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CADRES THÉORIQUES POUR POSER LES PROBLÈMES

Olivier Grugier

2.  CADRES THÉORIQUES POUR POSER LES PROBLÈMES

2.1. Penser en terme de curriculum

Dans un contexte déterminé, dans une classe, sur quelles variables agit l’enseignant pour mettre en œuvre la « réalisation sur projet » compte tenu de la diversité de ses élèves ? Quelles sont les décisions qu’il prend ?

La partie du programme « réalisation sur projet » laisse certes la place pour des choix. Les enseignants doivent cependant composer avec le contexte où se déroule leur enseignement. Les décisions des enseignants sont ainsi orientées par la politique académique relayée par le corps d’inspection mais aussi par la politique d’établissement pour le choix du matériel, des effectifs dans les classes et des élèves dans ces classes. Les choix des enseignants sont également liés à leur propre interprétation des textes selon leur cursus universitaire (électronique, économie-gestion, mécanique…) mais aussi selon leur vécu professionnel.

Un des enjeux de cette recherche est de contribuer à l’intelligibilité de la partie « réalisation sur projet » en technologie, par une approche « minutieuse ». Ces connaissances sur les curricula réels assurent un éclairage sur les mises en oeuvre de cette partie du programme.

Les travaux antérieurs s’appuyant sur l’étude de pratiques relatées ou déclarées, comme les nomme Yves Lenoir (2003), ne nous semblent pas apporter des réponses suffisamment précises. L’approche envisagée doit permettre d’identifier les décisions prises par des enseignants dans la mise en œuvre de la « réalisation sur projet ». L’identification de l’espace de décision nécessite un repérage des variables prises en compte par l’enseignant pour définir ce qu’il demande de faire à des élèves différents d’une même classe.

L’abandon du terme programme au profit de celui de curriculum privilégie la conception d’un itinéraire centré sur l’élève. Il s’agit d’itinéraire à vivre dans le cadre de la « réalisation sur projet ». Dans ce sens, Jean-Michel Leclercq (1994) précise que « parler de curriculum, c’est donc, comme l’indique l’étymologie latine, chercher à tracer les itinéraires que doivent suivre les élèves »6. Cette signification de curriculum, dans le sens

particulier de curriculum disciplinaire, est réduite au rapport entre les contenus d’enseignement et l’élève.

Philippe Perrenoud (1993) distingue d’une part le curriculum formel, c’est- à-dire les moyens d’enseignement, les méthodes, les activités possibles pour les élèves ainsi que les notions à aborder, publiées dans les textes officiels, et d’autre part le curriculum réel, c’est-à-dire ce qui est mis en place en classe auprès des élèves par l’enseignant. Ce curriculum réel ne se réduit pas à ce qui est prescrit par l’enseignant, il se construit en fonction des situations d’enseignement mises en place et de la réflexion menée dans ces situations, par les élèves. Le curriculum formel oriente l’action de l’enseignant lors de la mise en place de son enseignement. Les décisions qu’il prend définissent les situations d’enseignement différentes qu’il va mettre en place.

Les questions que nous formulons alors sont : Quelles sont les variations d’ordre didactique que les enseignants imaginent et comment elles se mettent en scène dans la répartition des tâches et dans les consignes aux différents élèves d’une même classe ? Quelles sont les variables avec lesquelles les enseignants composent ainsi dans leurs pratiques ?

2.2. Pratiques effectives, intervention éducative ? curriculums réels ?

Les « réalisations sur projets » sont censées offrir aux élèves l’occasion de vivre la réalisation d’un projet et d’identifier les éléments de cette démarche : les étapes du projet mais surtout les décisions prises et les critères de choix des solutions retenues suivant les contraintes matérielles, économiques et humaines.

Au cours des situations d’enseignement, l’enseignant met en place un ensemble organisé de situations que les élèves vivent, favorisant ainsi l’acquisition d’un modèle de démarche prototypique de réalisation sur projet. La succession d’activités vécues par les élèves forme un ensemble organisé constituant l’itinéraire éducatif.

En prenant en compte les espaces de décisions, les contraintes liées au projet, à l’emploi du temps, et la diversité des élèves, les enseignants prennent des décisions pour mettre en place les « réalisations sur projet ». Les prises de décisions peuvent être considérées comme des interventions éducatives. Ce sont ces interventions qui font apparaître des curriculums réels sur la base d’un même curriculum formel.

Le mot, intervention, renvoie à de multiples significations et usages puisqu’il définit à la fois le rôle social (participants dans une réunion par exemple) et l’action d’un professionnel. Yves Lenoir (2002) entend par intervention « l’idée d’une action, dans le cadre d’un métier relationnel,

qui vient modifier un processus ou un système. Intervenir, c’est venir entre, s’interposer, s’insérer, se glisser entre, s’introduire, se mêler de, poser une action en vue de changer quelque chose chez quelqu’un, en vue de résoudre un problème chez autrui »7.

Les interventions éducatives de l’enseignant en classe permettent d’orienter l’action de l’élève dans ce qu’il y a à faire ; la cohérence de ces interventions ne peut être perçue que dans la dimension curriculaire.

