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Alain Crindal, Jean Lamoure, Patrice Pelpel

2.  QUATRE PROBLÉMATIQUES DE RECHERCHE

Ainsi définie, et sous réserve d’inventaire permettant d’en constater la réalité, la VAE est susceptible de réaménager en profondeur la relation savoirs/compétence/qualification telle qu’elle s’était élaborée jusqu’à présent et de remettre en cause l’hégémonie de la formation telle que la

définit L. Tanguy1 :

La formation est aujourd’hui considérée, dans la majorité des sociétés occidentales comme un instrument permettant de résoudre des problèmes d’ordre économiques (accroissement de la productivité et de la compétitivité), politique (remédiation aux problèmes du chômage) ou culturel (développement des individus).

Il semble possible d’interroger cette nouvelle situation à partir de quatre problématiques complémentaires, mais qui correspondent à des domaines de recherche différents, l’un d’entre eux ayant vocation à être développé dans le cadre du laboratoire.

2.1. Une problématique politico-historique

Historiquement, tout au moins à partir de l’institution des apprentissages (y compris technologiques et professionnels) dans la forme scolaire, le rôle de l’expérience (y compris professionnelle) s’est trouvé minoré. Apprendre, et même se former (y compris dans le domaine de la formation continue), c’est suivre un enseignement sanctionné par un diplôme. Certes, cette hégémonie engendre, et depuis longtemps, des réactions militantes. Celle d’Illich, par exemple, au début des années 70, qui stigmatisant le rituel du progrès, affirme que le démantèlement de l’institution scolaire passe par la promulgation de lois interdisant toute discrimination à l’entrée des centres d’étude, parce que le candidat n’aurait pas suivi préalablement quelque programme d’enseignement obligatoire.

De la même manière, les travaux sur la formation expérientielle (cf. par exemple, Courtois et Pineau [1991]) prennent souvent la forme de la revendication d’un mouvement alternatif. C’est une sorte de pédagogie des opprimés où l’on retrouve l’écho du débat platonicien entre les amis des idées et les fils de la terre, perspective qui n’est d’ailleurs pas absente des textes fondateurs de la VAE : la formation tout au long de la vie n’est plus considérée comme l’école à perpétuité…

Ce qu’il s’agit de tenter de comprendre, c’est pourquoi, comment et quand l’expérience en matière de formation est passée du statut de pis-aller à celui de valeur ? S’agit-il d’une rupture idéologique, d’un rééquilibrage pragmatique ou d’une nécessité économique ?

2.2. Une problématique sociologico-économique

Socialement, l’institutionnalisation de la VAE est l’équivalent d’une régularisation des sans-papiers (ici, le diplôme), au cas par cas, c’est-à-dire après l’examen individuel de chaque dossier et de chaque situation. Sa mise en place suppose, d’une part, qu’il y ait beaucoup de demandes et, d’autre part, la perspective d’un bénéfice partagé par celui qui en bénéficie, mais aussi par la société qui l’accueille. Pour prendre une autre analogie, cela revient à admettre qu’il existe beaucoup de gens qui conduisent sans permis et qui, à un moment donné, vont venir le solliciter au motif qu’ils n’ont pas eu d’accident pendant trois ans. À la limite, celui qui a longtemps conduit sans permis peut, peut-être, prétendre devenir moniteur d’auto-école… En fait, le dispositif s’inscrit dans la perspective de la formation continue des adultes, mais sans curriculum défini : À quels besoins de quels individus répond-il ? Quels sont les enjeux économiques qui le sous- tendent ? Quel est son impact sur les trajectoires professionnelles (en termes de changement d’activité ou d’évolution de carrière) ?

2.3. Une problématique épistémologique

En quoi l’expérience - et même, plus généralement, l’activité - est-elle productrice de « savoirs », et de quels « savoirs » ? C’est sans doute le point essentiel à interroger en matière de VAE, ne serait-ce que pour s’assurer, pour reprendre l’expression d’H. Lenoir [2002], que valider les acquis ne revient pas à battre de la fausse monnaie (et à la mettre en circulation par le biais du diplôme éventuellement obtenu).

En effet, les compétences acquises et les « savoirs » dont elles seraient porteuses font l’objet d’une validation, et non d’une évaluation à proprement parler. Il n’y a pas d’examen ni d’épreuves prévues, destinées à vérifier un niveau de connaissances donné ou encore l’assimilation du programme correspondant à un diplôme.

Ce qui est en question, c’est en fait le statut épistémologique de l’expérience et de ce qui peut en résulter dans le domaine cognitif. Peut-on dépasser l’aporie aristotélicienne selon laquelle il n’y a de connaissance que du général, d’existence que du particulier ?

2.4. Une problématique pédagogico-didactique

Là encore, les perspectives de développement de la VAE posent les termes d’une problématique nouvelle et intéressante. Certes, il est sans doute possible de concevoir des curricula alternatifs court-circuitant complètement toute formation (certains textes évoquent la VAE comme un moyen de réduire les temps et les coûts de formation).

Cependant, la situation la plus probable est celle de curricula atypiques combinant des diplômes obtenus par validation et des reprises d’études dans un cursus traditionnel. S’il s’agit d’une situation par rapport à laquelle on peut trouver quelques analogies, notamment dans le domaine de la formation des adultes, elle se pose quand même en des termes nouveaux tant dans le domaine didactique que pédagogique.

• Du côté des apprenants, d’abord ; car si les savoirs de la pratique sont réputés d’égale dignité que les savoirs universitaires, ils ne sont pourtant pas de même nature (cf. le point précédent) et, en tout état de cause, ne s’ordonnent ni aux identités disciplinaires ni à des niveaux d’acquisition clairement identifiés. Dans quelle mesure est-il possible de greffer l’universalité du savoir sur la singularité de l’expérience ? Il s’agit ici de construire du savoir à partir d’une expérience singulière et non de tirer parti de l’expérience de travail dans le cadre d’une formation (cf. par exemple, Barbier & al. [1996]).

• Du côté des enseignants et des formateurs ensuite, dont la professionnalité sera mise à l’épreuve, tant dans sa dimension didactique que pédagogique, quelles sont les médiations susceptibles d’intervenir dans ce domaine ?

• Du côté des dispositifs enfin, qui devront se positionner entre des stratégies d’assimilation et de ségrégation, de manière à prendre en compte les spécificités du public tout en maintenant les exigences du curriculum (notamment en termes de contenus et d’objectifs) et de l’évaluation.