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L’intérêt français pour le charbon du Vietnam et les premières recherches

L’implantation française dans le royaume de Đại Nam après le traité du 15 mars 1874

Dix ans après la prise de Sài Gòn en 1859, les Français étaient solidement installés dans le Sud du Vietnam, qu’ils érigèrent en colonie sous le nom de Cochinchine. L’expansionnisme français visait ensuite la partie nord du pays. La première tentative d’intervention datait de 1873, où Jean Dupuis, négociant français actif en Chine, força le passage du fleuve Rouge, malgré l’opposition des autorités vietnamiennes, pour le remonter jusqu’en Chine. Le lieute- nant de vaisseau Francis Garnier fut envoyé pour régler le conflit provoqué par cette action, mais, passant outre les instructions, il s’empara de la citadelle de Hà Nội et se lança dans la conquête du pays. Cette aventure se termina par la mort de Garnier, le 21 décembre 1873, durant un combat contre les Pavillons noirs.12

À la suite de cette affaire fut signé le 15 mars 1874 un traité qui allait définir les relations entre la France et le Vietnam jusqu’en 1883. Par ce traité, le gouvernement français reconnais- sait « la souveraineté du Roi de l’Annam et son entière indépendance vis-à-vis de toute puis- sance étrangère », lui promettait « aide et assistance » et s’engageait à lui donner « l’appui né- cessaire pour maintenir dans ses États l’ordre et la tranquillité » (art. 2). En échange, le gou- vernement vietnamien, reconnaissant cette « protection », s’engageait à « conformer sa poli- tique extérieure à celle de la France » (art. 3). En outre, les Français obtenaient l’ouverture commerciale du fleuve Rouge et de trois villes, Hà Nội, Hải Phòng et Quy Nhơn (art. 11 et 12), ainsi que la mise en place de la légation à Huế (art. 20) et de trois consulats dans les villes ouvertes (art. 13).

Ainsi, les Français entendaient faire du royaume de Đại Nam leur protectorat de facto, bien que ce terme ne fût pas écrit sur le texte de traité. Toutefois, les tentatives d’étendre leur

12 Pour les Pavillons noirs, voir Bradley Camp DAVIS, Imperial bandits : outlaws and rebels in the China-

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influence politique et intérêt économique dans ce pays se heurtèrent souvent à des oppositions plus ou moins ouvertes des autorités vietnamiennes, et les relations entre les deux pays ne cessèrent de s’empirer jusqu’en 1883, date à laquelle le gouvernement français décida d’en- voyer un corps expéditionnaire au Vietnam en vue de sa colonisation.13

De toute façon, le traité du 15 mars 1874 permit aux Français de prendre pied dans le royaume. Les autorités françaises pouvaient désormais établir des liens plus réguliers avec les autorités vietnamiennes et recueillir des renseignements plus directs et plus précis sur les res- sources minières du Vietnam par l’intermédiaire de leurs agents installés sur place.

Les premières recherches sur le charbon du Vietnam

Après s’être implantés dans le Nord du Vietnam, les Français portèrent leur attention sur le bassin houiller de Quảng Yên (cf. Carte 3) où les affleurements de charbon apparaissaient partout. Déjà en 1874, Pierre-Paul Rheinart des Essarts, résident français au Tonkin, avait visité la région, alors que les séquelles de l’expédition Garnier étaient encore vives.14 Ce n’est pas

sans raison que les Français s’intéressaient au charbon du Vietnam. La marine de guerre fran- çaise stationnant dans les mers d’Asie orientale avait besoin d’un approvisionnement régulier en combustible. Aux yeux des Français, le charbon du Vietnam pouvait résoudre définiti- vement cette question, et ce faisant, aider à étendre leur influence dans la région. De 1874 à 1883, les rapports soulignant la valeur de ces ressources se multiplièrent. « Ce serait pour notre commerce et nos possessions de l’Extrême-Orient une ressource des plus précieuses », écrivait un officier de marine en 1881.15

13 NGUYỄN Thế Anh, Monarchie et fait colonial au Việt-Nam, op. cit., pp. 41-54 ; Laurent BUREL, Le

contact procolonial franco-vietnamien …, op. cit. ; Charles FOURNIAU, Vietnam, op. cit., pp. 275-290.

