• Aucun résultat trouvé

IV. CADRAGE THÉORIQUE

2.2 Objectifs des devoirs en lien avec l’implication des parents

Mottet (1999) relève quatre buts principaux attribués aux devoirs à domicile : la relation Famille-École, l’autonomie, la réussite scolaire, de même que le sens, l’intérêt et la motivation. Dans cette partie du cadrage, relative aux devoirs à domicile, nous développerons brièvement chacun de ces objectifs, car ils ont un lien direct (en ce qui concerne la relation Famille-École et l’autonomie) et indirect (en ce qui concerne la réussite scolaire ainsi que le sens et l’intérêt) avec la thématique qui nous intéresse, à savoir l’implication des parents, plus précisément dans le travail à domicile de leur enfant. Cette partie expose divers arguments, avancés tant par les partisans que par les réfractaires aux devoirs à domicile, en lien avec les objectifs précités qui leur sont assignés. Cependant, il n’est pas question ici d’entrer dans le débat interminable du « pour ou contre les devoirs ? », mais plutôt de mettre en lumière l’impact de ces arguments sur l’implication des parents dans le suivi scolaire de leur enfant.

2.2.1 Lien Famille-École : les devoirs sont-ils une réelle source d’informations pour les parents ?

La relation Famille-École est l’une des causes du débat sans fin « pour ou contre les devoirs ? ».

En effet, les réfractaires aux devoirs évoquent, en grande partie, les conflits et tensions qui peuvent émaner entre les parents et leur enfant lorsque ce dernier ne veut pas ou ne parvient pas à réaliser les tâches qui lui sont demandées. Perrenoud (1990) considère que les devoirs peuvent, dès lors, produire des situations stressantes dans lesquelles les parents pourraient ressentir un sentiment d’angoisse et de culpabilité lorsqu’ils sont confrontés à leurs éventuelles incompétences. En transformant les parents en « répétiteurs », l’école place certains d’entre eux dans des positions très inconfortables. Certains enseignants ou parents estiment, au contraire, que les devoirs sont

enrichissants, utiles, voire nécessaires. Différents statuts peuvent donc leur être assignés par les parents. Le premier est directement rattaché à l’enfant : selon eux, les devoirs peuvent permettre à ce dernier de consolider ses apprentissages et de développer des compétences.

De plus, certains parents estiment qu’ils sont également une source d’informations puisqu’ils voient en eux, d’une part, le miroir de ce qui se fait à l’école, lorsque leur enfant ne le leur raconte pas forcément, d’autre part, un révélateur des progrès et difficultés de leur enfant (Mottet, 1999).

C’est aussi pour certains d’entre eux le moyen de se sentir investis dans la scolarité de leur enfant, en lui apportant un soutien scolaire dans le but de combler ses lacunes. Par la même occasion, les parents considèrent parfois que les devoirs permettent un certain contrôle sur l’école (Ibid., 1999).

Mottet (1999) met en évidence les différentes préconisations des circulaires ayant paru à Genève entre 1993 et 1998 au sujet des devoirs. La circulaire de 1996 nous intéresse tout particulièrement car, si dans les circulaires de 1994 et 1995 le lien Famille-École était déjà mis en avant, il est stipulé dans cette nouvelle circulaire que les devoirs ne doivent pas être le seul lien devant exister entre la famille et l’école.

Dans le même sens, Perrenoud (1990) relève que les devoirs sont en réalité « la part la plus pauvre des programmes et du travail scolaire » (p. 4), et qu’il ne faut donc pas les considérer comme un moyen d’informer la famille de ce qui se fait à l’école.

Maulini (2000) écrit d’ailleurs à ce propos :

[…] la communication Famille-École, si elle est pensée comme un échange d’informations, n’est pas subordonnée à l’existence des devoirs : de nombreuses innovations ont montré que les cahiers école-maison, les portfolios d’évaluation, les classes ouvertes ou les réunions de parents donnaient une image beaucoup plus représentative de la richesse des activités pédagogiques. (p. 25)

Ce chercheur considère ainsi que la pédagogie différenciée et interactive, préconisée par la Rénovation1, vise, entre autres, à donner à l’élève des tâches stimulantes et à solliciter les parents ou l’entourage afin de « tisser du lien entre la culture scolaire et la vie des gens » (Ibid., 2000, p. 26).

