en gardant à l’esprit certains thèmes à aborder au moment opportun comme la question du don ou de l’enfance, s’il ne le faisait pas d’eux-mêmes.

Les entretiens se sont déroulés en créole réunionnais pour onze des guérisseurs constituant notre langue maternelle commune, trois émaillaient leur discours de mots indiens, deux autres employaient des mots malgaches dont il nous a fallu chercher les significations dans l’après-coup pour ne pas les interrompre dans l’instant. Neuf, incluant à l’évidence les trois zoreils, ont choisi de s’exprimer en français parsemé d’expressions créoles. Nous avons conduit les entretiens avec les deux fundis mahorais dans leur langue maternelle en utilisant un médiateur culturel travaillant avec nous dans les consultations de psychothérapies transculturelles et au fait des règles de confidentialité.

173 « Alor si ou veux bien, mi aimerai bien que ou parle a moin de out’ parcours, de out’ vie, seq’la amène a

II.3.2.1. Règles d’anonymat

En début d’entretien, après la présentation de notre recherche, nous avions énoncé la règle d’anonymat suivante : « Vos réponses feront ensuite l’objet d’un traitement. Elles

seront alors évidemment anonymes, afin de vous en garantir la confidentialité. Pour la publication, je peux utiliser le nom que vous choisirez ou un autre pour préserver votre anonymat »174. À la fin de l’entretien, nous avons demandé au praticien, si cela n’avait pas

été dit au départ, s’il souhaitait un prénom en particulier à faire figurer dans la thèse. Quatre nous ont donné un prénom, il y en a eu quatre pour qui garder leur identité ne les dérangeait pas, les autres nous ont laissé le choix du prénom. Pour la publication, tous les prénoms ont été remplacés par d’autres anonymes.

Par ailleurs, toutes les données personnelles des guérisseurs notamment tout ce qui touche à leur état-civil ainsi que les mentions d’âge, d’indication de lieux de naissance ou d’habitation ou concernant leur entourage proche et familial ont été soit enlevées soit modifiées si elles étaient importantes pour l’analyse.

De la même façon, nous avons retenu du récit de vie qu’ils nous ont confié les éléments significatifs de leur parcours et pertinents pour notre étude. Toutefois, les épreuves de vie, les éléments relatifs à l’enfance qui sont relevant dans leur construction de guérisseur ont été modifiés, de sorte à effacer ce qui relève de l’intimité mais à garder la valeur signifiante de leur survenue dans ce parcours. Au demeurant, la notion de secret est revenue dans plusieurs entretiens, concernant des faits et des expériences qu’ils auraient vécus mais ne pouvant les partager avec un profane ils les ont tenu cachés. De plus, au cours de trois entretiens, les guérisseurs nous ont fait part d’événements confidentiels pour lesquels ils nous ont fait arrêter l’enregistrement et promettre de ne pas le divulguer au public.

174 « Tout’saq’ ou va dir’ moin, mi ça va étudié pou mett’ dan’ ma thèse après. Pour que de moun y reconé pas