• Aucun résultat trouvé

Influences des normes sociales, de l’organisation sociale et de l’aménagement des espaces sur l’éco-citoyenneté

sociotechnique citoyen à forte dimension idéologique

3. LA GESTION ECOLOGIQUE DES RESSOURCES

3.2. Influences des normes sociales, de l’organisation sociale et de l’aménagement des espaces sur l’éco-citoyenneté

Les modèles cités précédemment intéressent principalement l’individu, ses besoins et ses croyances. Ils tiennent compte dans une moindre mesure de la situation, de l’appropriation des espaces, de l’organisation sociale, des relations avec les autres, etc. Ils expriment l’influence des normes sociales, mais pas le processus de cette influence. Ils ignorent aussi le « construit » collectif et géographique. Dans cette sous-section, il est question de s’intéresser plus spécifiquement à l’éco-citoyenneté, c’est-à- dire aux comportements pro-environnementaux au regard de l’organisation sociale et spatiale de l’environnement : la manière avec laquelle les normes sociales influencent les conduites, les comportements éco-citoyens dans les organisations et le rôle de l’attachement identitaire à l’environnement pour la mise en place de l’éco-citoyenneté.

3.2.1. Caractérisation de l’influence des normes sociales sur l’éco-citoyenneté La citoyenneté est un concept large qui évoque à la fois : la communauté de citoyens, les règles de cette communauté et l’adhésion des citoyens à ces règles. Bien que son acception ait évolué depuis la Grèce antique, la citoyenneté a toujours eu les caractéristiques suivantes (Le Pors, 2011) : 1) les droits et les devoirs des citoyens sont guidés par des valeurs communes ; 2) un contrat social plus ou moins explicite est passé entre les citoyens et la collectivité (Rousseau 1762/2009) ; 3) Les citoyens s’impliquent dans la vie et dans la définition de la cité, notamment à travers la démocratie.

« La citoyenneté […] est ainsi le produit de contradictions et de réglementations, de confits et de consensus, de valeurs partagées et de confrontations d’idées d’autant plus intégratrices qu’elles s’opposent vigoureusement » (Le Pors, 2011, p. 9). L’éco-citoyenneté quant à elle, intègre la pensée écologique dans ce débat sur les normes sociales, les règles, les obligations et les responsabilités des citoyens vis-à-vis de leurs environnements naturel, physique, social et organisationnel (Dean, 2001). Les normes sociales renvoient aux valeurs communes. Elles déterminent les règles de conduite. La psychologie sociale de l’environnement s’intéresse particulièrement aux normes environnementales et à la manière dont elles influencent les comportements éco-citoyens dans un groupe social (Joule, Girandola & Weiss, 2015). Deux types de normes sociales influencent les règles collectives et les comportements (Cialdini, Reno, & Kallgren, 1990) :

46 1) Les normes descriptives : elles renvoient à ce qu’il est « normal de faire », à ce que la majorité des membres du groupe font. Elles produisent les comportements majoritaires (Labbouz, 2015). Elles forment un cadre réglementaire « typique » dans une situation donnée (Joule & al., 2015).

2) Les normes injonctives : elles renvoient à ce qu’il est « bien de faire », à ce que les membres valorisent ou au contraire désapprouvent. Elles n’entrainent pas de règles formelles. Mais elles peuvent être à l’origine des sanctions lorsque le comportement n’est pas approprié.

Souvent, les deux types de normes sociales motivent les conduites. Les individus font ce qui est à la fois populaire et socialement approuvé (Cialdini & al., 1990). D’autre part, pour qu’une norme affecte le comportement, il faut aussi qu’elle soit saillante et visible dans la situation (Reno, Cialdini, & Kallgren, 1993). En ce qui concerne l’environnement, des études ont montré que les deux types de normes influençaient bien l’éco-citoyenneté, mais que l’impact de chacune dépendait de la situation (Joule & al., 2015). Par exemple, une étude sur l’usage des serviettes de bain dans les hôtels a montré que la norme descriptive était plus efficace qu’un simple message informatif pour favoriser la réutilisation des serviettes. Les résultats montrent aussi l’importance de l’identité groupale : les usagers réutilisaient plus les serviettes lorsque la norme descriptive était ramenée aux clients qui avaient occupé la même chambre, ou le même hôtel (Goldstein, Cialdini & Griskevicius, 2008). Une autre étude, sur la consommation électrique des foyers, a montré que la mise en place d’une norme descriptive dans le voisinage faisait baisser la consommation des habitations au-dessus de la moyenne ; mais elle faisait aussi augmenter celle des habitations qui étaient au départ en-dessous de cette moyenne. Cette augmentation pouvait néanmoins être contrée par l’ajout d’un message de type « injonctif » (Schultz, Nolan, Cialdini, Goldstein & Griskevicius, 2007).

