• Aucun résultat trouvé

Chapitre I. Les mécanismes d’exercice du contrôle de constitutionnalité et du contrôle de conventionnalité par le juge grec

Section 1. L’interdépendance procédurale du contrôle de constitutionnalité et du contrôle de conventionnalité

A. Une procédure identique

Le contrôle de constitutionnalité ainsi que le contrôle de conventionnalité s’exercent simultanément dans l’ordre juridique grec. Même si les normes de référence pour l’exercice du contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité des lois ne sont pas identiques, elles sont cependant similaires (1). De plus, les caractéristiques des deux types de contrôle présentent des ressemblances notables (2).

1. Les dispositions constitutionnelles déterminant l’exercice du contrôle

Le pouvoir judiciaire est chargé de l’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois conformément au principe de séparation des pouvoirs et dans la mesure où il dispose des garanties d’un pouvoir indépendant et impartial726

. Cependant, il est vrai que le contrôle diffus, incident et concret de constitutionnalité -et de conventionnalité des lois- tel qu’il s’exerce en Grèce, peut conduire à des troubles institutionnels dans l’hypothèse où il n’y

725 Gh. ALBERTON, « Peut-onΝ encoreΝ dissocierΝ exceptionΝ d’inconstitutionnalitéΝ etΝ exceptionΝ

d’inconventionnalité ? », AJDA, n°18, 2008, pp. 967-973, (p. 969).

726 A.MANITAKIS, « Les éléments historiques du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois en Grèce et

aurait plus une harmonie idéologique fondamentale entre la majorité parlementaire et la masse des magistrats des deux ordres727.

La compétence du juge pour l’exercice du contrôle de constitutionnalité trouve un fondement constitutionnel précis. La Constitution de 1975 a expressément consacré le contrôle de constitutionnalité des lois en introduisant deux dispositions relatives à l’exercice du contrôle de constitutionnalité. En premier lieu, l’article 87, alinéa 2 dispose que les magistrats sont soumis seulement à la Constitution et aux lois et qu’ils ne sont en aucun cas obligés de se conformer à des dispositions prises en violation de la Constitution728. En second lieu, l’article 93, alinéa 4 attribue aux Cours la compétence de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire à la Constitution729.

Ces deux dispositions reflètent le contenu de la coutume constitutionnelle730, conformément à la première affirmation jurisprudentielle de la compétence des juges pour le contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes législatifs731. L’ordonnancement constitutionnel grec introduit donc un système de constitutionnalité des lois diffus et répressif, selon lequel toutes les juridictions ont le pouvoir, et même l’obligation de contrôler a posteriori la constitutionnalité d’un acte législatif.

Le contrôle diffus et incident de constitutionnalité, tel qu’il est appliqué aujourd’hui dans le système juridique grec, est inspiré par le système du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des Etats-Unis et s’appuie sur trois fondements. Tout d’abord, l’idée que la Constitution incarne la loi fondamentale suprême. Elle dispose dès lors d’un caractère contraignant et s’impose à l’ensemble des citoyens. Ensuite, le contrôle de constitutionnalité reflète le caractère rigide de la Constitution et concrétise sa primauté face aux autres règles nationales732. Enfin, l’exercice du contrôle de constitutionnalité s’appuie sur le principe de

727 Ph. VEGLERIS, Le Conseil d’Etat et l’examen de la constitutionnalité des lois en Grèce, Bologna : Zanichelli,

1961, p. 655.

728 Article 87, alinéa 2 de la Constitution: « Dans l'exercice de leurs fonctions, les magistrats sont soumis

seulement à la Constitution et aux lois ; ils ne sont en aucun cas obligés de se conformer à des dispositions prises en violation de la Constitution ».

729 Article 93, alinéa 4 de la Constitution: « Les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu

est contraire à la Constitution ».

730 E.SPILIOTOPOULOS, « Les méthodes de travail des juridictions constitutionnelles », AIJC, vol. VIII, 1992, pp.

267-274, (p. 268).

731 Décision n°23/1897 de la Cour de Cassation. V. SKOURIS, « Les systèmes de contrôle juridictionnel de

constitutionnalité des lois », ToS, 1982 pp. 507-545, (pp. 534-535).

732 Pour la contestation de la théorie de la justification du contrôle de constitutionnalité par la suprématie de la

Constitution voir M. TROPER, Le droit et la nécessité, Paris : PUF, 2011, pp. 113-123. δ’auteurΝcontesteΝqueΝleΝ

contrôle de constitutionnalité soit impliqué par la suprématie de la Constitution (thèse soutenue par John Marshall dans la décision Marbury versus Madison et Carré de Malberg) ainsi que la thèse selon laquelle le contrôle de constitutionnalité est le seul moyen de réaliser la suprématie de la Constitution (Hans Kelsen).

séparation des pouvoirs, qui entraîne la distinction entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire et confie le contrôle des lois au pouvoir judiciaire733.

