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Pour aborder la question de la construction identitaire du guérisseur à La Réunion au XXIe siècle, le contexte historique et psycho-anthropologique, tel qu’il a été posé par les

auteurs (Andoche, 1988, 2002; Benoist, 1993, 1996; Chaudenson et al., 1983; Ghasarian, 2002; Nicaise, 1999, 2000; Pourchez, 2005b, 2014), a permis de saisir le processus original de créolisation qui donne naissance à une population créole, de langue, d’identité et de religion, à partir des différentes cultures matricielles « importées » sur cette île, rappelons-le, déserte à l’origine. Le tradipraticien réunionnais, est le descendant métissé de traditions originelles (européenne, indienne, africaine, malgache, comorienne, etc.), malmenées par

l’esclavage, la colonisation, l’acculturation, l’imposition du catholicisme comme religion dominante, et aujourd’hui par la globalisation et le modernisme. Ce tradipraticien a su résister et, comme l’exprime Benoist (1993, 1996), mettre en système des éléments hétérogènes en les activant de façon complémentaire et alternative tout en faisant preuve de réinventions et de réappropriations culturelles (Ghasarian, 2002).

Intégrés et pourtant en marge de la société créole, les réunionnais les appellent

pusaris, diseuses de prière, tisaneurs, fundi, traiteurs, bobineurs, devineurs, magnétiseurs,

prêtres, etc. Leurs dispositifs de soins sont toujours présents, toujours vivaces et par là- même, efficients. Ils occupent une place importante dans le système de recours de soins et dans la gestion des désordres, malgré la présence d’infrastructures semblables à celles de la métropole. De plus, Brandibas (2003, 2012) a montré qu’ils sont essentiels à la construction identitaire des réunionnais, par l’étayage psychologique et culturel qu’ils apportent à ceux qui viennent les consulter. Leurs représentations et interprétations des maux qui les touchent sont à l’aune de la surnature (Andoche, 1988; Brandibas, 2003). Elles sont mises en sens et résolues par ces acteurs privilégiés de l’invisible. Ils ont une fonction essentielle d’intermédiaires entre les mondes sacré et profane. Cela leur permet de soigner les maladies, de rétablir l’ordre social ergo de restaurer les identités et renforcer les affiliations. Cette capacité du guérisseur à travers ses techniques de soin a été largement étudiée dans les travaux pour la plupart anthropologiques (Andoche, 2007; Benoist, 1980, 1983, 2006; Brandibas, 1998, 2003, 2005; Chaudenson et al., 1983; Dumas-Champion, 2008a, 2012b; Ghasarian, 1991; Nathan, 2001c; Pourchez, 2001). Dans cette optique, ils ont mis en évidence des théories sous-jacentes du désordre ainsi que le statut et les fonctions sociales de ces praticiens dans le monde réunionnais. Par ailleurs, ces auteurs ont souligné la transmission d’un don associé à cette fonction de guérisseur ainsi que des processus complexes incluant des rites initiatiques de certaines traditions créolisées. Ces travaux sont cependant orientés vers un axe souvent spécifique, tels que les rites et coutumes afro-malgaches pour Dumas-Champion (2004, 2008b), ou l’interprétation des désordres et leur guérison pour Andoche (1988, 2002, 2007), ou bien encore les influences de l’hindouisme populaire (Benoist, 1982, 1998; Ghasarian, 1991, 1994). Personnage important dans son groupe, sa communauté, le tradithérapeute contemporain est perçu comme un intercesseur entre les mondes, celui qui ramène du sens et de l’harmonie là où il n’y avait que malheurs et désordres.

façon dont il perçoit son cheminement pour arriver à la place qui est la sienne. Ainsi, les interrogations sur l’identité et le parcours personnel et individuel pourraient mettre en lumière les processus en jeu dans la construction et la transformation d’un individu en spécialiste reconnu des désordres. Dans cette perspective, la présente étude a pour objet une recherche sur la personne de ceux qui font profession de soigner dans un cadre non conventionnel. Il nous a semblé judicieux d’interroger plus avant « la fabrication » de ces praticiens : comment devient-on guérisseur à La Réunion ?

Au regard des différentes recherches abordées dans la revue de la question, ce travail de thèse souhaite apporter des éléments nouveaux et originaux concernant les processus de construction identitaire du guérisseur réunionnais, en particulier par l’adoption d’une démarche complémentariste abordant les phénomènes dans une double lecture : à la fois anthropologique et psychologique. À notre connaissance, aucune recherche n’a été réalisée dans cette double perspective concernant cet objet d’étude.

De plus, l’intérêt et la particularité de notre étude résident dans le fait d’aborder les problématiques de construction identitaire en envisageant les guérisseurs présents à La Réunion dans leur ensemble, quelles que soient leurs origines, traditions et pratiques, en portant notamment l’attention sur leur identité propre, cette notion multiple qui est liée à leur histoire personnelle, sociale, culturelle. Par conséquent, il s’agira de repérer des invariants dans les processus intervenants dans la construction identitaire des tradipraticiens réunionnais, quelle que soit leur appartenance culturelle, et de mettre ainsi en évidence s’il existe des phénomènes communs et inhérents à cette métamorphose.

Cette problématique nous amène à développer une méthodologie qualitative et phénoménologique pour aborder ces processus de construction identitaire. En effet, cette approche, en se centrant sur le récit de vie du praticien, favorise l’accès à son vécu, son expérience et le sens qu’il donne à son parcours, en conséquence, elle nous permet d’analyser la complexité des phénomènes en question du point de vue des intéressés. Ainsi, notre recherche se veut à la fois une analyse ethnopsychologique, phénoménologique et narrative en s’attachant, à travers l’autobiographie de guérisseurs reconnus, aux processus et dimensions culturelles, personnelles et sociales se révélant dans leur perception de leur identité.

Cette thèse se propose également d’actualiser les travaux antérieurs, en considérant les guérisseurs anciens et nouveaux présents sur l’île au XXIe siècle. Il s’agira, grâce à un

échantillon suffisamment large, d’obtenir des portraits représentatifs de tradithérapeutes dans une Réunion contemporaine.