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II.2.1.- Constitution de l’échantillon

Les tradipraticiens à La Réunion ne sont pas reconnus officiellement. Ils forment un réseau souterrain et parallèle au monde du soin biomédical. Néanmoins, la représentation du monde réunionnais est telle qu’il y aura toujours quelqu’un dans l’entourage pour aider à les trouver (un tiers qui s’y est rendu comme accompagnant ou patient, ou bien quelqu’un de notoriété que l’on recommande). La constitution de l’échantillon s’est faite par une prise

de contact avec des guérisseurs bénéficiant d’une notoriété dans l’île et la mobilisation les réseaux d’interconnaissances158 comme le pratiquent les anthropologues (Berthod, 2007;

Kessler-Bilthauer, 2013b, 2018). La liste de plus d’une trentaine de noms obtenue au fur et à mesure de l’avancement de notre projet, a été obtenue grâce à ce réseau d’intimes, de relations, de nouveaux contacts ou encore sur les conseils de praticiens rencontrés, procédant par effet de proche en proche ou en « boule neige »159 (Berthod, 2007, p. 25).

Nous avons retenu des praticiens installés et reconnus, c’est-à-dire recommandés par au moins une personne, quel que soit leur lieu d’exercice sans limitation à un secteur géographique de La Réunion.

Pour les besoins de cette étude nous avons établi un échantillon représentatif des différents guérisseurs réunionnais nous permettant ainsi d’avoir une appréhension globale et un panorama plus complet de la question. Les guérisseurs contactés appartiennent aux différentes origines ethniques présentes, cependant métissées de l’île : européen, malgache, indien, africain, chinois, mahorais. Tous ces thérapeutes ont en commun d’exercer à La Réunion et de soigner les maladies dont souffrent des réunionnais. Ils possèdent différents savoir-faire et techniques en cohérence avec leurs théories du monde.

II.2.1.1. Critères d’inclusion • Selon la réputation

Le critère de notoriété nous a semblé essentiel comme garantie de leur efficacité et de leur savoir-faire, ainsi que de leur reconnaissance sociale. Ils ne sont recensés nulle part, leur réputation étant par conséquent le seul moyen de se faire connaître, donnant ainsi la mesure de leur statut au sein du collectif. Chaque nom de guérisseur obtenu a été cité et conseillé par au moins une personne. Nous avons voulu intégrer deux praticiens de renommée importante à La Réunion, même si aujourd’hui ils n’exercent plus leur art. Nous avons pu en rencontrer un qui a fait partie de notre échantillon, cependant que l’autre trop âgé et malade n’a pu nous recevoir.

158 Les réseaux d’interconnaissances, en sociologie et anthropologie, sont envisagés comme des groupes

sociaux hétérogènes composés de personnes qui entretiennent des relations interindividuelles de différentes natures sur la base de liens de parenté, de relations de voisinage, de rapports professionnels, de relations amicales, affectives, etc. (Kessler-Bilthauer, 2018, n. 4 p.72)

159 Un échantillon en ‘boule de neige’ se construit sur des rapports aléatoires et affinitaires, dont la technique

« par filière, en cascade, ou par boule de neige » est très utile si l’accès aux données est difficile ou si le matériel concerne des données cachées (hidden data) (Berthod, 2007, p. 25) en se référant à Pires (Berthod, 2007, n. 21).

• Selon le critère religieux et/ou sacré

Le deuxième critère qui nous a semblé important a été lié à l’appartenance du guérisseur à une des religions ou pratiques cultuelles présentes, dans le milieu créole, au vu de l’hétérogénéité de leurs origines. Par ailleurs, la dimension du sacré faisant partie intégrante de ces soins, tous ces praticiens sont des intercesseurs entre les mondes visible et invisible, profane et sacré.

Par conséquent, nous avons fait figurer des guérisseurs pour certains identifiés dans la communauté par rapport à la religion ou tradition comme les prêtres malbars, les fundis mahorais, les prêtres catholiques pratiquant l’exorcisme, les officiants afro-malgaches, d’autres par rapport à leurs pratiques tels que les tisaneurs, magnétiseurs et enfin les guérisseurs créoles pouvant utiliser diverses techniques. Nous avons également recherché des praticiens recommandés par la communauté chinoise, cependant la plus connue des guérisseuses est une désenvoûteuse de pratique taoïste habitant à l’île Maurice, que vont consulter les chinois pouvant faire le voyage, sinon ils consulteraient des guérisseurs créoles selon nos sources. Nous avons obtenu quelques noms de praticiens d’origine chinoise dont deux font partie de notre échantillon. Nos recherches de terrain sont restées vaines pour avoir dans notre échantillon un guérisseur de la communauté zarab160 de l’île,

malgré des contacts que nous avions dans cette communauté.

Ainsi le propos était d’obtenir un praticien d’au moins chaque obédience et/ou issu des cultures originelles pour avoir un échantillon le plus large possible de ceux qui soignent autrement que par le biomédical à La Réunion.

• La dénomination de soi

Il était d’égale importance que le praticien se reconnaisse comme quelqu’un qui soigne les maladies, les désordres créoles, qu’il s’identifie à cette qualité de guérisseur avec ces avantages et ces inconvénients, et officiant en tant que tel.

II.2.1.2. Critères d’exclusion

• Les personnes non recommandées

La recommandation étant la carte d’entrée, nous avons exclu les contacts de praticiens (voyants, marabouts ou autres) publiés dans les petites annonces des journaux, cette attitude semblant plus mercantile. Par ailleurs, lorsqu’un réunionnais consulte, c’est

souvent par le biais d’un annonciateur, une personne de confiance (famille, entourage). Par conséquent, sont exclues aussi les personnes se réclamant d’elles-mêmes d’être thérapeutes.

