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1. PROBLÉMATIQUE

Si parents et enseignants ont des attentes différentes les uns vis-à-vis des autres, un point commun les relie et justifie leur lien : l’enfant. C’est pour cette raison que nous avons choisi de cibler notre recherche sur la thématique de l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant et plus précisément dans son travail scolaire (au travers des devoirs à domicile, notamment).

Il s’agira de définir entre autres les attentes des enseignants envers les parents à ce sujet.

Comme exposé dans les chapitres précédents, il ne suffit pas aux enseignants d’avoir des attentes envers eux mais il faut aussi qu’ils créent les moyens nécessaires pour leur permettre de s’impliquer dans cette démarche. Dès lors, nous chercherons également à savoir ce que les enseignants prévoient dans ce but. Envisagent-ils cette implication comme un processus de soumission à leurs attentes ou comme une démarche à négocier en fonction des contraintes et attentes de chacune des parties ? Dans le domaine des apprentissages scolaires, l’enseignant bénéficie immanquablement d’un pouvoir puisque son rôle professionnel est précisément de construire un projet d’enseignement et de transmettre des connaissances et compétences aux élèves. Dès lors, quel pouvoir donne-t-il aux parents ? La part de décision laissée aux parents dans ce domaine nous intéresse tout particulièrement. Leurs compétences sont-elles reconnues et exploitées par les enseignants ?

Si la reconnaissance des compétences des parents est préconisée de nombreux auteurs (dont Bouchard & Kalubi, 2003 ; Chatelanat, 2003 ; Suissa, 2003), il ressort cependant des recherches présentées dans le cadrage théorique (Poëlman, Tinant & Joseph, 2011 ; Bouchard & Kalubi, 2006 ; Kalubi, 2003 ; Kalubi et al., 2009 ; Suissa, 2003) que des préjugés réciproques ou interprétations négatives sont inévitables dans les relations familles-enseignants, et apparaissent souvent en raison d’une certaine incompréhension de la part de chacune des parties (Chatton & Nguyen, 2000). Ces préjugés font donc inévitablement obstacle à la collaboration et à l’établissement d’un climat de confiance, ce qui conduit les enseignants à se créer des représentations négatives du rôle de certains parents (Kalubi, 2003), plutôt que de reconnaître leurs compétences. Suissa (2003) précise alors qu’il s’agit pour les enseignants de déconstruire les étiquettes sociales, préjugés ou jugements irréfléchis formulés envers les parents. Malgré cette préconisation pertinente, il semble que cela ne soit pas une démarche si évidente puisqu’il s’agit d’un processus difficilement contrôlable.

De plus, la reconnaissance des parents par les enseignants implique que ces derniers leur donnent un certain pouvoir, ce qui peut engendrer un sentiment de compétition chez les enseignants. En effet, ceux-ci peuvent ressentir un sentiment d’incompétence et d’insécurité (Rosenbaum, King, Law, King & Evans, 1998), pouvant les amener à considérer les parents plutôt comme des concurrents que des partenaires (Bouchard & Kalubi, 2003).

C’est pourquoi, si la communication et l’explicitation sont nécessaires pour avoir connaissance des attentes de chacun et clarifier le partage des rôles de chaque partie, il faut avant cela que les enseignants, en particulier, souhaitent s’investir dans une démarche de partenariat.

Dans le contrat collaboratif qui s’instaure entre enseignant et parents, nous nous intéresserons à savoir dans quels cas les attentes de l’enseignant peuvent être différentielles1 : l’enseignant a-t-il les mêmes attentes envers toutes les familles de ses élèves ? Qu’est-ce qui détermine ces différences potentielles ?

