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Les données de base du modèle de signal

Chapitre 8 : Le modèle de signal de Spence

8.1.   Les données de base du modèle de signal

Il y a problème d'asymétrie d'information lorsqu'une information pertinente de l'échange n'est pas observée par l'une des parties de l'échange. Dans le cas d'un contrat de travail, la productivité du travailleur est une information pertinente. Or, lors du recrutement d'un travailleur, l'employeur ne peut observer la capacité productive du candidat. A la place de cette dernière, l'employeur observe d'autres caractéristiques du travailleur comme par exemple le niveau d'éducation. Dans le modèle de signal, chaque travailleur est supposé connaître sa propre capacité productive.

A titre de simplification, on considère qu'un travailleur peut avoir l’un des deux niveaux possibles de capacité productive : une capacité productive faible θL ou une capacité productive élevée θH. On a donc Θ=

{

θLH

}

avec θLH. La probabilité a priori qu'un travailleur soit du type θH (resp. θL) est p (resp. 1-p). Ces probabilités peuvent également être interprétées comme les proportions de travailleurs de type θH et de type θL.

122 Voir chapitre 7 ci-dessus.

123 M. Spence (1973). “Job Market Signalling". Quarterly Journal of Economics. Vol. 87. P 296-332 et J. Riley (2001). “ Silver Signals: Twenty-Five Years of Screening and Signaling”. Journal of Economic Literature. Vol.

XXXIX. Pages 423-478.

L'éducation en tant que signal

Pour signaler sa capacité productive, le travailleur peut choisir un niveau d'éducation e qui est une information observable par les firmes. Le coût d'obtention d'un niveau d'éducation e pour un travailleur de capacité θ est C

( )

e,θ . A titre de simplification, le niveau d'éducation e est considéré comme étant le nombre d'années de scolarisation.

L'hypothèse fondamentale du modèle de Spence est que pour le travailleur à faible capacité, le signal est plus coûteux que pour le travailleur à capacité élevée. En d'autres termes, une condition nécessaire pour qu'une caractéristique joue le rôle de signal est que le coût du signal soit négativement corrélé à la capacité productive. La relation entre le coût de l'éduction et la capacité productive du travailleur est décrite par les caractéristiques suivantes : C

( )

0,θ =0,

( )

,θ <0

θ e

C , Ce

( )

e,θ >0, Cee

( )

e,θ >0 et Ceθ

( )

e,θ <0.124

( )

e

Ce est le coût marginal de l'éducation pour un travailleur de capacité θ . La dernière caractéristique signifie que le coût marginal d'émission du signal décroît avec la qualité. En d'autres termes, le coût marginal de l'éducation est plus élevé pour le travailleur à faible capacité par rapport au travailleur à capacité élevée. Cette condition, appelée condition de Spence-Mirrlees, offre la possibilité de trier les travailleurs selon leur niveau de productivité et ce, au vu de leur diplôme. Donc, dans le cas de deux niveaux de capacité productives θL et θH, on a:

(

L

)

e

(

H

)

e e C e

C ,θ > ,θ pour tout e.

La courbe du coût de l'éducation suivant ces caractéristiques est donnée à la figure 8.1 :

Ainsi, le coût total et le coût marginal sont tous deux plus élevés pour le travailleur à faible capacité que pour le travailleur à forte capacité.

Observant le niveau d'éducation e (et non la capacité productive θ) qu'elles interprètent et acceptent comme étant un signal, les firmes proposent un salaire w

( )

e en fonction du niveau

124 L’indice θ de Cθ( )e,θ signifie la dérivée de Cθ( )e,θ par rapport à θ. on a donc : ( ) ( )

θ θ θ

θ

= ,

, Ce

e

C . Un

indice double signifie qu’il s’agit d’une dérivée seconde.

e

( )e,θ

C C(e,θL) C(e,θH)

Figure 8.1

d'éducation e. Sachant que le salaire est lié au niveau d'éducation, le travailleur choisira le niveau d'éducation avec pour objectif la maximisation de son paiement (utilité) qui est représenté par la différence entre le salaire offert et le coût du signal, soit

(

w,e

)

w

( ) ( )

e C e

u = − .

