• Aucun résultat trouvé

La place accordée au droit de l’Union européenne, conformément à une logique non hiérarchique

Chapitre II. La place des droits européens dans l’ordre interne

Section 1. La place de la Convention EDH dans l’ordre interne

B. La place accordée au droit de l’Union européenne, conformément à une logique non hiérarchique

Ordre qui présente une organisation fonctionnelle imparfaite, l’ordre de l’UE renvoie aux Etats membres l’application effective du droit de l’UE sans pour autant établir une hiérarchie déclinée à la fois sur le plan normatif et sur le plan organique616 (1). Afin de

613 Voir M. LUCIANI, « δ’interprétationΝconformeΝetΝleΝdialogueΝdesΝjuges,ΝleΝdialogueΝdesΝjuges », in Mélanges

en l’honneur du président Bruno Genevois, op. cit., p. 701.

614 Fr.-X. MILLET, L’Union européenne et l’identité constitutionnelle des Etats membres, Paris : LGDJ, 2013, p.

293.

615 A.LEVADE, « Identités constitutionnelles et hiérarchies », op. cit., p. 459.

616 Th. PAPADIMITRIOU, La régulation des rapports entre l'ordre constitutionnel français et l'ordre juridique de

satisfaire à ce but, les ordres internes sont amenés à appliquer prioritairement le droit de l’UE sans pour autant méconnaître le principe de suprématie constitutionnelle (2).

1. La coordination du principe de primauté et du principe de subsidiarité juridictionnelle en vue de garantir l’efficacité du droit de l’Union européenne

Du point de vue du droit de l’UE, le but de l’affirmation du principe de primauté est la garantie de l’unité et de l’efficacité du droit de l’UE de sorte que la validité des actes arrêtés par les institutions de l’Union ne saurait être appréciée qu’en fonction du droit de l’UE et non pas en fonction de règles ou notions juridiques du droit national617.

En effet, la doctrine de l’effet utile qui se projette dans les rapports avec les ordres juridiques nationaux au même titre que l’effet direct et la primauté est indissociable du devoir de coopération loyale qui s’impose aux Etats membres et du mécanisme décentralisé d’application juridictionnelle qui caractérise l’ordre juridique de l’UE618

. Ainsi, la solution apportée à l’absence de moyens propres visant à garantir l’exécution du droit de l’UE est liée aux moyens institutionnels et procéduraux mis au service de l’application du droit de l’UE, et nommément du rôle assigné en la matière au juge national619. L’ordre de l’Union repose donc sur la garantie de son efficacité par le juge national.

C’est dans ce contexte qu’apparaît la notion de subsidiarité juridictionnelle. La subsidiarité juridictionnelle n’est pas un principe explicitement prévu dans les Traités. Néanmoins, il imprègne la régulation des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales. En tant qu’organes régulateurs, la Cour de justice et les juges constitutionnels ou suprêmes nationaux se chargent de ce contrôle de la normativité spécifique qui se fait jour dans l’articulation entre les exigences issues des ordres juridiques

617 G. CANIVET, « ‘Constitution nationale et ordre juridiqueΝcommunautaire’ ‘contre-éloge de la tragédie’ », in J.-

Cl. MASCLET et al. (dir.), L’union européenneέ Union de droit, union des droits, Mélanges en l’honneur du Professeur Philippe Manin, Paris : éd. A. Pédone, 2010, pp. 611-624, (p. 613).

618 J. L. DA CRUZ VILAÇA, « δeΝprincipeΝdeΝl’effetΝutileΝduΝdroitΝdeΝl’UnionΝdansΝlaΝjurisprudenceΝdeΝlaΝωour », in

A. ROSAS, E. LEVITS, Y. BOT (dir.), La Cour de Justice et la construction de l'Europe :analyses et perspectives

de soixante ans de jurisprudence, The Hague : Asser Press, 2013, pp. 279-306, (p. 280).

619 Th. PAPADIMITRIOU, La régulation des rapports entre l'ordre constitutionnel français et l'ordre juridique de

nationaux et celles du droit de l’Union620

. La subsidiarité juridictionnelle apparaît alors comme un « concept régulateur »621.

A cet égard, il renvoie à l’autonomie procédurale des Etats membres et à la marge d’appréciation des autorités nationales en vue d’assurer l’application homogène du droit de l’UE. Les Etats sont donc tenus, en faisant appel aux moyens fournis par le droit constitutionnel et administratif, d’atteindre les objectifs fixés par les Traités622

. Le respect des diversités nationales est inhérent à la logique de subsidiarité. Il s’agit en effet des diversités qui sont susceptibles d’être respectées à l’issue du principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale.

