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Les mines du Tonkin au moment de la conquête coloniale

La question des mines au cœur des relations franco-vietnamiennes

L’envoi de la mission Fuchs souleva une réaction vive chez les Vietnamiens. De fait, la Cour n’avait autorisé l’exploration des ressources minières de son pays qu’à contrecœur. Le concours qu’elle avait désiré obtenir des Français en matière d’exploitation minière résidait plutôt dans la fourniture des équipements et des fonds. Les Vietnamiens ne virent pas dans l’envoi des ingénieurs une aide bienveillante, mais, au contraire et non sans raison, l’ambition française de s’emparer des richesses minières de leur pays.

En effet, l’exigence française commença à se faire plus brutale. Avant même que les recherches de Fuchs et Saladin ne fussent achevées, Rheinart demanda à la Cour de réserver certaines zones minières aux exploitations françaises.63 Toutefois, la relation tendue entre les

deux parties ne laissa aucune chance d’obtenir une réponse favorable. Au lieu de refuser for- mellement la demande française, Nguyễn Trọng Hợp, nouveau chef du bureau des relations

62 Edmond FUCHS & Édouard SALADIN, « Mémoire sur l’exploration … », op. cit., p. 266.

63 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

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extérieures et du commerce, avança deux principes : 1) tous les gisements ayant un lien intime avec la « veine du dragon » ne devaient pas être fouillés ; 2) pour les autres, une mine pouvait être concédée au plus offrant.64 Autrement dit, les Français ne seraient pas privilégiés. Rheinart

considéra ces deux conditions comme pouvant servir de prétexte pour refuser toutes les de- mandes de concession des nationaux français.

La croyance en une « veine du dragon » n’était pas en fait inventée contre les Français. Elle était issue de la théorie du Feng shui, un système de pensée enracinée dans la culture de l’Asie orientale. Selon cette pensée, l’énergie circule dans le sous-sol du territoire, et la « veine du dragon » désigne les voies sur lesquelles elle passe. Si cette veine était rompue, le sort du pays subirait alors un malheur. Cette croyance empêchait, en fait, parfois l’exploitation des mines non seulement au Vietnam, mais aussi dans les autres pays de l’Asie orientale. C’est ainsi qu’en Chine, l’exploitation de la mine de Kaiping lancée dans les années 1880 avec une méthode moderne se heurta à l’opposition des traditionalistes qui estimaient que les travaux souterrains, touchant la veine du sous-sol, occasionneraient un effet préjudiciable aux tombes de la dynastie régnante, situées à une centaine de kilomètres de la mine.65

L’interdiction de l’exploitation des mines à cause de leur proximité avec la « veine du dragon » était naturellement incompréhensible pour les Français. Dans son entretien avec Nguyễn Trọng Hợp, Rheinart essaya de la réfuter en disant : « Nous avions creusé le sol en tous sens, en Europe, sans rencontrer le plus petit dragon, et sans que les fouilles eussent causé quelque cataclysme. » Le ministre vietnamien lui donna telle ou telle explication qui paraissait à Rheinart « inintelligible ».66 Nous voyons là la confrontation des systèmes de connaissance

de l’Occident et de l’Orient, intraduisibles de l’un à l’autre … C’est en évoquant ce motif de la « veine du dragon » que les autorités vietnamiennes repoussèrent l’exploitation du gisement

64 ANOM, Amiraux, 12944, Lettre de Nguyễn Trọng Hợp, chef du bureau des relations extérieures et du

commerce [quan Thương bạc] du royaume de Vietnam, au gouverneur de la Cochinchine, 4 février 1882.

65 Ellsworth C. CARLSON, The Kaiping mines (1877-1912), Cambridge : Harvard University Press, 2e

édition, [1957] 1971., pp. 16-17.

66 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

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aurifère de Mỹ Đức exploré par Fuchs.67 Profondément méfiant à l’égard du comportement de

la Cour, Rheinart compta en outre que celle-ci en rejetterait la concession même des autres gisements en prétextant qu’une nouvelle veine avait été découverte.