Croyances et fonction de salaire

Pour faire une proposition de salaire, l'employeur ne peut se baser que sur l'information observable, à savoir le niveau d'éducation. Mais l'information pertinente pour la firme est la capacité productive du travailleur et non pas son niveau d'éducation. En conséquence, pour décider du recrutement et établir son offre de salaire, la firme se base sur le niveau d'éducation pour se faire une opinion sur la capacité productive du travailleur. En d'autres termes, le niveau d'éducation est utilisé pour transmettre (signaler) l'information non observable relative à la capacité productive. Sur la base de l'expérience passée, les firmes forment des croyances qui sont des probabilités sur la capacité productive conditionnelles au niveau d'éducation.

La productivité d'un travailleur de capacité θ et de niveau d'éducation e est y

( )

θ,e . Le paiement obtenu par l'entreprise est donc égal à y

( ) ( )

θ,ew e lorsque le travailleur est employé et zéro si le travailleur n'est pas employé. Dans le modèle de signal de Spence, les firmes ont pour objectif la maximisation de leur profit espéré et la compétition entre les firmes implique que les profits espérés des firmes sont nuls.125 En conséquence, après avoir observé le niveau d'éducation, les firmes offrent un salaire égal à l'espérance de la productivité, ce qui donne :

( )

e

(

e

) (

y e

) [ (

e

) ]

y

(

e

)

w =μ θH / ⋅ θH, + 1−μθH / ⋅ θL,

Pour rendre le modèle plus frappant, Spence (1973) considère que l'éducation n'a aucun effet sur la capacité productive du travailleur, ce qui donne dans ce cas y

( )

θ,e =θ.126

Cette équation est également l'expression de la stratégie des entreprises (le récepteur). Elle spécifie une action (salaire offert) pour chaque message possible (niveau d'éducation). Pour que la stratégie des firmes soit complète, elle doit spécifier une action (salaire offert) pour chaque message possible. La probabilité μ

(

θH /e

)

est la croyance a posteriori des firmes que le travailleur est du type θH (capacité élevée) étant donné le niveau d'éducation observé e.

Cette probabilité est commune aux firmes. Ceci implique que les croyances des firmes sont également les mêmes pour des niveaux d'éducation e en dehors du sentier d'équilibre. La figure 8.2 représente une fonction de salaire w

( )

e qui est une espérance basée sur les croyances a posteriori des firmes μ

(

θ/e

)

.

Cette figure montre que le salaire w

( )

e est toujours compris entre θL et θH. Le point

( )

(

e′,we

)

par exemple, représente le cas où les firmes observent le niveau d'éducation e′ et en déduisent les croyances μ

(

θL/e=e

)

(

θH /e=e

)

=1/2 sur le type du travailleur, ce

125 Voir Mas-Colell, Whinston & Green (1995), page 452.

126 Voir par exemple R. Gibbons (1992), pour l’exposé du modèle de Spence dans le cas où l’éducation modifie la productivité du travailleur.

qui donne le salaire w

( )

e θL θH

2 1 2

1 +

′ = . D'une façon générale, tout salaire w

( )

e strictement compris entre θL et θH est la conséquence de croyances a posteriori μ

(

θH /e

)

ou, de façon équivalente μ

(

θL/e

)

.

La propriété de l’unicité de l’intersection

La propriété de l’unicité de l’intersection (single crossing property) est une conséquence de l'hypothèse fondamentale de corrélation négative entre la capacité productive et le coût de l'éducation. Pour faire ressortir les implications de cette hypothèse fondamentale en termes de courbes d'indifférence, considérons un travailleur ayant un niveau d'éducation e1 et qui perçoit un salaire égal à w1. Déterminons l'augmentation de salaire nécessaire pour compenser le coût induit par à une augmentation de son niveau d'éducation de e1 à e2. Pour le travailleur de faible capacité, il est plus coûteux d'obtenir ce supplément d'éducation. Pour le compenser de ce surcroît de coût et ainsi maintenir constante son utilité, une plus grande augmentation du salaire (wL au lieu de wH) est nécessaire. Il en résulte les courbes d'indifférence suivantes dans l'espace

(

w,e

)

de la figure 8.3.

