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Le démarrage de l’exploitation des mines de charbon : 1889-

Graphique 1. Extraction de charbon au Tonkin : Hòn Gai et Kế Bào, 1890-1899 (tonnes)

Sources : AN, 1977 1437, 284, Inspection générale des mines et de l’industrie, État administratif et statistique de la propriété minière en Indochine (statistiques arrêtées au 1er janvier 1940).

Les préparations de l’exploitation à Hòn Gai, à Kế Bào et à Nông Sơn

Comme Tim Wright l’a fait remarquer dans son étude historique sur les mines de charbon chinoises, la principale différence entre les mines « traditionnelles » et les mines « modernes » résidait dans l’échelle de l’exploitation. L’exploitation « traditionnelle » extrayait le charbon des couches proches de la surface en minimisant les travaux d’installation. Quand le gisement facilement accessible avait été épuisé, les exploitants abandonnaient les travaux et se mettaient à attaquer d’autres gisements également exploitables avec des techniques rudimentaires. En revanche, pour les mines « modernes », caractérisées par les installations plus élaborées telles que les chemins de fer transportant le charbon, une exploitation de grande échelle, visant à extraire le plus de charbon qui se trouvait dans les couches, s’imposait pour utiliser pleinement les investissements en capital fixe. À long terme, l’exploitation de grande échelle était plus

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économique, mais nécessitait plus de temps pour rémunérer les capitaux investis, et des travaux préparatoires assez importants avant de commencer l’extraction régulière de charbon.3

Les conditions d’exécution de ces travaux étaient nettement plus pénibles au Tonkin qu’en Europe. Au moment où l’exploitation des mines commença à Hòn Gai et à Kế Bào, cette région était presque déserte et partout couverte de brousse. Les ingénieurs et contremaitres venant de l’Europe et les ouvriers recrutés au Tonkin et en Chine durent construire tout à partir de presque rien sous un climat peu favorable et notamment sous la menace constante des bandes de « pirates ». En effet, la sécurité du bassin houiller de Quảng Yên n’était pas assurée jusqu’au début des années 1890, et les mines et les villages ouvriers faisaient fréquemment l’objet des actes de pillage. Une des conditions préalables pour la réussite de l’exploitation des mines était donc d’achever la « pacification » du Tonkin.

La « pacification » de Hòn Gai et de Kế Bào

L’instabilité politique, suite aux invasions successives des forces françaises depuis les années 1870 et à l’affaiblissement consécutif de l’autorité royale vietnamienne, créa une situa- tion propice à la formation de plusieurs bandes armées chinoises ou sino-vietnamiennes dans la haute région du Tonkin. Liu Yongfu (Lưu Vĩnh Phúc), commandant des Pavillons noirs, la plus puissante de ces bandes, partit pour la Chine à la fin de la guerre franco-sinoise, mais certains de ses sous-chefs ainsi que d’autres groupes de bandes armées restaient sur place et conservaient toujours leur influence hors de la portée des autorités coloniales.4 Retranchées

dans leurs camps situés dans les forêts vierges de la chaine de Đông Triều ou dans les ilots éparpillés dans la baie de Hạ Long, ces bandes armées tinrent souvent en échec les forces fran- çaises et opposèrent une barrière solide à l’avancée de la colonisation française.5 Le soutien

des populations locales et la forte mobilité étaient leur atout majeur dans la guerre contre les

3 Tim WRIGHT, Coal mining in China’s economy and society, op. cit., p. 35. 4 Cf. Bradley Camp DAVIS, Imperial bandits, op. cit.

5 Daha Chérif BA, « Pirates, rebelles et ordre colonial en Indochine française au XIXe siècle », Insaniyat :

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armées françaises.6 L’administration française appelait communément « pirates » tant les ban-

dits que les insurgés du mouvement Cần vương. Ces deux groupes partageaient l’hostilité en- vers les Français et nouaient parfois une alliance entre eux, mais on ne saurait les assimiler les uns aux autres.

