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sociotechnique citoyen à forte dimension idéologique

1. LE QUARTIER : UN ESPACE SOCIAL ORGANISE REFLETANT UNE CULTURE ET DES VALEURS LOCALES

1.3. La dimension culturelle des espaces, les valeurs et les normes associées

Les espaces partagés, tels que les quartiers, sont le reflet d’une culture locale. Cette dernière est associée à des normes et à des valeurs propres aux individus et aux groupes qui partagent ces espaces.

1.3.1. La dimension culturelle des espaces

La dimension sociale des espaces ne peut être séparée de la dimension culturelle (Fischer, 2011). Les représentations sociales de l’environnement sont aussi indissociables des traits culturels (Jodelet, 2003). Elles mettent au jour certaines composantes idéologiques régulant les rapports des individus et

34 des groupes à l’environnement physique qui les entoure (Félonneau, 2003). L’usage et l’organisation des espaces répondent à des systèmes de valeurs qui déterminent les modes de vie et les relations sociales. Ainsi, toutes les sociétés possèdent des valeurs différentes quant aux frontières physiques, aux usages des espaces personnels, aux utilisations des espaces collectifs, etc. Par exemple, la structuration des espaces selon une dialectique ouverture/fermeture est le reflet de valeurs liées au besoin d’entretenir des relations avec autrui, ou d’affirmer un territoire, ou encore de maintenir une certaine intimité. Toutes les sociétés ne possèdent pas le même répertoire culturel vis-à-vis de ces motivations et de ces valeurs (Fischer, 2011).

Pour l’UNESCO21

, qui reprend la définition anthropologique (Tylor, 1964), « la culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». La culture s’acquiert par l’Homme en tant que membre d’une société (Ibid.). Elle est donc située, ancrée dans les activités humaines et apprise socialement. Les traits culturels s’expriment à travers les règles, les normes sociales, les comportements et les savoirs partagés. L’espace, ainsi que son aménagement, son organisation et son usage, peuvent constituer le miroir des pratiques culturelles d’un groupe social donné (Fischer, 2011).

1.3.2. Les valeurs associées à la culture

Bien que la culture ne soit pas universelle, on peut considérer que les valeurs – qui orientent l’expression d’un ensemble de normes régissant les actions et les comportements dans une société ou dans un espace donné(e) – le sont (Schwartz, 1992). Les valeurs sont généralement partagées au sein d’un groupe social. Si les individus et les groupes se distinguent entre eux, c’est à travers l’importance qu’ils attribuent à chaque valeur universelle. Les valeurs varient selon les cultures parce que les sociétés les hiérarchisent et les priorisent différemment. De mêmes, elles varient selon les groupes qui les agencent tous de manières diverses (Schwartz, 2006).

« Les valeurs sont les concepts, socialement désirables, que l’on utilise pour représenter [des] objectifs22 au niveau mental, et en même temps le lexique utilisé pour parler de ces objectifs dans les interactions sociales » (Schwartz, 2006, p. 932). Elles ont six caractéristiques principales (Schwartz, 1992 ; Schwartz, 2005) : 1) ce sont des croyances associées aux sentiments et aux affects ; 2) elles rendent désirables les conduites et motivent les actions ; 3) contrairement aux normes qui concernent généralement des situations particulières, elles transcendent les actions et les situations ; 4) elles permettent, sur l’échelle du bien et du mal, de mesurer les actions, les personnes et les évènements, et de reconnaitre ce qui est idéal ou non ; 5) elles sont hiérarchisées et classées par ordre de priorité, cette hiérarchisation est subjective ; 6) L’arbitrage entre des valeurs pertinentes mais opposées est relatif, il dépend du contexte et de l’importance de la situation. Il n’existe pas, dans l’absolu, de valeurs préférables à d’autres. D’autre part, défendre certaines valeurs implique le rejet ou au contraire la

21 United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture).

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L’auteur parle des objectifs qui permettent aux individus de faire face à trois nécessités, de communiquer avec les autres sur ces trois nécessités, et d’obtenir la collaboration des autres parce qu’ils ne peuvent pas répondre seuls à ces trois besoins. Ces trois nécessités de l’existence humaine sont : « satisfaire les besoins biologiques des individus, permettre l’interaction sociale, et assurer le bon fonctionnement et la survie des groupes » (Schwartz, 2006, p. 932).

35 défense de certaines autres ; cela se fait suivant les affinités et les antagonismes entre les valeurs, ou du moins entre les motivations guidées par les valeurs.

La théorie des valeurs de Schwartz identifie dix valeurs de base qui peuvent se retrouver dans plusieurs cultures. La théorie s’applique majoritairement aux populations occidentales, exposées à l’urbanisation et à l’économie de marché, peu importe le niveau d’éducation. La théorie considère que les valeurs sont structurées, c’est-à-dire qu’elles entretiennent les unes avec les autres, des affinités ou des incompatibilités. Toute action dépend de valeurs qui sont compatibles avec certaines, mais qui sont aussi en conflit avec d’autres (Schwartz, 1994 ; Schwartz, 2006).

La figure 1 présente les relations qu’entretiennent entre elles les dix valeurs universelles, en termes d’objectifs motivationnels. Les valeurs forment en fait un continuum au sein duquel deux valeurs adjacentes présentent des motivations communes.

Figure 1 : Les dix valeurs universelles et leurs relations (Schwartz, 2006).