A l’instar des normes de référence pour l’exercice du contrôle de constitutionnalité, la compétence juridique relative au contrôle de conventionnalité des lois dérive de l’article 28 de la Constitution. Cet article, mise à part sa fonction en tant que « règle de réception » du droit international, assure aussi l’effet direct et la supériorité du droit international sur les lois ordinaires, mêmes postérieures, en l’absence d’indication contraire. Cela étant, compte tenu du fait que les traités et accords régulièrement ratifiés et publiés s’intègrent dans l’ordre interne, les juges traitent le droit international transposé comme une loi nationale. Par conséquent, le contrôle de conventionnalité des lois s’exerce en principe de la même façon et présente les mêmes caractéristiques que le contrôle de constitutionnalité. En outre, compte tenu du rang supra législatif des règles du droit international général, le juge doit nécessairement, lorsqu’il exerce un contrôle de constitutionnalité, prendre en considération les normes internationales. Faute de quoi, il violerait l’article 28 de la Constitution, qui prévoit la primauté du droit international sur les lois nationales ordinaires. Il existe ainsi une obligation du juge national d’appliquer, même d’office, les règles du droit européen et international général734 ; de cette façon, il devient juge de la constitutionnalité mais aussi de la conventionnalité des lois ordinaires.

2. Les caractéristiques d’un contrôle exercé uniquement a posteriori

Le contrôle de constitutionnalité ainsi que de conventionnalité est exercé uniquement a posteriori. Il ne porte donc que sur des règles déjà entrées en vigueur735. Il s’agit alors d’un

δ’auteurΝ conclutΝ qu’Ν « il est tout simplement faux que le contrôle de constitutionnalité soit un moyen pour

réaliser la suprématie de la constitution. Elle est bien un moyen, mais ce qu’elle permet de réaliser, c’est la suprématie de normes constitutionnelles produites par l’autorité du contrôle » TROPER Michel, Le droit et la nécessité, op. cit., p. 123.

733 A.MANITAKIS, « Les éléments historiques du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois en Grèce et

ses prérequis raisonnables », op. cit., pp.16-17. Pour une définition du terme « séparation des pouvoirs » ainsi queΝ l’existenceΝ deΝ deuxΝ théoriesΝ interprétativesΝ distinctesΝ (laΝ doctrineΝ traditionnelleΝ etΝ laΝ doctrineΝ développéeΝ postérieurement par MM. EISENMANN et M. TROPER voir M. LAHMER, « séparation et balances des pouvoirs », in D. ALLAND, St. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, : PUF, 2003, pp. 1406-1411.

734 G. PAPADIMITRIOU, « δ’internationalisationΝ etΝ laΝ communautarisationΝ deΝ laΝ protectionΝ législative », NoV,

1996, pp. 569-573, (pp. 570-571).

735 P. BON, « Contrôle a posteriori », in O. DUHAMEL, Y. MENY (dir.), Dictionnaire constitutionnel, Paris : PUF,

contrôle de l’application de la loi736 qui présente trois caractéristiques essentielles. Il s’agit d’un contrôle diffus, incident et concret. Ces caractéristiques déterminent la structure du contrôle juridictionnel tel qu’il est prévu par la Constitution grecque et exercé depuis longtemps par l’ensemble des ordres juridictionnels.

La première caractéristique du contrôle est sa nature diffuse. Toute juridiction, ordinaire comme suprême, est compétente en matière de contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité. Or, étant donné que toutes les instances juridictionnelles sont habilitées par la Constitution à trancher le litige, elles peuvent adopter des solutions jurisprudentielles différentes, ce qui est par conséquent susceptible de porter atteinte au principe de sécurité juridique, en raison de divergences dans les solutions jurisprudentielles retenues par les différentes juridictions statuant sur la même matière737.

Une loi adoptée récemment a apporté de légères modifications au caractère diffus du contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité des lois, au sein de la justice administrative, en lui attribuant les caractéristiques d’un contrôle concentré. Cette loi vise à garantir l’harmonisation jurisprudentielle et par la suite à assurer le respect du principe de sécurité juridique. En effet, la loi 3900/2010738prévoit la possibilité, lorsqu’il s’agit d’un sujet d’intérêt général ayant des conséquences pour un nombre considérable de personnes, de déférer le procès directement devant le Conseil d’Etat afin d’édicter des arrêts pilotes. Dans la même hypothèse, à savoir lorsqu’il s’agit d’une question d’intérêt général, les juridictions administratives ordinaires saisissent le Conseil d’Etat par voie préjudicielle. Le renvoi préjudiciel porte essentiellement sur la question de la constitutionnalité et de la conventionnalité d’une disposition législative.

En outre, il est prévu la possibilité de se pourvoir en cassation739ou d’interjeter appel740 devant le Conseil d’Etat si la décision d’une cour administrative a jugé une disposition législative inconstitutionnelle ou contraire à une disposition supra législative, c’est-à-dire

736 Pour la distinction entre contrôle de constitutionnalité de la loi et contrôle de constitutionnalité de

l’applicationΝdeΝlaΝloiΝcommeΝcritèreΝdeΝdifférenciationΝentreΝlesΝdifférentsΝtypesΝdeΝcontrôleΝdeΝconstitutionnalitéΝ voir A. ROUX, « Contrôle de constitutionnalité. Organisations juridictionnelles », in M. TROPER, D. CHAGNOLLAUD (dir.), Traité International de droit constitutionnel, t.III Suprématie de la Constitution, Paris : Dalloz, 2012, pp. 108-146, (pp. 141-142).