Alain Crindal (2001) va dans ce sens en précisant que « ce choix d’une activité de réalisation et d’implication est lié à une conception particulière de la technique (…) il s’agit alors d’une éducation technologique autonome ou l’agir associé à sa réflexion constitue un fait déterminant… »8.

2.3. Cadre d’action

Les interventions éducatives des enseignants peuvent être considérées comme en tension entre le cadrage par rapport au produit à réaliser et l’enjeu éducatif.

Elles se réalisent par un ensemble de consignes données aux différents élèves.

Chacune de ces consignes doit permettre à l’élève qui la reçoit d’orienter son action afin d’atteindre le but plus efficacement, c’est-à-dire selon le dictionnaire encyclopédique le Petit Larousse (1994) la « fin que l’on se propose d’atteindre ».

Pour l’enseignant chaque consigne donnée est ainsi en relation avec ce qu’il

faut obtenir : « le résultat », le but à atteindre pour l’élève (fig. 1). En 3e,

« le résultat » est complexe puisqu’il s’agit de concevoir, produire et commercialiser un produit.

Les textes officiels9 définissant les programmes de la classe de 3 e,

proposent de mener la « réalisation sur projet » en quatre étapes essentielles, chacune ayant un but déterminé.

7 LENOIR, Y. & al. (2002). L’intervention éducative : clarifications conceptuelles et enjeux sociaux. Pour une re-conceptualisation des pratiques d’intervention en enseignement et en formation à l’enseignement. Esprit critique, 1-33. p 3

8 CRINDAL, A. (2001). Enquête sur les figures de la démarche de projet en

technologie. Thèse de l’ENS Cachan. (Sous la direction de J.-L. Martinand). 476p. p

Consigne Résultat Temps Consigne Consigne Consigne Consigne Résultat Consigne Consigne Consigne Consigne Résultat Consigne Consigne Consigne Consigne Résultat Consigne Consigne Consigne Consigne Résultat Consigne Résultat Consigne Résultat Consigne Résultat Temps Étape But

Étude préalable Cette étape conduit au cahier des charges. Recherche et détermination de solutions Cette étape conduit au prototype.

Production Cette étape conduit au produit fini.

Diffusion Cette étape conduit à la mise à disposition du produit.

Les interventions éducatives des enseignants peuvent ainsi être situées dans chacune de ces quatre étapes

Dans cette perspective de consigne formulée en vue de « résultat » à obtenir (fig. 1), les consignes données à un élève sont elles les mêmes que celles données à un autre élève de cette même classe ?

Figure 1 : Cadre d’action prototypique en réalisation sur projet

Figure 2 : Cadre d’action prototypique en réalisation sur projet, multiplicité du nombre de consignes

Séance 1 Temps C C C C C C C C C C C C C C C C C C C C C C C C Résultat Intention de production Intention de production Intention de production

Séance 2 Séance 3 Séance 4

Figure 3 : Cadre d’action prototypique pour une étape, des intentions de production

Les consignes sont-elles données dans le même ordre, dans le temps, pour l’ensemble des élèves d’une même classe ?

Y-a-t-il une consigne par résultat à obtenir ou bien l’enseignant est il amené à intervenir plus souvent comme le représente la figure 2 ? en fonction de quels critères ?

Les questions portent alors sur la façon dont les consignes sont données. Ces consignes en vue de converger vers un résultat peuvent définir des étapes intermédiaires pour orienter ou réorienter l’action de l’élève. Les consignes sont alors associées à ce que nous nommons des « intentions de production ». Il faut comprendre « intention de production » comme la manière pour l’enseignant de diriger l’action de l’élève vers un élément qui va permettre d’obtenir le résultat. La figure 3 présente une telle organisation.

Quelle est l’influence des séances sur cette organisation ? Est-ce que l’organisation est la même pour tous les élèves d’une même classe ?

Finalement, est-ce que les consignes données sont identiques pour tous les élèves d’une même classe ? Les intentions de production sont-elles les mêmes ? Est-ce que le temps accordé pour atteindre le résultat est le même pour tous les élèves d’une classe ?

2.4. L’authenticité des activités

La technicité, selon M. Combarnous (1994), résulte de la réunion de trois composantes : la rationalité, l’emploi d’engins, les spécialisations.

- La rationalité : L’élève doit mener une réflexion sur son action. Cette réflexion peut se situer au niveau de la démarche à mettre en place pour arriver au but fixé, sur les choix, les prises de décision…

- L’utilisation d’engin : La technologie au collège se caractérise, par l’usage d’engins, d’outils, de machines et de concepts spécifiques.

- Les spécialisations des individus : L’enseignement de la technologie se réfère à des pratiques sociales. Dans ce sens, les élèves devraient être amenés durant l’action à jouer un ou des rôles en référence à des pratiques industrielles.

L’enseignant, par la formulation et surtout le contenu des consignes, oriente plus ou moins fortement l’élève dans ce qu’il doit faire. Quel est alors le degré de technicité dans les actions des élèves ? Est-ce que ce degré est le même pour tous les élèves d’une même classe ?

Autrement dit, ces consignes ne dénaturent elles pas les tâches prévues initialement pour les élèves ?