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Le problème de la main-d’œuvre et la classe ouvrière naissante

Le faible rendement, les difficultés du recrutement, le manque de stabilité

Un autre problème important pour les exploitants des mines charbon au Vietnam concer- nait la main-d’œuvre. Les mines, et plus particulièrement les mines de charbon, étaient une industrie de main-d’œuvre. Exploiter les mines, c’était avant tout embaucher et faire travailler les ouvriers.217 À cet égard, l’atout des charbonnages du Vietnam résidait dans le bas prix de

la main-d’œuvre. Au début des années 1890, un ouvrier mineur vietnamien était payé 0,25 piastre par jour, soit 0,90 franc environ,218 alors qu’un ouvrier mineur français gagnait 4,20

francs.219

Toutefois, les ingénieurs français mettaient en cause souvent la qualité de cette main- d’œuvre, comme le faisait remarquer Henri Charpentier : « Les mineurs indigènes produisent en ce pays le tiers à peine du rendement obtenu avec des ouvriers européens dans les mines d’Europe. »220 Il ajoutait ensuite : « La faiblesse musculaire des indigènes et leur apathie sont

les deux causes de leur faible rendement. »221 Ainsi, les patrons français avaient tendance à

attribuer la raison du faible rendement des ouvriers vietnamiens non dans le problème de la gestion de la main-d’œuvre ou de l’éducation professionnelle, mais dans tel ou tel caractère fondamental de la « race annamite ».

Pour les exploitants des mines, un autre problème concernait le recrutement de la main- d’œuvre et son maintien sur les chantiers. Cela peut sembler paradoxal, alors que le pays était fort peuplé. C’est pour cette dernière raison justement qu’au départ, la question de la main- d’œuvre ne fut pas prise suffisamment au sérieux, comme Fuchs et Saladin l’écrivaient en 1882 concernant l’emploi des Vietnamiens comme mineurs :

217 Joël MICHEL, La mine dévoreuse d’hommes, Paris : Gallimard, 1993, p. 28.

218 Ernest CARNOT, « Les charbonnages du Tonkin », Revue scientifique, T. 50, no. 27, 31 décembre 1892,

p. 840.

219 Marcel GILLET, Les charbonnages du nord de la France au XIXe siècle, Paris : Mouton, 1973, p. 477.

220 Henri CHARPENTIER, « L’industrie et les mines au Tonkin », op. cit., p. 542. 221 Ibid., p. 543.

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Il nous semble qu’il serait facile […] de les faire tourner au développement et à la prospé- rité de l’industrie houillère du Tong-King. Il suffirait probablement, pour cela, d’offrir aux ou- vriers des abris pour leurs familles et de leur garantir sérieusement la possession de leurs écono- mies […].222

Une fois l’exploitation des mines commencée, il s’avéra pourtant vite que ces conditions ne suffisaient pas à attirer les Vietnamiens aux mines et que le recrutement de la main-d’œuvre était plus compliqué qu’on l’avait pensé. Charpentier constatait une vingtaine d’années plus tard :

En plus de tous les obstacles que rencontrent les exploitants de mines au Tonkin, recherche du capital, difficultés de surveillance, transports coûteux de matériel et de personnel, il ne faut pas se dissimuler que la main-d’œuvre est difficile à recruter dans la population apathique de l’Extrême-Orient dont les besoins sont faibles et l’énergie limitée. La difficulté devient très grande lorsqu’il s’agit d’une industrie nécessitant un nombreux personnel d’une surveillance peu aisée, comme dans les mines et surtout dans les charbonnages où le tonnage à extraire, à prix de vente égal, est beaucoup plus considérable que dans les mines métalliques.223

La mine de Nông Sơn, dont le nombre d’ouvriers n’était que d’environ 600 en 1892, ne semble pas avoir rencontré de grande difficulté à les recruter dans la campagne environnante.224

Il n’en fut pas de même pour les charbonnages de Hòn Gai et de Kế Bào, dont les besoins en bras étaient beaucoup plus importants.225 Du reste, la province de Quảng Yên était peu peuplée,

du fait de sa terre peu propice à la riziculture, ce qui obligea les exploitants des mines à recourir

222 Edmond FUCHS & Édouard SALADIN, « Mémoire sur l’exploration … », op. cit., p. 266. 223 Henri CHARPENTIER, « L’industrie et les mines au Tonkin », op. cit., p. 541.