En conclusion, l’éco-citoyenneté renvoie aux normes sociales, mais aussi à une identité groupale et à une comparaison avec les actions d’autrui. Cette comparaison est plutôt locale. Les citoyens adoptent plus facilement des comportements pro-environnementaux qui sont socialement valorisées, acceptées ou acceptables dans le lieu où ils se trouvent.

3.2.2. L’éco-citoyenneté dans les organisations sociales

En psychologie sociale de l’environnement, l’éco-citoyenneté dans les organisations sociales est étudiée dans le contexte des organisations de travail (Labbouz, 2015). Les comportements pro- environnementaux ne sont pas seulement influencés par les besoins individuels, les croyances personnelles et les normes sociales ; ils dépendent aussi de facteurs contextuels et organisationnels (Ibid.). Dans les organisations de travail, par exemple, le coût financier des consommations est supporté par l’entreprise, et non par les ménages, ce qui modifie les motivations économiques. Les conditions spatiales et managériales de l’organisation impactent aussi les comportements individuels et collectifs (Lo, Peters & Kok, 2012). Les salariés adoptent des pratiques écoresponsables en réponse à un ensemble de facteurs individuels (croyances, attitudes, valeurs), sociaux (normes sociales, comportements des collègues) et organisationnels. Ces derniers regroupent la culture de l’entreprise, les directives, les moyens et outils à disposition, l’information transmise, les formations aux pratiques écologiques, les reconnaissances des actions et les infrastructures (Young, Davis, McNeill, Malhotra, Russell, Unsworth & Clegg, 2013).

En sociologie, l’éco-citoyenneté dans des organisations citoyennes a été étudiée au sein de copropriétés engagées dans une rénovation thermique (Brisepierre, 2011 ; Brisepierre, 2014). Le

47 travail de thèse de Brisepierre (2011) a soulevé la faiblesse des cadres juridique, économique et politique, ce qui oblige les copropriétaires à faire émerger un nouveau jeu d’acteurs. Ils contournent et évincent les gestionnaires et les syndic professionnels. Ces derniers n’ayant ni les compétences techniques, ni le temps de s’occuper des économies d’énergies de leurs clients. Les habitants se mettent à prendre les décisions, à faire les choix des modifications et à contacter les entreprises. Un « leader énergétique » est reconnu plus ou moins formellement. C’est un copropriétaire qui s’investit bénévolement pour définir le programme des travaux, et pour mobiliser et sensibiliser les autres habitants. Ces personnes ont généralement des convictions environnementales et des connaissances dans le domaine. Ils sont disponibles (retraités) et à la recherche d’une certaine reconnaissance sociale. Pour convaincre, ils utilisent généralement des arguments économiques, car ce sont eux qui font le plus consensus. Brisepierre (2011 ; 2014) définit la rénovation énergétique comme un processus social d’innovation déclenché soit par des conflits entre les habitants (sur la température du chauffage collectif par exemple), soit par des dégradations des parties communes (besoin de faire des travaux par exemple), ou soit par des hausses brutales des prix de l’énergie. Les transformations sociales et organisationnelles qui en émergent sont contextuelles et dépendent des copropriétés.

