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Les coûts d’agence des actions externes

Chapitre 9 : La théorie de l'agence

9.5.   Application 2 : aléa moral et structure de la propriété des entreprises

9.5.1.   Les coûts d’agence des actions externes

Quel est l'impact des actions externes sur les coûts d'agence? Pour développer leur théorie de la structure du capital et de la structure de la propriété, Jensen et Meckling montrent que les coûts d'agence sont supportés par les actionnaires informés (insiders). Pour montrer cela, on considère dans un premier temps une firme possédée à 100% par le manager. On supposera par la suite que ce propriétaire / manager cède une partie de ses actions à des actionnaires externes et l’analyse s’attachera à déterminer l’impact de l’existence d’actions externes sur les coûts d’agence.

Pour formaliser l’existence de l’aléa moral, Jensen et Meckling considère que l’utilité du manager / propriétaire a une double origine : En premier lieu, et de façon très classique, elle augmente avec le profit qu’il peut obtenir de la firme. En second lieu, son utilité augmente avec les consommations non pécuniaires qu’il peut être amené à effectuer. Le manager/propriétaire fait cependant face à un arbitrage entre ces deux éléments car en augmentant la consommation des avantages non pécuniaires au-delà d’un certain niveau optimal, la rentabilité de la firme diminue. La combinaison optimale entre le rendement financier et les avantages non pécuniaires est obtenue lorsqu'il y'a égalisation de l'utilité marginale de chaque avantage non pécuniaire et l'utilité marginale d'une unité monétaire de pouvoir d'achat.

Les avantages non pécuniaires sont toutes dépenses que le manager / propriétaire est appelé à effectuer et pour lesquelles il obtient une utilité personnelle. L’exemple classique est le salaire que le manager / propriétaire se fixe en contrepartie de son travail.161 Ce sont également la somptuosité du bureau, les déplacements vers des hôtels luxueux, le recrutement au sein de la firme, d’amis ou de membres de la famille. C’est également l’attribution de contrats avantageux à des amis ou à des membres de sa famille. Ces dépenses portent sur des biens qui sont à la fois des facteurs de production pour l’entreprise et des biens de consommation pour le manager.

Pour modéliser l’existence de ces avantages comme source d’aléa moral, symbolisons par :

{

x x xN

}

X = 1, 2,L, le vecteur des quantités de facteurs et d'activités de la firme à partir desquels le manager / propriétaire obtient une utilité (marginale) positive.

( )

X

C le coût d'obtention de X

161 Le versement d’un salaire est évidemment un avantage pécuniaire. Il est dans le cadre de cette analyse inclus dans les avantages non pécuniaires car, comme ces derniers, il procure au manager / propriétaire une utilité personnelle qui peut l’amener à s’octroyer un niveau de salaire supérieur au salaire qui aurait été accordé à un manager non propriétaire.

( )

X

P le revenu total pour la firme en fonction de X.

On a donc :

( )

X P

( ) ( )

X C X

B = − : Bénéfice net pour la firme en fonction de X.

Soit X* le niveau optimal de X. Il est donc donné par la relation suivante :

( ) ( ) ( )

0

*

*

*

*

*

* =

−∂

= ∂

X X C X

X P X

X B

Si le niveau de X choisi par la firme est supérieur au niveau optimal X*, alors

( )

X B

( )

X

B

F = * − mesure le coût pour la firme de l'incrément XX*, incrément procurant un surcroît d'utilité pour le manager.162 Donc F est la valeur de marché des dépenses non pécuniaires du manager choisies au-delà du niveau optimal. De ce fait, l’arbitrage entre le rendement financier et les avantages non pécuniaires revient en un arbitrage entre la valeur V de la firme et le coût F de ces avantages non pécuniaires.

La figure 9.5 fait ressortir l’arbitrage auquel fait face le manager / propriétaire entre la valeur de marché V de la firme et la valeur F des avantages non pécuniaires. Elle montre que si le manager / propriétaire augmente sa consommation d'avantages non pécuniaires de 1 unité monétaire, la valeur de l'entreprise diminue de 1 unité monétaire, d'où la pente de – 1 pour

F

V . La droite VF de pente égale à –1 est analogue à une contrainte budgétaire et représente le lieu géométrique des meilleure combinaisons possibles entre valeur de la firme et consommation d'avantages non pécuniaires.