Par ailleurs, nous souhaitons également recueillir les propos des parents, afin de connaître leurs attentes vis-à-vis de l’enseignant quant à leur démarche d’implication dans le suivi scolaire de leur enfant. Les parents d’élèves ont-ils les mêmes attentes relativement à leur implication dans la scolarité de leur enfant et envers l’enseignant ? Estiment-ils suffisantes les informations qui leur sont fournies par l’enseignant au sujet de leur enfant ou ont-ils d’autres attentes qu’il n’aurait pas satisfaites ? L’information donnée aux parents par les enseignants sur ce qui se passe à l’école est un facteur qui augmente la satisfaction des parents et leur propre confiance en eux (Kalubi & Bouchard, 2003). Apprécient-ils les conditions qui leur sont offertes pour s’impliquer dans l’environnement scolaire de leur enfant ? Quelle place souhaitent-ils occuper au sein de ce contexte et quelle est, à leurs yeux, celle qui leur est offerte par l’enseignant ? Si l’on peut supposer que les parents aimeraient prendre part activement à la vie scolaire de leur enfant, le cadrage théorique a révélé l’attitude de repli, d’effacement, voire d’absentéisme, de certains parents ayant honte car ne se sentant pas compétents, et éprouvant ainsi la crainte d’être jugés (Bonnefond & Rasson, 2011). Or, la honte est un concept social qui n’existerait pas sans le regard d’autrui. Il est en effet démontré que le regard des enseignants a une influence déterminante sur l’implication des parents (Kalubi et al., 2009 ; Pelchat & Lefebvre, 2003 ; Suissa, 2003).

Ainsi, il est possible de se rendre compte à quel point l’instauration d’un partenariat est soumise à des tensions tant du côté des enseignants que des parents. Nos intérêts de recherche sont nés d’un certain « manque », ressenti au fil de nos lectures : si l’explicitation des attentes est constamment préconisée, nous souhaitons nous extraire de ces « prescriptions » pour rechercher quelles sont véritablement les attentes réciproques d’enseignants spécialisés et de parents de leurs élèves, et comment ces partenaires s’engagent effectivement dans une démarche collaborative, se rapprochant du partenariat. Si le principe d’appropriation, indispensable à la mise en place d’un partenariat, représente l’acquisition de la confiance du parent en ses propres ressources pour réussir dans une entreprise, ce qui facilitera sa participation aux décisions, on peut supposer que l’acquisition de ce principe est d’autant plus difficile pour les parents ayant un enfant suivant une scolarité dans l’enseignement spécialisé. En effet, ceux-ci sont souvent déçus par cette décision, perdent confiance en l’Institution et doivent en même temps faire le deuil d’une scolarité

« normale ». Dès lors, on peut supposer que, pour certains parents, il sera particulièrement difficile de reprendre confiance et de s’engager dans un processus de prises de décision.

Par la confrontation des discours des enseignants et des parents, nous chercherons à constater si leurs attentes réciproques en termes de collaboration pour le suivi scolaire de l’enfant ont fait l’objet d’une explicitation, d’une discussion, voire d’une négociation. Cette négociation peut être entravée lorsque les enseignants craignent de ne pas être reconnus comme compétents par les

1 Nous faisons une distinction entre attentes différentielles et attentes différentes (voire divergentes). Pour illustrer la notion d’attentes différentielles, les parents peuvent être confrontés à des attentes distinctives de la part de l’enseignant. En effet, celui-ci peut ne pas avoir les mêmes attentes pour toutes les familles.

En revanche, un parent pourra avoir des attentes différentes de celles d’un autre parent envers l’enseignant de son enfant. Nous n’utilisons pas les termes d’« attentes différentielles » pour les parents car chacun d’eux n’est en relation qu’avec un seul enseignant, dans le cadre de cette recherche.

parents. En effet, ils sont souvent victimes d’angoisses, en raison du statut d’infaillibilité que certains parents leur accordent. Dès lors, Chatton et Nguyen (2000) expliquent que pour se protéger, les enseignants évitent les confrontations et s’en tiennent à des propos non compromettants. Ainsi, on peut pressentir qu’il est difficile, dans ces conditions, d’établir un partenariat.

Les enseignants se sont-ils intéressés aux attentes des parents concernant le suivi scolaire de leur enfant et y répondent-ils ? Les parents ont-ils trouvé un espace et un climat relationnel rassurant pour les exposer ? Suivent-ils les directives ou préconisations de l’enseignant ? Nous pourrons alors confronter, entre autres, la conception que l’enseignant se fait de sa propre ouverture aux parents et la manière dont celle-ci est ressentie et vécue du côté de ces derniers, en fonction de leurs propres attentes. La communication est, en effet, primordiale à l’établissement d’une bonne collaboration. Dès lors, le professionnel doit veiller à utiliser un vocabulaire adapté à ses interlocuteurs (Kalubi, 2003) et analyser, avec les parents, des propositions acceptables pour tous (Chatelanat, 2003).

