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Question générale et thèse défendue

Chapitre 5 : Stratégie de recherche

1. LE TERRAIN DE RECHERCHE : UN CYCLE DE PROCESSUS DE CONCEPTION COLLABORATIVE

1.1. Etape 1 : un système sociotechnique de référence

Cette première étape du cycle de conception vise à répondre au premier sous-objectif de notre recherche à savoir, explorer un terrain réel pour comprendre l’organisation d’habitants adoptant des pratiques collaboratives et écologiques, en lien avec leur système partagé d’idées et de valeurs. Le système sociotechnique choisi comme situation de référence est une innovation sociale ascendante : l’habitat participatif. C’est un mode d’habitat où sont partagés certains biens, espaces et services tels que des chambres d’amis, des laveries, des abonnements à des magazines, des voitures, etc. Les organisations spatiale et sociale ont pour finalité la collaboration entre les résidents (Vestbro, 2012). Nous abordons ci-dessous des éléments explicatifs et historiques pour justifier notre choix.

Historique et évolution de l’habitat participatif

Au Québec54, le logement communautaire est une innovation sociale qui a bouleversé le secteur de l’habitat ces 40 dernières années (Bouchard, 2009). L’habitat communautaire a vu le jour dans les années 70 suite à des mouvements de locataires qui souhaitaient se réapproprier leurs milieux de vie. Ces derniers voulaient lutter contre les problèmes d’accès à la propriété, la pauvreté et contre le « mal logement » qui en découle. La solution qui a été trouvée à l’époque était originale car différente de ce qui existait déjà. Des coopératives et des organismes sans but lucratif ont vu le jour dans le secteur du logement redonnant du pouvoir aux collectifs citoyens et aux occupants. Ces organisations se distinguent du logement social qui dépend généralement des politiques publiques (tel que l’Habitation à Loyer Modéré ou HLM, en France). Les logements communautaires ne sont pas administrés par les pouvoirs publics. Ils ont gérés en autonomie par les résidents qui cotisent de manière régulière pour payer les charges, les travaux de rénovation et les dettes éventuelles (Bouchard, 2001).

Le logement communautaire a été en réalité vecteur de plusieurs innovations sociales. La première est celle de l’appropriation du milieu de vie : d’un usage privé et individuel du logement, les habitants sont passés à une propriété collective d’un ensemble immobilier. Les services collectifs, autogérés et bénévoles sont favorisés au détriment de l’individualité et du profit. L’accent est mis sur la mixité socioéconomique des résidents et sur l’hybridation des ressources (marchandes et non marchandes).

54 L’approche « civile » de l’innovation sociale est étudiée depuis plusieurs années au laboratoire CRISES (Centre de Recherche sur les Innovations Sociales) à Montréal (crée en 1986). Les travaux s’intéressent aux règles, aux normes et aux pratiques qui accompagnent la transformation de la société (Klein & Harrison, 2007).

75 L’intérêt est de développer le sens des responsabilités, la solidarité et les relations sociales au sein du voisinage. La deuxième innovation sociale concerne les modes de construction de ces bâtiments. Le nouvel usage collectif des lieux a nécessité de repenser les modes de production en impliquant les résidents dès le début des projets. Des entreprises sociales dans le domaine ont vu le jour, ainsi que des réseaux et des confédérations de coopératives d’habitations. Enfin, l’innovation sociale est remontée d’un niveau et a modifié les rapports entre l’Etat et la société civile. Ce dernier a par exemple mis en place des programmes de soutien et d’aide au financement (Bouchard, 2006). D’une innovation sociale à l’origine organisationnelle ont émergé des innovations sociales de produits, de services et de procédés (Bouchard & Hudon, 2008, cités par Bouchard, 2007).

