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Le principe de subsidiarité défavorisant la hiérarchie entre les normes européennes et nationales

Chapitre II. La place des droits européens dans l’ordre interne

Section 1. La place de la Convention EDH dans l’ordre interne

A. Le principe de subsidiarité défavorisant la hiérarchie entre les normes européennes et nationales

Le principe de subsidiarité est inhérent au système de protection des droits instauré par la Convention européenne. C’est un principe qui trouve ancrage dans le texte de la Convention. Plusieurs de ces dispositions attestent de son impact sur le système de protection institué par elle511. Récemment, le Protocole n°15, qui n’est pas encore entré en vigueur, a introduit à la fin du préambule de la Convention une référence explicite au principe de subsidiarité et à la doctrine de la marge nationale d’appréciation. Selon le rapport explicatif de ce préambule, cet ajout, « est destiné à renforcer la transparence et l’accessibilité de ces

507 J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, « La subsidiarité devant la Cour de justice des communautés européennes et la

ωourΝeuropéenneΝdesΝdroitsΝdeΝl’homme », RAE, 1998, pp. 28-47, (p. 29).

508 B. DELZANGLES, Activisme et autolimitation de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Paris : LGDJ,

2009, p. 310.

509 Le principe de subsidiarité relève du dynamisme et recouvre deux dimensions μΝelleΝaΝd’abordΝuneΝdimensionΝ

négativeΝenΝceΝqu’elleΝconstitueΝuneΝlimiteΝàΝl’interventionΝdeΝlaΝωourΝEϊώ,ΝmaisΝaussiΝuneΝdimension positive carΝelleΝfaitΝnaître,ΝpourΝlaΝωour,ΝuneΝobligationΝd’agirΝenΝcasΝdeΝcarenceΝdesΝjugesΝinternesέΝPourΝlaΝdistinctionΝ générale de la subsidiarité entre subsidiarité positive et négative ou subsidiarité active et passive cf. J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, « La subsidiarité devant la Cour de justice des communautés européennes et la Cour européenneΝdesΝdroitsΝdeΝl’homme », op. cit., p. 29 et O. DUBOS, « La subsidiarité », in La compétence, actes de colloque, Paris : Litec, 2008, pp. 193-218, (p. 194).

510 B. PASTRE-BELDA, « δaΝ ωourΝ européenneΝ desΝ droitsΝ deΝ l’homme,Ν entreΝ promotionΝ deΝ laΝ subsidiaritéΝ etΝ

protection effective des droits », RTDH, n°94, 2013, pp. 251-273, (p. 261).

511 Cf. notamment les articles 1er, 13, 35 et 53 de la Convention. J. CALLEWAERT, « La subsidiaritéΝdansΝl’EuropeΝ

desΝ droitsΝ deΝ l’homme :la dimension substantielle », in M. VERDUSSEN (dir.), L’Europe de la subsidiarité,

caractéristiques du système de la Convention et à rester cohérent avec la doctrine de la marge d’appréciation telle que développée par la Cour dans sa jurisprudence. En formulant cette proposition, la Déclaration de Brighton a également rappelé l’engagement des Hautes Parties contractantes à donner plein effet à leur obligation de garantir les droits et libertés définis dans la Convention »512.

Alors que le principe de subsidiarité est, selon le rapport explicatif, explicitement lié à la notion de pleine efficacité, il ne semble pas pour autant présenter de lien avec le principe hiérarchique. Cette affirmation s’appuie sur deux constats. Tout d’abord, le principe de subsidiarité prend une dimension particulière dans l’ordre conventionnel, ordre marqué par l’absence de transfert de compétences (1). Ensuite, les dispositions conventionnelles conduisant à concrétiser ce principe renvoient à la complémentarité et non pas à la hiérarchisation des protections accordées par l’ordre interne et l’ordre conventionnel (2).