224 ANOM, GGI, 6022, Rapport de Marcellin Mallet sur les mines de Nông Sơn et de la SFHT, 29 avril

1893.

225 Pour les charbonnages de Hòn Gai et de Kế Bào, le nombre d’ouvriers présents au travail par jour

s’élevait en 1894 respectivement à environ 1 800. ANOM, GGI, 22961, Renseignements statistiques des charbonnages de Hòn Gai, 1889-1894 ; Renseignements statistiques des charbonnages de Kế Bào, 1889- 1895.

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largement aux paysans du Delta.226 Or, en général, ceux-ci n’acceptaient pas volontiers de quit-

ter leur village, tant que leur situation le leur permettait, comme le faisait remarquer l’ingénieur des mines Louis de Saugy en 1902 :

L’Annamite se déplace peu volontiers et il consent difficilement à venir s’établir dans des régions, qui n’offrent pour lui aucun intérêt par suite de l’absence de toutes les cultures qui lui sont chères, et qui jouissent en outre à ses yeux d’une réputation de grande insalubrité.227

Dans les années 1930, le géographe Charles Robequain considérait toujours la mentalité des paysans vietnamiens comme un des principaux obstacles empêchant leur migration vers les régions manquant de bras :

L’abandon, sans esprit de retour, de la terre natale paraît comme une impiété devant nuire non seulement à l’individu et à sa famille, mais à la commune entière. […] L’individu se sent indissolublement attaché à cette collectivité territoriale et mystique ; il est mal à l’aise quand il en est loin, et ne songe généralement qu’à y rentrer.228

De plus, les Vietnamiens répugnaient au travail souterrain. En juillet 1896, un certain nombre d’ouvriers recrutés par les charbonnages de Kế Bào, croyant qu’ils seraient occupés aux travaux du chemin de fer, prirent la fuite dès qu’ils apprirent qu’ils seraient en effet em- ployés au travail souterrain.229 Ainsi, les charbonnages de Kế Bào, dont tous les travaux

d’extraction étaient souterrains, rencontrèrent une grande difficulté au recrutement de la main- d’œuvre vietnamienne, d’autant plus que cette ile était considérée par la population du Delta comme malsaine.230 En cela, les charbonnages de Hòn Gai se trouvaient dans de conditions

plus avantageuses, car ils se situaient plus proches du Delta et qu’une grande partie des travaux

226 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique

de la province en juillet 1892.

227 Louis de SAUGY, « Des possibilités minières de l’Indo-Chine », op. cit., p. 496. 228 Charles ROBEQUAIN, L’évolution économique de l’Indochine française, op. cit., p. 73.

229 ANOM, IC AF, T01(6), Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

la province en juillet 1896.

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se faisaient en plein air. Ils ne furent toutefois pas entièrement exempts du problème de la main- d’œuvre. Du moins jusqu’à la première décennie du XXe siècle, leur exploitation fut souvent

empêchée par le manque temporaire de bras.

Il est pourtant nécessaire de relativiser notre vision sur la mentalité des ouvriers vietna- miens. La répugnance à l’égard des travaux des mines ne leur était pas particulière, comme l’écrivaient certains auteurs français de l’époque. Les paysans français du XIXe siècle n’accep-

tèrent eux aussi qu’à contrecœur d’aller travailler dans les mines.231 Même en Chine, le pays

le plus peuplé du monde, les exploitants de la mine de Kaiping eurent dans les années 1880- 1890 de sérieuses difficultés à recruter les paysans de la campagne environnante comme mi- neurs et durent faire venir un grand nombre d’ouvriers de la Chine du Sud.232 L’expansion de

l’industrie minière posait presque partout dans le monde le problème du recrutement de la main-d’œuvre.