737 C. PAPANIKOLAOU, Le contrôle de constitutionnalité des lois en droit public hellénique, thèse soutenue à

Paris 2 Panthéon-Assas, 2003, p. 238.

738 Pour des détails sur cette loi voir EfimDD, n°3, 2011 pp. 370-472 et F.ARNAOUTOGLOU, L’arrêt pilot devant

le Conseil d’Etat, Athènes : éd. Nomiki Vivliothiki, 2012.

739 Dans le cas de litige de pleine juridiction. 740 ϊansΝleΝcasΝdeΝlitigeΝd’annulationέ

inconventionnelle, et sous condition que le litige en cause ne soit pas déjà tranché suivant une jurisprudence constante du Conseil d’Etat rendue en la matière741

.

Ces mécanismes procéduraux, qui sont institués à travers une loi ordinaire et non lors d’une révision constitutionnelle, ne changent pas en principe le caractère diffus du contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité des lois742; l’application desdites dispositions repose sur des conditions procédurales strictes, dont la satisfaction relève du pouvoir discrétionnaire des juges.

La deuxième caractéristique du contrôle juridictionnel est son caractère incident. Le contrôle de constitutionnalité ainsi que de conventionnalité sont exercés par les cours, à propos d’un litige soulevé devant elles. Le juge doit donc attendre la naissance du litige, à l’initiative d’une personne ayant un intérêt légitime susceptible de justifier son recours aux tribunaux, afin d’exercer ce contrôle743

. Par conséquent, le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité ne constituent jamais l’objet principal du recours ; l’inexistence d’un procès spécial, relatif à la seule constitutionnalité d’une loi, est déterminante dans l’ordre grec. La question de l’inconstitutionnalité d’une loi peut être posée par toute personne poursuivie devant une juridiction pour avoir méconnu une loi suspectée d’inconstitutionnalité.

Enfin, le contrôle en droit grec est un contrôle concret. Il se limite à l’examen de la constitutionnalité ou de la conventionnalité des dispositions en cause dans le cadre d’un procès dont le juge est saisi, et dans lequel il doit appliquer la loi litigieuse744. Le juge n’examine pas la constitutionnalité de toute la loi. Il est seulement compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité de la disposition en cause, sans pouvoir étendre son jugement à l’ensemble de la loi745. De plus, le juge n’est pas compétent pour se livrer à une interprétation libre et abstraite de la disposition en cause. Néanmoins, lorsqu'il doit motiver chaque décision rendue, quant au jugement de la constitutionnalité ou de la conventionnalité de la disposition en cause, son interprétation revêt inévitablement un certain caractère abstrait746. Dès lors, l’obligation de motiver les décisions sert de limite procédurale au

741 Voir K. GOGOS, « εesuresΝ deΝ laΝ loiΝ 3λίίή2ί1ίΝ visantΝ l’accélérationΝ deΝ procédureΝ devantΝ lesΝ coursΝ

administratives », in Finances publiques et droit, volume d’honneur pour le Professeur Nikolaos Iέ Mparmpas,

Athènes-Thessalonique : éd. Sakkoulas, 2013, pp. 17-28.

742 C. YANNAKOPOULOS, L’influence du droit de l’Union européenne au contrôle juridictionnel de

constitutionnalité des lois, Athénes-Thessalonique : éd. Sakkoulas, 2013, pp. 60-61.

743 C.BACOYANNIS, « Le conseilΝd’EtatΝgrecΝdevantΝdeuxΝquestionsΝfondamentalesΝliéesΝàΝl’exerciceΝduΝcontrôleΝ

de constitutionnalité », AIJC, vol. V, 1991, pp. 577-600, (p. 594).

744 P. BON, « Contrôle concret », in Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 227.

745 E.VENIZELOS, Cours de droit constitutionnel, Athènes-Komotini : éd. A. Sakkoulas, nouvelle édition 2008, p.

246.

pouvoir des juges de se prononcer sur la conformité des lois à la Constitution et au droit découlant de l’Union européenne ou de la Convention européenne des droits de l’homme747

. Il convient alors de préciser que ce n’est pas parce que le juge a la faculté de déclarer une disposition législative contraire à la Constitution qu’il se substitue aux autres organes étatiques compétents et surtout au pouvoir législatif. Au contraire, dans le cas où une disposition est jugée inconstitutionnelle, c’est au juge qu’appartient la tâche soit d’annuler l’acte administratif qui est édicté selon la disposition en cause, soit d’écarter l’application de la disposition en cause et d’invoquer une autre disposition législative applicable en l’espèce748. C’est au législateur qu’il revient ensuite d’adopter une nouvelle règle, susceptible à son tour d’être ensuite contrôlée par le juge concernant sa compatibilité avec la Constitution749.

Outline

Documents relatifs