• Aucun résultat trouvé

Patrice DURAN

2.  LE SERVICE PUBLIC REVISITÉ

Nous assistons en quelque sorte à la dématérialisation du service public dès lors que celui-ci n’est plus assimilé à une activité de production identifiable en termes de biens. En replaçant la fourniture de biens dans une longue chaîne qui, partant des problèmes publics, envisage les impacts qu’a générés leur traitement, on est conduit à une réappropriation de la notion de service public qui est loin d’aller de soi. Le service public est le service d’un intérêt public dont le décideur politique est clairement comptable parce qu’il lui revient la responsabilité de le définir, ce qui est fortement différent d’un service public au service du public, c’est-à-dire au service d’usagers dont les préférences sont avant tout personnelles. L’attribution de bourses scolaires rencontre le contentement de ceux qui les reçoivent, mais l’enjeu politique, et donc collectif, de la mesure dépasse cette seule dimension, car sa justification a trait à l’égalisation de l’accès au savoir. Dans les années de croissance, la protection sociale s’est fortement améliorée à la satisfaction de tous, mais la satisfaction de tous s’est aussi accompagnée du maintien des inégalités sociales. L’absence de distinction claire entre l’intérêt public et l’intérêt des publics fait courir le risque d’une action publique prisonnière des clientèles et des corporatismes de tout poil, au prix bien souvent d’une regrettable confusion entre égalité et équité. Du même coup, une telle logique de dissociation du produit et du résultat amène également à dissocier l’usager du citoyen. Pour cette raison on ne

peut forcément identifier parfaitement le contrôle de l’usager à un contrôle démocratique. La participation n’est pas la démocratie, parce que l’usager, à la différence du citoyen, se définit justement comme un acteur socialement situé. La participation de l’usager est essentielle à la qualité du produit, et il faut savoir la penser concrètement, nous l’avons dit, même si parfois il faut l’organiser également en amont lorsqu’on est sur des problématiques plus politiques telles qu’en aménagement urbain où la définition même du produit ne peut faire l’impasse des préférences des usagers. La rénovation du débat public et la modernisation de l’enquête publique attestent une telle nécessité.

Mais, la sortie d’une logique de production demande aussi que l’on repose autrement la question du service public du point de vue de la logique de distribution des biens publics. Les slogans en la matière ne peuvent plus être à l’ordre du jour, ce qui signifie de fait la fin des solutions standardisées et le développement de solutions et d’approches plus contingentes, c’est-à-dire mieux adaptées aux réalités. Les progrès de la connaissance, une réflexion moins hâtive sur la gestion publique et les déboires de quelques expériences concrètes invitent à la nuance et conduisent à examiner les situations plutôt qu’à leur imposer un quelconque diktat, ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas d’homogénéité parfaite des cas pratiques. Après l’échec cuisant d’Eurotunnel et de la privatisation de l’eau en Grande-Bretagne, on est au moins sorti des dogmes et des pensées toutes faites. Une élémentaire sagesse incite aujourd’hui à la méfiance à l’encontre de ce que d’aucuns pensaient un peu rapidement être la formule miracle du développement d’une action publique efficiente et efficace, mariant avantageusement l’affirmation du bien public à la souplesse de la gestion privée. Les dogmatismes gestionnaires et doctrinaux ne peuvent guère aider à penser les solutions concrètes aux problèmes publics actuels, et marquent un essoufflement salutaire. Marché ou hiérarchie ne constitue pas une alternative forcément crédible, la privatisation des services publics ne peut être pensée a priori, pas plus que l’exécution du service public par la collectivité publique n’est vertueuse par nature. À l’évidence il faut sortir d’une guerre des essences. La réflexion sur les instruments de l’action nécessite une clarification des enjeux en même temps qu’une bonne intelligence des situations sur lesquelles l’intervention publique doit porter. Le caractère public ou privé des organisations qui y concourent est d’une certaine manière secondaire, ce qui est essentiel c’est la réponse apportée à un problème nécessairement politique.

L’éloignement des discours d’école rend possible une approche plus pragmatique et plus relativiste. Ne serait-ce déjà que parce qu’il ne peut donc y avoir de service public « par nature », il ne peut y avoir de one best way dans la conduite des activités correspondantes ni de modalités

intangibles de délivrance du service public. Est-ce à dire que pour autant il n’existe aucun fil directeur, aucun principe d’action susceptible de guider la réflexion et d’orienter le choix des solutions, c’est là une question fondamentale qui renvoie au regard que l’on est capable de porter sur ce qui se fait et sur ce qui est fait. Les débats sur la gouvernance nous montre une action publique qui est de moins en moins la propriété des institutions de gouvernement et de plus en plus relayée par des acteurs privés. Une simple observation montre à quel point de nos jours l’action publique est largement le résultat d’une coproduction plus ou moins clairement institutionnalisée d’acteurs publics et d’acteurs privés, ce qui fait du partenariat une réalité peu contestable et du contrat une nécessité technique. Assurément les pouvoirs publics ne sauraient tout faire, et s’il leur revient de définir ce qui relève du bien public, il n’est pas toujours nécessaire ni même possible qu’ils puissent en assurer l’opérationnalisation. Mais le recours au privé ne peut plus aujourd’hui s’appréhender dans les mêmes termes que dans les années 60 compte tenu des transformations des enjeux de la gestion publique.

Certes il est clair aujourd’hui, au vu de ce que nous venons de dire que les autorités publiques n’ont pas le monopole direct de l’efficacité de l’action dès lors que celle-ci est mené par des acteurs privés par exemple, mais ce sont les autorités publiques qui ont toujours la responsabilité de l’efficacité, car il leur revient de fixer les orientations de l’action et d’édicter les normes à travers lesquelles l’action se construit. C’est en ce sens que l e s conséquences sont la vraie mesure des performances du service public.