Les charbonnages indochinois éprouvèrent également des difficultés à retenir aux mines les ouvriers difficilement recrutés. En effet, les patrons n’avaient aucun moyen de contrôler leur départ. Tous les ans, la majorité des ouvriers vietnamiens retournaient dans leur village lors des fêtes de Tết (Nouvel An vietnamien).233 En 1897, les charbonnages de Hòn Gai

décidèrent de continuer les travaux pendant les fêtes de Tết et d’infliger une amende aux absents. Cette mesure se solda par un échec total : personne ne parut dans les chantiers pendant les fêtes, et ne se présenta même après, ne voulant pas payer l’amende encourue.234 Une dizaine

de jours de repos était donc inévitable pour les fêtes de Tết, mais beaucoup d’ouvriers partaient plus tôt et revenaient plus tard que les dates fixées pour le congé.235 Évidemment, ce délai était

trop court pour les ouvriers, car à cette époque-là, les moyens de transport étaient peu

231 Diana COOPER-RICHET, Le peuple de la nuit : mines et mineurs en France (XIXe-XXIe siècle), Paris :

Perrin, 2002, pp. 31-33.

232 Ellsworth C. CARLSON, The Kaiping mines, op. cit., pp. 44-49.

233 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels et bimensuels du résident à Quảng Yên sur la situation

politique et économique de la province, février 1902 ; mars-avril, mai-juin 1904.

234 L’Indépendance tonkinoise, 1er mars 1897.

235 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique

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développés, donc il fallait plusieurs jours pour le trajet aller et retour. Quoi qu’il en soit, une partie des ouvriers ne retournaient jamais aux mines après les fêtes.

Le départ massif des ouvriers se produisait également aux mois de juillet et de novembre, pendant lesquels quelques centaines d’ouvriers vietnamiens quittaient les mines pour aller aider pour les récoltes dans leur village.236 Lorsque les récoltes étaient bonnes, ils avaient tendance

à y demeurer plus longtemps.237 Parfois, ils s’en allaient chercher d’autres emplois, tels que le

travail sur les chantiers de chemin de fer, qui était moins pénibles que le travail dans les mines surtout pendant la saison d’été.238 Ainsi, l’effectif des ouvriers mineurs connut des fluctuations

importantes et incessantes, comme l’illustre le Graphique 10. D’où la nécessité impérative des charbonnages de chercher de manière permanente des bras nécessaires à leur exploitation.

Graphique 10. Charbonnages de Hòn Gai (SFCT) : l’effectif d’ouvriers, 1903-1906

Sources : ANOM, RST AF, 27655, Rapports du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de la province, 1903-1906.

236 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels et bimensuels du résident à Quảng Yên sur la situation

politique et économique de la province, mai 1902 ; juin 1902 ; septembre-octobre 1903 ; mai-juin 1905 ; juillet-aout 1905.

237 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels et bimensuels du résident à Quảng Yên sur la situation

politique et économique de la province, février 1902 ; septembre-octobre 1903.

238 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique

de la province en juin 1900. - 1 000 2 000 3 000 4 000 5 000 6 000

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Les différentes solutions pour le recrutement des ouvriers mineurs

Les Chinois : un réservoir de main-d’œuvre pour les mines de charbon du Tonkin

Une des solutions pour faire face au manque de la main-d’œuvre était de recruter des ouvriers chinois. Les charbonnages de Kế Bào en employaient un certain moment jusqu’à trois milliers, représentant presque la totalité de leur personnel.239 Quant aux charbonnages de Hòn

Gai, après avoir renvoyé 450 ouvriers chinois en 1893, ils en gardèrent seulement 100 à 200 aux ateliers et aux chargements des bateaux. Jusqu’en 1900, ils employèrent exclusivement les ouvriers vietnamiens aux travaux d’extraction de charbon.240 Pourtant, cette dernière année, le

nombre d’ouvriers vietnamiens diminua sensiblement, passant de 4 000 en avril à moins de 2 000 en décembre.241 Les charbonnages de Hòn Gai furent alors obligés de recruter

massivement des ouvriers chinois, dont le nombre se maintint par la suite à 1 000 et s’élevait parfois jusqu’à 1 500, représentant environ 30 % de leur personnel (cf. Graphique 10).242

Quelques-uns de ces ouvriers chinois provenaient de la région frontalière nord-est du Tonkin et de la Chine, tandis que les autres venaient de la province de Guangdong. Cette main- d’œuvre immigrée était plus couteuse que la main-d’œuvre vietnamienne. Pour procéder au recrutement, les compagnies devaient récompenser les fonctionnaires chinois pour leurs con- cours et se charger du voyage et de la subsistance des ouvriers jusqu’au Tonkin. D’après une estimation, les frais nécessaires pour amener un ouvrier chinois à Hải Phòng s’élevaient à 10 piastres vers 1900, équivalant à peu près à un mois de salaire.243 Les salaires eux-mêmes étaient

239 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique

de la province en décembre 1893.