En effet, c’est à l’occasion des arrêts Lück623 et Salgoil624 que la Cour de justice affirme qu’il appartient aux organes et juridictions nationaux compétents de décider des moyens susceptibles de garantir la conformité des normes internes au droit de l’Union. Les Etats sont ainsi libres d’organiser leur procédure nationale comme ils le souhaitent, cette liberté étant affirmée dans les arrêts Rewe et Comet625. Ces deux arrêts confirment, en dépit du silence des arrêts Van Gend en loos et Costa, que l’ordre juridique interne assume une responsabilité capitale pour la sauvegarde des droits issus de l’UE626

.

Globalement, on peut dire que les Etats membres sont tenus dans la mise en œuvre du droit de l’Union d’une obligation de résultat, en usant des moyens que leur fournit leur droit constitutionnel et administratif national pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés en signant les traités627. Le renvoi à l’autonomie procédurale et institutionnelle des Etats membres est la règle628. Sur un plan général, le principe de primauté combiné à la doctrine de

620 ibid., p. 34

621 D.SIMON, Le système juridique communautaire, op. cit., p. 151.

622 D.SIMON, « EtatΝdeΝdroitΝetΝcompétencesΝdeΝl’UnionΝeuropéenne », in Construction européenne et Etat de

droit, op. cit., p. 27.

623 CJCE, 4 avril 1968, Lück, aff.34/67, Rec. 1968, p.359.

624 CJCE, 13 décembre 1968, Salgoil cέ Ministerio del commercio con l’estero, aff. 13/68, Rec. 1969, p. 661. cf.

aussi M. STRUYS, L. FLYNN, « δaΝsubsidiaritéΝauΝseinΝdeΝl’UnionΝeuropéenne : la dimension juridictionnelle », in

M. Verdussen (dir.), L’Europe de la subsidiarité, Bruxelles : Bruylant, 2000, pp. 201-250, (p. 229 et suiv.).

625 CJCE, 16 décembre 1976, Comet, aff. 45/76, Rec.1976, p. 2043 ; CJCE, 7 juillet 1981, Rewe, aff. 158/80,

Rec. 1981, p. 1805, point 44, le traité « n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national ».

626 M. KARPENSCHIF, C. NOURISSAT, Les grands arrêts de la jurisprudence de l'Union européenne, Paris : PUF,

2010, p. 76.

627 CJCE, 15 décembre 1971, International Fruit Company NV et autres contre Produktschap voor groenten en

fruit, aff. 51 à 54/71, Rec. 1972, p. 1219, point 4.

628 δ’autonomieΝinstitutionnelleΝetΝprocédurale est reconnue et affirmée depuis longtemps par la Cour de justice

(à propos des arrêts Rewe et Commet,Νprécités)έΝToutefois,ΝlaΝtraductionΝdeΝlaΝnotionΝd’autonomieΝinstitutionnelleΝ et procédurale en termes conceptuels apparaît dans la jurisprudence de la Cour assez tardivement (CJCE, 16 mars 2006, Kapferer, C-234/04, Rec. 2006 p. I-2585, point 22 et CJCE, 29 janvier 2009, Petrosian, C-19/08, Rec. 2009 p. I-495 point 47et 52).

l’effet utile se décline en termes de rang et pas de validité629. Ainsi, la garantie de l’efficacité du droit de l’UE, source et raison d’être de la primauté, devient le synonyme d’une priorité d’application du droit de l’UE dans l’ordre interne et pas une exigence conduisant à la subordination hiérarchique des ordres juridiques des Etats membres à l’ordre de l’UE630

. La garantie de l’efficacité du droit de l’UE renvoyant au principe de subsidiarité, il va de soi que les juridictions internes deviennent compétentes pour garantir la spécificité de leur ordre juridique de rattachement631. Or, la prépondérance des règles internes sera toujours accordée à l’objectif de pleine efficacité du droit de l’UE632

.

