CHAPITRE 2 : APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
2.7. Sur le terrain
2.7.1. Procédures et instruments de collecte de l’information
Les procédures de collecte de l’information ont consisté principalement à
utiliser l’observation, l’interview, et à un degré moindre à chercher à collecter
des documents relatifs à l’organisation de la vie scolaire.
Observation
Le genre d’observation que nous avons choisi dans le champ de la recherche a
été celle de l’observation participante externe. Le chercheur n’était pas un
membre naturel appartenant à aucune des situations observées, elle était un
membre externe et elle a recueilli toutes les données durant le processus
d’interaction chercheur-maîtres (Taylor et Bogdan, 1987).
Suivant le degré d’implication, il s’est agit d’une observation périphérique
(cf. p. 92). Le chercheur a utilisé le même schème dans les trois écoles durant
des périodes allant de deux à trois mois de participation, suivant la décision
prise par les maîtres eux-mêmes. Il est important de noter que cette
observation a été « déclarée » (Lapassade, 1996) étant donné que dès le
commencement le chercheur s’est présentée et qu’elle a fait connaître le but de
sa recherche, le type de procédures et les techniques qu’elle utiliserait durant
son séjour sur le terrain.
Nous n’avons pas employé un ordre graduel par classes ni des journées égales
pour l’observation, c’est-à-dire, quelques fois nous commencions notre
observation dans une classe de 6
ème(par exemple, trois jours d’observation),
pour ensuite passer à la classe de 1
ère(quatre jours d’observation). Comme
nous l’avons indiqué auparavant, cela dépendait uniquement de la décision
prise par les maîtres dans chacune des écoles, de leur disponibilité et de leur
ouverture face à un observateur externe.
Notre observation s’est centrée sur ce qu’on appelle le « cours principal »
27du
curriculum Waldorf. Ce cours principal a lieu le matin durant les deux premières
heures de la séance, mais le chercheur n’a pas exclu pour autant l’observation
d’autres cours pendant toute la matinée, car soit nous pouvions continuer à
travailler avec le professeur chargé du cours principal soit d’autres maîtres
spécialistes intervenaient avec le groupe d’élèves de la classe (Eurythmie,
Musique, atelier de Menuiserie, Jardinage).
Dans certains cas, le registre d’observation était différé et dans d’autres nous
avons aussi pris des notes in situ. A part cela, nous avons participé à des
excursions, des fêtes, des commémorations, des déjeuners, qui font partie de
la vie scolaire Waldorf. Dans l’une des Ecoles nous avons même été
personnellement invitée de façon permanente au Conseil des Maîtres et nous
27
Le cours principal a lieu pendant les deux premières heures du matin dans une conception cyclique du plan scolaire, c'est-à-dire, un cours principal se développe dans une période entre trois à quatre semaines. Le contenu du cours principal porte sur des matières comme les mathématiques, le dessin des formes, la
avons participé à l’organisation d’une activité en tant que membre ayant des
responsabilités définies. Dans une autre École nous avons été invitée au cours
de formation des maîtres pendant l’été et nous avons assisté à cinq cours de
formation musicale (chants et instruments).
Pendant la première heure du premier jour d’observation dans chaque classe,
nous ne prenions pas de notes, nous avons essayé tout simplement « d’être »
dans la situation, de manière ouverte, participant au climat d’entrée, respirant
l’ambiance de l’installation des enfants et du maître sur leur lieu de travail. Nous
nous sommes toujours mis d’accord pour nous asseoir à une place, tout au
fond de la salle, derrière le dernier rang, afin de ne pas déranger par notre
présence, les enfants (regardant dans la direction du maître, notre place se
trouvait à gauche au fond).
Quelquefois, le registre descriptif du premier jour d’observation a été différé car
il était entendu que pendant les premiers moments de l’observation, la collecte
de données était secondaire, étant donné que le plus important était de sentir la
situation, de se laisser porter par elle de manière à ce qu’autant le maître que le
groupe se sentent à l’aise.
Dans les jours suivants, à plusieurs occasions, le chercheur a même participé
en écoutant la classe comme quelqu’un qui est intéressé par ce qui s’y passait ;
ceci est arrivé, surtout, quand le maître racontait des histoires à son audience.
Le degré d’implication a aussi changé à plusieurs occasions vu que quelques
maîtres ont demandé à l’observateur de faire des exposés sur certains thèmes.
Avec les classes les plus petites, l’activité d’éducation acquérait quelque fois un
caractère d’atelier de travail et il était impossible de ne pas collaborer avec le
maître en répondant aux demandes d’aide faites par les enfants. Il est naturel
que ceci arrive et déjà Taylor et Bogdan (1987) avertissent du degré de
réception qu’ont différentes personnes face au chercheur.
