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LA CONCEPTION COLLABORATIVE DE SYSTEMES DE TRAVAIL : ARGUMENTER DES CONTENUS EPISTEMIQUES RATIONNELS ET

ARTICULER LES DIMENSIONS SOCIOTECHNIQUE ET PSYCHOSOCIALE DES ACTIVITES COLLECTIVES

2. LA CONCEPTION COLLABORATIVE DE SYSTEMES DE TRAVAIL : ARGUMENTER DES CONTENUS EPISTEMIQUES RATIONNELS ET

INTERPERSONNELS

Dans la section précédente, nous avons montré qu’il existait à la fois des critères sociotechniques (tâches, règles, régulations, etc.) et des critères psychosociaux (subjectivité, valeurs, etc.) pour la mise en place d’une organisation de travail efficiente. L’ensemble est mis régulièrement en débat par les intéressés (prescripteurs du travail, travailleurs, etc.) notamment pour (re)concevoir l’organisation. Dans cette section, il s’agit alors de souligner les caractéristiques de la conception collaborative de systèmes de travail. Cette dernière se base à la fois sur des critères d’ordre rationnel (logique de conception, logique des procédures et des actions) et sur des critères qui concernent les relations interpersonnelles. Dans un premier temps, nous définissons la conception collaborative. Puis nous présentons les activités sociocognitives de la conception collaborative, qui permettent à la fois de donner « forme » (intégration des solutions de conception) et de gérer les points de vue (intégration des connaissances et des significations individuelles). Enfin, nous détaillons le rôle de la négociation vis-à-vis de l’intégration des idées de chacun ; ainsi que les dimensions mises en jeu durant les activités argumentatives.

2.1. Définition de la conception collaborative

La conception collaborative est une activité collective dont l’objectif commun de chaque coéquipier (Barthe & Quéinnec, 1999) est la résolution d’un problème large, complexe et non circonscrit. Il en résulte une collaboration entre des acteurs aux compétences diverses qui tentent de trouver des solutions face à une problématique floue, mal définie et pour laquelle il n’existe pas a priori de résultat prédéterminé (Darses & Falzon, 1996). Une première activité collaborative de conception consiste en la génération de solutions acceptables, mais pas forcément optimales (Ibid.) ; et cela dans le but de spécifier un artefact à partir de besoins exprimés, de fonctionnalités éventuellement référencées et d’objectifs à atteindre (Visser, 2004).

18 Il existe deux autres types d’activités collaboratives, toutes deux retrouvées durant un processus de conception et qui peuvent concerner tous les participants (Darses & Falzon, 1996). La distinction suivante tient compte de l’intégration des buts entre les différents membres du projet de conception :

1) Une activité de co-conception13 (ou de collaboration pour Roschelle & Teasley, 1995) au sein de laquelle les solutions sont élaborées conjointement. Les participants partagent des buts immédiats identiques (Barthe & Quéinnec, 1999) et contribuent ensemble, avec leurs compétences respectives, à la résolution du problème. Dans cette activité, c’est la synchronisation cognitive, et donc la construction et la négociation d’un référentiel opératif commun (de Terssac & Chabaud, 1990), qui domine. Le référentiel commun regroupe les représentations mentales et artefactuelles du problème. La synchronisation cognitive vise à s’assurer que chaque participant est conscient du problème à résoudre et qu’il partage la même bibliothèque de connaissances et les mêmes savoirs que les autres vis-à-vis de l’objet à concevoir (Falzon, 1994).

2) Une activité de conception distribuée (ou de coopération pour Roschelle & Teasley, 1995) dans laquelle les participants sont engagés simultanément dans la résolution du problème, mais pas conjointement. Les buts immédiats de chaque coéquipier sont différents et leurs activités respectives s’apparentent à un phénomène de coaction (Barthe & Quéinnec, 1999). Dans cette activité, c’est la synchronisation temporo-opératoire qui domine. Elle entraine des activités de coordination et vise à s’assurer que les tâches (Falzon, 1994) sont bien réparties entre les participants (synchronisation opératoire), sont bien séquencées dans le temps (synchronisation temporelle) et sont gérées efficacement du point de vue de leur interdépendance (Détienne, 2006).