240 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels du résident à Quảng Yên sur la situation politique et

économique de la province, février 1893 ; décembre 1893 ; juin 1899 ; juillet 1900.

241 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels du résident à Quảng Yên sur la situation politique et

économique de la province, janvier-décembre 1900.

242 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels et bimensuels du résident à Quảng Yên sur la situation

politique et économique de la province, 1900-1906.

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plus élevés pour les Chinois, qui étaient payés en 1894 à raison de 25 à 30 cents par jour, tandis que les Vietnamiens gagnaient 15 à 25 cents.244

Néanmoins, les ouvriers chinois avaient l’atout majeur d’être plus faciles à recruter. De plus, quelques patrons français considéraient que les Chinois étaient plus adaptés au travail des mines que les Vietnamiens, comme l’avançaient les dirigeants de la SAFK à l’assemblée gé- nérale des actionnaires de 1892 : « Les Chinois surtout, faciles à recruter et plus vigoureux que les Annamites, se forment en quelques jours au travail des mines, absolument nouveau pour eux cependant, et deviennent rapidement de très bons ouvriers. »245 Sur ce sujet, les avis étaient

toutefois partagés. Nicolas Auer, résident de France à Quảng Yên écrivait en janvier 1901 que la main-d’œuvre chinoise était « bien plus productrice et plus stable » que la main-d’œuvre vietnamienne.246 En revanche, seulement six mois plus tard, son successeur, Gaston Benoit, les

jugeait « peu disciplinés, difficiles à conduire et ne produisant que très peu ».247

D’une manière générale, les autorités françaises se méfiaient des immigrés chinois.248

Elles craignaient surtout que certains d’entre eux ne joignissent les bandes armées chinoises, actives dans la région minière.249 Même après la disparition quasiment complète des bandes

armées de cette région, l’administration française s’inquiéta toujours des conséquences que pouvait avoir l’agglomération d’un grand nombre d’ouvriers chinois sur le maintien de l’ordre public, comme l’écrivait Jean Fitte, résident de France à Quảng Yên en juin 1907 : « La popu- lation flottante chinoise qui fournit une grande partie des coolies des exploitations minières,

244 ANOM, IC AF, H12(3), Rapport d’Arnaud, 23 mars 1894.

245 SAFK, Rapport du conseil d’administration présenté à l’AGO du 17 mai 1892.

246 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique

de la province en janvier 1901.

247 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique

de la province en juillet 1901.

248 Pour la politique française à l’égard des Chinois au Vietnam, voir Ramses AMER, « French policies

towards the Chinese in Vietnam : a study of migration and colonial responses », Moussons, no. 16, 2010.

249 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels du résident à Quảng Yên sur la situation politique et

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est en général laborieuse et calme ; malheureusement elle recèle toujours des malfaiteurs qui de temps en temps relèvent leur présence par quelque mauvais coup. »250

Du reste, les ouvriers chinois se montraient souvent peu obéissants envers les patrons français. Les charbonnages de Kế Bào rencontrèrent de grandes difficultés avec les ouvriers chinois qu’ils avaient recrutés à Hong Kong en 1897-1898 et dont le nombre s’élevait à plus de mille. Les premiers arrivés de ces ouvriers refusèrent au départ d’entrer dans les galeries, en prétendant qu’ils avaient été engagés à travailler sur les chantiers à ciel ouvert et non dans les mines souterraines. Ce n’est que sous la menace de l’arrêt de la distribution de la nourriture qu’ils se mirent à travailler dans les mines. Au travail, les conflits entre les ouvriers chinois et le personnel français éclatèrent étaient toujours fréquents. Le 2 janvier 1898, ils chassèrent du chantier, à coups de bâton et de pierres, leur surveillant français, qui avait frappé l’un d’entre eux. Le directeur des charbonnages voulut faire arrêter les coupables, mais la garde civile n’y arriva pas, se heurtant à une protestation très vive des Chinois.251