Aux yeux de Rheinart, la condition « du plus offrant » n’était pas non plus avantageuse pour les Français. Il se douta qu’il n’y aurait pas de concurrence loyale entre les offrants : ce serait celui qui achèterait les hauts fonctionnaires qui gagnerait la mine, et son exploitation commencée, il obtiendrait le dégrèvement suffisant pour compenser ses sacrifices en faveur de ses protecteurs. Le chargé d’affaires conclut donc : « Les moyens ne manqueront pas, si l’on veut écarter nos demandes. »68

Indigné par l’attitude des autorités vietnamiennes cherchant à affirmer leur droit de n’ac- corder de concession qu’à leur gré, il proposa à Le Myre de Vilers, gouverneur de la Cochin- chine, une démonstration de force pour imposer à Huế l’intention française. Il jugea nécessaire d’adopter « une politique plus énergique encore que par le passé, s’il est possible, nous mon- trant moins conciliants, moins bienveillants, et plus exigeants dans la revendication de nos droits ».69 Cette opinion fut d’ailleurs partagée par le gouverneur de la Cochinchine, qui attira

l’attention du gouvernement français sur ce sujet dans sa lettre datée du 10 février 1882 : « Dès à présent il y a lieu de regarder la question de la mise en exploitation de ces richesses d’une si haute importance pour notre avenir en ce pays, comme devant être résolue sans retard. »70 La

question des mines entra ainsi, en 1881-1882, au cœur de la relation entre la France et le Viet- nam, alors que l’intervention française était déjà à l’ordre du jour.

67 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre de Nguyễn Trọng Hợp, chef du bureau des relations extérieures et du

commerce [quan Thương bạc] du royaume de Vietnam, au gouverneur de la Cochinchine, 12 février 1882.

68 ANOM, Amiraux, 12712, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 10 février 1882.

69 Ibid.

70 ANOM, Amiraux, 11899, Lettre de Charles Le Myre de Vilers, gouverneur de la Cochinchine, au

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L’expédition Rivière et l’occupation de Hòn Gai

Le 22 décembre 1881, Le Myre de Vilers soumit au gouvernement son plan d’interven- tion en déclarant :

Le fruit est mûr, le moment est venu de le cueillir ; si nous ne le faisions pas, d’autres le ramasseraient ou le pays tomberait en dissolution ; dans les deux cas, nous nous trouverions en- gagés dans les plus grosses difficultés ; à mon avis, l’abstention constituerait une imprudence.71

Le commandement de l’expédition fut confié au capitaine de vaisseau Henri Rivière. Le gouverneur lui prescrit de n’avoir recours à la force qu’en cas de nécessité absolue, mais ce dernier, tout comme Francis Garnier neuf ans plus tôt, ne respecta les instructions et prit la possession de la citadelle de Hà Nội le 25 avril 1882. Ce fut le début de la conquête coloniale du Vietnam. Pourtant, les hostilités ne se développèrent pas jusqu’à l’année suivante, le com- mandant se gardant d’agir davantage.

C’est en mars 1883 que Rivière et ses troupes sortirent de l’inaction. Il envoya le 9 mars un contingent pour occuper Hòn Gai. Comme l’historien Charles Fourniau le fait remarquer, ce fut une lourde décision, car il s’agissait de prélever sur un effectif très faible une centaine d’hommes pour les déplacer d’environ cent-cinquante kilomètres, alors que des troupes chi- noises et vietnamiennes se trouvaient juste à une centaine de kilomètres de Hà Nội.72 Pourquoi

Rivière s’engagea-t-il dans une opération tellement dangereuse ? Pourquoi Hòn Gai ? Et pour- quoi à ce moment-là ? Sa décision était, en fait, inséparable de la question des mines.

Le 16 juillet 1882, Le Myre de Vilers souligna encore l’urgence de cette question au ministre : « Si nous ne voulons pas que l’exploitation de ces richesses passe dans des mains

71 AAE, MD, Asie, 38, Lettre de Charles Le Myre de Vilers, gouverneur de la Cochinchine, au ministre

du Commerce et des Colonies, 22 décembre 1881.

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étrangères, il est nécessaire de se hâter. »73 Ayant pris la mine de Nông Sơn, les Chinois au-

raient alors tenté d’obtenir d’autres mines du Vietnam. Aux yeux des Français, la situation sur le terrain semblait confirmer cette inquiétude.

