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SYSTEMES SOCIOTECHNIQUES INNOVANTS : VERS DES CONDITIONS PROPICES A UN DEBAT SUR LES VALEURS AU PLUS TOT DANS LE

PARTIE 2 PROBLEMATIQUE ET STRATEGIE DE RECHERCHE

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Chapitre 4 : Problématique

Notre travail a pour objectif de montrer comment est mobilisée la dimension idéologique, en conception collaborative de systèmes sociotechniques citoyens innovants imprégnés de « valeurs fortes » (partage des ressources, entraide communautaire, écologie, cohésion sociale, économie, etc.) qui sont déterminantes pour la mise en place de la future activité collective ; dans le but d’anticiper l’acceptabilité et le développement de tels systèmes.

Nous situant dans le contexte du développement durable (Jacquemot, 2015) et des pratiques de consommations collaboratives, durables et localisées ; nous situant aussi dans le contexte de l’Innovation Sociale qui transforme l’organisation de la société civile (Richez-Battesti, Petrella & Vallade, 2012) ; nous situant enfin dans le contexte de l’Ergonomie Prospective (Brangier & Robert, 2014) ; nous nous sommes intéressés de manière proactive à un système sociotechnique citoyen innovant empreint d’une forte dimension idéologique : le quartier collaboratif et durable, proposant une gestion durable et partagée des ressources. L’examen de la littérature sur cet objet particulier (chapitre 2) nous a permis de soulever les points suivants :

1) L’organisation des citoyens est de type communautaire et chaque individu négocie son « comment être » ainsi que l’identité de son groupe social (Wenger, 1998). L’organisation communautaire est une organisation qui se régule de façon autonome (Reynaud, 1997) si on favorise la communication entre les membres, les discussions sur les insatisfactions de chacun, la reconnaissance de leaders potentiels, la mise en place d’un règlement pour dicter les procédures, etc. (Ross, 1955).

2) Le quartier est un construit social (espace socialement vécu) qui n’a ni formes, ni dimensions prédéfinies (Altman & Wandersman, 1987 ; Fischer, 2011). Le quartier « idéal » existe à partir du seul critère de reconnaissance qu’en ont les habitants. Cette vision prend naissance à partir des représentations sociales qui guident la façon de « penser le quartier » (Jodelet, 2003 ; Félonneau, 2003) ; et des projections sur les activités qui orientent l’organisation spatiale des lieux (Fischer, 1997 ; Fischer, 2004 ; Fischer, 2011). La culture locale s’établit sur la base d’un système de valeurs partagées (Schwartz, 1992). Elle engendre des normes sociales locales qui manifestent la préférence du groupe quant à ce qui est acceptable ou non au sein de la communauté (Demeulenaere, 2003).

3) Une gestion plus écologique des ressources peut passer par la mise en commun de certains objets, services et savoirs, mais aussi par une gouvernance plus citoyenne des « communs » (Landman & Videau, 2016). C’est ce que l’on retrouve dans le courant de la consommation collaborative (Borel, Demailly & Massé, 2015). Néanmoins, malgré une démarche qui soutient les valeurs de partage et d’équité sociale (Botsman & Rogers, 2011), ainsi que la crise écologique et environnementale (Demailly & Novel, 2014), les pratiques de l’économie collaborative sont bien plus complexes (Borel & al., 2015). Le partage des ressources motivent les individus pour des raisons écologiques, altruistes, sociales ou encore économiques (Hamari, Sjöklint & Ukkonen, 2015). Ainsi, derrière un même usage collaboratif (covoiturage, vélo-partage, épiceries partagées, etc.) peuvent en réalité se cacher des conflits de valeurs.

68 4) La gestion collective et écologique des ressources communes questionne les motivations individuelles, les normes sociales, l’organisation du groupe, l’aménagement des espaces et l’apport des nouvelles technologies :

o D’une part, les comportements pro-environnementaux peuvent refléter des motivations d’ordre rationnelles (Davis, Bagozzi & Warshaw, 1989 ; Ajzen, 1991 ; Hines, Hungerford & Tomera 1986), économiques (Jacoby, 2000), altruistes (Schwartz, 1973 ; Schwartz, 1977), idéologiques ou encore sociales (Stern, Dietz, Abel, Guagnano & Kalof, 1999 ; Stern, 2000).

o D’autre part, les normes sociales influencent les normes personnelles et les comportements individuels, mais elles influencent aussi les règles collectives (Cialdini, Reno & Kallgren, 1990). Les facteurs contextuels et organisationnels impactent également l’adoption de comportements éco-citoyens (Lo, 2012 ; Young, Davis, McNeill, Malhotra, Russell & al., 2013 ; Labbouz, 2015). La capacité d’une organisation à créer de l’engagement, de la cohésion sociale, des situations propices à l’apprentissage, etc., favorise l’émergence des pratiques environnementales.

Nous avons soulevé que ces théories et concepts permettaient de comprendre les enjeux (sociaux, matériels, organisationnels et idéologiques) de tels systèmes innovants. En revanche, ils sont difficilement mobilisables a priori dans le sens où ils s’appréhendent sous la forme de retours d’expériences (Moser & Weiss, 2003). Selon Stern (2011), les recherches en psychologie de l’environnement devraient davantage s’intéresser à la conception : la conception de nouvelles communautés, la conception de villes attractives, d’infrastructures urbaines qui appellent à l’éco- citoyenneté, etc. Dans cette idée, les recherches sur les organisations, les communautés et les facteurs humains sont des aides précieuses (Ibid.).