En conclusion, l’éco-citoyenneté dans les organisations (de travail, de copropriété) dépend de la structure organisationnelle et du contexte (économique, politique, juridique, etc.) ; mais aussi de la capacité de l’organisation à générer les comportements pro-environnementaux, l’engagement éco- citoyen et la cohésion sociale. Cette genèse peut se faire en favorisant l’expression d’un leader ou encore en créant des situations propices à l’émergence de pratiques environnementales (outils, éducation, développement personnel).

3.2.3. L’éco-citoyenneté et l’aménagement des espaces

D’une part, l’aménagement et l’organisation des espaces ont un impact sur les comportements éco- citoyens. Par exemple, les personnes sont plus disposées à mettre en place des actions écoresponsables dans un bâtiment durable, comparativement à un bâtiment normal (Wu, DiGiacomo & Kingstone, 2013). D’autre part, il existe une relation importante entre l’identité d’un lieu et les comportements durables (Uzzell, Pol & Badenas, 2002).

Concernant l’aménagement des espaces, il renvoie au concept d’affordance (Gibson, 1979). Dans le cas des problématiques écologiques des villes durables, les formes urbaines ont un impact sur l’engagement des utilisateurs envers des pratiques écoresponsables. L’architecture des lieux, ainsi que l’urbanisme en général induisent les usages physiques mais favorisent aussi des processus mentaux. Ils offrent des possibilités d’apprentissage à l’aide d’un renforcement cognitif. L’enjeu est aussi de donner du sens aux actions pour que les utilisateurs prennent plus facilement conscience des problématiques environnementales (Marcus, Giusti & Barthel, 2016).

Concernant l’identité locale, elle part du principe que chaque ville doit trouver sa propre voie vers la durabilité. Cela doit être un processus local et créatif, qui inclue l’aménagement des espaces et les décisions des personnes concernées (Uzzell & al., 2002). Les recherches en ce sens abordent une vision plus holistique de l’éco-citoyenneté. Elles reprochent aux actions publiques, éducatives ou informatives, d’être trop individuelles et restrictives. La ville durable doit s’aborder comme un système sociotechnique complexe. Les stratégies qui visent la préservation de l’environnement doivent quant à elle s’appuyer sur la cohésion sociale (Pol, 1999 ; Pol, 2002) et sur les initiatives collectives (Pol & Castrechini, 2002).

48 Un « lieu », en tant qu’espace géographique mais aussi espace social, a toute son importance dans la création d’une cohésion sociale. La cohésion communautaire facilite quant à elle l’adoption de comportements respectueux de l’environnement, en comparaison avec les lieux où les relations de voisinages sont faibles. Les stratégies pour les villes durables doivent se situer d’une part, dans les relations qui existent entre les habitants de la communauté ; et d’autre part, dans les relations qui existent entre les habitants (individus et collectifs) et l’environnement physique. Ces stratégies doivent tenir compte des ressources naturelles, des formes urbanistiques, mais aussi des facteurs psychologiques et phénoménologiques (perception, évaluations, attentes et styles de vie des individus et des collectifs). Toutes ces dimensions influencent les conduites éco-citoyennes (Uzzell & al., 2002).

Le modèle CIS39 en figure 2 (Pol, 2002) rend compte de la construction de l’identité locale et de son importance dans la durabilité des villes. Vie sociale et vie durable sont intiment liées. L’identification renvoie au processus par lequel un individu se retrouve dans les caractéristiques et les valeurs d’un groupe. La cohésion sociale s’établit grâce aux relations formelles et informelles qu’entretiennent les habitants. La qualité des infrastructures est une aide à l’établissement des relations sociales. La planification urbaine doit tenir compte du développement social et ne pas se concentrer seulement sur des intérêts architecturaux. Enfin, la satisfaction se réfère à la qualité de vie perçue par les habitants : la beauté visuelle du quartier, la pollution ressentie, le sentiment de sécurité, l’accès aux transports, etc. Le modèle n’a pas de flèches parce que les variables s’influencent toutes entre elles (Uzzell & al., 2002 ; Pol, 2002) : l’identité locale agit sur la durabilité et la durabilité d’un environnement (écologie, équité sociale, etc.) impacte la construction de l’identité locale, etc.

Figure 2 : Le modèle City-Identity-Sustainability (Pol, 2002).

Outline

Documents relatifs