• Aucun résultat trouvé

Les positions des autorités françaises et vietnamiennes à l’égard de l’exploitation des mines

Alors que les recherches sur le charbon se faisaient sur le terrain, les chargés d’affaires à Huế tentèrent d’obtenir le droit de les exploiter au profit des Français. C’est en particulier Rheinart des Essarts, en poste du 25 juillet 1875 au 14 décembre 1876, du 28 juin 1879 au 1er

19 ANOM, Amiraux, 13225, Lettre de Charles Mourin d’Arfeuille, consul à Hải Phòng, au gouverneur

de la Cochinchine, 27 juin 1881.

20 Décision du gouverneur de la Cochinchine du 30 septembre 1881, Bulletin officiel de la Cochinchine

française, no. 9, septembre 1881.

21 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre du capitaine de frégate Timothée Escudier au chef de division

40

octobre 1880, du 15 aout 1881 au 5 juin 1883 et du 28 mai au 24 octobre 1884, qui s’occupa énergiquement de cette question. Dès 1875, il envisagea de profiter des difficultés financières de la Cour pour la pousser à accorder des concessions minières aux Français :

Le gouvernement annamite paraît, en ce moment, être très pauvre ; le ministre me demande souvent les moyens d’obtenir rapidement de l’argent. Il y a au Tonquin, et sur quelques points de la côte, des gisements de charbons inexploités, et dans quelques provinces du Tonquin quelques mines de métaux ; mon intention était d’engager le gouvernement annamite à faire publier dans la colonie, qu’il autorisait les fouilles dans les mines, et qu’il était disposé à concéder l’exploita- tion à ceux qui auraient fait ces fouilles, si les gisements, mines, étaient jugés exploitables, et si les conditions devaient être également avantageuses pour les deux parties. L’exploitation des mines pourrait assurément être d’un certain profit pour les Annamites, mais je n’ai pas voulu entamer cette question avant d’avoir votre assentiment. Les fouilles peuvent être difficiles et coûteuses, le gouvernement annamite ne pourra guère faire autre chose que de laisser toute liberté d’action ; ils renonceront toujours à toute entreprise qui exigerait une première mise de fonds sans certitudes de succès.22

Quelle était alors la position des autorités vietnamiennes sur cette question ? Loin de négliger l’importance de la mise en valeur des mines, elles manifestèrent plusieurs fois leur volonté de l’encourager. Elles demandèrent ainsi aux autorités françaises des modèles de con- trat de concession minière, qu’elles ne reçurent pourtant jamais.23 Elles envisagèrent même

d’envoyer de jeunes lettrés en France afin qu’ils se formassent au génie, mais le projet n’aboutit pas.24 De plus, en 1877, la Cour fit publier un ouvrage chinois, écrit sous la dictée d’un Anglais,

22 ANOM, Amiraux, 12764, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 27 aout 1875.

23 ANOM, Amiraux, 12785, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 20 janvier 1876 ; ANOM, Amiraux, 12808, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts au gouverneur de la Cochinchine, 8 juillet 1876.

24 ANOM, Amiraux, 12916, Lettre de Nguyễn Văn Tường, chef du bureau des relations extérieures et du

commerce [quan Thương bạc] du royaume de Vietnam, au chargé d’affaires à Huế, 10 octobre 1880 ; Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au gouverneur de la Cochinchine, 31 octobre 1880.

41

sur les techniques de l’exploitation des mines de charbon : Khai môi yếu pháp [Méthodes de l’exploitation du charbon].25 Ce courant en faveur de la modernisation était soutenu par des

éléments réformistes de la Cour, parmi lesquels figurait Phạm Phú Thứ, gouverneur général de Hải Dương et Quảng Yên de 1876 à 1878, qui rédigea d’ailleurs la préface de Khai môi yếu pháp. Les recherches réalisées en 1876 par Espitalier avaient, en fait, été demandées par ce haut fonctionnaire. Celui-ci déclarait dans une lettre adressée au consul français : « En ce qui concerne l’exploitation des mines, la Cour d’Hué était disposée à accorder des concessions […]. »26 Cette affirmation correspondait-elle vraiment aux intentions de la Cour ? Cette der-

nière voulait bien mettre en valeur les mines, mais les concéder aux Français, c’était une autre question. Rheinart ne se faisait d’ailleurs aucune illusion sur son intention de la Cour : les autorités vietnamiennes n’étaient pas disposées à accorder les exploitations minières aux étran- gers de sitôt.27

