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L’évolution actuelle de la prise en charge des élèves dits « à besoins éducatifs particuliers » est soutenue par le mouvement pour une école inclusive, tant au niveau international (Déclaration de Salamanque, 1994) qu’au niveau national (accord intercantonal sur la pédagogie spécialisée, réorganisation des différentes structures spécialisée de scolarisation, LIJBEP). Ainsi, les politiques favorisent le maintien des élèves à besoins particuliers dans les structures ordinaires. L’hétérogénéité des classes est dès lors augmentée et les enseignants sont confrontés à des difficultés croissantes pour la gestion de celle-ci.

Plusieurs mesures de soutien aux enseignants et aux élèves peuvent être mises en place dont la collaboration entre les différents professionnels impliqués dans la prise en charge des élèves (Berger, Bonvin, Kummer & Pelgrims, 2010 ; Emery, 2011 ; Marcel, Dupriez &

Périsset Bagnoud, 2007). Le co-enseignement en fait partie. Il a fait son apparition relativement récemment et a très vite reçu un accueil favorable dans les pratiques d’enseignement, notamment par son fort attrait intuitif (Friend & Cook, 2003 ; Cook et al., 2011). Tout d’abord exemptes de fondements scientifiques, différentes hypothèses ont été avancées concernant de probables bénéfices sur l’apprentissage des élèves. Parmi celles-ci figurent notamment la diminution du ratio enseignant/élèves, l’amélioration de l’enseignement grâce au partage d’expertise et la diminution de la stigmatisation liées à la scolarisation dans des structures ségrégatives (Cook et al., 2011). Une importante littérature s’est dès lors développée comprenant de nombreux guides de mise en œuvre et maintes recherches. L’examen attentif de ces dernières, corroboré par de nombreux auteurs, nous permet de mettre en avant plusieurs éléments positifs en faveur du co-enseignement, mais aussi des résultats contrastés, notamment concernant les bénéfices pour les élèves, nuançant ainsi l’engouement pour cette modalité de collaboration. Ceci est particulièrement mis en évidence dans les études visant à mesurer l’efficacité du co-enseignement à partir des résultats des élèves, qu’ils soient disciplinaires ou comportementaux (Murawski & Swanson, 2001 ; Hang & Rabren, 2009 ; Benoît & Angelucci, 2011). D’un autre côté, se basant essentiellement sur les perceptions des enseignants, les résultats du point de vue de l’activité professionnelle convergent manifestement vers une large satisfaction (Scruggs et al., 2007).

Cela dit, les obstacles ne sont pas absents et relèvent essentiellement d’un manque de temps alloué à la planification et à la définition des rôles de chaque enseignant. Ainsi le co-enseignement se heurte bien souvent à l’organisation du système scolaire, majoritairement sous forme d’un système en cascades avec des structures spécialisées séparées, et en conséquence, au manque de ressources octroyées au sein même des classes ordinaires.

Pourtant, si nous reprenons les définitions du co-enseignement, celles-ci mettent très clairement l’accent sur l’objectif de cette organisation particulière de l’enseignement comme visant à répondre aux besoins particuliers des élèves. Or, très peu de recherches donnent des indications précises concernant justement ces besoins particuliers et les réponses que peut

apporter le co-enseignement. D’ailleurs, notre chapitre sur la notion de besoin éducatif particulier a montré les difficultés récurrentes que rencontre cette notion, du point de vue de sa définition et de son usage dans les politiques comme dans les pratiques enseignantes. En effet, comme le souligne Pelgrims (2011, 2012 ; Pelgrims & Bauquis, à paraître), elle est très souvent utilisée comme terme générique désignant les élèves en difficulté ou handicapés, autrement dit comme une supra-catégorie regroupant tous les élèves qui ne réussissent pas à suivre l’enseignement ordinaire sans aide particulière. Elle est également utilisée pour définir les ressources supplémentaires octroyées aux différents services prenant en charge ces élèves.

Elle est également parfois confondue avec des diagnostics médicaux attribués aux élèves.