2. La coordination de la priorité d’application du droit de l’Union européenne, de la suprématie constitutionnelle et de l’identité constitutionnelle

AborderΝlaΝquestionΝdeΝlaΝplaceΝduΝdroitΝdeΝl’UEΝdansΝl’ordreΝinterneΝenΝs’appuyantΝsurΝ la notion de primauté du droitΝ deΝ l’UEΝ ouΝ deΝ suprématieΝ constitutionnelle ne semble pas satisfaisantΝpourΝdécrireΝleΝrapportΝentreΝleΝdroitΝdeΝl’UEΝetΝleΝdroitΝconstitutionnelΝnationalέΝδaΝ primauté européenne, reste un principe explicitement affirméΝquiΝimprègneΝl’ordreΝdeΝl’UEέΝ τr,Ν ceΝ principeΝ renvoieΝ àΝ desΝ rapportsΝ conflictuelsέΝ τnΝ neΝ sauraitΝ alorsΝ s’appuyerΝ surΝ leΝ principe de primauté pour assurer la complémentarité des rapports entre droit constitutionnel etΝ droitΝ deΝ l’UnionΝ quiΝ tendΝ garantirΝ l’effectivitéΝ duΝ droitΝ deΝ l’UEΝ dansΝ l’ordreΝ interneέΝ δaΝ hiérarchisationΝ desΝ règlesΝ n’aΝ doncΝ d’utilitéΝ enΝ dehorsΝ deΝ laΝ structurationΝ d’unΝ seulΝ ordreΝ juridique633έΝIlΝsembleΝdèsΝlorsΝpréférableΝd'aborderΝlaΝquestionΝdeΝlaΝplaceΝduΝdroitΝdeΝl’UnionΝ dansΝl’ordreΝinterne,ΝenΝs’éloignantΝdeΝlaΝthéorieΝtraditionnelleΝdeΝlaΝhiérarchieΝdesΝnormes. Afin de satisfaire aux exigences européennes et aux exigences constitutionnelles, la question deΝlaΝplaceΝduΝdroitΝdeΝl’UEΝdansΝl’ordreΝinterne se pose en termes de prévalence du droit de l’UEέΝωetteΝnotionΝneΝrenvoieΝpasΝàΝunΝagencementΝhiérarchiqueΝentreΝleΝdroitΝconstitutionnelΝ etΝeuropéenΝmaisΝestΝ conçueΝenΝtantΝqueΝprioritéΝd’application duΝdroitΝ deΝl’UE,Ν enΝ vue de garantirΝl’efficacitéΝduΝdroitΝdeΝl’UE sans pour autant affirmer la supériorité normative de la

629 Fr.-X. MILLET, L’Union européenne et l’identité constitutionnelle des Etats membres, op. cit., p. 292.

630 Th. PAPADIMITRIOU, La régulation des rapports entre l'ordre constitutionnel français et l'ordre juridique de

l'Union européenne par le Conseil constitutionnel, op. cit., p. 17.

631 ibid., p. 176.

632 C. KAKOURIS, « Existe-t-il une « autonomie » procédurale judiciaire des Etats membres ? » in Etat - Loi -

Administration : melanges en l'honneur de Epaminondas P. Spiliotopoulos, Athènes-Bruxelles : éd. A.

Sakkoulas, Bruylant, 1998, pp. 159-1ιλ,Ν(pέΝ1ι4)έΝδ’auteurΝpenseΝqu’ilΝn’existeΝpasΝuneΝautonomieΝprocéduraleΝetΝ que la primauté des dispositions communautaires matérielles ne peut être écartée pour des raisons procédurales. δeΝdroitΝprocéduralΝnationalΝn’estΝapplicableΝqueΝdansΝlaΝmesureΝoùΝilΝcontribueΝàΝl’objectifΝdeΝpleineΝefficacitéΝ duΝdroitΝdeΝl’Unionέ

règle qui conduit à son application prioritaire634. Dans ce contexte, le respect du principe de suprématie constitutionnelleΝn’estΝpasΝméconnuέΝ

En effet, la suprématie constitutionnelle semble être une notion conciliable avec la prioritéΝd’applicationΝqu’exigeΝleΝdroitΝdeΝl’UnionέΝδaΝprioritéΝd’applicationΝduΝdroitΝdeΝl’UEΝ répond à une exigence de cohérence interne ; la Constitution permet elle-mêmeΝl’intégrationΝ duΝ paysΝ ainsiΝ queΝ saΝ participationΝ àΝ l’UnionΝ européenne,Ν elleΝ devraitΝ égalementΝ permettreΝ l’applicationΝ desΝ règlesΝ deΝ l’UE,Ν conformémentΝ auxΝ engagementsΝ prisΝ parΝ laΝ ύrèce635. Cet argumentΝestΝrenforcéΝparΝl’existenceΝdeΝfondementsΝconstitutionnelsΝàΝlaΝréceptionΝduΝdroitΝdeΝ l’UnionΝdansΝleΝsystèmeΝnationalέΝδaΝdistinctionΝduΝdroitΝdeΝl’UnionΝeuropéenneΝetΝduΝdroitΝ international général est fondée par la Constitution elle-même et parΝl’existenceΝdesΝalinéasΝ2Ν et 3 de son article 28, lesquels, bien que ce ne soit pas affirmé explicitement, concernent prioritairementΝleΝdroitΝdeΝl’UEέΝIlΝsembleΝlogiqueΝque,ΝsousΝcertainesΝconditions,ΝlaΝdélégationΝ des compétences puisse parfois conduireΝleΝjugeΝgrecΝàΝprioriserΝl’applicationΝduΝdroitΝdeΝl’UEΝ y compris au détriment des dispositions constitutionnelles équivalentes636. En outre, la restriction de la souveraineté nationale, également prévue par la Constitution en faveur du droitΝdeΝl’UnionΝeuropéenne,ΝvientΝauΝsoutienΝdeΝl’argumentΝdeΝlaΝprioritéΝd’applicationΝduΝ droitΝdeΝl’UEέ