Selon la chronique du 3e mois de la 31e année de Tự Đức [avril 1878] du Đại Nam thực

lục [Annales du royaume de Đại Nam], la Cour concéda « pour la première fois » une mine de charbon située dans la province de Quảng Yên à un négociant chinois nommé Ngô Nguyên Thành pour trente ans.28 Dans les archives françaises, nous n’avons trouvé aucune mention de

cette concession minière qui aurait été accordée en 1878, mais le consul à Hải Phòng signalait dans son rapport en date du 25 juin 1876 qu’un Chinois de Sài Gòn avait obtenu le droit d’exploiter une mine de charbon.29 Il est possible qu’il s’agisse de la même concession, soit

25 PHAN Huy Lê, « Tình hình khai mỏ dưới triều Nguyễn », op. cit., p. 43. Cet ouvrage fut également

distribué en Corée à la même époque. KIM Eun Jung, Iljeui hangook seoktansaneop chimtal yeongu, op. cit.,

p. 24.

26 ANOM, Amiraux, 13133, Lettre de Louis Turc, consul à Hải Phòng, au gouverneur de la Cochinchine,

19 avril 1876.

27 ANOM, Amiraux, 12785, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 20 janvier 1876.

28 Đại Nam thực lục chính biên, 4e période, vol. 59 (Viện khoa học xã hội Việt Nam & Viện sử học (éds.),

Đại Nam thực lục [Annales du royaume de Đại Nam], vol. 8, Tam Kỳ : Nxb. Giáo dục, 2007, pp. 280-281).

29 ANOM, Amiraux, 13137, Lettre de Louis Turc, consul à Hải Phòng, au gouverneur de la Cochinchine,

42

que les documents vietnamiens aient enregistré le fait postérieurement, soit que la concession n’ait été officiellement accordée qu’en 1878. En outre, d’après la chronique du 10e mois de la

31e année de Tự Đức [novembre 1878], un négociant occidental « Bô-đi », d’une part, et un

Chinois Trần Mục Thân et un Prussien « Li-di », d’autre part, demandèrent aussi les conces- sions des mines de charbon dans la région de Đông Triều.30 Il nous semble que « Bô-đi » n’était

autre que le négociant français Boyer qui, selon le rapport du consul français cité plus haut, avait demandé en 1876 la concession d’une mine à Chập Khê, prospectée par le capitaine Es- pitalier.31 Selon le Đại Nam thực lục, l’empereur et les mandarins consentirent également aux

concessions des mines à « Bô-đi » et à Trần Mục Thân et « Li-di », mais la comparaison avec les documents français tend à nous faire douter que les contrats de concession aient été effec- tivement conclus. L’exploitation de la mine concédée à Ngô Nguyên Thành ne réussit pas non plus, et il semble que la concession fut bientôt annulée. En tout cas, au moment où les Français installèrent le protectorat au Vietnam en 1883-1884, il n’existait qu’une seule concession mi- nière valable dans le pays : celle de Nông Sơn dont nous parlerons.32

30 Đại Nam thực lục chính biên, 4e période, vol. 60 (Viện khoa học xã hội Việt Nam & Viện sử học (éds.),

Đại Nam thực lục, vol. 8, op. cit., pp. 312-313).

31 ANOM, Amiraux, 13137, Lettre de Louis Turc, consul à Hải Phòng, au gouverneur de la Cochinchine,

25 juin 1876.

32 ANOM, IC AF, T10(1), Lettre de Jules Ferry, président du conseil, ministre des Affaires étrangères,

43

Carte 4. Mine de Nông Sơn et le Centre du royaume de Đại Nam

44

L’affaire de la mine de Nông Sơn

Dans son rapport en date du 3 avril 1880, Rheinart fit savoir au gouverneur de la Cochin- chine qu’un Vietnamien avait sollicité son aide pour acquérir la mine de Nông Sơn, située dans la province de Quảng Nam à 65 kilomètres environ au sud-ouest de Tourane (cf. Carte 4).33

Toutefois avant même que ce rapport n’arrivât à Sài Gòn, un autre candidat se présenta. C’était un Chinois du nom de Châu Tinh Nam qui en demanda la concession pour trente ans.34 Nguyễn

Văn Tường, ministre des Finances [thượng thư bộ Hộ] et chef du bureau des relations exté- rieures et du commerce [quan Thương bạc]35, qui était l’un des plus influents hauts fonction-

naires de l’époque, se montra favorable à cette demande.