A contrario, l’anticipation des usages et le développement des organisations intéressent l’ergonomie de conception. Nous retiendrons, suite à notre examen de la littérature (chapitre 1 et chapitre 3), les points suivants :

1) La conception organisationnelle en ergonomie concerne principalement les situations de travail (Petit & Coutarel, 2014). Elle vise à la fois le développement des systèmes et le développement des personnes (Arnoud, 2013 ; Petit & Coutarel, 2014 ; Barcellini, 2015) ; ainsi que l’appropriation des nouvelles organisations (Arnoud & Falzon, 2013). L’organisation du travail mobilise une dimension sociotechnique mais également une dimension psychosociale relative à l’engagement subjectif (motivations personnelles, valeurs, etc.) des acteurs (Van Belleghem, De Gasparo & Gaillard, 2013).

2) Pour accompagner des changements organisationnels, l’ergonomie utilise généralement la simulation de l’activité future (Daniellou, 2004 ; Daniellou, 2012 ; Barcellini, Van Belleghem & Daniellou, 2014) pour faire jouer aux personnes concernées des scénarios généralement proposés par les prescripteurs du travail (Barcellini & al., 2014). La simulation permet de se projeter et d’anticiper la réalisation de l’activité (Béguin & Cerf, 2004 ; Daniellou, 2007). Dans le cas d’une conception organisationnelle, elle permet de simuler des règles effectives et des régulations chaudes (Van Belleghem, 2012). Les discussions sur l’activité simulée encouragent l’élaboration de solutions de conception

69 organisationnelles négociées (débat sur les règles) et l’évocation des conditions de leur acceptabilité (débat sur les valeurs et le sens du travail).

3) La conception collaborative est un processus qui vise à confronter et à combiner les points de vue (Schmidt, 1994 ; Détienne, 2006), à co-élaborer une vision partagée des problèmes à résoudre et à co-construire des stratégies pour y faire face (Roschelle & Teasley, 1995). Elle implique des interactions communicatives (Savoyant & Leplat, 1983) fonctionnelles (Falzon, 1994) qui permettent l’élaboration de la représentation partagée et l’accomplissement de la tâche ; mais aussi argumentatives et constructives (Baker, 1996 ; Baker, 1999 ; Détienne, Martin & Lavigne 2005 ; Baker, 2004) qui favorisent l’élaboration de connaissances sur la situation. L’évocation de critères et d’arguments en conception collaborative n’est pas seulement logique et rationnelle. Elle dépend aussi du contexte, des caractéristiques de la situation à concevoir et des caractéristiques du groupe concerné. On retrouve dans l’argumentation, deux dimensions épistémiques : une relative à la tâche et une relative aux relations interpersonnelles (Darses, 2006 ; Baker, Détienne, Lund & Séjourné, 2009 ; Détienne, Baker, Fréard, Barcellini, Denis & Quignard, 2016).

4) La dimension idéologique en conception s’appréhende au plus tôt dans le processus de conception à travers le concept de l’acceptabilité sociale (Bobillier Chaumon, 2013). Celle- ci tient compte de la subjectivité de l’utilisateur (son expérience personnelle, ses valeurs, sa culture, ses représentations, etc.) et des dimensions socioprofessionnelles et culturelles qui entourent l’artefact innovant (Bobillier Chaumon, 2013 ; Quiguer, 2013 ; Bobillier- Chaumon, Dubois & Retour, 2006). Une fois la technologie déployée dans l’organisation, c’est l’acceptation située qui est mobilisée. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’apprentissage de l’artefact, à la transformation des dispositifs en situation, aux remaniements des jeux des acteurs et aux remises en cause des pouvoirs, des légitimités, des autonomies et des régulations (Bobillier Chaumon, 2013).

5) Enfin, qu’il s’agisse de concevoir des technologies, des services, des produits ou des organisations, le processus de conception en ergonomie articule toujours une phase d’identification du contexte (analyse de la demande en ergonomie de conception, tendances sociétales en ergonomie prospective), une phase de création de solutions et une phase de simulation / test de ces solutions. L’ensemble est réitéré jusqu’à ce que les solutions soient suffisamment acceptables pour les individus concernés par le projet.

En conclusion des chapitre 1 et 3, nous avons soulevé qu’il était pertinent pour l’ergonomie de s’intéresser à la conception collaborative de systèmes sociotechniques citoyens innovants, notamment des systèmes empreints d’une forte dimension idéologique. Peu d’études se sont penchées sur une dimension épistémique relative à l’idéologie en situation de co-conception de solutions sociotechniques. De même, la dimension idéologique en conception organisationnelle (valeurs et sens du travail) est appréhendée pour des situations de travail qui ne sont jamais totalement nouvelles (situations « non innovantes »). Enfin, l’anticipation de la dimension idéologique en conception innovante (acceptabilité sociale) concerne des dispositifs technologiques ainsi que des produits, et non pas des innovations sociales et organisationnelles à destination de la société civile.

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