Les deux processus de synchronisation (cognitive et temporo-opératoire) font appel à la communication et plus particulièrement au dialogue. Le partage d’informations (qu’il soit verbal ou non verbal) permet aux membres de clarifier leurs connaissances, de négocier leur répartition des tâches, de construire leur représentation partagée et de coordonner leurs différentes activités. Les communications peuvent être formelles ou informelles, planifiées ou opportunistes (Falzon, 1994 ; Darses & Falzon, 1996). Elles dépendent du type d’interaction entre les concepteurs (coprésence ou à distance) et des outils qu’ils utilisent pour échanger.

2.2. Les activités de la conception collaborative : cognitives mais aussi

sociales pour intégrer les significations de chacun

D’un point de vue socio-organisationnel, la conception collective est aussi un travail de communication et d’intégration des diverses compétences. Elle comporte des activités de conception individuelle, mais également des activités spécifiques à la collaboration telles que la coordination, le partage d’informations, la synchronisation, la résolution des conflits, etc. L’intérêt de la collaboration est d’étendre les capacités individuelles. Le travail collectif permet de combiner et de confronter les spécialités, les connaissances et les savoirs rendant ainsi les évaluations et les critiques mutuelles constructives pour le projet (Schmidt, 1994). Il est donc intéressant de rendre compte de ces activités collectives à travers une vision sociocognitive (Détienne, Baker & Visser, 2009).

19 On retrouve deux classes d’activités sociocognitives : 1) des activités centrées sur la tâche de conception (content-related activities, Stempfle & Badke-Schaub, 2002) ; et 2) des activités centrées sur le processus de conception (process-related activities, Ibid.).

2.2.1. Les activités centrées sur la tâche de conception

La première activité cognitive consiste à construire une représentation mentale du problème à résoudre (Visser, 2001). La complexité du problème et l’absence de procédures préalablement connues conduit les concepteurs à décomposer le problème en termes de sous-problèmes à analyser et de sous- buts à atteindre. Le caractère flou du problème initial conditionne ce besoin de le structurer. Ainsi, une première activité sociocognitive est de collaborer pour identifier l’objectif initial, déterminer les sous- objectifs et identifier les liens entre l’objectif initial et les sous-objectifs (Darses & Falzon, 1996).

La deuxième activité cognitive consiste à développer et générer des solutions (Visser, 2001). Les concepteurs peuvent soit réutiliser des solutions existantes (si le problème est similaire à un problème- source pour lequel il existe déjà une solution-source) ; soit évoquer et adapter des solutions développées lors du traitement d’un problème antérieur (en réutilisant un savoir circonstanciel) ; soit élaborer des solutions à partir de leurs connaissances respectives. Dans ce cas, il s’agit de connaissances générales, abstraites, non spécifiques à un problème, qui sont utilisées sous forme de déductions ou d’essais-erreurs (Falzon & Darses, 1996 ; Visser, 2001).

La troisième activité cognitive correspond à évaluer les solutions avancées (Visser, 2001). L’évaluation peut se faire sur des solutions partiellement développées. Elle consiste à confronter les solutions aux contraintes du projet mais aussi aux critiques et à l’acceptabilité des autres concepteurs. L’évaluation concerne aussi les contraintes et permet d’orienter la résolution du problème. Elle se fait majoritairement de façon spontanée (Falzon & Darses, 1992). Une évaluation négative peut correspondre à une contre-proposition immédiate utilisée comme un argument implicite contre la proposition initiale. Une évaluation positive peut quant à elle se manifester par le passage à « autre chose », signifiant alors que la proposition est implicitement validée par l’ensemble des concepteurs (Visser, 2001).

2.2.2. Les activités centrées sur le processus de conception

Les activités sociocognitives centrées sur le processus de conception permettent la gestion des points de vue et la construction des connaissances partagées. Dans cette classe d’activités, on retrouve le phénomène d’Awareness, relatif à la conscience mutuelle que les participants ont les uns envers les autres, et le phénomène de Grounding, relatif à la gestion de l’intelligence collective (Safin, 2011).

