CHAPITRE 3 : ORGANISATION DE L’INSTRUCTION
3.2. Organisation du travail dans la salle de classe
3.2.2. Organisation de l’enseignement
L’organisation du travail du maître et des élèves en classe obéit à des grandes
lignes de travail établies dans le Plan d’Études. Il faut signaler ici que dans le
curriculum Waldorf, le même maître accompagne, enseigne et travaille avec un
même groupe d’élèves, de la première classe jusqu’à la huitième classe. Le fait
qu’un seul enseignant soit l’unique responsable du cours principal pendant huit
années rend encore plus intensive la force de concentration, et favorise
l’expérience esthétique du maître parce qu’il pourra ainsi compléter sans
interruption, tout au long du processus curriculaire, l’œuvre d’enseignement
initialement commencée dans la première classe.
Les points les plus remarquables dans cette organisation sont les suivants :
a) L’enseignement de contenus par périodes :
L’instruction s’organise durant toute une année scolaire en fonction des idées
générales du Plan d’Études.
Cette pédagogie suppose que l’étude par périodes contribue à un
apprentissage qui permet de réaliser un travail en profondeur, en continu, sans
possibilité de dispersion ou d’interruption, et ce pendant trois ou quatre
semaines d’affilée.
L’enseignement par périodes offre une opportunité à l’élève de s’exercer plus
longuement, de s’entraîner de façon plus extensive, de moduler de façon
multiple les manières d’apprendre et de s’exprimer, selon un rythme moins
pressant, moins stressé,
34ce qui permet alors d’intégrer plus globalement,
moins superficiellement, les contenus proposés dans ce curriculum.
De nouveau l’idée de compléter, de ne pas fractionner, d’éviter des coupures
discontinues dans le processus d’instruction, fait allusion au concept
d’expérience esthétique que nous avons cité au-dessus. Ainsi, durant une
séance quotidienne, durant trois à quatre semaines, se développe ce qu’on
appelle le cours principal pendant les deux premières heures de la matinée. De
cette façon, une classe peut avoir plusieurs cours principaux qui s’alterneront
au cours de l’année scolaire.
En conséquence, un maître peut planifier suivant les besoins d’un groupe, par
exemple, deux cours principaux de Langue, deux de Mathématiques, deux
d’Histoire, deux de Géographie, un de Géométrie. Après ce cours principal
suivront d’autres cours tels que les Langues étrangères, l’Eurythmie, les
Travaux Manuels, le travail dans l’atelier de Menuiserie, la Musique.
Généralement, l’assistance à ces autres cours se fait par groupes. On divise le
groupe d’enfants de la classe en deux et un groupe, par exemple, assiste au
cours d’Eurythmie pendant que l’autre assiste au cours d’Anglais. Par la suite
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Comme ce serait le cas si un programme important devait être enseigné dans un temps restreint, sans tenir compte de la capacité des élèves pour l’accomplir, par exemple
les groupes font l’échange
35. À plusieurs occasions, un des groupes reste avec
le maître responsable du cours principal et réalise des tâches qui mettent
l’accent sur certain contenu en particulier que le maître estime nécessaire de
renforcer.
Dans cet enseignement, où les cours principaux sont concentrés dans des
périodes au cours de l’année, il devient possible d’ouvrir un espace à d’autres
contenus qui vont s’intégrer au cours principal. Nous retrouvons à nouveau ici
la concentration, ce qui montre que tous les contenus peuvent s’intégrer dans
le cours principal comme les affluents se rejoignent dans un grand fleuve, sans
lesquels le lit du fleuve principal n’aurait pas le même cours. Certains contenus
s’appuient sur d’autres, c’est la preuve évidente de la concentration de la
matière didactique dans un temps donné. Nous souhaitons en donner ici un
exemple assez large :
« En janvier, oui…. Nous avons vu les mathématiques... Nous avions travaillé
dans la période d’agriculture... un peu à mesurer un terrain... ils avaient appris
à mesurer de manière naturelle…. bien que nous étudions l’agriculture, nous
mesurions avec nos pas le terrain, avec les pieds...Nous allions mesurer notre
champ.. et même que ce n’était pas le cours de Mathématiques, nous le
faisions... Chaque enfant mesurait... et aussi pour apprendre à comparer…il
mesurait, par exemple, un enfant petit de taille et disait : « -eh bien, il mesure
vingt pas » Alors venait « N » et il disait : « -quinze pas »
Tout ceci nous le notions sur un cahier…. mais nous ne parlions pas de
Mathématiques...nous le notions « notre champ a quinze pas de N, vingt de P,
dix de E ». Ainsi, c’était inscrit sur le cahier... Aussi... “Maintenant il a trente
pieds…” vu que nous le faisions pas par pas et par pieds, par brassées… ils se
couchaient par terre… comme ça… nous le faisions avec la paume de la main
quand la chose à mesurer était petite... « tant de paumes, tant de coudées »...