Pour Rheinart, « il serait tout à fait fâcheux de voir cette affaire tomber entre les mains des Chinois. » S’étant décidé à « tout faire pour les écarter en cette circonstance », il proposa au gouverneur de la Cochinchine trois mesures possibles :

On pourrait, pour cela, mettre le gouvernement annamite en garde contre l’inconvénient qu’il y aurait à concéder des mines sans avoir au préalable une connaissance exacte de leur valeur ; lui proposer officiellement d’envoyer le plus tôt possible un ingénieur pour étudier le pays, et plus particulièrement la zone où houille a été trouvée ; enfin, proposer de réserver à conditions égales aux bras et aux capitaux annamites et français le privilège d’exploitation des mines. Il serait très urgent, me paraît-il, de faire venir sans délai de France un ingénieur ayant les connais- sances spéciales nécessaires pour faire cette étude.36

33 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 3 avril 1880.

34 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre de Châu Tinh Nam, 4 avril 1880.

35 Le quan Thương bạc, chef du bureau des relations extérieures et du commerce, correspondait au mi-

nistre des Affaires étrangères. La communication entre les autorités françaises et la Cour impériale de Huế se faisait exclusivement par lui.

36 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

45

En réponse aux propositions du chargé d’affaires, Le Myre de Vilers l’invita à concentrer d’abord ses efforts à empêcher l’octroi de la concession au Chinois, l’envoi d’un ingénieur n’étant pas possible dans l’immédiat. Par conséquent, Rheinart dut se contenter d’écrire à l’em- pereur une lettre le mettant au courant de ce qui s’était passé pour la mine de Nông Sơn, en insistant sur les inconvénients qu’aurait un semblable engagement vis-à-vis d’étrangers. L’em- pereur convoqua alors le ministre des Finances, et la procédure de la concession fut suspen- due.37

Les Français crurent que leurs arguments avaient convaincu l’empereur et que l’incident était ainsi clos. En réalité, les autorités vietnamiennes n’abandonnèrent jamais le marché. En novembre 1880, le Chinois Châu Tinh Nam fit une nouvelle demande de la concession en proposant d’en diminuer la durée à vingt-huit ans et d’élever le montant total à 190 000 liga- tures [quan].38 De plus, au début de l’année 1881, un autre Chinois du nom de Lương Văn

Phong, disant avoir exploité des mines de charbon en Chine, déposa une demande de conces- sion pour vingt-neuf ans contre le versement de la somme totale de 311 500 ligatures. De son côté, la Cour demanda aux autorités françaises en Cochinchine de faire l’essai du charbon de Nông Sơn, et en même temps, effectua par elle-même des essais à bord d’un bateau à vapeur qu’elle possédait. Les résultats obtenus de ces expériences étaient en fait loin d’être satisfai- sants : le charbon de Nông Sơn s’avérait de mauvaise qualité, quoiqu’utilisable. Les Chinois ne retirèrent pourtant pas leur demande,39 et malgré l’effort de Louis Palasme de Champeaux,

remplaçant de Rheinart, contre la démarche, la mine de Nông Sơn fut concédée le 17 mars 1881 à Lương Văn Phong, ce dernier ayant offert le prix le plus élevé.40

37 ANOM, Amiraux, 12921, Lettre de Louis Eugène Palasme de Champeaux, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 13 janvier 1881.

38 600 pièces de sapèque enfilées forment une ligature ou un quan.

39 ANOM, GGI, 16829, Rapport du ministère des Finances [bộ Hộ] du royaume de Vietnam à l’empereur

Tự Đức, 12 mars 1881.

