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Le problème des commons

Chapitre 2 : Jeux simultanés à information complète, applications

2.4.   Le problème des commons

l'équilibre de Bertrand est tel que les deux firmes fixent un prix égal au coût marginal, c'est-à-dire que p1* = p*2 =c. Pour faire ressortir ce résultat, montrons tout d'abord qu'à l'équilibre, les deux firmes proposent le même prix. Supposons le contraire, soit p1* > p*2 >c.34 Dans ce cas, la quantité demandée à la firme 1 est égale à 0 et son profit est également nul. La firme 1 a de ce fait intérêt à dévier vers un prix égal à p2* −ε >c où ε est un scalaire positif petit. La situation où p1* > p*2 >c ne peut donc être un équilibre. Ce dernier doit donc être tel que les deux firmes proposent le même prix.

Supposons maintenant que ce prix est supérieur au coût marginal, soit p1* = p*2 >c. Dans ce cas, chacune des deux firmes reçoit une demande égale à Q

( )

pi

2

1 avec i=1ou 2 et réalise un profit positif. Pour un ε suffisamment petit, la firme 1 peut augmenter son profit en proposant un prix égal à p1* −ε >c lui permettant d'obtenir toute la quantité du marché.

Ainsi, la seule situation où cette déviation n'augmente pas le profit est celle où p1* = p*2 =c qui constitue donc l'équilibre de duopole de Bertrand. Le paradoxe de ce résultat réside dans le fait que le prix d'équilibre en situation de duopole est identique au prix d'équilibre obtenu dans le cas de concurrence pure et parfaite.35

2.4. Le problème des commons

La question étudiée ici porte sur l'utilisation privée d'une ressource commune.36 On montre dans ce cadre que la décentralisation des décisions, lorsque celles-ci sont basées sur des incitations privées, conduit à une surexploitation des ressources communes.37 En se basant sur l’exemple de la pêche, Levhari et Mirman (1980) ont démontré que l’équilibre non coopératif (équilibre de Nash) résultant de l’interaction des pays pêcheurs entraîne une consommation présente élevée par rapport au stock de poisson. Ils ont également montré qu’un équilibre

33 Dans le cas de biens homogènes, le seul critère du choix de la firme par l'acheteur est le prix.

34 Le même résultat aurait été obtenu si on avait supposé p*2>p1* >c.

35 Voir J. Tirole (1988) pour une discussion de ce paradoxe et des possibles alternatives pour sa résolution.

36 Ce modèle a été utilisé par A. Gliz (2004) dans le thème de la privatisation.

37 Cette question est connue comme étant le problème des commons. A ce propos, voir par exemple Gibbons (1992), page 27 et Levhari et Mirman (1980).

coopératif entre les pays pêcheurs permet d’éviter l’extinction future du stock de poisson.

L’explication de cette conclusion est que dans l’équilibre non coopératif, chaque agent prend une décision individuellement optimale sans tenir compte du coût qu’il induit sur les autres agents. Par contre, dans l'option centralisée, la consommation du bien commun est plus faible car l'autorité centrale internalise l'effet externe négatif induit par la contrainte de la ressource commune.

Pour faire ressortir ce résultat, considérons le cas de l'utilisation par des fermiers d'une prairie pour le pâturage de leurs vaches. La prairie est un bien commun aux fermiers considérés. Soit n le nombre de fermiers. Chaque fermier i peut posséder un nombre de vaches égal à bi. Le nombre total de vaches est =

i

bi

B . Le coût d'achat et d'entretien d'une vache est c, supposé le même pour toutes les vaches et pour tous les fermiers. Le bénéfice brut (ou revenu brut) procuré par le pâturage de chaque vache est v

( )

B avec v

( )

B <0 et v′′

( )

B <0. La représentation graphique de la fonction v

( )

B est la suivante :

La forme de la fonction v

( )

B signifie que si par exemple, le nombre total de vaches dans la prairie devient élevé, chacune des vaches ne disposera plus que d'une faible possibilité de pâturage, ce qui a pour conséquence de réduire son rendement individuel.