1. La subsidiarité dans l’ordre conventionnel, ordre marqué par l’absence de transfert de compétences

La Convention EDH institue un ordre juridique spécifique moins complet que celui de l’UE. Il s’agit d’un ordre dépourvu d’organes exécutif et législatif mais doté d’organes de contrôle des actions et des mesures des Etats membres513. L’absence de transfert de compétences est inhérente à l’ordre juridique institué par la Convention EDH. Or, les Etats contractants s’engagent à respecter les droits garantis par la Convention.

A l’égard des rapports entre ordres internes et ordre conventionnel, le principe de subsidiarité joue un rôle essentiel, en contribuant au fonctionnement harmonieux des rapports. Ce principe prend une dimension particulière au sein de la Convention EDH pour deux raisons. D’un côté, il doit être appréhendé conformément à l’hypothèse que les Etats ne délèguent pas au système européen leurs pouvoirs en matière de droits de l’homme. De l’autre côté, ce principe doit être combiné avec le pouvoir des Etats d’exprimer le souhait, au moment de leur adhésion, que certains domaines ne soient pas couverts par la Convention.

512 Rapport explicatif au protocole n°15 [http://www.conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/213.htm],

point 7.

513 J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, « La subsidiarité devant la Cour de justice des communautés européennes et la

Tout d’abord, l’absence de transfert de compétences a pour corolaire que les Etats parties à la Convention demeurent souverains. La ratification de la Convention a pour seul effet de limiter l’exercice de leur souveraineté dans les domaines régis par le texte. Or, les Etats disposent d’une liberté d’appréciation dans la mise en œuvre de la Convention. Sur le plan international, dire d’un Etat qu’il est souverain signifie qu’il n’est soumis à aucun pouvoir de même nature514. Cette affirmation est corroborée dès 1968 par la Commission européenne des droits de l’homme qui affirme qu’elle ne se livre pas à mettre sous tutelle les Etats contractants. La souveraineté internationale sera affirmée également par la Cour qui renvoie à la liberté d’appréciation de l’Etat défendeur ou encore aux instruments internationaux auxquels les Etats parties ont « librement souscrit »515.

Le poids de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est donc contrebalancé par le caractèreΝ relatifΝ deΝ l’engagementΝ desΝ EtatsΝ membresέΝ EnΝ l’absenceΝ deΝ transfertΝ deΝ compétences, les échanges jurisprudentiels entre le juge européen et le juge national laissant une certaine place aux spécificités et aux traditions nationales516. Bien entendu, la compétence de la Cour EDH serait amplifiée si les Etats parties avaient transféré au système européen leurs pouvoirs en matière de droits fondamentaux. Toutefois, les Etats gardent leurs compétences propres en matière de droits fondamentaux.

ϊeΝplus,ΝconformémentΝàΝl’articleΝηιΝdeΝlaΝωonvention,Ν« tout Etat peut, au moment de la signature de la présente Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d’une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n’est pas conforme à cette dispositionέ Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article ». Les réserves constituent une manière pour les Etats de maîtriser leurs engagements, en excluant certainsΝ domaines,Ν ouΝ enΝ précisantΝ leΝ sensΝ d’uneΝ dispositionΝ conformémentΝ àΝ uneΝ interprétation donnée517. Néanmoins, les réserves neΝvontΝpasΝjusqu’àΝpermettreΝauxΝEtatsΝdeΝ relativiserΝleursΝengagementsΝd’uneΝfaçonΝtelleΝqueΝcelaΝrendraitΝlaΝωourΝEϊώΝincompétenteΝàΝ

514 G. GUILLAME, J. SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles : Bruylant 2001, p.

1045 cité par B. DELZANGLES, Activisme et autolimitation de la Cour européenne des Droits de l’Homme, op. cit., p. 163.

515 Cour EDH, Grande chambre, 30 juin 2005, Affaire Bosphorus contre Irlande, n°45036/98, §157 ; Cour EDH,

Grande chambre, 18 février 1999, Matthews contre Royaume-Uni, n°24833/94, §33.