Finalement, notre revue de littérature n’a pas permis de trouver beaucoup de recherches traitant de la nature de ces besoins en fonction du contexte, du rôle attendu et des tâches à accomplir ou des objectifs à atteindre à l’école, hormis les propositions de Pelgrims, 2012a).

Pourtant, cette perspective interactionniste est fortement préconisée, entre autre par la CIF (OMS, 2001), et plus généralement par les mouvements en faveur d’une école inclusive.

Ainsi, en m’inscrivant dans une approche compréhensive et située des faits d’enseignement et d’apprentissage, l’objectif général de cette recherche est de pouvoir observer l’activité des enseignants et des élèves pour mieux décrire et comprendre cette modalité de collaboration qu’est le co-enseignement. La considération du contexte de classe spécialisée dans lequel se déroule notre étude est essentielle. Nous nous appuierons sur les travaux de Pelgrims (2001, 2006, 2009, 2013), et plus précisément sur le postulat que « les pratiques observées sont des formes d’ajustement à des contingences contextuelles particulières, tout comme les formes d’activité des élèves sont des ajustements au contexte tel qu’ils le perçoivent ». Pour y parvenir, l’activité de co-enseignement dans son ensemble doit être prise en compte, c’est-à-dire au travers des différentes tâches d’enseignement (Pelgrims, 2012b) en l’absence et en présence des élèves, incluant dès lors les séances de préparation, de planification et de régulations. De plus, nous souhaitons approfondir notre étude en nous focalisant sur l’articulation entre le co-enseignement mis en œuvre et les besoins particuliers des élèves. À cette fin, la question du repérage des besoins par les enseignantes et leur prise en compte dans les différentes tâches d’enseignement nous intéresse particulièrement. Lors de la planification, comment les enseignantes gèrent-elles les savoirs visés avec d’éventuels besoins particuliers ? Quels sont-ils ? En présence des élèves, comment les enseignantes s’organisent-elles pour permettre d’une part l’avancement de l’enseignement et d’autre part l’engagement et la participation des élèves ? Ces questionnements nous ont guidé dans la définition de notre question générale de recherche, précisée par plusieurs questions spécifiques.

Interrogeant spécifiquement le lien entre co-enseignement et les réponses que ce dispositif peut offrir à certains besoins éducatifs particuliers d’élèves, notre travail s’est construit autour de la question générale de recherche suivante :

Au fil d’une séquence d’enseignement-apprentissage menée en co-enseignement, comment les besoins particuliers des élèves sont-ils repérés, interprétés et pris en compte par deux enseignantes spécialisées ?

À partir de cette question, nous avons formulé plusieurs questions spécifiques, qui guident l’élaboration de notre dispositif de recueil de données et d’analyse des données.

1. Sur quels objets portent les interactions entre deux enseignantes lors des séances de préparation, en l’absence des élèves ? Comment ces différents objets s’organisent-ils au fil des séances ?

2. Comment les savoirs visés sont-ils traités et organisés ?

3. Lors des séances de préparation, sous quelles formes apparaissent des préoccupations concernant les élèves ? Dans quelle mesure ont-elles un lien avec le choix des objectifs poursuivis et des activités prévues ?

4. Quels sont les dispositifs de co-enseignement choisis et effectivement mis en œuvre ? Quels sont les rôles respectifs de chacune des enseignantes ?

5. Dans quelle mesure la gestion des tâches d’enseignement en présence des élèves est-elle conjointe ?

6. Sur quels objets portent les régulations interactives entre les enseignantes et les élèves ?

7. Sur quels objets portent les interactions entre les deux enseignantes en présence des élèves ?

Cette étude contribue à répondre à nos questions de recherche à l’aide d’un dispositif de recherche impliquant deux enseignantes spécialisées qui regroupent leurs élèves de classes spécialisées. Les données sont recueillies sous formes d’observations lors de séances de préparation (en l’absence des élèves) et du déroulement de séances en géographie avec les élèves, et sous forme d’entretiens avec chacune des enseignantes. La démarche méthodologique est présentée dans le chapitre suivant.