Nous nous intéresserons également plus spécifiquement, dans le second volet de cette recherche, aux devoirs à domicile et à l’intervention du parent dans ce cadre précis. Les devoirs représentent une tâche d’apprentissage prévue pour être réalisée par l’élève à la maison. Ainsi, s’il est convenu que l’enseignant possède la responsabilité de transmettre des savoirs, tel est le rôle pour lequel il a été formé, les devoirs à domicile impliquent un partage des tâches entre enseignants et parents puisque, dans le contexte familial, ce sont ces derniers qui doivent se substituer à l’enseignant en cas de difficultés rencontrées par l’enfant (Maulini, 2000). Dès lors, comment s’effectue ce partage de responsabilités ? Quelles sont les attentes des enseignants spécialisés envers les parents d’élèves dans cette tâche périlleuse requérant de multiples compétences pédagogiques et didactiques qu’est l’aide aux devoirs ? Comment les parents vivent-ils cette

« implication forcée », sans laquelle ils risqueraient de se voir attribuer, par l’enseignant de leur enfant, l’étiquette de « mauvais parents » ou de « parents absents » ? Beaucoup d’implicites sont rattachés aux devoirs, au travers de la relation parents-enseignants. Nous nous demandons donc comment les devoirs sont pensés par les enseignants spécialisés de notre recherche, relativement à la question de la participation des parents. Dans le cadre de la phase de récolte des données et d’analyse des résultats, il s’agira de relever, dans le discours des enseignants spécialisés lors des entretiens de recherche de type semi-directif, si le travail à domicile représente pour eux davantage un objectif d’autonomie, auquel cas leurs attentes en termes d’implication du parent seraient moindres, ou s’il répond plutôt à un objectif de réussite scolaire, auquel cas l’implication de ce dernier pourrait être la bienvenue pour favoriser les apprentissages de l’enfant.

Quant aux parents, la nature de leur implication est également révélatrice des objectifs qu’ils assignent au travail à domicile. Dès lors, nous constaterons quelles sont les attentes des parents quant aux devoirs et nous découvrirons si leur implication dans cette tâche est en adéquation avec les conceptions et attentes des enseignants spécialisés. De plus, nous regarderons si la nature des devoirs (au niveau du type de devoirs, de leur contenu et de la quantité donnée) correspond aux attentes des parents, et si celle-ci a fait l’objet d’échanges et de décisions communes. Il sera également possible de voir, en fonction du type de travail à domicile donné par les enseignants spécialisés de notre recherche (devoirs traditionnels vs. TTM), si nos résultats d’analyse du lien Famille-École et de l’implication des parents, telle qu’elle est favorisée par les enseignants, rejoignent les résultats de recherche mis en lumière par Mottet (1999). Il ressort de ces résultats que

les TTM favorisent l’implication des parents, renforcent le lien Famille-École et réduisent les conflits au sein des familles lors des devoirs.

Le parent est donc amené à intervenir auprès de son enfant selon ses conceptions de l’apprentissage et son approche pédagogique. Ses conceptions sont-elles « spontanées » ou ont-elles été « modelées » en fonction des attentes de l’enseignant ? Une intervention allant dans le même sens que celle de l’enseignant nécessiterait, dès lors, de la part de ce dernier, l’explicitation et la justification, d’une part, de sa propre conception de l’enseignement et de l’apprentissage, d’autre part, de ses attentes quant aux objectifs qu’il attribue aux devoirs et quant au type d’intervention du parent dans ce cadre. Dès lors, nous chercherons à comprendre comment se joue le « partenariat » souhaité pour que les attentes des deux parties soient satisfaites. Quel travail est entrepris pour parvenir à ce que les parents aient la possibilité de s’impliquer au sujet du travail scolaire (et du travail scolaire à domicile) réalisé par leur enfant ?