Comme registre d’écriture de notes, nous avons utilisé des feuilles volantes et
en d’autres occasions un cahier de notes où l’on écrivait auparavant : la classe,
le nom de l’enseignant et la date d’observation.
Dans le procédé même de l’écriture nous avons identifié les moments de la
classe qui, selon l’observateur, ont été clairement délimités. Ces premiers
registres constituent les brouillons originaux. En fin de journée nous les
relisions, nous évoquions des faits ou des situations grâce à l’annotation de
« mots clés » écrits durant l’observation.
Par la suite, ces notes étaient transcrites rapidement sur l’ordinateur, soit le jour
même ou dans les jours suivants. Dans la marge de droite nous écrivions les
questions et les aspects importants, afin de les traiter lors de conversations
informelles ou pendant l’entretien final. Ces transcriptions constitueront un
deuxième document de travail. Les documents définitifs ont été achevés avec
des croquis sommaires de la salle de classe et des annotations, des dessins
réalisés par le maître et les élèves.
Comme nous l’avons mentionné, notre but était de réaliser l’observation des
huit premières classes mais cela n’a pas été possible étant donné que pas tous
les maîtres des différentes écoles ont accepté un observateur dans leur classe,
aussi notre objet s’est finalement réduit aux sept premières classes vu que
l’observation dans la huitième classe a été très courte et seulement permise
dans une seule école.
Nous présenterons maintenant les observations ordonnées par école avec les
dates, les maîtres et les rendez-vous pour l’entretien final. Il est important
d’insister sur le fait que les écoles, objet de notre observation, appartiennent à
trois pays différents et que, par conséquent, le chercheur a dû déménager et
s’installer à chaque fois. C’est la raison pour laquelle il y a des périodes
« creuses ».
Bien que le travail sur le terrain se situe pendant l’année scolaire comprise ente
septembre 2000 et juillet 2001, le temps effectif consacré au terrain proprement
dit a été de deux cent seize heures (216) pour les observations.
Écoles Classes observées Date de
l’observation Entretiens Date de l’entretien
A 1
ère 09/10/00 10/10/00 11/10/00Madame N 23/10/00
2
ème 12/10/00 13/10/00Madame L 10/11/00
3
ème 16/10/00 17/10/00Monsieur A 13/11/00
4
ème 23/10/00 24/10/00Monsieur M 16/11/00
5
ème 18/10/00 19/10/00 20/10/00Madame G1 17/11/00
7
ème 06/11/00 07/11/00Madame P 15/11/00
8
ème 09/11/00 10/11/00Madame G2 14/11/00
B 1
ère 19/03/01 20/03/01 21/03/01Monsieur T 05/04/01
2
ème 14/03/01 15/03/01 16/03/01Madame R1 /04/01
4
ème 26 /03/01 27/03/01 27/03/01Monsieur M 03/04/01
5
ème 15/02/01 16/02/01 19/02/01Madame R2 23/03/01
6
ème 12/02/01 13/02/01 14/02/01Madame R3 30/03/01
7
ème 05/03/01 06/03/01 07/03/01 08/03/01Monsieur R 29/03/01
C 2
ème 21/05/01 22/05/01 23/05/01 24/05/01 25/05/01Madame M 01/07/01
3
ème 05/06/01 06/06/01 07/06/01 08/06/01Madame D 29/06/01
4
ème 28/05/01 29/05/01 30/05/01 31/05/01 1/06/01Madame S 27/07/01
6
ème 16/05/01 17/05/01 18/05/01Monsieur M
7
ème 19/06/01 20/06/01Monsieur G 13/07/01
Entretiens
Comme nous avons pu l’observer dans le tableau ci-dessus, les rendez-vous
pour les entretiens ont été fixés, après notre séjour dans les écoles, dans des
délais raisonnables. Ceci indique que, c’est seulement bien après avoir terminé
notre stage dans les salles de classes, que nous avons eu l’occasion de
rencontrer les maîtres dans les salles de réunions, dans les couloirs, aux
récréations, dans les rencontres caractéristiques de la vie scolaire.
Il y a eu ainsi une période qui a suivi l’observation, pendant laquelle et de façon
informelle, les maîtres et l’observateur se sont rapprochés jusqu’à éliminer la
distance, ce qui a permis aux maîtres de constater que l’observateur n’était pas
ignorant de ce qui se passait dans l’école dans son ensemble et qu’il en
comprenait le sens.