• La dénomination de soi autre que « guérisseur »

Certaines personnes ne se reconnaissent pas comme « guérisseur », tel l’évêque, prêtre exorciste du diocèse, dont l’entretien a été exclu de l’analyse de contenu mais exploitable comme ressource. De même, sont exclus les prêtres catholiques menant des dispositifs collectifs qui guérissent : messe des malades, messes de la sainte croix, statues qui guérissent, saints-guérisseurs auxquels nous avons pu assister en observation.

• Les évangélistes / pentecôtistes

Les évangélistes sont aussi une catégorie qui n’a pas été prise en compte, d’une part elle ne répondait pas au premier critère de notoriété individuelle et de recommandation (personne n’a préconisé un évangéliste particulier lors de la constitution de l’échantillon) ; d’autre part, ils font preuve d’un ostracisme religieux, rejetant les autres religions (catholique, tamoule etc.) et critiquant la religion populaire (Boutter, 2002). Par ailleurs, la conversion étant considérée comme une nouvelle naissance avec une rupture de la filiation et de l’héritage traditionnel (Boutter, 2002), obtenir un entretien sur le récit de vie se heurte à cet endoctrinement. Malgré tout, au hasard des recherches de terrain, nous avons rencontré un évangéliste dont l’entretien s’est avéré totalement inexploitable car orienté sur son devoir de prosélytisme (Boutter, 2002; Fancello, 2008), sans référence à son parcours personnel. Par ailleurs, plusieurs recherches se sont penchées sur les phénomènes de conversion pentecôtiste de l’ordre du religieux (Aubourg, 2014; Boutter, 2002; Inticher Binkowski, 2015; Perretant-Aubourg, 2011), plutôt que d’une construction identitaire d’un individu en guérisseur. Dans le même ordre d’idées, nous avons exclu de l’échantillon les dirigeants de sectes.

II.2.1.3. Constitution finale de l’échantillon

La population incluse dans l’analyse est de vingt et un praticiens adultes, guérisseurs installés et bénéficiant d’une certaine reconnaissance. Bien que restreint, il est représentatif de l’ensemble des officiants des diverses pratiques. Ils appartiennent ainsi aux différents dispositifs thérapeutiques utilisant la dimension du sacré inhérente de ces soins.

L’échantillon se compose de huit femmes et treize hommes, dont six ont entre 30 et 50 ans, treize ont entre 51 et 70 ans et deux ont entre 71 et 80 ans, exerçant depuis minimum

cinq ans à La Réunion. Leurs origines ethniques sont pour certains identifiées : deux mahorais, trois d’origine chinoise (dont un malgache), trois zoreils161 et pour les treize

autres les métissages les font appartenir à plusieurs origines : créoles yab, afro-malgache et/ou malbar. En ce qui concerne le niveau d’études, deux n’ont pas été scolarisés, trois ont arrêté en primaire, quatre en collège, quatre ont un niveau lycée, deux ont fait des études supérieures, un a embrassé la prêtrise à l’âge de huit ans, les deux mahorais n’ont pas spécifié leur niveau d’étude ainsi que trois autres.

Nous les avons regroupés par rapport à leur pratique principale lorsque c’est possible, sachant que certains peuvent avoir recours à des techniques croisées. Trois sont prêtres

malbars162, dont l’un utilise des techniques autres lors des guérissages (tarot, magnétisme,

énergie, etc.). Deux sont tisaneurs dont un est également ombiasy163. Deux sont fundis164

mahorais. Il y a un prêtre catholique pratiquant la délivrance165 de personnes et de maisons.

Quatre sont magnétiseurs, et/ou barreurs de feu, énergéticiens, médiums, dont l’un pratique aussi le nettoyage166 de maison. Deux exercent des médecines complémentaires et

alternatives (digitopuncture, auriculo-médecine). Un s’est spécialisé dans le nettoyage de maison. Parmi les trois diseurs de prières, deux pratiquent les exorcismes et un nettoie aussi des maisons. Deux sont guérisseurs créoles167 au sens où la créolité manifeste son

« pouvoir de reconfigurer tous les éléments des autres systèmes pour faire prévaloir ses propres processus » (Nicaise, 1999), c’est-à-dire de pratiquer aussi bien en créole malgache ou malbar ou catholique etc., dans un même endroit sans que cela soit contradictoire. Et enfin, un praticien difficilement définissable car assez atypique dans sa pratique.

Sur la liste originelle de trente personnes, trois ont refusé de participer à la recherche, une n’a jamais donné signe de vie malgré les relances. Nous en avons exclu trois autres qui auraient été redondants avec des entretiens de guérisseurs déjà faits (un coupeur de feu, un

tisaneur et un énergéticien), un qui ne se définissait pas comme guérisseur, et enfin un néo

chamane qui venait sur La Réunion mais n’y était pas installé.

161 Zoreils : nés en métropole ou en Europe

162 Prêtre malbar : prêtre d’origine hindoue officiant dans des temples familiaux 163 Ombiasy: devin guérisseur malgache

164 Fundis wa madjini : maîtres ès djinn

165 Délivrance des esprits malfaisants qui habitent les personnes ou les maisons 166 Nettoyer au sens de chasser les mauvais esprits qui hantent les maisons

167 Guérisseur créole : correspondrait à la catégorie devineur des anthropologues que nous n’utilisons pas car

aucun des praticiens ne s’est défini de la sorte. Par ailleurs, l’un d’eux avait manifesté sa colère d’avoir été ainsi dénommé dans une étude anthropologique, sa famille ayant fait l’objet d’un article.