V est la valeur maximale de l'entreprise. Elle est obtenue lorsque le manager choisit le niveau X* d'avantages non pécuniaires, soit lorsque F =0. La situation où le manager / propriétaire possède 100% de la firme est représentée par le point D où la valeur de la firme est V* et la

162 Notons que la firme s’éloigne de l’optimum dès lors qu’au moins un des éléments de X diffère de son niveau optimal.

V V1

V*

V2

V Vo

Pente = -1

0 F* FFo F D

Figure 9.5 U2

U1

A

U3

Pente = α

P2

P1

B

valeur des avantages non pécuniaires consommés est F*. Le point D est le point de tangence entre la courbe d'indifférence U2 et la droite VF.163

Si le manager / propriétaire vend 100% des actions de la firme tout en restant manager et si le nouveau propriétaire pouvait, sans coût, imposer au manager le même niveau de consommation F*, alors le nouveau propriétaire sera prêt à payer le montant V* pour acquérir 100% de la firme.

Supposons que le manager / propriétaire vende la fraction

(

1−α

)

de la firme et conserve la fraction α de la firme. Si l'acheteur anticipe que le manager / propriétaire maintiendra le même niveau de F* de consommations d'avantages non pécuniaires, alors il sera disposé à payer le montant

(

1α

)

V* pour l'acquisition de la fraction

(

1−α

)

de la firme.

Mais lorsque le manager / propriétaire ne possède plus que la proportion α de la firme, s'il augmente sa consommation d'avantages non pécuniaires de 1 unité monétaire, il ne supporte plus que la proportion α de la baisse de la valeur de marché de la firme. La pente représentative de l’arbitrage (trade-off) du manager / propriétaire devient égale à −α , comme par exemple pour la droite V1F1. Cette dernière passe par le point D car à cette étape de l’analyse, l’acheteur anticipe que le manager / propriétaire maintiendra le niveau F* et donc est disposé à payer la somme

(

1−α

)

V*. Mais face à ces croyances, la meilleure réponse du manager / propriétaire n’est pas de maintenir le niveau F* car il n’en supporte le coût que dans la limite de α.

Lorsque le manager / propriétaire ne possède que la proportion α de la firme, sa contrainte budgétaire subjective est V1P1. De ce fait, il sera incité à choisir le point A, qui est le point de tangence entre V1P1 et une courbe d'indifférence U1 plus élevée. Le point A est l'expression de la meilleure réponse du manager / propriétaire au fait que le nouveau propriétaire paie le montant

(

1−α

)

V*.

Au point A, la valeur de la consommation d'avantages non pécuniaires augmente de F* à FO . Par conséquent, la valeur de marché de la firme diminue de V* à VO.

De ce fait, si le marché anticipe correctement la réaction du manager / propriétaire, alors le nouveau propriétaire n'acceptera pas de payer le montant

(

1−α

)

V*. En tenant compte de cette anticipation rationnelle, pour l'acquisition de la part

(

1−α

)

de la firme, le nouveau propriétaire ne paiera que

(

1−α

)

la valeur anticipée de la firme tenant compte du changement dans le comportement du manager / propriétaire.

Pour montrer comment se détermine le prix de marché après la vente de la proportion

(

1−α

)

des actions et comment apparaissent les coûts d’agence, soit w la richesse du manager / propriétaire après avoir vendu la fraction

(

1−α

)

de la firme. On a ainsi :

163 Ici, l’équilibre est intérieur, mais il peut correspondre aux extrêmes V =0 ou F=0 avec des courbes d’indifférence appropriées.

(

α

)

αV F, S

S S

w= o + i = o +

So est le paiement effectué par les outsiders en contrepartie de la fraction

(

1α

)

de la firme et Si est la valeur de marché des actions (partie α) restant en possession du manager / propriétaire. V

(

F

)

est la valeur de marché de l'entreprise étant donné que le manager / propriétaire ne possède que la fraction α de la firme et que la valeur des avantages non pécuniaires consommés est F.