Au début des années 1890, Hòn Gai et Kế Bào étaient dans la zone d’action des bandes commandées par Liu Qi (Lưu Kỳ), d’origine de la Chine du Sud.7 Il s’agissait des bandes pro-

fessionnelles se livrant au trafic frontalier de l’opium, des armes, des femmes et des enfants.8

La coexistence pacifique entre elles et l’exploitation des mines était pourtant maintenue un certain moment. Dans un article paru dans Le Courrier d’Haiphong, un « mineur » français faisait remarquer que jusqu’à la fin de l’année 1891, il s’était établi un modus vivendi entre les ouvriers des mines et les « pillards », permettant aux uns de travailler en sécurité et aux autres de vivre « par des moyens plus ou moins réguliers », c’est-à-dire par des redevances régulières que leur versaient les ouvriers. Cette situation changea avec le commencement d’une opération militaire pour pourchasser les bandits de la région minière. Liu Qi fut mort en février 1892 durant un combat contre les armées françaises, et ses bandes dispersées. Toutefois, celles-ci n’étaient pas détruites, et au contraire, se montrèrent plus violentes. « Jamais la région minière n’a été aussi troublée qu’elle l’est actuellement », déclarait le mineur en février 1892.9

En effet, les actes de pillage se multiplièrent dès la fin 1891. En décembre, des bandes chinoises pillèrent et incendièrent à deux reprises le village de Hà Tu.10 Le 28 janvier 1892,

une bande comprenant 70 à 80 Chinois et Vietnamiens envahit le même village pour enlever deux femmes.11 Le 7 avril, une bande composée d’une trentaine d’hommes chinois et

6 J. Kim MUNHOLLAND, « ‘Collaboration strategy’ and the French pacification of Tonkin, 1885-1897 »,

The historical journal, vol. 24, no. 3, 1981.

7 NGUYỄN Thanh Sỹ [Thi Sảnh], Lịch sử phong trào công nhân mỏ Quảng Ninh, vol. 1, op. cit., pp. 79-

82. Pour Liu Qi, voir aussi Bradley Camp DAVIS, Imperial bandits, op. cit., pp. 143-144.

8 Pierre BROCHEUX & Daniel HÉMERY, Indochine, op. cit., p. 59. 9 Le Courrier d’Haiphong, 18 février 1892.

10 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

la province en décembre 1891.

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vietnamiens attaqua les ouvriers de la SFCT employés aux terrassements de la voie ferrée, tuant un d’entre eux et blessant cinq autres.12

Les incidents les plus graves eurent lieu en novembre 1892. Plusieurs bandes, comptant 200 à 400 fusils, s’étaient réunies aux environs de Cẩm Phả, en vue de concerter un plan d’at- taque des mines de Hòn Gai et de Kế Bào.13 Le 10 novembre soir, une vingtaine d’hommes

envahirent le village minier de « Nagotna », pillant les maisons du débitant d’opium et du marchand chinois, enlevant quatorze femmes et enfants, tuant deux ouvriers et blessant quatre autres. Les bandits s’enfuirent avant que la garde civile n’arrivât. Le même village fut de nouveau attaqué dans la nuit du 13 au 14 novembre par une bande armée de 200 fusils à tir rapide. Une centaine d’hommes et de femmes les accompagnaient pour emporter le butin. À l’arrivée de la garde civile, les bandits s’enfuirent aussitôt en incendiant le village.14 Ces af-

faires provoquèrent une émotion très vive non seulement parmi le personnel européen, mais aussi parmi les ouvriers vietnamiens des mines.

Par la suite, les autorités militaires françaises lancèrent une opération militaire de grande envergure pour neutraliser définitivement les bandes armées actives dans la région minière. La plupart des chefs de bandes firent leur soumission ou furent pris ou tués. En même temps, des postes de la garde civile furent installés et les forces de police augmentées. Fin 1893, Hòn Gai comptait quatre postes de garde civile et une force de 85 hommes, et Kế Bào six postes de garde civile et une force de 145 hommes.15 « Il ne reste donc plus dans la province de Quang-

la province en février 1892.

12 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

la province en avril 1892.

13 Histoire militaire de l’Indochine française : des débuts à nos jours (juillet 1930), T. 2, Hanoi :

Imprimerie d’Extrême-Orient, 1930, p. 51.

14 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

la province en novembre 1892.