ϊeΝplus,ΝlaΝsubsidiaritéΝjuridictionnelle,ΝinvoquéeΝenΝvueΝdeΝlaΝgarantieΝdeΝl’efficacitéΝduΝ droitΝdeΝl’UE, implique que les compétences de la Cour de justice seraient mieux garanties par la vigilance, notamment, des juridictions nationales. Or, le principe de subsidiarité juridictionnelle,Ν quiΝ relèveΝ égalementΝ duΝ respectΝ deΝ l’autonomieΝ institutionnelleΝ etΝ procédurale, donne aux juges internes la possibilité de poser des limites et de définir les éléments relevant de leur identité constitutionnelle. De ce point de vue, il revient au juge nationalΝ deΝ définirΝ lesΝ principesΝ relevantΝ deΝ l’identité constitutionnelle selon les caractéristiquesΝpropresΝàΝl’ordreΝjuridiqueΝnationalΝauquelΝilΝestΝrattachéέΝϊansΝl’ordreΝgrec,Ν les limites nationales, en raison de la primauté du droit de l'UE, sont donc principalement liées aux conditions posées par l'article 28 alinéa 3 de la Constitution grecque qui vise les conditionsΝdesΝrestrictionsΝàΝl’exerciceΝdeΝlaΝsouverainetéΝnationaleέΝ

634 ibid., p. 71.

635 E. VENIZELOS, Le traité de Maastricht et l’espace communautaire constitutionnel, Athènes-Komotini : éd. A.

Sakkoulas, 1994, p. 14.

§2. La place « exceptionnelle » des engagements issus du plan de sauvetage : La concordance des buts européens et étatiques

SiΝ laΝ placeΝ accordéeΝ auΝ droitΝ deΝ l’UEΝ dansΝ l’ordreΝ interneΝ seΝ concilieΝ tantΝ avecΝ lesΝ principesΝ constitutionnelsΝ qu’européens,Ν ilΝ n’enΝ vaΝ pasΝ deΝ mêmeΝ desΝ engagementsΝ issusΝ duΝ plan de sauvetage, conçus comme des règles de conformation à des obligations découlant du droit européen. La crise économique en Grèce est si profonde que le pays a été mis en situation de dépendance financière par ses créanciers637έΝIlΝconvientΝdeΝconstaterΝqu’enΝdehorsΝ du cadre juridique, la souveraineté des Etats est fortement liée à leur indépendance économique638. Toutefois, la stabilité budgétaire, relative à la stabilité des prix sur les marchés etΝ àΝ laΝ disciplineΝ budgétaire,Ν estΝ unΝ butΝ essentielΝ deΝ l’ordreΝ juridiqueΝ deΝ l’UEΝ ainsiΝ qu’uneΝ condition nécessaire pour le bon fonctionnement et le développement économique et social de tousΝlesΝpaysΝmembresΝdeΝl’UE639.

ωelaΝ étant,Ν unΝ nouveauΝ droitΝ économiqueΝ apparaît,Ν dontΝ laΝ miseΝ enΝ œuvreΝ remetΝ enΝ cause la légitimité constitutionnelle (B) au moment même où la Grèce est juridiquement et actuellement obligée de respecter des règles imposées par ses créanciers et organes prêteurs. τr,Ν leurΝ miseΝ enΝ œuvreΝ estΝ susceptibleΝ deΝ porterΝ atteinteΝ tantΝ auxΝ règlesΝ constitutionnellesΝ qu’européennes640 (A).

A. L’engagement de la Grèce à suivre la politique prescrite par le plan du

Outline

Documents relatifs