40 ANOM, GGI, 16829, Brevet délivré à Lương Văn Phong par le ministère des Finances [bộ Hộ] du

46

Les Français s’indignèrent de voir la mine tomber dans les mains des Chinois. Cette af- faire compromettait non seulement l’intérêt des Français, mais aussi leur prestige, témoignant de l’incapacité des autorités françaises à imposer leur point de vue aux autorités vietnamiennes. Rheinart avait supposé que Tường vendrait « à vil prix à des Chinois pour un pot-de-vin con- sidérable un nouveau produit de son pays, commerce auquel se livre journellement cet avide fonctionnaire. »41 Certes, il n’est pas impossible que le ministre ait été acheté, mais nous ne

disposons d’aucun document pour vérifier cette hypothèse. De toute façon, il ne faut pas pren- dre pour argent comptant les propos des Français sur lui, considéré comme un des opposants les plus fermes à l’influence française.42

Pendant que l’affaire de la mine de Nông Sơn se déroulait, Rheinart et de Champeaux ne cessèrent de faire prévaloir aux autorités vietnamiennes leur point de vue. Selon eux, il était imprudent de concéder les mines sans connaitre leur valeur exacte, car dans ce cas-là, l’État ne pourrait pas en tirer tout le profit qu’elles produiraient. Du reste, insistaient-ils, il était d’autant moins souhaitable d’autoriser l’exploitation des mines aux étrangers qui n’avaient pour but que de « s’enrichir au détriment de la population du pays » : c’était un grand désavantage à « l’in- térêt du fisc et la dignité de la nation » de laisser les « intrigants » exploiter les ressources mi- nières.43 Propos étonnant de la part de Français qui cherchaient à prendre le contrôle des mines

du Vietnam à la place des Chinois. N’était-ce pas également préjudiciable à l’intérêt fiscal et à la dignité nationale du Vietnam que confier leur exploitation aux Français, tout aussi étrangers que les Chinois ?

Les autorités vietnamiennes ne partageaient pas le point de vue des Français. Elles ren- contraient à cette époque-là des difficultés financières tellement graves qu’elles ne pouvaient

41 ANOM, Amiraux, 12921, Lettre de Louis Eugène Palasme de Champeaux, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 13 janvier 1881.

42 TSUBOI Yoshiharu, L’empire vietnamien face à la France et à la Chine, Paris : L’Harmattan, 1987, pp.

234-237.

43 ANOM, Amiraux, 12921, Lettre de Louis Eugène Palasme de Champeaux, chargé d’affaires à Huế, au

chef du bureau des relations extérieures et du commerce [quan Thương bạc] du royaume de Vietnam, 17 juillet 1881.

47

abandonner une moindre chance d’accroitre les recettes du Trésor.44 À leurs yeux, il valait

encore mieux tirer profit des mines que les laisser entièrement improductives.45 En outre, au

Vietnam, confier les exploitations minières aux Chinois était un usage depuis longtemps. En concédant la mine de Nông Sơn à Lương Văn Phong, la cour ne poursuivit que sa politique traditionnelle, et c’est ce que les Français ne pouvaient pas tolérer.

Les suites de l’affaire de la mine de Nông Sơn

L’affaire de la mine de Nông Sơn fit craindre aux Français la perte des autres mines de charbon du Vietnam. En effet, les demandes de concession portant sur les mines de charbon du Tonkin, soit par des Chinois, soit par des Européens, étaient de plus en plus nombreuses. De Champeaux signala le bruit selon lequel la Cour concèderait la mine de Hòn Gai à un Chinois.46

Les diplomates et officiers de marine français insistèrent désormais plus vigoureusement qu’auparavant pour que les Français pussent s’emparer entièrement des ressources minières du Vietnam, comme le capitaine Escudier l’affirmait :

Cette question me paraît d’autant plus importante qu’avec les idées de conquête ou de protectorat du Tonquin, que l’on prête au gouvernement de la République, je considérerais comme éminemment regrettable que des influences étrangères pussent, par la concession de ces mines à leur profit, s’implanter dans le pays.

Elles deviendraient certainement, pour nos projets ultérieurs, une source de difficultés et peut-être même un obstacle des plus sérieux.

Enfin, il faut craindre que le gouvernement annamite, poussé par les intéressés, n’arrive à comprendre les embarras de toutes sortes que cette concession à des étrangers pourrait nous sus- citer et ne se décide, en désespoir de cause, à y consentir pour assurer sa domination au Tonquin.