En France, le logement communautaire existe plutôt sous le nom d’habitat groupé ou habitat participatif, et est apparu également au tournant des années 1970-1980. Le premier ouvrage de référence est celui de Philippe Bonnin (1983) qui s’intitule « Habitats Autogérés ». Plusieurs auteurs du livre appartiennent aux Mouvements pour l’Habitat Groupé Autogéré (Devaux, 2013) fondé en 1977 et qui est devenue aujourd’hui l’association Eco Habitat Groupé55. L’historique du mouvement rappelle celui du Québec : une initiative portée par des habitants désireux de redonner du sens à leur façon de vivre, des regroupements sous forme de fédérations et de coopératives et la promotion de ce mode d’habitat auprès de la population civile et des pouvoirs publics. Le collectif (ainsi que d’autres visant ce mode d’habitation56) s’est alors heurté à des contraintes juridiques et législatives freinant parfois le développement de certains projets. C’est en 2013 qu’un projet de loi (ALUR) est évoqué par le ministère de l'égalité des territoires et du logement. Ce dernier sera voté en 2014 et reconnaitra l’habitat participatif comme une nouvelle forme d’accès au logement. Cette loi identifie notamment l’habitat groupé comme une « démarche citoyenne qui permet à des personnes […] de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d'acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d'assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis » (Art. L. 200-1 du Code de la Construction et de l’Habitation). Les résidents peuvent s’associer sous forme de coopérative d’habitants ou de société d’attribution et d’autopromotion. Depuis le fonctionnement des sociétés d’habitat participatif a été précisé par des décrets en 2015 et 2016. Cette innovation sociale poursuit donc son institutionnalisation dans le paysage politique français.

 L’expérience du logement communautaire au Québec pointe aussi certaines limites de cette innovation sociale (Bouchard, Frohn & Morin, 2010) :

 Un possible glissement de l’organisation autonome vers une régulation publique ou marchande et une privatisation de tout ou partie des logements. Les crises économiques sont propices à ses évènements, les habitants étant alors plus à même de vouloir s’assurer une sécurité financière, et donc de tendre vers des modèles immobiliers plus lucratifs.  La perte, avec le temps, du statut d’autogestion. En effet, la mixité sociale est difficile à

garantir dans ce type de logement. De plus en plus de résidents, n’arrivant pas à se loger en HLM, se tournent vers l’habitat communautaire. Ces populations sont majoritairement des familles monoparentales, des personnes vieillissantes ou en situation de handicap. Ces situations précaires ne facilitent pas la participation des usagers à la gestion des résidences.

55 http://www.ecohabitatgroupe.fr/

56 Exemples : l’association Habicoop qui soutient et accompagne les coopératives d'habitants

(http://www.habicoop.fr/) ; le mouvement Colibris qui de manière globale vise à aider « les citoyens engagés dans une démarche de transition individuelle et collective » (http://www.colibris-lemouvement.org/).

76  Le risque que les professionnels du bâtiment (entrepreneurs dits « social ») glissent vers une logique de marché pour rentabiliser leurs offres ; l’arrêt des subventions publiques, etc. Avantage de l’habitat participatif comme situation de référence

Les projets d’habitats participatifs doivent leur existence à l’organisation « civile » qui se créer en amont. C’est parce que des groupes d’individus se forment pour trouver des solutions à leurs besoins et envies en matière de logement, que lesdites solutions apparaissent et se mettent en œuvre.

La naissance du projet nécessite que les usagers se mettent d’accord et qu’ils développent une vision commune et approuvée par tous. Ils sont co-concepteurs de l’idée innovante et leur organisation sociale est le socle de leur projet. Elle est donc la première étape à co-concevoir. Les dimensions techniques du projet (définition des bâtiments, des sources d’énergie, des espaces partagés, etc.), les recherches d’aides financières (investisseurs, subventions etc.) apparaissent ensuite.

Au fil du temps, l’organisation de départ est amenée à se réorganiser. De nouveaux acteurs internes (nouveaux citoyens) ou externes (entreprises, politiques) conduisent à ce que le collectif repense son fonctionnement. Certaines marges de manœuvre sont accordées par les institutions, certaines contraintes apparaissent, des visions différentes sur le projet se développent, de nouvelles technologies sont créées, etc. ; bref, l’organisation est en perpétuel mouvement. Par exemple, tous les habitats participatifs ne partagent pas le même nombre et le même type d’espaces, tous ne possèdent pas la même charte de fonctionnement du collectif, les mêmes matériaux écologiques, etc. Finalement, il n’existe pas de modèle unique dans le logement communautaire (Greboval, 2013).

Enfin, les collectifs citoyens porteurs de ces innovations sociales sont majoritairement autonomes dans la conception des tâches, rôles et règles de conduites. En tant qu’organisations innovantes, ils démarrent à priori sans aucun modèle prescriptif. Ils peuvent certes s’inspirer d’autres habitats participatifs, mais le caractère situé de chaque projet le rend forcément « nouveau » à chaque fois.

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