Une courbe d'indifférence représente les combinaisons de salaire w et de niveau d'éducation e donnant la même utilité. Au point d'intersection et d'une façon générale en tout autre point d'intersection des courbes d'indifférence (de deux types différents de travailleur), la pente de la courbe d'indifférence du travailleur de type est supérieure à celle de l'individu de type . Cette caractéristique est connue sous l'appellation de « propriété de l’unicité de l’intersection ».

(

e1,w1

)

θL

θH

0 e′ e w

Figure 8.2 θL

θH

( )e

w

L'équilibre bayésien Parfait

Le modèle de signal de Spence appartient à la classe des jeux dynamiques à information incomplète et son timing est le suivant :

1. La Nature détermine, par tirage aléatoire, la capacité productive θ du travailleur qui peut être soit élevée θH avec la probabilité p soit faible θL avec la probabilité

(

1− p

)

. Le vecteur

(

p,1−p

)

est la distribution de probabilité a priori de la capacité productive. Elle est connaissance commune.

2. Le travailleur observe sa capacité θ et choisit son niveau d'éducation e

( )

θ ≥0. 3. Les firmes observent le niveau d'éducation e du travailleur (mais non sa

capacité productive) qu’elles interprètent comme un signal du travailleur sur sa capacité productive et lui font simultanément une offre de salaire w

( )

e .

4. Le travailleur accepte la plus haute offre de salaire.

L'objectif du modèle est l'étude de l'existence d'équilibres de ce jeu et de leurs propriétés.

Nous nous contenterons ici des équilibres en stratégies pures. Le concept d'équilibre utilisé est celui de l'équilibre bayésien parfait.127 Un équilibre bayésien parfait est la donnée de l'ensemble des stratégies d'équilibre

(

e*

( ) ( )

θ ,w* e

)

du travailleur et des firmes et des croyances μ

(

θ /e

)

des firmes satisfaisant les propriétés suivantes :128

− La stratégie du travailleur e*

( )

θ est optimale étant donnée la stratégie w*

( )

e choisie par les firmes ;

− Les croyances des firmes μ

(

θ /e

)

sont consistantes avec la stratégie d’équilibre des travailleurs et sont obtenues par utilisation de la formule de Bayes lorsque cela est possible ;

127 Voir chapitre 5 pour la définition de l’équilibre bayésien parfait pour un jeu de signal.

128 Afin de ne pas alourdir l’exposé outre mesure, nous négligerons le qualificatif « au sens faible » en parlant du concept de l’équilibre bayésien parfait. L’équilibre bayésien parfait sera implicitement au sens faible s’il ne spécifie aucune restriction sur les croyances hors équilibre et ne sera pas au sens faible s’il spécifie des croyances raisonnables en dehors du sentier d’équilibre.

e1 e2 e w

wL

wH

w1

θL θH

+ u

Figure 8.3

− Les firmes sont en situation de concurrence et font une offre simultanée tel que la fonction de salaire w*

( )

e soit un équilibre de Nash de ce jeu (entre les firmes). Le salaire offert est donc égal à la productivité espérée étant données les croyances consistantes μ

(

θ /e

)

.

Nous montrerons que ce jeu de signal admet un équilibre bayésien séparant dans lequel les firmes interprètent l'éducation comme un signal de capacité. Donc, le rôle du signal est de permettre aux firmes, à partir de l'observation du niveau d'éducation choisi par le travailleur, d'inférer la capacité productive des travailleurs qui est pour elles une information non observable. Ainsi, malgré son inutilité (supposée) dans l'amélioration du niveau de compétence des travailleurs, l'éducation est tout de même demandée par les travailleurs car elle leur permet de signaler leur capacité productive. Le jeu ainsi défini admet un équilibre dans lequel les travailleurs à haute productivité choisissent un niveau d'éducation supérieur à celui des travailleurs à faible capacité et les firmes interprètent cette différence comme étant un signal de la capacité des travailleurs et donc offrent un salaire élevé pour le travailleur ayant un niveau d'éducation élevé et un salaire faible pour le travailleur ayant un niveau d'éducation faible.