Les fermiers choisissent simultanément et indépendamment l'un de l'autre le nombre de vaches à faire paître dans la prairie. En supposant que les vaches sont parfaitement divisibles, l'espace des stratégies est donc bi

[

0,Bmax

]

R+. L'utilité du fermier i est biv

( )

Bcbi et son programme est donc :

( )

i i

(

i i i n

)

i

b biv B cb bvb b b b b cb

i

− + + + + + +

=

1 L 1 +1 L

Max

Pour que le profil de stratégies

(

b1*,L,bi*,L,bn*

)

soit un équilibre de Nash, il faut que pour tout i, bi* maximise l'utilité du fermier i, sachant que les autres fermiers choisissent

( )

B v

max B B

Figure 2.3

(

*1 *

)

* 1

* 1

*i b , ,bi ,bi , ,bn

b = L + L . La condition du premier ordre pour le programme du fermier i est donc :

(

b +b*

)

+bv

(

b +b*

)

c=0

v i i i i i

En raison des caractéristiques v

( )

B <0 et v′′

( )

B <0, la condition du second ordre est satisfaite. En substituant bi par bi*, la condition du premier ordre devient :

(

b* +b*

)

+b*v

(

b* +b*

)

c=0

v i i i i i

( )

B* +b*v

( )

B* c=0

v i

Cette condition est valable pour tout fermier i. En sommant par rapport à tous les fermiers, on obtient :

( )

B* +B*v

( )

B* nc=0

nv

En divisant ensuite par n, cette équation devient :

( )

* +1B*v

( )

B* c=0

B n v

Cette équation représente l'équilibre de Nash sous une forme implicite. Considérons maintenant l'alternative de la décision centralisée. Dans ce cas, il existe une autorité centrale, supposée neutre et sans coût (c'est l'hypothèse du bénévolat) qui choisit le nombre total de vaches de façon à maximiser une fonction objectif au niveau social. Soit B** le nombre total de vaches socialement optimal. Le nombre B** est donc la solution du programme suivant :

( )

B cB Bv

MaxB

La condition du premier ordre est :38

( )

B** +B**v

( )

B** c=0

v

Nous montrons que dans l'alternative centralisée, le nombre de vaches est plus faible, c'est-à-dire B** <B*. Pour cela, supposons le contraire. La vérification de ces deux conditions d'optimalité entraîne de façon évidente que B**B*. Supposons donc que B* < B**. La figure 2.4 représente cette hypothèse.

Ainsi que le montre cette figure, si B* <B**, alors v

( ) ( )

B** <v B* et v

( ) ( )

B** <vB* <0.

Comme B* <B**, on a B**v

( )

B** <B*v

( )

B* <0. Ceci implique que

( )

** 1 *

( )

* 0

*

* ′ < B vB <

B n v

B . On a finalement

( ) ( ) ( )

B v

( )

B c

B n v c B v B B

v ** + **** − < * +1 ** − .

38 On peut vérifier que la condition du second ordre est ici également satisfaite.

Ceci constitue une contradiction car les conditions d'optimalité obtenues plus haut impliquent l'égalité

( )

** + **

( )

** =

( )

* +1B*v

( )

B* c=0

B n v c B v B B

v . En conséquence, l'hypothèse

*

*

* B

B < ne peut être acceptée. On a donc B** <B*.

L’explication de cette conclusion est la suivante : dans l’équilibre non coordonné (non coopératif), chaque fermier prend une décision individuellement optimale sans tenir compte du coût qu’il induit sur les autres fermiers. Lorsqu'un fermier trouve qu’il est bénéfique pour lui de posséder une vache supplémentaire, il provoque, ce faisant, un coût supplémentaire pour les autres fermiers et ce, à travers la diminution de v

( )

B qu’il aura provoquée. Dans ce cas, l’équilibre de Nash n’est pas socialement optimal, car les fermiers n’internalisent pas les effets externes négatifs qu’ils s’induisent les uns sur les autres. L'augmentation du bien-être induit par l'optique centralisée s'explique donc par la capacité de coordination de l'autorité centrale afin d'internaliser les effets externes. Lorsque le nombre de vaches est choisi de façon décentralisée, il s’ensuit donc un plus fort effet de congestion sur la prairie et le coût ainsi occasionné est un coût de non-coordination. Il faut cependant noter que cette conclusion peut s'avérer inexact si le n+1ème ne se comporte pas en joueur neutre ou nécessite des coûts de fonctionnement trop importants.