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Les autorités françaises considéraient d’ailleurs que pour accélérer l’exploitation des mines du Vietnam, il était aussi nécessaire d’approfondir les connaissances sur ses richesses

122 ANOM, IC AF, T01(3), PV de la commission des mines du 28 septembre 1884. 123 ANOM, IC AF, T01(3), PV de la commission des mines du 16 octobre 1884.

124 Un arrêté du gouverneur général du 10 mars 1928 (JOIC, 25 juillet 1928) instituait l’impôt propor-

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minières. À cet égard, les travaux de Fuchs, quoique pionniers, restaient insuffisants. Le gou- vernement français décida donc d’envoyer une nouvelle mission de recherche.125 Selon le pro-

gramme tracé par Fuchs en 1884, cette mission, divisée en deux groupes, composés respecti- vement de deux ingénieurs et un garde-mines, devait explorer notamment les régions inté- rieures du Tonkin où beaucoup de gisements métalliques se trouvaient.126 Toutefois, la situa-

tion politique locale ne permettait pas toujours de réaliser ce programme, et les recherches minières dans le Haut-Tonkin étaient ajournées indéfiniment. L’objectif et l’organisation de la mission furent par conséquent réduits, ses activités devant se concentrer sur les recherches des gisements de charbon aux environs de Hòn Gai, relativement éloignés des principaux foyers du mouvement de résistance vietnamienne.127 Cette mission fut confiée à Émile Sarran, ancien

élève de l’École des mineurs d’Alais, nommé ingénieur colonial des mines.128 Les tâches qui

lui incombaient étaient d’exécuter la reconnaissance et la délimitation du terrain houiller et, en même temps, d’entreprendre une exploitation provisoire pour le compte de l’État afin d’ali- menter la marine française en combustibles.129 Arrivé au Tonkin en avril 1885 avec trois

maitres mineurs, Sarran explora le bassin houiller jusqu’au début de l’année suivante, en faisant creuser des galeries sur quelques endroits. Il apporta en effet une contribution capitale à l’étude des charbons du Tonkin : alors que Fuchs avait classé quelques types de charbon qu’il avait recueillis au Tonkin dans le charbon demi-gras,130 Sarran découvrit à juste raison que tous les

125 ANOM, IC AF, T01(3), Rapport d’Albert Grodet, sous-directeur des colonies, au ministre de la

Marine et des Colonies, 6 septembre 1884.

126 ANOM, IC AF, T01(4), Edmond Fuchs, ingénieur en chef des mines, Programme de la mission

scientifique officielle du Tonkin, 1er octobre 1884.

127 ANOM, IC AF, T00(1), Edmond Fuchs, ingénieur en chef des mines, Note-programme sur le service

de l’ingénieur des mines colonial au Tonkin.

128 AN, Base Léonore, LH/2460/42, Dossier Émile Sarran.

129 AAE, MD, Asie, 45, Lettre de Félix Faure, sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies, au

commandant en chef du corps expéditionnaire, 27 février 1885.

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gisements du bassin houiller de Quảng Yên, y compris ceux où Fuchs prétendait avoir décou- vert le charbon demi-gras, ne donnaient que les charbons maigres.131 Cette affirmation souleva

une vive contestation de Fuchs,132 mais les études ultérieures démontraient que Sarran avait eu

raison.133

Cette constatation amena, du reste, Sarran à reconsidérer le projet du gouvernement d’ex- ploiter une mine de charbon pour son propre compte en vue d’approvisionner la marine de guerre. Ce projet s’était fondé, en fait, sur l’hypothèse de l’existence de charbon demi-gras, que les navires de guerre français, adaptés au charbon gras, pouvaient employer sans grande difficulté.134 En revanche, le charbon maigre n’était, selon Sarran, utilisable dans les chaudières

de navire que sous forme de briquettes : « ainsi mon opinion est qu’il faut laisser à l’industrie le soin de tirer parti du combustible et d’éviter toute exploitation par l’État. »135 Le projet d’une

exploitation d’État fut donc abandonné.

Sarran ne condamnait pas pour autant la qualité du charbon elle-même :

Notre opinion est que le Tonkin possède une richesse immense en excellent combustible que la marine de guerre emploiera [sous forme de briquettes] avec des avantages marqués sur n’importe quel charbon des mers de Chine et d’Australie, rivalisant avec l’Anzin et le Cardiff par leur extrême pureté, la rareté de la pyrite de fer et par un développement de calorique tout au moins équivalent à celui fourni par ces charbons.136

131 ANOM, IC AF, T01(4), Rapport d’Émile Sarran, 23 juillet 1885 ; ANOM, IC AF, T01(4), Émile

Sarran, Note en réponse à la note de Fuchs, relative au rapport du 23 juillet 1885, sur les mines du Tonkin, 10 janvier 1886.

132 ANOM, IC AF, T01(4), Edmond Fuchs, Note sur le rapport de Sarran relatif aux bassins houillers du

Tonkin, 21 octobre 1885.

133 Le charbon maigre est un charbon dont la teneur en matières volatiles est inférieure à 14 %, celui

ayant moins de 8 % de matières volatiles est appelé plus particulièrement l’anthracite. Le charbon demi-gras a 14 à 27 % de matières volatiles, et le charbon gras en a 27 à 40 %.

134 ANOM, IC AF, T01(4), Edmond Fuchs, Note sur le rapport de Sarran, 21 octobre 1885.

135 ANOM, IC AF, T01(4), Lettre d’Émile Sarran, ingénieur colonial des mines, au directeur des affaires

civiles et politiques, 17 novembre 1885.

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En outre, les réserves étaient énormes :

Tous les renseignements que nous fournissons aussi complets que possible sont suffisants pour juger, en pleine connaissance de cause, de la valeur d’un gisement qui, sur une étendue de 40 000 hectares, contient un massif de charbon de plus de douze milliards de tonnes. C’est, comme on voit, une immense richesse en combustible qui pourrait fournir pendant six cents ans une production égale à celle de toutes les houillères de France, estimée à vingt millions de tonnes par année.137

Une estimation sans doute exagérée, car on évalue aujourd’hui les réserves totales de charbon du Vietnam à 6 milliards de tonnes, dont seulement 2 à 3 milliards de tonnes considé- rées comme exploitables.138

Quoiqu’il en fût, l’investigation de Sarran prouvait, à la suite des travaux de Fuchs, la richesse immense en excellent charbon du Tonkin. Il est cependant peu probable qu’elle ait servi de manière concrète à son exploitation ultérieure. Ses recherches s’avéraient toujours in- suffisantes pour la région de Hòn Gai et restaient quasiment nulles pour d’autres régions. Un demi-siècle plus tard, un géographe faisait remarquer sévèrement : « Presque partout, l’exploi- tation houillère a donc précédé la reconnaissance scientifique, et les travaux fondés sur de vagues indices, conduits par des concessionnaires aventureux, ont parfois abouti à des échecs retentissants. »139 Les recherches approfondies des gisements étaient, comme leur exploitation

elle-même, laissées à l’initiative privée.

137 Ibid., p. 59.

138 Paul BARUYA, « Prospects for coal and clean coal technologies in Vietnam », op. cit., p. 7.

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