14 TTLTQG I, Amiraux, 234, Journal de route de Pierre-Paul Rheinart des Essarts, 21 juin 1874. Rheinart

fut envoyé à Hà Nội en janvier 1874, en remplacement de Philastre, afin de régler le conflit provoqué par l’expédition de Francis Garnier.

15 ANOM, IC AF, T41(1), Lettre du capitaine de frégate Timothée Escudier au chef de division

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Les recherches du charbon furent d’abord réalisées par des agents français installés sur place. En 1875, Louis Turc, consul à Hải Phòng, fit faire des expériences sur les échantillons de charbon que des Vietnamiens lui avaient apportés. Comme ces échantillons, ramassés à la surface du sol, étaient altérés, les essais donnèrent de mauvais résultats. Cela ne découragea pourtant pas le consul. Croyant possible l’amélioration de la qualité à une certaine profondeur, il demanda au gouverneur général de Hải Dương et Quảng Yên d’autoriser le creusement d’une petite galerie. Ce dernier lui répondit que l’affaire était si importante qu’il devait attendre l’ins- truction de Huế.16 Les recherches purent être entamées l’année suivante, où le capitaine de

génie Espitalier explora la région de Quảng Yên de février à mai. Ces recherches permirent à Turc de confirmer la présence d’« un grand bassin houiller qui comprend toute la partie méri- dionale de la province de Quang Yen et la frontière entre cette province et celle de Haï Du’ong ».17 L’essai de fabrication de chaux et de briques avec le charbon extrait à Đông Triều

fut un succès. Espitalier tenta aussi de creuser un puits à Chập Khê, aujourd’hui dans la ville de Uông Bí. Toutefois, faute d’appareils appropriés pour atteindre les couches inférieures, on ne pouvait avoir de certitude qu’en creusant plus profondément, on trouverait de « la véritable houille » susceptible d’être utilisée par les navires à vapeur.

Les recherches furent reprises cinq ans plus tard. En 1881, le consul à Hải Phòng, Charles Mourin d’Arfeuille, se rendit à Hòn Gai afin de constater un gisement de charbon signalé par les autochtones. Le charbon prélevé là lui sembla présenter « les caractères des meilleurs char- bons anglais ».18 Ensuite, le consul en fit extraire quelques tonnes pour les tester par un bâti-

ment de guerre. Suite aux expériences faites les 18 et 19 juin, il écrit au gouverneur de la Co- chinchine : « Ces expériences me semblent concluantes et nous pouvons nous considérer comme ayant à notre disposition dès aujourd’hui un filon facilement exploitable pouvant servir

16 ANOM, Amiraux, 13122, Lettre de Louis Turc, consul à Hải Phòng, au gouverneur de la Cochinchine,

12 octobre 1875.

17 ANOM, Amiraux, 13134, Lettre de Louis Turc, consul à Hải Phòng, au gouverneur de la Cochinchine,

9 mai 1876.

18 ANOM, Amiraux, 13220, Lettre de Charles Mourin d’Arfeuille, consul à Hải Phòng, au gouverneur

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à l’approvisionnement de nos navires. »19 Néanmoins, la pertinence de ce charbon pour les

bâtiments de guerre n’était pas encore acquise et cette affirmation un peu trop hâtive.

Le gouverneur de la Cochinchine, Charles Le Myre de Vilers, s’intéressa également à la découverte du charbon et mit, par décisions du 3 juin et du 30 septembre 1881, un total de deux milles francs à la disposition du consul à Hải Phòng à l’effet de procéder à l’extraction de charbon.20 Avec cette somme d’argent, le capitaine de frégate Escudier et le lieutenant de vais-

seau Thomazi exécutèrent de novembre à décembre 1881 une fouille à Hòn Gai.21

Toutes ces recherches pionnières, faites par des officiers de marine, démontrèrent la pré- sence, voire l’importance, des gisements de charbon du Tonkin. Pourtant, comme Escudier le faisait remarquer, le défaut d’instruments et matériels appropriés ainsi que le manque de con- naissances en la matière les empêchaient de poursuivre les recherches pour évaluer la qualité du charbon présent sous les couches supérieures. Pour estimer plus exactement la valeur et l’étendue des gisements de charbon, s’imposait alors une étude plus méthodique menée par des experts du domaine et équipée d’un outillage plus perfectionné.