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Le développement des exploitations des mines et la naissance de la classe ouvrière (1889-1918)

Un ouvrage paru en 1894 prévoyait l’avenir de l’industrie charbonnière du Tonkin dans les termes suivants :

Si, pendant longtemps, en France, on nia l’existence des houilles du Tonkin et de l’Annam, pour ensuite les déclarer inutilisables, nous croyons qu’il serait inutile aujourd’hui de discuter ces propositions. Chacun sait à quoi s’en tenir : le gigantesque joyau noir que possède notre Tonkin, ce « pain de l’industrie » et de la guerre, enrichira sûrement le pays et augmente sa valeur dans d’incalculables proportions.1

En effet, l’extraction de charbon connut un essor rapide jusqu’à la Première Guerre mon- diale, dépassant cent-mille tonnes en 1892, deux-cent-mille en 1897 et cinq-cent-mille en 1913 et atteignant près de sept-cent-mille en 1916. À cette époque-là, l’exploitation des mines était déjà une des plus importantes industries « modernes » du Vietnam qui était désormais devenu « l’Indochine française ». Pourtant, les conditions de son démarrage n’étaient pas si favorables

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que ces chiffres le laissent entendre : les exploitants des charbonnages durent créer non seule- ment une nouvelle activité économique, mais aussi tout l’environnement nécessaire pour son développement. Alors que les charbonnages de Hòn Gai, malgré les difficultés financières des premières années, connurent finalement un succès indéniable, les charbonnages de Kế Bào, commencés avec autant d’espoir, se soldèrent par un échec complet, sans parler de plusieurs autres entreprises, plus petites, ayant fait faillite sans même être parvenues à extraire une tonne de charbon.

La mise en exploitation des mines engendra aussi la naissance d’un nouveau monde du travail. La réalité que les ouvriers vietnamiens affrontaient aux mines était tout à fait dissemblable à la vie de la campagne à laquelle s’étaient habitués ces anciens paysans. Un travail pénible et dangereux, la violence quotidienne, la soumission aux relations, au rythme et à la discipline propres à l’industrie moderne, ainsi qu’une nouvelle sociabilité tissée entre les ouvriers provenant de différentes parties du pays caractérisaient leur expérience des mines. Tous ces facteurs continuèrent à la formation de la « classe ouvrière », mais avant les années 1920, ce processus resta encore à ses débuts.

Ce chapitre démontrera la complexité du développement de l’exploitation des mines de charbon et du nouveau monde du travail dans les premières années de la période coloniale. De 1889 à 1899, cette exploitation se limita à Hòn Gai, Kế Bào et Nông Sơn. Ce fut la période de démarrage, démarrage difficile qui aboutit en particulier à la faillite des charbonnages de Kế Bào en 1899. De 1900 jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, cette activité économique se développa sur une base plus étendue, avec l’essor des charbonnages de Hòn Gai et la multiplication des exploitations dans les autres parties du Tonkin. Nous évoquerons plus particulièrement les problèmes des débouchés et de la main-d’œuvre, deux facteurs majeurs faisant obstacle à une croissance plus rapide de cette industrie naissante. Enfin, pen- dant la Première Guerre mondiale, cette croissance fut ralentie, sans que ses fondements fussent détruits.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler une des difficultés à étudier cette période. Elle concerne les données statistiques, qui sont souvent lacunaires, parfois incor-

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rectes et en général insuffisantes. Bien que les mines soient un secteur pour lequel les adminis- trateurs ont déployé des efforts particulièrement importants pour la compilation des statistiques, celles dont nous disposons pour la grande partie de cette période ne portent que sur la quantité globale de charbon extraite et exportée. Même ces séries sont peu élaborées. Ainsi, nous n’avons pu faire figurer dans le Graphique 1, décrivant la production de charbon de 1890 à 1899, celle de Nông Sơn, faut de données continues et fiables. Les statistiques des douanes, relatives à la quantité de charbon sortie des ports de l’Indochine, sont, en général, assez exactes, mais elles ne nous apprennent pas sa valeur. Pour quelques années, la répartition des exporta- tions de charbon entre le charbon cru et les briquettes n’est pas précisée. Pour la quantité de charbon consommée à l’intérieur du pays, nous ne pouvons que faire une estimation approxi- mative. Du reste, les différentes sources présentent parfois différents chiffres. Dans ces cas-là, nous avons choisi les chiffres qui nous semblent les plus corrects, mais cela n’exclut pas bien entendu la possibilité d’erreurs. Il faut également remarquer que les statistiques publiées dans les rapports du service des mines ne comptent que la production provenant des mines réguliè- rement concédées. Or, l’extraction a pu être aussi légalement faite dans les mines qui restaient en état de « périmètre de recherche », et parfois, la quantité produite de ces exploitations pro- visoires a atteint un niveau assez élevé. Par exemple, en 1908, le périmètre « 14 juillet », situé près de Mông Dương, produisit environ 17 000 tonnes de charbon, mais cette quantité n’est pas intégrée dans les statistiques du service des mines.2 Nous ne croyons pourtant pas que l’im-

perfection des données statistiques pose un problème fondamental à étudier l’évolution géné- rale de l’industrie charbonnière.

2 TTLTQG I, RST, 77322(3), Rapports trimestriels du résident à Quảng Yên sur la situation minière de

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