Sur le cercle, plus des valeurs sont proches, plus les motivations qui en sont liées sont comparables. A l’inverse, plus des valeurs sont éloignées, plus les motivations sont opposées. Enfin, la théorie reconnait quatre dimensions qui rendent compte des relations de comptabilité et d’antagonisme entre les valeurs (Schwartz, 1994 ; Schwartz, 2006) :

 L’ouverture au changement (autonomie, stimulation et hédonisme) s’oppose à la continuité (sécurité, conformité et tradition) : la première dimension rend compte de l’indépendance de la pensée, des actions et des sensations, alors que la seconde concerne l’ordre, la préservation et donc la résistance au changement.

36  L’affirmation de soi (pouvoir, réussite et hédonisme) s’oppose au dépassement de soi (bienveillance, universalisme) : la première dimension concerne la poursuite de ses propres intérêts avant ceux des autres (réussite personnelle, domination), alors que la seconde se rapporte à l’idée de faire passer les intérêts des autres en premier.

1.3.3. Les normes associées aux valeurs

L’intérêt de la théorie des valeurs de Schwartz (1992) est de faire la distinction précise entre culture, valeurs et normes sociales. La culture est apprise au sein d’une société. Les valeurs sont universelles mais leur importance, leur hiérarchisation et leur variation dérivent d’une culture ou d’un groupe social. Ainsi, chaque groupe culturel / social peut posséder ses propres systèmes de valeurs. Les systèmes de valeurs d’un groupe social (ou d’une société) se concrétisent par un ensemble de normes. Une norme est un principe idéal, qui se réfère plus ou moins explicitement à des valeurs, et qui régit les conduites et les comportements dans des contextes particuliers.

En sociologie, la notion de norme sociale permet de faire la distinction entre les faits et les valeurs. Les normes sont des évaluations et non des descriptions. « Relèvent du normatif, ou de l’évaluatif dans la vie sociale, tous les choix, toutes les préférences et donc toutes les actions entreprises, à partir du moment où ces actions ne relèvent pas de descriptions factuelles du monde extérieur » (Demeulenaere, 2003, p. 4). Les normes se réfèrent à la finalité des actions, tandis que les faits sont plutôt les descriptions des moyens permettant d’arriver à ces buts. Les « fins » relèvent des valeurs. Ils nécessitent de l’engagement et de la motivation qui ne s’appuient pas seulement sur l’expérience mais aussi sur des choix sociaux. D’autre part, les personnes apprennent l’usage des normes à travers des processus d’éducation. Les sciences sociales expliquent la constitution des normes et l’adhésion à ces dernières de trois manières (Ibid.) :

1) L’adhésion aux normes (ou leur rejet) est rationnelle et corrélée à la notion de « sens ». Cette acception issue de la sociologie weberienne23 considère que les acteurs adoptent des normes si celles-ci favorisent la satisfaction de leurs intérêts. Les processus de socialisation (et d’apprentissage d’une culture donnée) conduisent à donner du « sens » aux actions et entraine des « calculs logiques », des « raisons valables » vis-à-vis de choix à faire ou des décisions à prendre (Ibid.).

2) L’adhésion aux normes est reliée à l’intégration sociale et à la cohésion sociale (sociologie durkheimienne24). Les normes sont des règles de conduite « morales », c’est-à-dire que leur violation entraine une réprobation de la part de la société ; et pas seulement un échec de l’action, comme cela est le cas lors de la violation des règles de conduite dites « techniques ». Les normes sont liées à des réactions sociales (Piras, 2004). Elles sont socialement sanctionnées, générée par la « conscience collective », « c’est-à-dire par la croyance, partagée par la moyenne des membres d’une société, que cette norme est obligatoire » (Ibid., p. 142). Ainsi, l’acceptation commune et la désirabilité de la norme sont des éléments constitutifs de celle-ci. Le « désir du bien », vu comme un phénomène affectif de l’adhésion culturelle aux normes, est une force motivationnelle pour accomplir le devoir (Ibid.).

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Du sociologue allemand Max Weber (1864-1920). 24 Du sociologue français Emile Durkheim (1858-1917).

37 3) L’adhésion aux normes est liée a aux capacités naturelles de ressentir des émotions dans certaines situations (sociologie parétienne 25 ). Les normes relèvent de réactions émotionnelles face à certains évènements, et ces réactions dépendent des individus (et de leur « nature humaine ») et non de leurs relations sociales. La norme est « une conséquence de la constitution naturellement linguistique de l’homme » (Aqueci, 1996, p. 49). Il existerait des actes « naturels » de dévouement et des expressions linguistiques (les normes) qui entérinent ces actes (Ibid.).

En réalité, les études empiriques montrent que de nombreux motifs expliquent les engagements et les refus normatifs : les buts et intérêts des acteurs, la culture, la rationalité, la fonctionnalité, les sentiments, la position sociale, l’éducation, la location géographique, l’âge, le sexe, etc. Ces phénomènes ne sont pas valables dans toutes les situations : par exemple, la référence aux sentiments dépend du sujet traité (maladie, travail, aménagement d’un espace, etc.), de la société et de sa culture (vision de la maladie, du travail, de l’aménagement des espaces, etc.) et donc des sentiments que cette société éprouve vis-à-vis de ce sujet (peur, répulsion, enthousiasme). Quoiqu’il en soit, la notion de norme renvoie toujours à l’évaluation mais aussi à la prescription. L’évaluation fait appels aux valeurs. La prescription correspond ensuite au choix vers quelque chose d’« avantageux », d’« acceptable », de « bien », voire de « mieux ». En d’autres termes, la norme c’est le choix, la sélection, ou encore la préférence, qui a de la « valeur » aux yeux de l’individu ou du groupe social (Demeulenaere, 2003).

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