Un incident plus grave eut lieu quelques jours plus tard à Cái Đài-Mine. Le 26 janvier, lorsque deux ouvriers vietnamiens, accompagnés d’un garde civil, vinrent puiser dans un puits, les ouvriers chinois s’y opposèrent, en prétextant que son usage leur était exclusivement réservé. Une centaine de Chinois accourut aussitôt, la querelle évolua vite vers une rixe, qui imposa une intervention armée de la garde civile, entrainant la mort de trois Chinois.252 Par la suite, de tels

conflits ne se reproduisirent plus, mais la tension resta très vive entre les ouvriers chinois et les autorités françaises.

Les relations entre les ouvriers chinois et vietnamiens n’étaient pas non plus aisées. À certains moments, la tension évolua vers une violence sérieuse. Une rixe s’éclata le 22 juillet

250 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique

de la province en mai-juin 1907.

251 ANOM, GGI, 6299, Rapport de Julien Fourès, résident supérieur au Tonkin, au gouverneur général

au sujet des « Procédés de la Société Kébao à l’égard des coolies », 1er juin 1898.

252 ANOM, GGI, 6299, Rapport du lieutenant Philippeau sur la situation des ouvriers employés aux

charbonnages de Kế Bào, 22 février 1898 ; Lettre de Gaston Benoit, résident à Quảng Yên, au résident supérieur au Tonkin, 2 mai 1898.

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1901 à Hà Tu entre les deux groupes d’ouvriers à la suite d’une discussion élevée durant un jeu d’argent. Au cours de cet incident, quatre Chinois furent tués, six blessés, cinq ou six Viet- namiens blessés.253 D’après le résident de France à Quảng Yên, il ne s’agit pas là d’un simple

accident, mais de l’aboutissement de l’animosité que les ouvriers vietnamiens nourrissaient contre les ouvriers chinois depuis quelque temps :

La rixe qui a éclaté semble d’ailleurs n’être qu’une occasion cherchée depuis quelque temps, dont les Annamites ont profité pour donner libre cours à leur ressentiment contre les Chi- nois auxquels ils reprochent de les voler au jeu, de venir leur enlever leur travail, et surtout d’être payés beaucoup plus qu’eux bien que ne fournissant que la même quantité de travail.

La différence des salaires est en effet de quelques cents en faveur des coolies chinois. Ils espèrent par leur attitude obtenir le renvoi des Chinois ou tout au moins provoquer le départ de ceux-ci.254

Une surveillance étroite empêcha la répétition d’un tel incident, mais « une sourde ani- mosité » continua à régner entre les Chinois et les Vietnamiens de Hà Tu, de sorte que les autorités coloniales durent les séparer complètement, tant dans les villages que sur les chan- tiers.255

Le cout élevé de l’emploi des ouvriers chinois ainsi que les troubles que leur présence causait conduisirent les compagnies de charbonnages à chercher leur remplacement par les ouvriers vietnamiens. Pourtant, tant que cela n’était pas praticable, elles n’eurent pas d’autres choix que de recourir à la main-d’œuvre chinoise.

253 En fait, deux Chinois furent tués par des coups de fusil tirés par les surveillants européens qui voulu-

rent faire cesser la bagarre.

254 TTLTQG I, RST, 54919, Lettre de Gaston Benoit, résident à Quảng Yên, au résident supérieur au

Tonkin, 26 juillet 1901.

255 ANOM, RST AF, 27655, Rapports mensuels du résident à Quảng Yên sur la situation politique et

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Un cas extrême : l’emploi des prisonniers dans les charbonnages de Kế Bào

La solution la plus radicale adoptée pour faire face à la pénurie de la main-d’œuvre mi- nière était l’emploi des prisonniers, qui fut essayé dans les charbonnages de Kế Bào en 1897-