15 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

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Yên de grandes bandes organisées », déclarait en mars 1893 Gaston Benoit, résident de France à Quảng Yên.16

En effet, Hòn Gai ne connut plus d’incidents graves de cette sorte à partir de ce moment- là. Toutefois, à Kế Bào, les actes de piraterie ne furent pas arrêtés, d’autant que cette ile était plus vulnérable aux invasions des pirates de mer venant de la Chine et qu’il existait dans ses environs plusieurs ilots pouvant leur servir de refuge.17 Dans la nuit du 24 au 25 avril 1895, un

employé français des charbonnages et sa famille furent enlevés par des pirates chinois et ne furent relâchés qu’en octobre.18 Le renforcement des mesures de police exécuté par la suite

conduisit enfin à la disparition presque totale du banditisme dans cette ile à la fin de l’année 1895.

En 1886, le résident général Paul Bert avait cru que l’exploitation des mines attirerait les bandits au travail et contribuerait ainsi à la « pacification » de la région minière de manière plus effective que les canonnières pouvaient le faire.19 Dans la réalité, le développement de

l’exploitation des mines ne devint possible que par la force armée. La protection des exploita- tions minières était une des principales préoccupations des autorités coloniales, comme on peut lire dans un rapport du résident de France à Quảng Yên :

Je tins surtout à ce que la sécurité soit absolue dans les centres miniers de Hongay et Kébao, il est absolument nécessaire que ces sociétés soient efficacement protégées et à l’abri d’un coup de main et que les grands travaux d’exploitation puisent toujours se faire sans la moindre inquiétude.20

16 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

la province en mars 1893.

17 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

la province en juillet 1893.

18 Evelyne DURANTHON, Les charbonnages de Kebao, op. cit., pp. 249-260.

19 ANOM, IC AF, T41(3), Lettre de Paul Bert, résident général, au ministre des Affaires étrangères, 20

octobre 1886.

20 ANOM, RST AF, 27655, Rapport du résident à Quảng Yên sur la situation politique et économique de

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L’État colonial apparut ainsi comme un garant de la sécurité des entreprises françaises, cette fonction étant particulièrement essentielle dans la première étape de leur développement.

Les travaux préparatoires à Hòn Gai

Malgré la menace des bandes armées, les travaux pour préparer l’exploitation des mines progressèrent régulièrement. À Hòn Gai, la SFCT commença ces travaux quelques mois après sa constitution en avril 1888.21 Le domaine qui lui avait été concédé couvrait une vaste zone

s’étendant de Hòn Gai à Cẩm Phả, sur une surface de 23 000 hectares, tel qu’il fut fixé en décembre 1906 (cf. Carte 8).22 Les richesses minières de ces terrains ne faisaient aucun doute,

comme l’observait Marcellin Mallet, contrôleur des mines, en 1891 :

La concession exploitée par la Société française des charbonnages du Tonkin est appelée à un très grand avenir. Le nombre, la régularité, et la puissance des couches reconnues en font un centre houiller des plus remarquables, un véritable nid à charbon, qui s’augmente à chaque instant par de nouvelles découvertes d’affleurements dans les parties non fouillées actuellement.23

Parmi plusieurs gisements qui se trouvaient dans ce domaine , la société décida d’exploi- ter d’abord la mine « Nagotna » et Hà Tu, laissant provisoirement à l’abandon la région de Cẩm Phả, dont la mise en valeur était considérée comme malaisée à cause de sa grande distance de Hòn Gai (cf. Carte 8).24

21 TTLTQG I, RST, 69918, Lettre de Gaston Benoit, résident à Quảng Yên, au résident supérieur au

Tonkin, 3 aout 1888.

22 ANMT, 2011 030, 5922, Procès-verbal d’abornement de la concession de la SFCT, 28 janvier 1907.

L’acte de concession original désignait comme le bord nord de la concession le terrain permien, or, il s’avéra plus tard que cet étage n’existait pas dans la région. Il en résulta un désaccord entre le concessionnaire et l’administration pour la délimitation du domaine, et le bornage ne fut exécuté qu’en décembre 1906. ANOM, GGI, 6297, Lettre d’Élie Groleau, résident supérieur au Tonkin, au gouverneur général, 5 décembre 1906.

23 ANOM, IC AF, T01(5), Rapport de Marcellin Mallet, contrôleur des mines, sur les mines du Tonkin,

20 février 1891, pp. 70-71.