Ainsi, il s’agirait, par exemple, d’impliquer les élèves dans des projets collectifs en les faisant travailler en dehors de la classe mais pour le groupe-classe. L’enfant pourrait alors mener des interviews ou des enquêtes auprès de diverses personnes, obtenir des informations auprès d’une personne en particulier (par exemple, interroger ses grands-parents sur le passé), etc. Maulini parle alors de circulation des savoirs (Ibid., 2000).

Nous nous intéresserons à savoir si enseignants spécialisés et parents voient au travers du travail scolaire à domicile l’occasion de créer une relation Famille-École et, dès lors, s’ils constituent, pour les enseignants une occasion d’informer les parents de ce qui se fait à l’école, et pour les parents, une occasion d’être informés du travail réalisé en classe.

1 La Rénovation est une réforme radicale du système scolaire primaire genevois induisant de nombreuses restructurations, telles que le système de notation, et poussant les écoles à une élaboration d’une démarche de projet d’établissement.

La directive D-DGEP-01A-15 Devoirs à domicile du 26 août 2013 préconise, concernant la

« Communication Famille-École », que les enseignants présentent aux parents les modalités des devoirs en début d’année scolaire, lors de la réunion de parents. De plus, ils doivent se renseigner régulièrement, lors des entretiens individuels avec les parents par exemple, sur le déroulement des devoirs à la maison, de façon à vérifier s’ils poursuivent les objectifs visés. Dans cette directive, il est précisé que l’enfant ne devrait pas avoir besoin de solliciter l’aide du parent durant les devoirs.

2.2.2 L’autonomie et la réussite scolaire au travers des devoirs : deux objectifs incompatibles ?

Comme énoncé précédemment, l’un des objectifs des devoirs évoqués par les acteurs scolaires est de développer l’autonomie de l’enfant, en l’amenant à gérer et réaliser seul son travail scolaire.

C’est un objectif principal visé par la directive D-DGEP-01A-15 Devoirs à domicile du 26 août 2013.

L’article 47 du règlement de l’enseignement primaire (du 14.09.95) stipule que « les devoirs doivent être préparés ou choisis de telle sorte que les enfants puissent les faire sans aide » (alinéa 2).

L’implication du parent n’est donc pas requise au travers de ce Règlement, et c’est l’autonomie de l’enfant qui est alors attendue.

Si la circulaire de 1996 stipule que les devoirs ne doivent pas être l’unique moyen de conduire l’enfant à devenir autonome face à son travail scolaire, ils constituent une occasion propice pour atteindre cet objectif puisque l’enfant n’est pas placé sous le regard de son enseignant et se retrouve ainsi régulièrement seul face à ses apprentissages qu’il doit lui-même prendre en charge (Hutin, 1990).

Or, si dans cette situation, l’enseignant ne peut apporter son aide à l’enfant, Hutin (1990) précise que c’est souvent le parent qui occupe cette position, entravant alors l’objectif d’autonomie visé par le travail à domicile (Mottet, 1999). Il est important de préciser, en effet, que « l’autonomie ne se décrète pas, elle se construit dans l’échange avec des personnes plus expertes que soi » (Maulini, 2000, source Internet). L’autonomie résulte alors d’un apprentissage et nécessite l’acquisition de compétences multiples, dont celle de mobiliser une méthode efficace pour réaliser son travail personnel, ce que tout élève n’a pas forcément déjà intégré. Dès lors, lorsque l’enfant se retrouve face à une incompréhension au cours du travail à domicile et qu’il n’a pas encore acquis des moyens d’autorégulation, il ne pourra résoudre son problème de manière autonome et devra solliciter l’aide de ses parents ou bénéficier d’un soutien scolaire, tel que les études surveillées ou l’appui d’un répétiteur (Ibid., source Internet). Sans cette aide externe, il serait contraint de rendre un devoir mal accompli, voire une « page blanche ». Ce chercheur pose alors la question fondamentale suivante : « Comment prétendre que le travail solitaire à domicile développe ipso facto une autonomie intellectuelle qui est davantage sa condition que sa conséquence ? » (Ibid., source Internet). Consciente de ce phénomène, l’Institution scolaire a précisément instauré les études surveillées, afin de réduire les inégalités sociales en palliant les difficultés que rencontrent certaines familles à suppléer l’enseignant lors des travaux à domicile.

L’une des raisons fréquentes de l’intervention du parent est liée à la trop grande difficulté des devoirs à effectuer (Mottet, 1999). Dès lors, en proposant des devoirs différenciés, soit adaptés aux compétences de l’élève, celui-ci devrait être capable de les assumer seul, sans l’aide de ses parents.