516 M. GUYOMAR, « δeΝ dialogueΝ desΝ jurisprudencesΝ entreΝ leΝ ωonseilΝ d’EtatΝ etΝ laΝ ωourΝ deΝ Strasbourg :

appropriation, anticipation, émancipation », in La conscience des droits, mélanges en l’honneur de Jean Paul Costa, Paris : Dalloz, 2011, pp. 311-320, (p. 320).

517 B. DELZANGLES, Activisme et autolimitation de la Cour européenne des Droits de l’Homme, op. cit., p. 173,

pour la liste des réserves et déclarationsΝd’interprétationΝdesΝEtatsΝpartiesΝdeΝlaΝωonventionΝvoirΝleΝsite : [http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ListeDeclarations.asp?CL=FRE&CM=8&NT=005&VL=0]

connaître des domaines couverts par les réserves. La réserve doit en effet être formulée au momentΝdeΝlaΝsignatureΝdeΝlaΝωonventionΝouΝdeΝsaΝratificationέΝElleΝdoitΝs’appuyerΝsurΝuneΝloiΝ interne,ΝsusceptibleΝd’entrer en contradiction avec la Convention sur des points précis et non pas à titre général518.

δ’invocationΝdesΝréserves validesΝetΝapplicablesΝauΝcasΝd’espèceΝlimiteΝlaΝcompétenceΝdeΝ laΝ ωourΝ EϊώΝ dansΝ leΝ sensΝ oùΝ ilΝ neΝ luiΝ appartientΝ plusΝ deΝ constaterΝ laΝ violationΝ d’uneΝ disposition nationale couverte par la réserve. Toutefois, il incombe à la Cour de confirmer la validité de la réserve qui doit obligatoirement porter sur une disposition précise de la Convention et se référer à une loi spécifique en vigueur519.

Si le principe de subsidiarité, au sein de l’ordreΝconventionnelΝsembleΝdansΝunΝpremierΝ temps lier la compétence nationale à la création de limites, il semble aussi, dans un second temps, engager les Etats parties non pas à une hiérarchisation des protections mais à une complémentarité des protections des droits prévues par la Convention et par les ordres nationaux.

2. L’objectif de complémentarité des protections des droits

Le principal objectif du principe de subsidiarité est d’établir une logique de complémentarité des protections des droits. Cette complémentarité emporte des conséquences tant sur le plan matériel que juridictionnel.

ωontrairementΝauΝdroitΝdeΝl’UE,ΝquiΝprévoitΝdeΝfaçonΝexpliciteΝetΝmêmeΝexhaustiveΝleΝ principeΝ deΝ subsidiaritéΝ substantielleΝ ainsiΝ queΝ duΝ contrôleΝ deΝ l’applicationΝ du droit, la ωonventionΝ EϊώΝ n’apporteΝ queΝ desΝ référencesΝ implicitesέΝ δaΝ dimensionΝ substantielleΝ duΝ principeΝ deΝ subsidiaritéΝ apparaît,Ν indirectement,Ν àΝ l’articleΝ η3Ν quiΝ disposeΝ qu’« aucune des dispositions de la présente convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits […] reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie ». Cet article vise à établir un standard minimum de protection des droits fondamentaux520, qui ne peut être transgressé. La

518 B. DELZANGLES, Activisme et autolimitation de la Cour européenne des Droits de l’Homme, op. cit., p. 174. 519 Cour EDH, plénière, 29 avril 1988, Belilos contre Suisse, n°10328/83.

520 G.COHEN-JONATHAN, « δaΝfonctionΝquasiΝconstitutionnelleΝdeΝlaΝωourΝeuropéenneΝdesΝdroitsΝdeΝl’homme,Ν

Renouveau du droit constitutionnel », in Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Paris : Dalloz, 2007, pp.