24 Rapport de Joseph Durand, directeur de l’exploitation de la SFCT, sur les travaux de l’exercice 1890,

L’Indépendance tonkinoise, 12 mai 1891 ; ANOM, GGI, 6290, Rapport de Joseph Durand sur les travaux de

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Image 3. Mine à ciel ouvert de Hà Tu

Source : Jules GERVAIS-COURTELLEMONT, Empire colonial de la France : l’Indo-Chine, Paris :

Firmin-Didot, 1901, p. 133.

Image 4. Mine à ciel ouvert de Hà Tu

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La mine « Nagotna » fut aménagée en vue d’une exploitation souterraine desservie par des galeries débouchant sur le flanc de coteau ainsi que par un puits. Ce puits d’une profondeur de 132 mètres fut accompli en juin 1893.25 En revanche, pour le gisement de Hà Tu, où le

terrain de recouvrement était peu consistant et peu épais, la société choisit de l’exploiter à ciel ouvert. Les gigantesques « amphithéâtres » aux gradins de la « carrière » de Hà Tu sur le ver- sant des collines donnaient une vive impression aux visiteurs (cf. Image 3 et Image 4).26

Chaque centre d’extraction fut relié par voie ferrée à Hòn Gai, siège de la direction et port d’embarquement de charbon. Le tronçon de « Nagotna », de 3,7 kilomètres, fut inauguré le 28 septembre 1891 en présence du gouverneur général, Jean-Marie de Lanessan,27 et celui

de Hà Tu, de 9,5 kilomètres, fut achevé en octobre de l’année suivante.28

À Hòn Gai, la voie ferrée se prolongeait sur les quais et jusqu’à l’appontement. Achevé en 1892, cet appontement pouvait accueillir de grands bateaux jusqu’à 6 m 30 de tirant d’eau à marée basse et s’équipait de deux grues hydrauliques facilitant l’embarquement de charbon.29

À Hòn Gai furent aussi construits des bureaux, des magasins, des ateliers de réparation, un criblage, des maisons d’habitation pour le personnel européen et une cité ouvrière. La transfor- mation de cette ville après le commencement de l’exploitation des mines fut rapide et considé- rable, comme le constatait de Lanessan en 1893 :

En 1887, lorsque je visitai la région d’Hongay, elle était absolument déserte. Il y a seule- ment trois ans, quand on arrivait à Hongay, on ne trouvait qu’un pays envahi par la brousse et encaissé par des falaises arides. Aujourd’hui, il y existe une véritable ville européenne, où réside le nombreux personnel de la compagnie. […] C’est un centre industriel considérable qui a été

25 Marcellin MALLET, « Rapport général sur les charbonnages de Hongay (juin 1893) », Revue indo-

chinoise illustrée, no. 8, 1894, pp. 58-75.

26 L’Indépendance tonkinoise, 6 octobre 1891. 27 L’Indépendance tonkinoise, 3 octobre 1891.

28 Félix BRARD, « Les charbonnages d’Hongay (Tonkin) », Mémoires et compte rendu des travaux de la

Société des ingénieurs civils de France, janvier 1897, p. 83.

29 Marcellin MALLET, « Rapport général sur les charbonnages de Hongay », op. cit., pp. 85-87 ; Félix

119 ainsi constitué de toutes pièces en moins de trois ans, et qui assure déjà du travail à une soixan- taine d’Européens, et à plus de trois mille Chinois ou Annamites.30

Les travaux préparatoires à Kế Bào

À Kế Bào, la SAFK se mit aux travaux pour préparer l’exploitation des mines en 1889. Situé à l’extrémité orientale du bassin houiller de Quảng Yên, le gisement de Kế Bào présentait des conditions moins favorables à l’exploitation que celui de Hòn Gai : les couches étaient moins épaisses, et en outre, elles n’étaient pas exploitables à ciel ouvert comme c’était le cas de Hà Tu.31 Par ailleurs, la qualité du charbon semblait aussi douteuse. Ces constatations divi-

sèrent l’opinion des dirigeants de la société sur le plan d’exploitation des mines. Alors que certains d’entre eux conseillèrent la prudence, d’autres, au contraire, soutinrent la dépense immédiate de plusieurs millions de francs en vue d’une grande exploitation.32