Afin de répondre à ces questions, nous nous intéresserons au type d’intervention d’un parent en situation de devoirs et confronterons cette observation aux propos des acteurs interrogés – enseignants spécialisés, parents et enfant. Cette partie de la recherche vise à révéler la présence d’un contrat « didactique » familial qui s’instaure entre l’enfant, le parent et l’objet de savoir sur lequel porte le devoir. Nous souhaitons également constater comment le contrat didactique scolaire, dans lequel l’élève doit correspondre continuellement aux attentes de son enseignant – attentes qui évoluent au fil du temps – s’insère dans le contrat « didactique » familial. Dès lors, lorsque l’enfant effectue ses devoirs, importe-t-il des éléments propres à l’école dans le contexte familial, puisque les tâches elles-mêmes proviennent du milieu scolaire ? Fait-il référence au savoir appris en classe et aux attentes de l’enseignant, dévoilant ainsi une partie de la nature du contrat didactique le liant à son enseignant ? Koudogbo Adihou (2001) a relevé dans son mémoire de Licence l’influence du contrat de recherche, puisque deux tâches ont été attribuées aux familles par la recherche. C’est pourquoi, il nous paraît particulièrement intéressant d’observer une famille lors d’un devoir imposé par l’enseignant, dont les tâches s’inscrivent dans le projet d’enseignement de celui-ci et dans l’histoire didactique de la famille, ce qui n’était pas le cas dans la recherche précitée.

Ce second volet, caractérisé par une analyse relevant du champ didactique, s’appuiera sur les descripteurs du contrat didactique, à savoir la mésogenèse, la chronogenèse et la topogenèse (cf.

Chapitre III. « Cadrage théorique », point 2.3.1). Cependant, nous nous centrerons, pour notre analyse, uniquement sur la catégorie relative à la topogenèse. En effet, nous cherchons essentiellement à savoir quelle place occupe le parent vis-à-vis de son enfant lors de l’aide aux devoirs, et si cette position évolue au cours de l’observation. Cela permettra de se rendre compte si le type d’intervention du parent correspond aux attentes de l’enseignant de l’enfant. Cependant, nous postulons que le topos occupé par le parent peut revêtir des formes diverses en fonction de l’objet de savoir qui est traité et de l’activité de l’enfant. Il s’agira de découvrir, entre autres, la nature des topos du parent et de l’enfant, c’est-à-dire leur position à propos des objets de savoir.

Ainsi, notre dispositif de recherche a été pensé dans le but de trouver des éléments de réponses à ces questions issues de la problématique.

2. QUESTIONS DE RECHERCHE

La question principale qui guide notre recherche est la suivante :

DANS QUELLE MESURE L’IMPLICATION DES PARENTS DANS LE SUIVI SCOLAIRE DE LEUR ENFANT FAIT-ELLE L’OBJET D’UNE COLLABORATION ENSEIGNANTS SPÉCIALISÉS – PARENTS ?

Dès lors, nous avons décliné cette question en sous-questions, de la façon suivante :

1. Quelles sont les attentes des enseignants spécialisés envers les parents de leurs élèves quant à leur implication dans la scolarité de l’enfant, puis plus précisément dans les travaux à domicile ? - Comment les enseignants spécialisés favorisent-ils l’implication des parents ?

- Dans quelle mesure les attentes des enseignants spécialisés sont-elles différentielles en fonction des familles ? En fonction de quoi ?

2. Quelles sont les attentes des parents envers les enseignants spécialisés de leur enfant ? - Quelles sont les attentes des parents quant à l’attitude de l’enseignant envers eux et envers

leur enfant ?

- Qu’attendent-ils des devoirs à domicile et comment s’y impliquent-ils ?

- Les attentes des parents envers les enseignants divergent-elles d’une famille à l’autre ?

3. Dans quelle mesure les attentes réciproques des acteurs concernés correspondent-elles ? - Comment les parents s’impliquent-ils dans la scolarité de leur enfant ? Est-ce conforme aux

attentes des enseignants spécialisés ? Les enseignants répondent-ils aux attentes des parents ? - Comment s’établit la collaboration entre les acteurs pour définir conjointement l’implication

des parents répondant aux besoins particuliers de l’enfant ?

4. À partir d’une observation filmée d’un parent et de son enfant en situation de devoirs, dans quelle mesure l’intervention du parent correspond-elle aux attentes de l’enseignant ?

- De quelle nature est le contrat « didactique » familial ?

- Quels topos le parent occupe-t-il vis-à-vis de son enfant dans le suivi des devoirs ?

- Dans quelle mesure les exercices proposés influencent-ils l’implication du parent dans le suivi des devoirs ?