L’entretien comme procédure utilisée dans cette recherche, a eu pour but
d’échanger des idées avec les maîtres au sujet des aspects observés dans leur
classe, de sorte qu’au cours de cette rencontre nous avons pu parler de ce que
nous avions observé et de l’interprétation qu’ils concédaient à nos descriptions.
Par conséquent, dans le sens strict, l’entretien formel a été le premier geste de
restitution aux maîtres de nos observations.
Comme nous l’avons fait remarquer dans la partie qui détermine notre objet de
recherche, le concept de l’écoute sensible (Barbier, 1997) a été essentiel pour
connaître les opinions des personnes interviewées sur d’autres faits, pour
« écouter leurs histoires et découvrir leurs sentiments », de là vient le fait qu’en
grande partie ces personnes ont fourni la structure de l’entretien.
Cela ne veut dire en aucune façon que celui-ci manquait de toute structure, vu
qu’il y a eu des questions similaires qui ont été posées à tous les maîtres.
Mais, outre ces aspects, il a été transcendantal de prendre en compte qu’ « une
partie de notre travail consiste à ne pas donner aux gens la simple impression
qu’ils comptent sur notre écoute, notre esprit et nos pensées, mais plutôt de
créer en eux le sentiment qu’ils désirent s’expliquer, parler d’eux-mêmes, car ils
se rendent compte que l’entretien est dans un certain sens une occasion pour
eux d’exprimer à quelqu’un comment ils voient le monde » (Stenhouse, 1984,
p. 222. In : Woods, 1987, p. 84).
L’entretien n’a pas toujours suivi le même cours avec les personnes
interviewées, vu qu’il s’agissait de situations particulières, aussi les questions
étaient posées de manière très singulière, propres à la situation observée.
Souvent, le chercheur qui faisait l’entretien, établissait un dialogue, affirmant
des suppositions, complétant des idées, faisant de l’humour et même donnant
sa propre interprétation du contenu qui se développait au cours de l’entretien.
Dans ce sens, nous ne pouvons pas parler froidement de l’entretien comme
d’une procédure pour « obtenir une information », étant donné qu’il nous a été
difficile de nous débarrasser de nos expériences pédagogiques, de notre
expérience acquise durant de longues années comme professeur.
En conséquence, ce que nous avons appelé les « entretiens », ne correspond
pas exactement avec ce qu’on appelle les entretiens structurés dans lesquelles
il existe une séquence préfixée des mêmes questions à poser. Nos entretiens
ne correspondent pas non plus avec ce qu’on appelle les entretiens non
structurés, parce que dans les entretiens que nous avons effectués, il y a des
questions qui sont communes pour chaque personne interviewée.
Etant donné que nous ne pouvions pas compter sur un « document officiel »
décrivant le plan d’études, le chercheur effectuant l’interview, cherchait à
connaître l’ordre et le contenu des séquences d’enseignement au-delà de ce
qui avait été observé et, dans la mesure du possible, l’ordonnancement du Plan
d’Etudes de la Pédagogie Waldorf pour toutes les classes.
De cette façon, nous avons demandé aux maîtres le contenu des stratégies
globales d’enseignement développées dans les classes antérieures et
postérieures au cours qu’ils dirigeaient sur le moment.
Dans l’entretien nous avons développé, dans la plupart des cas, des
conversations qui échappaient au sujet dont on parlait, mais finalement elles
nous ont révélé des éléments imprévus qui ont servi, a posteriori, à enrichir la
phase d’interprétation des données.
Dans la conversation spontanée, il y a un échange plus naturel de nos
pensées, des échanges d’expériences de notre monde social, chacun a sa
propre perspective. La richesse consistera donc à capter la différence entre
notre propre interprétation des processus et des faits observés et
l’interprétation de ce qui a été vécu par les personnes interviewées. C’est la
raison pour laquelle, en plus des déclarations générales qui se sont mélangées
durant la rencontre, nous avons posé des questions spécifiques qui pouvaient
nous conduire dans la recherche de sens selon les contextes particuliers.
D’où l’impossibilité de préfigurer toutes les questions qui vont être posées dans
la rencontre, vu que celles-ci vont plutôt surgir au cours de l’interlocution dans
une ambiance libre et ouverte. Les entretiens ont donc adopté, dans une partie
de leur déroulement, le caractère de conversations « allant de pair », laissant
de côté l’échange formel de questions et réponses (Taylor et Bogdan, 1987).