Afin de trancher d’une marnière définitive, le conseil d’administration envoya à Kế Bào une mission d’étude, qui fut confiée à Émile Sarran, que nous avons vu diriger la mission de recherche minière au Tonkin de 1885 à 1886 par ordre du gouvernement. D’octobre 1889 à avril de l’année suivante, il conduisit l’exploration des couches exploitables, tout en entrepre- nant une extraction provisoire. Les essais effectués avec les échantillons pris des couches pro- fondes donnèrent des résultats satisfaisants. Aussi, à la fin de la mission de Sarran, l’opinion du conseil d’administration penchait-elle pour une grande exploitation.33

30 ANOM, IC AF, T10(3), Rapport de Jean-Marie de Lanessan, gouverneur général, au sous-secrétaire

d’État aux Colonies sur les mines de charbon du Tonkin et de l’Annam, 13 février 1893.

31 Émile SARRAN, « Le Tonkin au point de vue minier », Bulletin des mines, 21 mai 1892, p. 1631. 32 Jules BOISSIÈRE, « Les questions du Tonkin – Kébao », Revue indo-chinoise illustrée, no. 1, 1893, pp.

19-20.

33 Henri RÉMAURY, « Le Tonkin et ses ressources houillères, principalement dans la concession de l’île

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Image 5. Puits « de Lanessan » et criblage provisoire à Kế Bào

Source : Jules BOISSIÈRE, « Les questions du

Tonkin – Kébao », Revue indochinoise illustrée, no. 1, aout 1893.

Après l’arrivée du nouveau directeur général, Henri Portal, en juin 1891, les travaux avancèrent de manière plus significative.34 Après Kế Bào-Mine et Cái Đài-Mine, un troisième

centre d’extraction, nommé mine « Rémaury », fut ouvert en 1893 (cf. Carte 9).35 Par ailleurs,

un puits d’une profondeur de 138 mètres fut creusé à Kế Bào-Mine (cf. Image 5). L’inauguration de ce puits, nommé « de Lanessan » d’après le nom du gouverneur général d’alors, fut somptueusement célébrée le 20 juin en présence du gouverneur général ainsi que de plusieurs hauts fonctionnaires de l’administration française et vietnamienne, militaires, hommes d’affaires, journalistes et autres personnalités renommées de la colonie. Le discours de De Lanessan annoncé au cours de cette cérémonie révéla bien la signification que les Fran- çais de l’époque donnaient à l’exploitation des richesses minières de la colonie :

34 SAFK, Rapport d’Henri Portal, directeur général, présenté à l’AGO du 30 juillet 1895 (ANMT, 65 AQ, L232). 35 SAFK, Rapport d’Henri Rémaury, ingénieur-conseil, présenté à l’AGO du 17 mai 1892 (ANMT, 65

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Dans cette île inculte et malsaine, n’ayant pour elle en apparence que la grâce de ses con- tours et le chatoiement de ses verdures, vous avez introduit la vie, le travail, le progrès, la science et le génie de notre race ; de ce foyer de fièvre vous avez fait un foyer de richesse industrielle, capable de rivaliser bientôt avec les autres houillères les mieux outillées et les plus riches de l’Europe.36

L’achèvement du puits accrut considérablement la capacité de production, ou du moins les dirigeants de la société le supposèrent. Cependant, avant d’accélérer l’extraction de charbon, il était nécessaire d’aménager les moyens de transport et d’exportation. Au départ, le charbon fut embarqué sur des chalands à l’appontement provisoire construit au bord de la rivière Kế Bào et transporté à Hải Phòng pour être transbordé sur de grands bateaux. Considérant cette manière comme inefficace, les dirigeants de la société voulurent construire un port définitif, d’où l’on pourrait charger du charbon directement sur de grands bateaux.37 Le problème résida

dans l’impossibilité de trouver, à proximité des mines, un emplacement adéquat, l’eau n’étant pas assez profonde là-bas. En revanche, la rade de Tiên Yên, au nord-est de l’ile, présentait de meilleures conditions naturelles, les bateaux de plus fort tonnage pouvant y accéder en tout temps et en sécurité. Un port au bord de cette rade avait cependant un inconvénient majeur d’être trop loin des mines : pour le relier aux mines, il fallait construire une voie ferrée de plus