Ainsi, les devoirs prennent le statut de « consolidation » des apprentissages, d’« entraînement » à ce qui a déjà été réalisé en classe. Pasquier (1990) relève, outre la nécessité de donner des devoirs différenciés, l’utilité d’une préparation des devoirs en classe, permettant aux élèves de bien comprendre leur signification et ainsi de pouvoir les réaliser sans aide. C’est également ce qui est préconisé par la directive D-DGEP-01A-15 Devoirs à domicile du 26 août 2013.

L’objectif d’autonomie se pose alors en contradiction avec l’objectif de favoriser la réussite scolaire par le biais des devoirs. Perrenoud (1990) relève à ce propos un paradoxe : il considère que la mise en place de devoirs « réalisables » par tous les élèves, de manière autonome, rend les tâches à réaliser inutiles puisqu’elles ne permettent pas à ceux-ci de développer leurs compétences et de réaliser un réel apprentissage. En visant le développement de compétences au travers des devoirs, il précise que cela ne leur confère pas plus d’utilité, car les élèves se retrouveraient confrontés à un problème qu’ils ne pourraient résoudre seuls. Maulini (2000) parle de « paradoxe de l’apprentissage solitaire » (p. 24). Perrenoud (1990) considère ainsi que les devoirs ne contribuent pas à la réussite scolaire des élèves et ne leur font que peu sens.

La directive D-DGEP-01A-15 Devoirs à domicile du 26 août 2013 ne stipule pas que les devoirs doivent développer l’autonomie, même s’il est précisé que l’enfant doit les exécuter seul. En ce sens, l’autonomie est requise mais n’est pas un but en soi. L’objectif visé prioritairement est de permettre à l’élève d’apprendre à planifier et organiser son travail et à consolider les apprentissages réalisés en classe.

2.2.3 Les Temps de travail à la maison : incidences sur l’implication des parents

Afin que les élèves trouvent davantage de sens et d’intérêt à leur travail à domicile, Perrenoud (1993) est favorable aux TTM, Temps de travail à la maison, qui laissent un espace de négociation et d’initiative à l’enfant. Les TTM ont été créés, entre autres, pour permettre à l’enfant de trouver du sens au travail scolaire à domicile qui lui est demandé. Il s’agit pour cela de lier cette tâche à ses projets, à ses difficultés propres ou à une activité collective au sein de laquelle l’enfant aurait une tâche particulière à accomplir. Les TTM sont alors envisagés comme une ressource pour l’élève, et il est préconisé de ne les utiliser ni de façon réglementée ni rituelle, mais réellement en fonction des besoins et des projets de l’élève ou de la classe (Mottet, 1999).

Mottet (1999), dans son mémoire de Licence en Sciences de l’Éducation, se penche particulièrement sur le Temps de travail à la maison (TTM), nouvelle forme de travail à domicile, ayant émergé en 1991, et sur les représentations qu’enseignants, parents et élèves se font à propos de leur propre type de devoirs, traditionnels ou de type TTM, afin de les confronter.

Mottet (1999) a eu pour objet de découvrir l’impact que les TTM ont eu sur les représentations des acteurs concernés afin de déterminer si l’introduction de cette pratique pédagogique, nouvelle à cette époque, constituait réellement une nouvelle conception du travail à domicile. Dans ce but, elle a sélectionné cinq classes : les élèves de trois d’entre elles réalisaient des TTM, alors que ceux des deux autres classes effectuaient des devoirs traditionnels. En comparant les représentations des divers acteurs concernés, il en est ressorti - entre autres - que les TTM favorisaient les relations Famille-École, par le fait que les rapports parents-enfants durant le temps de « devoirs » réduisaient sensiblement les conflits. De plus, les résultats de recherche de Mottet montrent que les TTM

paraissent être une source d’investissement auprès des parents qui intervenaient alors par plaisir auprès de leur enfant, plutôt que par contrainte, comme cela s’est révélé être le cas au sujet des devoirs traditionnels. Dès lors, les parents étaient favorables à cette forme de travail à domicile et leur lien avec les enseignants en était amélioré.

Ainsi, des devoirs de type TTM paraissent favoriser l’implication des parents auprès de leur enfant, ce qui, vraisemblablement, a un impact positif sur la relation Famille-École.

2.3 L’intervention du parent auprès de son enfant en situation de devoirs : point de