Dans ces étapes de l’entretien il ne s’agissait pas seulement de laisser parler,
d’écouter, mais aussi de faire connaître nos propres idées en tant qu’interprète
de la situation que nous avions observée, sans pour cela nous empêcher d’être
réceptive comme l’exige la pratique de l’écoute sensible, à propos de
l’enracinement dans l’attention, avec une vision de reliance qui embrasse la
complexité en toute situation (l’attentionalité); avec une manière de savoir jouer
avec l’humour (se libérer de la peur de l’inconnu) ; et d’entrer dans l’émotion
sans crainte et sans exagérations (Barbier, 1997).
Malgré l’existence de ces périodes de conversation ouverte dans l’entretien,
nous ne pouvions pas dire qu’il était informel, pas plus qu’on pourrait dire qu’il
manquait une esquisse de questions ou de doutes, car les entretiens se sont
déroulés à la suite de journées d’observations pour, justement, centrer la
rencontre sur la situation déjà observée.
Au cours de l’entretien (celui-ci étant la partie structurée) nous n’avons jamais
perdu de vue notre intérêt pour la question centrale de notre recherche
(Flick, 2004). En conséquence, nous avons toujours cherché à repérer tout ce
qui avait trait à la conception qu’avaient les personnes interviewées concernant
l’enseignement en tant qu’art et le maître en tant qu’artiste.
En tout nous avons enregistré mille sept cent vingt neuf minutes (1729 minutes)
d’entretiens. En plus des entretiens réalisés avec les maîtres observés, nous en
avons effectué deux (2) autres dans l’Ecole B afin de recueillir des informations
sur l’organisation de l’école et un autre au cours d’une rencontre avec la
professeur d’Eurythmie. Nous avons réalisé en tout vingt (20) entretiens. Ils
n’ont pas tous eu la même durée. Ceux-ci variaient entre cinquante (50 min) et
cent soixante sept (167 min) minutes, comme le montre le tableau ci-après :
Ecoles Enseignant Minutes
D’enregistrement
Minutes
d’enregistrement
par École
Heures
d’enregistrement
par École
A
Madame N Madame L Monsieur A Monsieur M Madame G1 Madame P Madame G2 65’ 90’ 57’ 51’ 65’ 67’ 45’440’
7 heures et 20’
B
Monsieur T Madame R1 Monsieur M Madame R2 Madame R3 Monsieur R +Madame B +Madame D 71’ 73’ 90’ 68’ 92’ 112’ 68’ 90’664’
11h et 4’
C
Madame M Madame D Madame S Monsieur M Monsieur G 167’ 135’ 113’ 140’ 70’625’
10h et 25’
Documents
Les documents concernant l’école nous ont été remis par les mêmes maîtres
ayant participé aux entretiens.
• des brochures publiées par l’institution pour la distribution au public
concernant la Pédagogie Waldorf, lesquelles nous ont permis d’avoir une
perspective historique plus ample quant aux Ecoles,
• des invitations à des forums, à des conférences, à des congrès, à des
cours de formation, à des concerts, à des pièces de théâtre, qui sont des
éléments manifestes de la relation entre les Ecoles et la communauté
locale,
• des bulletins d’informations internes où était relatée la vie
organisationnelle dans le sein de chaque école,
• des bulletins académiques portant à la connaissance des intéressés la
façon comment s’effectuent les évaluations partielles et finales que les
maîtres donnent à leurs élèves,
• des triptyques sur les cours de formation des maîtres, des publications
de fédérations nationales des Ecoles Waldorf qui renforcent les
connaissances sur le curriculum et l’organisation scolaire, ainsi que
l’identité pédagogique des écoles,
• des feuilles volantes témoignant de l’organisation de journées de travail
dans la communauté scolaire,
• des règlements internes,
• des journaux élaborés par les propres élèves.
D’autre part, nous avons pu compter sur des travaux scolaires réalisés par les
élèves (récits, dessins, copies), dont certains nous ont été donnés.
Ces documents ont constitué un apport substantiel permettant d’amplifier le
cadre observé, situant ainsi les Ecoles dans l’univers de la Pédagogie Waldorf.
Ils ont également permis de connaître leurs relations avec d’autres cadres et
d’autres écoles. De plus ils ont servi à mieux comprendre les conditions dans
lesquelles se déroule le curriculum et d’avoir une idée plus précise du contexte
De par son extension, nous montrons les tableaux contenant la description des
documents dans l’annexe N° 1.
Après être passée par cette phase d’observation, de recueil de données durant
laquelle sont fournies des informations, phase qu’on peut appeler aussi phase
de découverte, nous entrons dans une phase d’analyse et de compréhension
(Kirk et Miller, 1990), dont nous ferons dés à présent l’exposé.
Dans le document
L'enseignement en tant qu'art dans le curriculum Waldorf
(Page 123-133)