Appelé à l’aide par Huế, Pékin décida d’intervenir au Vietnam. Pour éviter les hostilités avec les Chinois, Albert Bourée, ministre de France en Chine, lança avec Li Hongzhang, haut fonctionnaire chinois le plus influent de l’époque, des négociations, qui aboutirent, en dé- cembre 1882, à un projet d’accord. Cet arrangement prévoyait le partage du territoire vietna- mien situé entre le fleuve Rouge et la frontière chinoise en deux zones : la zone nord placée sous la surveillance de la Chine et la zone sud sous celle de la France.74 L’arrangement Bourée

souleva des réactions très vives chez ceux qui ne voulaient pas voir l’intérêt français au Viet- nam compromis par les Chinois. Étant l’un d’entre eux, Rivière écrivit à Rheinart :

M. Bourée, approuvé par Paris et par Pékin, fait un traité très bête. Je crois que, par ce traité, nous allons avoir tout le Tonkin-riz tandis que la Chine aura tout le Tonkin-mines. Nous nourrirons les Annamites avec le riz et, s’il y en a de trop, il fera concurrence à celui de la Co- chinchine. Quant aux mines dont nous ne disposerons pas, elles enrichiront la Chine, les Anglais, les Allemands, etc.75

Le gouvernement Jules Ferry désavoua plus tard l’arrangement Bourée. Toutefois, la crainte de voir le « Tonkin-mines » tomber entre les mains des Chinois grandit parmi les agents français placés sur terrain, ne sachant pas l’intention de Paris. Dans un rapport adressé le 10 février 1883 au gouverneur de la Cochinchine, Rheinart alerta sur une tentative des agents de la China merchants’ steam navigation company visant à obtenir la concession de la mine de charbon de Hòn Gai, demande que la Cour était vraisemblablement disposée à accepter.76 Cette

73 ANOM, IC AF, T41(1), Lettre de Charles Le Myre de Vilers, gouverneur de la Cochinchine, au

ministre de la Marine et des Colonies, 16 juillet 1882.

74 Charles FOURNIAU, Vietnam, op. cit., pp. 316-317.

75 Lettre du commandant Henri Rivière au chargé d’affaires à Huế, 15 janvier 1883, in André MASSON

(éd.), Correspondance politique du commandant Rivière au Tonkin (avril 1882-mai 1883), Paris : Éditions d’art et d’histoire, 1933, p. 175.

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puissante compagnie chinoise semi-officielle, sous le contrôle de Li Hongzhang, avait, en outre, depuis plusieurs années des représentants à Huế, qui jouaient le rôle d’agents de liaison avec les autorités chinoises, et de ce fait, possédait effectivement des moyens de convaincre les hauts fonctionnaires vietnamiens.77 L’appréhension de Rheinart fut très vive :

Nous sommes donc probablement à la veille de voir les Chinois profiter de nos études, et nous enlever une ressource d’un prix inestimable. Je n’ai pas à faire ressortir quelle serait pour la colonie et pour la France l’importance du charbon, assuré en tout temps, dans ces mers-ci et à des prix peu élevés. […] Il me semble qu’il est d’une importance capitale pour nous, de tout faire pour assurer à nos nationaux la concession de ces mines, en nous assurant quelques privilèges spéciaux. Depuis longtemps je poursuis ce rêve ; j’ai multiplié les insistances jusqu’à l’obsession, et me vois à la veille de voir tous ces efforts perdus et d’avoir à déplorer une perte probablement irréparable.78

Selon lui, si les Français restaient inactifs, ils seraient une fois de plus distancés par les Chinois tout comme cela avait été le cas dans l’affaire de Nông Sơn. Le chargé d’affaires trans- mit ce renseignement également à Rivière, en l’encourageant implicitement à agir pour empê- cher la tentative chinoise : « Si nous ne voulons pas voir se perdre pour nous la dernière chance d’avoir du charbon, il faut nous hâter, et ne plus perdre de temps. »79 Peu après avoir reçu cette

gouverneur de la Cochinchine, 10 février 1883.