avec des mesures corporelles. Nous faisions tout cela et nous le notions...
(…) Quand la période des Mathématiques est arrivée, alors là, je leur ai raconté
une histoire... qu’avant les hommes mesuraient les choses ainsi... de façon
corporelle... Alors dans le cahier... nous commencions à faire des mesures en
classe : « chacun va mesurer la classe... la largeur, la longueur » la table en
paumes, en coudées, en doigts aussi, en pouces, en différentes choses... Ils le
mettaient dans leur cahier de mathématiques et dessinaient également ce
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Depuis 1910 G. Kerschenteiner avait mis en pratique dans les écoles de Munich l’alternance de groupes. Quelque fois les groupes étaient réunis et d’autres fois il se séparaient. Cette distribution du travail scolaire est exposée en détails par Kerschensteiner lors de son exposition: “L’École active dans le
qu’était une paume, un coude, tout... Après cela (que tout d’abord l’homme
mesurait avec des mesures naturelles de son corps) nous sommes passés,
bien sûr, à une mesure plus commune... ils s’étaient rendus compte bien sûr...
que.... si N utilisait une mesure et P une autre... il y avait quelque chose qui se
passait... comment pouvions-nous faire cela, n’est ce pas ?.... Alors je leur ai
expliqué que les hommes sont arrivés à quelque chose de commun... le mètre.
A la fin de cette période de janvier, nous avons fabriqué le mètre... tu l’as vu.
Nous venons de le terminer... Un des parents qui est menuisier (le père de P) a
fabriqué le mètre, il nous l’a assemblé... ils l’ont un peu poli, ont aidé à faire les
trous et les rivets... le père de A et celui de P sont venus en classe et en une
matinée ils ont assemblé les mètres. Les enfants étaient enthousiasmés et ils
ont amené les liteaux tout prêts... puis ils ont apporté tous les outils du
menuisier : chignole, marteaux... et chaque enfant travaillait petit à petit…
(…).dans le poulailler nous avons commencé à fabriquer cette baraque qui se
trouvait dans le fond…à faire les fondations dans le sol, c’est-à-dire... à creuser
avec la pioche, aidés par le père de A, vu qu’il savait faire ces choses là... tout
d’abord mesurer la tranchée, mettre le métre avec le fil à plomb... avec tous les
outils d’un maçon... prendre les mesures, faire un dessin sur un papier...
chacun devait faire un dessin... ce père leur disait :
‘’-et bien, nous avons tant mesuré... nous allons faire un dessin ici comme un
rectangle et nous mettrons tant de longueur et tant de largeur... Nous allons
aussi mettre... tant d’épaisseur ‘’
Une fois qu’ils ont fait le dessin, qu’ils ont fait par terre....Les enfants étaient en
classe avec moi puis ils allaient avec lui creuser le terrain par groupe de six ou
de cinq... ils creusaient un moment... puis retournaient en classe et là ils le
dessinaient sur leur cahier de construction avec lequel je les avais...
-YR : ça s’appelle cahier de construction ?
