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Lorsque nous avons débuté cette recherche, fortes de nos expériences de stages, tant en classes spécialisées qu’en classes ordinaires, nous avons émis l’hypothèse que les relations complexes et conflictuelles étaient plus nombreuses et plus importantes en contexte spécialisé qu’en ordinaire. Tout en veillant à ne pas renforcer certains stéréotypes, nous supposions en effet que les élèves scolarisés en contexte d’enseignement spécialisé grandissent, pour la plupart, dans un contexte familial plus « problématique » que les élèves de l’ordinaire. En effet, nous pensions que les parents seraient alors moins disponibles, moins présents dans le suivi scolaire de leur enfant car eux-mêmes accaparés par la gestion de problèmes du quotidien, dits « vitaux ». Ainsi, la collaboration avec les enseignants ne serait pas leur priorité. Dès lors, certains enseignants - moins tolérants que ceux interrogés - pourraient accabler ces parents et les blâmer pour leur indisponibilité, envenimant alors la relation parents-enseignants.

Or, cette impression n’a pu être validée par notre recherche. Lors de la constitution de l’échantillon, nous avons réalisé que les parents, motivés à participer à la recherche, appartenaient tous à la catégorie « familles impliquées », selon les enseignantes interrogées. Les entretiens avec les mères ainsi que les révélations des enseignantes l’ont confirmé. En effet, au-delà des attentes des enseignantes, les quatre mères sont impliquées dans la scolarité de leur enfant et ne semblent pas vivre de situations complexes au quotidien. De leur côté, les enseignantes interrogées prônent l’écoute, la communication, l’instauration d’un climat de confiance favorisant les échanges avec les parents. Toutes prennent en compte les besoins particuliers des élèves et de leur famille. Ainsi, notre recherche illustre un contexte collaboratif particulièrement prometteur et s’approchant de la collaboration « idéale » de partenariat où chacun des acteurs s’implique, échange, explicite ses attentes mutuelles dans un but commun : la progression de l’enfant-élève.

Cette recherche est-elle alors réellement objective et représentative de la collaboration parents-enseignants dans le contexte des regroupements spécialisés genevois ? Il aurait été intéressant d’interroger un plus grand nombre de familles et d’enseignants spécialisés. Certains parents pourraient alors se sentir moins interpellés par la scolarité de leur enfant, moins impliqués par l’enseignant ; mais aussi, certains enseignants spécialisés pourraient être moins sensibilisés à l’importance de l’implication des familles et peut-être moins tolérants envers leur indisponibilité.

Peut-être aurions-nous alors constaté une non-correspondance des attentes mutuelles…

Il est intéressant de relever que, lors de nos entretiens avec les enseignantes spécialisées, celles-ci ont évoqué des relations plutôt conflictuelles avec certains parents. Dans leurs propos, nous percevons que les parents ne semblent pas toujours correspondre à leurs attentes. Et nous supposons également qu’à l’inverse, les enseignantes ne correspondent pas non plus aux attentes de certains parents. En effet, si nous nous basons sur quelques situations conflictuelles rapportées par les mères de notre recherche – situation ayant souvent eu lieu en classe ordinaire – nous réalisons que ces enseignants ne correspondaient pas du tout aux attentes des parents puisque ces derniers ont dressé à plusieurs reprises le portrait d’enseignants « anti-collaborants » par excellence.

D’ailleurs, un phénomène particulier est survenu lors de la recherche de notre échantillon. En effet, certains enseignants, sans même consulter les parents, ont pris l’initiative de refuser à leur place leur participation à la recherche, nous assurant qu’aucun parent de leur classe ne serait enclin à s’engager dans cette démarche. Ils semblent donc avoir quelques préjugés et certaines attentes

préétablies quant à l’implication des parents d’élèves. Les raisons évoquées sont les suivantes : « ils sont non francophones », « ils ont trop de difficultés », « ils sont déjà dans des situations problématiques », « ils n’ont pas le temps », « on n’arrive jamais à les contacter », « ils ne s’impliquent pas de manière générale », etc. Ils pensent donc connaître les familles mais cela justifie-t-il le fait de décider à leur place, sans les consulter ? Pouvons-nous percevoir une signification particulière derrière ces divers refus de la part des enseignants ? Cela pourrait nous éclairer sur le climat relationnel régnant entre eux et les familles, un climat moins « idéal » que celui ressortant de notre enquête. Ces enseignants semblent se désengager et renoncer à faire l’effort d’impliquer les parents. Cette thématique étant parfois sensible, les enseignants auraient-ils eux-mêmes une certaine crainte d’être jugés quant à leur manière de collaborer avec les parents ? Ainsi que l’ont souligné Bonnefond et Rasson (2011) à propos des attentes des familles, certains parents auraient peut-être justement apprécié pouvoir donner leurs points de vue sur leur relation avec l’École. Ou alors le climat relationnel est tellement complexe qu’il est très difficile pour les enseignants de requérir la collaboration des parents. De nombreuses hypothèses sont possibles mais, quoi qu’il en soit, un prolongement de notre recherche semblerait pertinent afin d’obtenir une vision plus objective et réaliste de la collaboration Famille-École dans le contexte du spécialisé.

Cependant, même si cette recherche n’est peut-être pas totalement représentative de la réalité du terrain, elle nous donne un aperçu fort encourageant d’une évolution générale de la collaboration Famille-École vers un partenariat. En effet, la famille prend de plus en plus de place dans la scolarité de l’enfant, et les attentes des parents sont de plus en plus importantes. En effet, ils exigent et apprécient que l’école satisfasse ces attentes (Mottet, 1999). Le parent s’est vu octroyer la dénomination de « parent d’élève », signifiant alors son « devoir » de s’impliquer dans la scolarité de son enfant. Ainsi, afin de viser les mêmes objectifs pour le bien-être et la progression de l’enfant,

parents et enseignants n’ont pas à discuter s’ils doivent ou non collaborer; ils y sont contraints; ils sont tous deux attelés à une tâche commune : "élever" les mêmes enfants qui, eux, ne se partagent pas. Comme les bons attelages, ils doivent tirer dans le même sens (Honoré, 1974, p. 22, cité par Mottet, 1999, p. 22.)

Cela permettra de ne pas positionner l’enfant-élève dans un conflit de loyauté entre maison et école. Le partenariat, se rapprochant d’une co-gestion avec des rôles complémentaires, précisément définis pour chacun des acteurs, est la vision idéale de la collaboration entre parents et enseignants.

Cependant, gardons en tête qu’« il est important de nuancer une vision trop idyllique de la participation totale des parents dans les milieux éducatifs » (Bonnefond & Mouraux, 2011, p. 65). En effet, malgré toute bonne volonté, il n’est pas toujours possible de leur accorder une place aussi importante. Certains enseignants expriment également leur crainte de donner trop de pouvoir aux parents. N’oublions pas que les professionnels doivent aussi se sentir compétents et confiants dans le mode de relation basée sur le partenariat (Bouchard & Kalubi, 2006) et que ce dispositif leur demande beaucoup d’implication et d’investissement (Kalubi, 2003). Toutefois, nous réalisons que, finalement, l’évolution de la relation parents-enseignants vers ce type de collaboration est en pleine croissance. Une progression évidente s’annonce pour les années à venir dans le contexte scolaire.

D’ailleurs, en tant que futures enseignantes spécialisées, cette recherche nous a fait prendre conscience des impacts positifs, déterminants d’une collaboration adéquate avec les familles.

Cependant, elle n’est pas si évidente et nécessite une implication des deux pôles : familles et enseignants. Tout d’abord, soyons conscients que les parents sont les maillons essentiels à la