77 Charles FOURNIAU, Vietnam, op. cit., pp. 300, 321. La première société anonyme chinoise, China mer-

chants’ steam navigation company fut créée en 1873 à l’initiative de Li Hongzhang afin de contrer l’expan-

sion des entreprises de navigation à vapeur occidentales dans le cabotage de la Chine. Pour cette société, voir LAI Chi-kong, « The Qing state and merchant enterprise : the China merchants’ company, 1872-1902 »,

in Jane Kate LEONARD & John R. WATT (dir.), To achieve security and wealth : the Qing imperial state and

the economy, 1644-1911, Ithaca : Cornell University, East Asian Program, 1992.

78 ANOM, Amiraux, 12972, Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au

gouverneur de la Cochinchine, 10 février 1883.

79 Lettre de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, chargé d’affaires à Huế, au commandant Henri Rivière, 9

février 1883, in André MASSON (éd.), Correspondance politique du commandant Rivière au Tonkin, op. cit.,

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lettre, il reçut le 8 mars 1883 la visite d’un négociant français Victor Roque.80 Celui-ci le pré-

vint aussi des transactions de la compagnie chinoise afin d’obtenir de Huế la concession de la mine de Hòn Gai. Ses informations coïncidaient donc avec celles de Rheinart. De plus, Roque ajouta qu’aussitôt la concession obtenue, les Chinois la rétrocèderaient aux Anglais.81

Pour Rivière, Hòn Gai tombé entre les mains des Anglais, « c’est l’Angleterre à la porte de notre Tonkin et notre dépendance vis-à-vis d’elle. C’est aussi la richesse et la ressource du charbon qui nous échappent. »82 Sa profonde hostilité contre les Anglais et l’urgence prétendue

de la situation ne lui permirent pas d’attendre les instructions de Paris ou de Sài Gòn. Aussi le commandant décida-t-il, le lendemain de son entretien avec Roque, d’envoyer des contingents afin de prendre la pointe ouest du détroit de Cửa Lục, et y fit créer un poste, « un petit Gibral- tar », commandant la baie de Hạ Long.83

Or, la mine de Hòn Gai était-elle vraiment sur le point de passer dans les mains des Chi- nois ? Les affirmations de Rheinart et de Roque étaient-elles bien fondées sur la réalité ? Il n’est pas impossible que Li Hongzhang ait eu des visées sur la mine de charbon du Vietnam, son intérêt au charbon étant bien connu. Il était, en effet, un des principaux promoteurs de l’entreprise de la mine de Kaiping, la seule mine de charbon chinoise vraiment « moderne » à cette époque-là.84 Nous n’avons pourtant aucune certitude sur le fait que les autorités vietna-

miennes aient eu effectivement l’intention de lui concéder les mines. Ce qui est certain, en

80 Installés en Cochinchine dès le début de la colonisation, Victor Roque et ses deux frères formèrent une

des puissances commerciales de Sài Gòn, et exploitaient en ce temps-là une compagnie de navigation mari- time qui assurait la liaison entre Hải Phòng et Hong Kong. Gilles de GANTÈS, « Le particularisme des milieux

d’affaires cochinchinois (1860-1910) : comment intégrer un comptoir asiatique à un empire colonial protégé », in Hubert BONIN, Catherine HODEIR & Jean-François KLEIN (dir.), L’esprit économique impériale,

1830-1970 : groupe de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire, Paris : Société

française d’histoire d’outre-mer, 2008.

81 Louis de MAROLLES, « Journal de l’expédition Rivière (1882-1883) », Revue des Deux mondes, 1929.

L’auteur était un jeune officier accompagnant Rivière.

82 Lettre du commandant Henri Rivière au chargé d’affaires à Huế, 14 mars 1883, in André MASSON (éd.),

Correspondance politique du commandant Rivière au Tonkin, op. cit., p. 192.

83 Lettre du commandant Henri Rivière au gouverneur de la Cochinchine, 17 mars 1883, in ibid., p. 200. 84 Tim WRIGHT, Coal mining in China’s economy and society, op. cit., p. 37. Voir aussi Ellsworth C.

