CHAPITRE 2 : APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
2.3. Le rapport objet-sujet dans cette recherche
Comme nous avons essayé de l’expliquer, le chercheur se doit d’entrer dans le
monde scolaire de la pédagogie selon R. Steiner avec la connaissance de ce
langage, qui n’est pas exempt des préconçus ou des images qui en font partie.
Dans ce sens, nous avons essayé de prendre en compte l’approche
multiréférentielle non seulement au moment d’interpréter les données mais
aussi « avant » et pendant le processus d’observation, ainsi que l’enseigne R.
Barbier (1997) quand il parle « d’ une manière de voir et d’écouter ».
De plus et bien que nous n’utilisions pas la méthodologie de l’approche
transversale, proposée par cet auteur, il est nécessaire de reconnaître
l’importance qu’a eu, pour notre recherche actuelle dans les écoles, le concept
de l’« écoute sensible ». Même si celui-ci a été développé de façon particulière
dans la logique de la méthodologie de l’approche transversale, il nous a servi
-dans un acte de transposition- à adopter une attitude de décontraction et
d’ouverture face à la composante du sacral, qui est postulée par cet auteur
dans son approche de l’imaginaire. Cette dimension du sacral se trouve avoir
une très grande importance dans l’imaginaire du curriculum Waldorf, comme
nous venons de le montrer.
C’est là un des apports de l’approche transversale de R. Barbier qui nous
semble avoir une valeur remarquable, étant donné qu’il est difficile de trouver
des optiques théoriques et méthodologiques concernant les recherches sur
l’éducation, qui considèrent cet élément comme partie structurelle de la
Quoique notre but ne soit pas de comprendre le phénomène religieux dans le
contexte de cette pédagogie, il nous semble que l’observateur, qui souhaite
approcher et étudier un curriculum de cette nature, dont les auteurs assument
profondément le caractère sacré dans leur travail, doit être ouvert, disposé,
attentif, et pratiquer l’ « écoute sensible », comme l’explique Barbier (1997).
L’écoute sensible commence par ne pas interpréter, par suspendre tout jugement. Elle cherche à comprendre, par « empathie », au sens rogérien, le « surplus » de sens qui existe dans la pratique ou la situation éducatives. Elle accepte de se laisser surprendre par l’inconnu qui sans cesse anime la vie (…). Dans un second temps seulement, et après l’installation stable d’une confiance du sujet (…) les propositions interprétatives pourront être faites avec prudence. (Barbier, 1997, pp. 294-295).
Cet acte de se laisser surprendre par l’inconnu, doit être accompagné
également d’une autre attitude, celle que demanderait la dimension artistique,
d’un observateur qui serait situé dans l’observation d’une situation
d’enseignement. En réalité, si la situation, faisant l’objet de notre observation,
reste solidaire avec l’expérience de l’observation qui va la reconnaître, (puisque
la situation est là, prête à être observée d’une façon particulière) c’est parce
que l’attitude de la part de l’observateur tient compte de toute l’attention de ses
qualités. Par exemple : Qu’en serait-il d’une belle symphonie qui ne serait pas
écoutée ? Ainsi la relation de l’observateur à la situation observée acquiert une
particularité sui generis. Nous reconnaissons qu’il y a un sens artistique dans
ce que nous voulons observer, il est donc à la fois nécessaire d’avoir une
attitude conforme à la dimension artistique que nous lui reconnaissons. La
situation définit alors notre expérience et l’expérience définit la situation, mais
cela s’opère dans un acte conscient de concentration de notre attention sur la
dimension artistique de l’éducation.
Que signifie concrètement cette relation pour nous, observateur et chercheur ?
Et bien, il s’agit pour nous, de saisir les éléments constitutifs du curriculum
Waldorf, de voir comment ils sont articulés et comment surgissent les diverses
expressions à des moments spécifiques, en outre de voir comment ces
diverses expressions contribuent à une expression totale de la situation. Le rôle
de l’observateur est en fait délicat et similaire à celui que Dufrenne décrit quand
il se réfère à la situation d’un spectateur assistant à un opéra :
Je dois être témoin, et ce n’est pas facile de répartir équitablement mon attention entre toutes les sollicitations du sensible sans en privilégier un des aspects ou un des sens, négligeant la musique pour m’intéresser à l’histoire ou négligeant les paroles pour suivre le chant à l’orchestre ; mais c’est toujours possible, cependant, parce que l’objet m’y invite, et plus précisément parce que ces divers aspects, poétique, musical ou plastique ont encore un autre sens, proprement expressif, qui déborde l’intelligible et, d’un sensible à l’autre, peut converger (Dufrenne, 1953, p. 43).