44 NGUYỄN Thế Anh, Monarchie et fait colonial au Việt-Nam, op. cit., pp. 21-25.

45 ANOM, Amiraux, 12921, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 28 aout 1881.

46 ANOM, Amiraux, 12921, Lettre de Louis Eugène Palasme de Champeaux, chargé d’affaires à Huế, au

48

Il peut s’entendre à cet effet, soit avec des négociants anglais de Hong Kong, soit avec ce négociant allemand, M. Schrier, dont il a déjà reçu des offres, et par ce coup de Jarnac, nous empêcher à tout jamais de devenir les maîtres ici.

Je n’ai pas besoin d’insister sur les conséquences désastreuses que cette politique pourrait avoir pour nous. C’est notre avenir dans l’Extrême-Orient et peut-être même celui de la Cochin- chine qui seraient compromis.47

Mourin d’Arfeuille déclarait aussi :

Je considère ce bassin houiller [de Quảng Yên] comme tellement riche et tellement impor- tant, qu’il me semble de toute nécessité que le gouvernement français s’oppose par tous les moyens possibles à son aliénation par les Annamites au bénéfice de gens ne présentant pas toutes les garanties comme capitaux et comme moralité. Le concessionnaire ne peut être qu’un de nos nationaux ; toute autre manière de faire serait désastreuse et pourrait amener, dans l’avenir, des complications des plus graves.48

Informé de l’affaire de Nông Sơn, le gouvernement français ordonna aussitôt au chargé d’affaires à Huế : « Empêchez gouvernement Annam concéder mines [de] charbon à aucun étranger ».49 En transmettant cette communication aux autorités vietnamiennes, de Champeaux

la présentait comme « une décision favorable à tous les intérêts du royaume d’Annam », une mesure de précaution contre « les entraînements […] auxquels pourraient se laisser aller, par manque de connaissance approfondie de la matière, les fonctionnaires chargés des intérêts fis- caux de votre Royaume ».50 Il n’est pas difficile d’imaginer le sentiment des Vietnamiens à

47 ANOM, IC AF, T41(1), Lettre du capitaine de frégate Timothée Escudier au chef de division

commandant la station navale de Cochinchine, 13 mai 1881.

48 ANOM, Amiraux, 13220, Lettre de Charles Mourin d’Arfeuille, consul à Hải Phòng, au gouverneur

de la Cochinchine, 14 mai 1881.

49 ANOM, IC AF, T41(1), Télégramme du ministre de la Marine et des Colonies au gouverneur de la

Cochinchine, 27 juin 1881.

50 ANOM, Amiraux, 12921, Lettre de Louis Eugène Palasme de Champeaux, chargé d’affaires à Huế, au

chef du bureau des relations extérieures et du commerce [quan Thương bạc] du royaume de Vietnam, 17 juillet 1881.

49

l’égard de cette instruction qui portait sérieusement atteinte à la souveraineté du royaume. Du reste, l’exigence du gouvernement français n’avait aucun fondement légal, car le traité de 1874 ne prévoyait pas l’intervention française dans des questions comme celle de la concession des mines. Quoi qu’il en soit, le chef du bureau des relations extérieures du Vietnam répondit à Rheinart, revenu à Huế en aout 1881, que la Cour n’avait aucune intention d’accorder d’autres concessions minières pour quelque temps. Il lui fit aussi remarquer que, comme c’était le gou- vernement français qui avait interdit au gouvernement vietnamien de concéder les mines aux étrangers, les Français devaient leur prêter concours pour faciliter l’exploitation des mines ainsi réservées.51

C’est en ces circonstances que Rheinart sollicita de nouveau auprès du gouverneur de la Cochinchine de faire venir des ingénieurs français avec pour but d’étudier les ressources mi- nières du Vietnam, proposition qu’il soutenait depuis plusieurs années. Pour lui, cette mission était conforme à la volonté des Vietnamiens qui désiraient la mise en valeur des mines de leur pays. Cependant, comme nous le verrons plus tard, ce n’était que l’interprétation de Rheinart sur les intentions de Huế.

51 ANOM, Amiraux, 12921, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

50

51