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revanche, c’est que les diplomates et militaires français au Vietnam crurent effectivement à cette possibilité. L’occupation de Hòn Gai par les troupes de Rivière témoigne de l’obsession française pour les mines du Vietnam, et plus particulièrement celles de charbon.

Le mythe du « Tonkin-mines » et la conquête du Vietnam

Henri Rivière mourut le 19 mai 1883 dans une escarmouche, tout comme Francis Garnier dix ans plus tôt. Cette fois, le gouvernement français ne resta pas immobile. Le gouvernement Ferry avait déjà conçu un plan pour une intervention massive au Vietnam. Aussi, déposa-t-il, le 26 avril 1883, un projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire de 5 500 000 francs pour envoyer un corps expéditionnaire. Une fois la mort de Rivière connue à Paris, le projet de loi fut voté à l’unanimité par la Chambre des députés le 26 mai. La véritable conquête commença. Il n’est pas de notre propos ici de décrire en détail le déroulement des affaires militaires. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir dans quelle mesure la question des mines pesa sur la politique de conquête française. L’intérêt pour les mines du Vietnam ne se limitait pas au petit cercle des administrateurs coloniaux et des officiers de la marine. Dès les années 1870, le mythe du « Tonkin-mines » se forma au sein des sociétés de géographie. Ce mythe fut d’abord ali- menté par les récits des missionnaires. Un article probablement rédigé par un d’entre eux, actif au Tonkin dans les années 1850, relatait :

Tout cela est peu de chose comparativement à la richesse géologique du haut plateau des montagnes, qui regorge d’or, d’argent, de cuivre, de zinc, de fer, de plomb et de charbon de terre. À en croire les Tonkinois, et ils ont raison, il n’y a pas de pays plus riches [en ressources minières] que le leur.85

85 Jules SILVESTRE (éd.), L’empire d’Annam et le peuple annamite : aperçu sur la géographie, les

productions, l’industrie, les mœurs et les coutumes de l’Annam, Paris : Félix Alcan, 1889, p. 51. Cet article

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Ce type de description, dépourvu de toute exactitude, inonda par la suite les articles et conférences sur le Vietnam. Ainsi, Anatole Petiton, ancien chef du service des mines en Co- chinchine, qui ne s’était pourtant jamais rendu dans le Nord du Vietnam, déclara dans une conférence faite devant la Société de géographie de Lille : « Les montagnes du Tonquin con- tiennent des richesses considérables en mines de toutes sortes. »86

L’étude de la mission Fuchs, seule scientifique à cette époque-là, ne fit pas disparaitre ce mirage. Au contraire, elle contribua à le renforcer, d’autant que ceux vantant les richesses mi- nières du Vietnam pouvaient désormais se référer au travail de Fuchs pour affirmer l’exploita- bilité de son charbon. Le mythe des mines s’installa ainsi durablement dans la pensée des Fran- çais, de sorte qu’elles devinrent un des motifs principaux pour lesquels la France ne devait pas abandonner le pays aux Chinois.

Comme nous l’avons évoqué au début du présent chapitre, le « lobby Dupuis » lança, de son côté, une propagande visant plus directement les parlementaires, en leur distribuant la carte aux « grosses pépites ». Cependant, le procédé était si grossier qu’il fit l’objet de la risée de certains députés comme Georges Périn : « Ceci rappelle tout à fait l’Eldorado de Voltaire, où il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser des cailloux qui étaient des diamants et de la terre qui était de l’or. » Il demanda ensuite à ses collègues :

Doit-on prendre un pays parce qu’il renferme des richesses minières ? (Sourire. – Très

bien ! très bien !) […] En prenant le Tonkin uniquement pour ses mines, vous vous engageriez

dans une aventure dont les avantages ne compenseraient pas les inconvénients.87

Le mythe des mines du Vietnam ne convainquit donc pas tous les parlementaires, mais quelques-uns se laissèrent séduits par la chance d’exploiter ses immenses richesses minières.

86 Anatole PETITON, « La Cochinchine française : la vie à Saïgon, notes de voyage », Bulletin de la Société

de géographie de Lille, T. 2, no. 4-6, 1883, p. 69.