Convention EDH ne vise donc pas à se substituer au droit national mais à le compléter afin de garantir un standard minimum de protection521. La subsidiarité substantielle justifie la reconnaissance,ΝauΝprofitΝdesΝEtats,Νd’uneΝmargeΝnationaleΝd’appréciation dansΝl’interprétationΝ etΝl’applicationΝdesΝdroitsΝconventionnelsέΝωetteΝreconnaissanceΝestΝtributaireΝduΝprincipeΝdeΝ subsidiarité,ΝdontΝl’inhérenceΝauΝsystèmeΝdeΝlaΝωEϊώΝestΝ manifeste522έΝ IlΝs’agitΝenΝ effetΝdeΝ l’expressionΝ jurisprudentielleΝ duΝ principeΝ deΝ subsidiarité,Ν quiΝ confèreΝ auxΝ EtatsΝ unΝ pouvoirΝ d’appréciationΝdansΝlaΝmiseΝenΝœuvreΝdesΝlimitationsΝauxΝdroitsΝprotégésΝetΝmarque la retenue du contrôle européen523.

Le juge européen, en considérant que les autorités nationales ont une meilleure connaissance des circonstances nationales d’application de la Convention, constate qu’il leur incombe en premier lieu le soin de mettre en œuvre les exigences de la Convention524. Cet article concrétise la priorité nationale dans la protection des droits de l’homme en donnant lieu à protection nationale plus développée par rapport à celle fournie par la Convention EDH. Le caractère subsidiaire de la compétence de la Cour dans la mise en œuvre des droits de l’homme le conduit à tenir compte des données du droit national lorsqu’il s’agit d’apporter des réponses à l’ingérence de la Convention.

Par conséquent, si la norme nationale est plus protectrice que la norme européenne, c’est la norme nationale qui doit s’appliquer. Inversement, si la norme de la Convention européenne est plus protectrice, elle doit prévaloir sur la norme nationale, même s’il s’agit d’une norme constitutionnelle. Les Cours nationales peuvent alors, en vertu de cette exigence européenne, mettre en œuvre la Convention sans lui attribuer de rang hiérarchique spécifique dans l’ordre interne mais en essayant de garantir la protection des droits fondamentaux conformément aux dispositions de la Convention.

Enfin, le caractère subsidiaire de la Convention traduit l’absence de hiérarchisation des normes garantissant la protection des droits fondamentaux. Or, ce même principe demande la mobilisation du juge national, afin de compléter le droit interne avec les exigences issues de la Convention. La complémentarité des protections des droits se reflète ainsi sur le plan

521 D. SZYMCZAK, La Convention européenne des droits de l'homme et le juge constitutionnel national,

Bruxelles : Bruylant, 2006, pp. 252-253.

522 Th. PAPADIMITRIOU, La régulation des rapports entre l'ordre constitutionnel français et l'ordre juridique de

l'Union européenne par le Conseil constitutionnel, Thèse, Université Paris I, 2010, p. 169.

523 F.SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 11e éd., 2012, p. 231 et 792. Selon

l’auteur,Ν « deΝ cetteΝ prioritéΝ duΝ systèmeΝ nationalΝ deΝ protectionΝ desΝ droitsΝ deΝ l’homme,Ν issueΝ deΝ laΝ règleΝ deΝ l’épuisementΝdesΝvoiesΝdeΝrecoursΝinternes,ΝlaΝωourΝtireΝuneΝconséquenceΝquiΝvaΝbienΝau-delàΝdeΝl’articleΝ35 de la Convention. Selon elle, cette analyse qui fonde la théorie dite de la « margeΝ d’appréciation » autolimite de manière quelque peu surprenante le contrôle judiciaire européen ».

juridictionnel où la priorité est accordée aux Etats parties pour mettre en œuvre la Convention.

B. Le principe de subsidiarité conduisant à la hiérarchisation des compétences

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