-H : oui, de l’habitat de l’homme.... « cahier de l’habitat de l’homme ». Et bien,
peu à peu ils fabriquaient... Ce père, une fois la tranchée creusée il commença
à leur dire comment faire le mélange... comment il fallait mélanger le ciment
avec le sable... dans quelles proportions afin de pouvoir le mettre dans la
tranchée... fabriquer le ciment... pour ensuite mettre les briques. Puis... voir que
cela ne tombe pas… Les enfants étaient très éveillés car le jour suivant un
autre groupe y allait et ils leur disaient : et bien, voyons voir quelle proportion...
tu fais tant de mélange... je veux remplir tout ça. Combien de pelletées tu dois
mettre, de ciment ou de sable ? Combien d’eau ?
Ils étaient là très actifs, le réalisant et avec les briques. » (École C, 3
èmeclasse,
pp. 597-599 /Lignes 134-221)
Comme nous pouvons nous en rendre compte, durant une des périodes
d’Agriculture, où les enfants préparent un terrain pour être labouré, cultivé et
semé, la maîtresse mobilise des contenus de mathématiques pour mesurer le
terrain et de plus les enfants utilisent le cahier pour annoter les mesures,
accompagnées de dessins. Plus tard, au cours de la période de Mathématiques
seront intégrés l’Histoire, l’Écriture, le Dessin avec la fabrication des mètres que
fait chaque enfant. Cet apprentissage est immédiatement transféré à la
construction du poulailler. En plus de mesurer, les enfants rédigent dans leurs
cahiers ce qu’ils ont fait.
Certains auteurs comme Kranich (1973) ont développé le même point de vue
en disant que : « On ne donne pas de l’importance à une matière concrète mais
à l’action d’ensemble des aptitudes qu’on développe pendant l’instruction »
(p. 94). Aussi R. Grosse affirme :
L’enseignement par périodes permet également au maître de donner beaucoup plus de temps à l’observation de chacun des élèves lorsque ceux-ci vivent leur expérience d’apprentissage, car celles–ci ont été conçues pour qu’elles se développent de façon continuelle et surtout sans interruption brusque. Maîtres et élèves ont conscience de la nécessité d’avoir du temps devant eux pour accomplir les tâches et les mener à bon terme. Dans ce cadre : l’enseignant peut déployer et tisser quelque chose qui forme un tout, et l’enfant de son côté, s’adonner sans réserve à ce tout ( Grosse, 1986, p. 28)
L’idée de l’enseignement par périodes obéit, en plus du principe de
concentration et d’unité, au principe de rythme.
Nous entendons par principe de rythme, le retour régulier des mêmes éléments
dans différentes périodes de temps.
Nous avons pu constater qu’Il ne s’agit pas d’un rythme mécanique comme le
tic-tac d’une horloge mais il s’agit bien au contraire d’un rythme vivant,
organique, qui prend sa source dans l’observation des mouvements propres à
l’organisme humain tels qu’ils se donnent à voir dans un temps et une situation
donnés. En effet, dans ce rythme il n’y a pas obligatoirement récurrence du
retour des éléments, se répétant identiquement, parce que cela amènerait à
concevoir le rythme de façon mécanique et non comme un rythme vital ou
expressif.
Le cours principal qui se développe pendant une certaine période de temps,
sera repris plus tard au cours de l’année et reviendra chaque fois d’une façon
différente. Dés le début, la possibilité sera donnée aux élèves de prendre le
temps nécessaire à l’intégration des contenus. C’est la raison pour laquelle des
périodes sont établies pour permettre à l’élève de laisser reposer, d’oublier, de
revoir de se ressouvenir. L’évocation elle-même, l’exercice de reprendre ce qui
avait été étudié d’une manière concentrée dans une période antérieure est
associé dans cette pédagogie à ce qui se passe pendant la nuit entre deux
journées d’études. À ce propos, Frans Carlgren nous explique :
À chaque fois, nous sommes sans cesse surpris de constater que justement la matière apprise avec enthousiasme, convertie en elle-même en une grande image, montre, au moment où on la reprend, un plus grand degré de maturité, une faculté qui s’est accrue entre-temps. Même celui qui ne l’avait pas bien apprise, par exemple en calcul, peut devenir soudain facile et évidente quand elle réapparaît. (Carlgren, 1987 p. 110)