La droite V2P2 de la figure 9.5 représente l’arbitrage (trade-off) du manager / propriétaire entre la valeur de marché de la firme et la consommation d'avantages non pécuniaires. La pente de cette droite est −α. Au point B, la droite V2P2 est tangente à la courbe d'indifférence U3. C'est le choix optimal du manager / propriétaire. Ce point de tangence représente la solution de la contrainte d’incitation de l’agent (le propriétaire/manager).

Le prix de marché de la fraction

(

1−α

)

de la firme qui soit satisfaisant au vendeur et à l'acheteur est tel que ce point de tangence B se situe sur la droite VF. Pour montrer cela, supposons le contraire. Considérons en premier lieu que le point de tangence se situe à gauche du point B. Comme la pente de V2P2 est négative, cela signifie un plus faible niveau de consommation d'avantages non pécuniaires et donc une plus grande valeur de marché de l'entreprise.

Comme le montre la figure 9.6.a, en acceptant , le manager / propriétaire perçoit un montant plus faible que le prix de marché, ce qui lui est défavorable.

La figure 9.6.b montre le cas où le point de tangence se situe à droite du point B. Ce cas correspond à une plus grande consommation d'avantages non pécuniaires et donc une plus faible valeur de marché de l'entreprise. En acceptant , l'acheteur paie un prix plus élevé que la valeur de marché, ce qui lui est défavorable.

So

So

Figure 9.6.a

1

α

Prix de marché = V Prix accepté par le vendeur = So

Le seul prix mutuellement satisfaisant doit être tel que le point de tangence se situe sur la droite VF . A ce point, on a So =

(

1−α

)

V′. Ceci implique que la richesse du manager / propriétaire après la vente de la fraction

(

1−α

)

des actions est la valeur réduite V′. En effet, on a :

(

F

) ( )

V V V

V S

W = o +α ,α = 1−α ′+α ′= ′

De ce fait, la baisse de la valeur de la firme de V*à V′ après la vente de la fraction

(

1−α

)

est supportée par le manager / propriétaire. La réduction de la valeur de marché de la firme

V

V*− ′ est due à l'existence d'une relation d'agence. C'est la mesure de la perte résiduelle.

Dans cet exemple simplifié où on n'a pas encore introduit la possibilité du monitoring et de l'engagement, cette perte résiduelle représente le coût d'agence total. Pour le manager / propriétaire, la décision de vente de la fraction

(

1−α

)

de la firme intervient après comparaison entre les coûts d'agence (différence entre U3 et U1) et l'utilité procurée par la liquidité So.

L'appropriation personnelle des avantages non pécuniaires n'est pas la seule forme de coût induit par la réduction de la part du manager / propriétaire dans la firme. Le coût le plus significatif est certainement la réduction de l'incitation à l'effort car pour un effort donné, le revenu du manager/propriétaire diminue au fur et à mesure que la proportion α diminue. La réduction de l'effort a pour effet de réduire la valeur de la firme tout comme la consommation des avantages non pécuniaires. En considérant que l’aléa moral porte sur le niveau d’effort e, F est déterminée par la relation F =B

( )

e*B

( )

e avec e* désignant l’effort optimal du manager/propriétaire.

En résumé, si le manager / propriétaire vend une partie des actions de la firme, il ne supportera plus qu'une fraction (égale à sa part dans la firme) du coût des avantages non pécuniaires. Les actionnaires externes peuvent limiter la consommation par le manager de ce type d'avantages par un contrôle qui nécessite un coût du contrôle Si le marché anticipe (et en général il le fait) ce type de coût, ces derniers seront supportés par le manager / propriétaire.

Le prix que les actionnaires externes sont prêts à payer va donc tenir compte du coût du monitoring et du coût de la divergence d'intérêt. Le manager / propriétaire acceptera de supporter ces coûts si l'utilité du pouvoir d'achat ainsi obtenu est suffisamment élevée pour compenser ces coûts. Ce mécanisme s'accentue au fur et à mesure que la part du manager / propriétaire diminuera dans la firme

Figure 9.6.b Prix accepté par l'acheteur = So

Prix de marché = V

α

1

9.5.2. Le rôle du monitoring et de l’engagement dans la réduction des coûts