L’Awareness se définit comme avoir conscience de la situation, de ce qu’il se passe autour de nous. La « situation » englobe les autres (Qui collabore ?), leurs spécialités (Que savent-ils ?), leurs actions (Que font-ils ?), leurs idées (Que pensent-ils ?) et les outils qu’ils utilisent (Carroll, Neale, Isenhour, Rosson & McCrickard, 2003) ; mais elle englobe aussi les autres composantes de l’environnement (les machines, la temporalité, l’encadrement, les procédures, les évènements imprévus, etc.). On parle spécifiquement de collaborative awareness lorsque l’on se centre sur la conscience mutuelle entre personnes qui collaborent. Elle se décline en trois notions (Ibid.) :

 Le social awareness qui porte sur la compréhension du contexte social au sein duquel se déroule l’activité : Qui est là ? Avec qui je peux collaborer ?

20  L’action awareness qui porte sur la conscience de ce qui se passe concernant l’objet de conception. Elle permet de savoir quelles actions les autres investissent sur l’objet et comment l’objet est ainsi modifié à travers les différentes contributions.

L’activity awareness qui porte sur la conscience plus globale de « comment les choses se passent-elles ? ». Elle ne tient pas compte des seules actions sur l’objet commun, mais considère aussi les stratégies organisationnelles, les objectifs partagés, les rôles de chacun, la distribution, l’interdépendance et l’avancement des tâches, etc. Elle tient compte de toutes les composantes de l’activité collaborative de conception.

L’Awareness ne concerne pas seulement les activités collaboratives de conception, mais toutes les activités collaboratives en général. Elle est impactée par quatre types de facteurs : 1) les facteurs situationnels (possibilité de s’organiser, de communiquer efficacement) ; 2) les facteurs groupaux (habilités individuelles à savoir collaborer, volontés, motivations) ; 3) les facteurs liés à la nature de la tâche (distribution des actions complexe ou non, synchronisation facile ou non, etc.) ; et 4) les facteurs liés aux outils utilisés pour collaborer, qui peuvent être plus ou moins adaptés et efficients pour le projet en question (Carroll & al., 2003).

Le Grounding se définit comme la construction et le maintien d’un common ground (Clark & Brennan, 1991), autrement dit un espace partagé de références et de connaissances communes pour tous les participants. Ce référentiel opératif commun (de Terssac & Chabaud, 1990) est une représentation fonctionnelle partagée par les membres, qui oriente la collaboration. Elle contient l’ensemble des représentations mentales (stratégies, objectifs, procédures, savoirs, contraintes, etc.) et des représentations externes (dessins, plans, cahiers des charges, documents collectifs, etc.) du groupe, pour le projet de conception en question. Elle consiste à construire une intercompréhension de la situation et des ressources cognitives à travers la gestion des points de vue individuels et complémentaires.

Un point de vue est, pour un concepteur, une représentation personnelle de l’objet à concevoir. Il correspond à l’importance que l’individu attribue aux contraintes de conception. Cette importance résulte du domaine d’intérêt et donc des compétences et sensibilités du concepteur : Quel niveau de détails souhaite-t-il ? Que signifient les contraintes pour lui ? Comment a-t-il l’habitude de les appréhender ? (Martin, Détienne & Lavigne, 2001). Les points de vue peuvent être des combinaisons de contraintes (Ibid.) :

 Indépendantes des compétences individuelles : le point de vue est partagé sur des contraintes communes à tous les participants. Il peut cependant y avoir des ambiguïtés quant à la signification individuelle de ces contraintes.

 Dépendantes des compétences individuelles : le point de vue est spécifique à la spécialité de chacun. Il regroupe les contraintes et donc les solutions propres à chaque domaine d’intérêt.

 Partagées : ce qui signifie qu’il y a eu intégration des différents points de vue de chacun des concepteurs et que la solution se base désormais sur des connaissances partagées. A nouveau, il peut y avoir des ambivalences quant à la signification individuelle de ces contraintes.

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2.3. La négociation en conception collaborative : le support nécessaire à

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