• Aucun résultat trouvé

Application 1 : aléa moral et rationnement du crédit

Chapitre 9 : La théorie de l'agence

9.4.   Application 1 : aléa moral et rationnement du crédit

e y f

e y f y

e (9.17)

L'expression (9.17) est la version continue de la MLRP (équation 9.11).

Comme mentionné plus haut, l’approche du premier ordre consiste à remplacer la contrainte d’incitation (9.12) par la condition du premier ordre (9.13). Pour être suffisante, cette transformation du programme d’optimisation du principal nécessite l’introduction d’une nouvelle hypothèse qui est la convexité de la fonction de répartition F par rapport à l’effort e qui est, selon Rogerson (1985) «une forme de rendement d’échelle stochastique décroissant ».152 En l’absence de cette nouvelle hypothèse, Grossman et Hart (1983) ont proposé une approche coût/bénéfice en deux étapes dans le cas où l’ensemble Y est discret et le principal neutre envers le risque.153

9.4. Application 1 : aléa moral et rationnement du crédit

La théorie du rationnement du crédit est une application importante du modèle principal / agent. En d'autres termes, l'existence du rationnement du crédit peut être expliquée par celle du problème de l'aléa moral entre le préteur (par exemple la banque) et l'emprunteur. On dit qu'il existe une situation de rationnement du crédit lorsque le prêteur n'est pas disposé à accorder un crédit même si l'emprunteur concerné par ce refus accepte de payer un taux d'intérêt supérieur au taux d'intérêt en vigueur.154

Cette caractéristique constitue une différence fondamentale du concept d'équilibre entre le marché du crédit et le marché des biens. Pour ce dernier, le prix d'équilibre est obtenu lorsque l'offre est égale à la demande. Si la demande est supérieure (resp. inférieure) à l'offre, le rétablissement de l'équilibre s'obtient par l'augmentation (resp. la diminution) du prix.

Ce mécanisme de l'équilibre ne se retrouve pas complètement dans le marché du crédit. En effet, le prêteur peut refuser de satisfaire une demande de crédit même si l'emprunteur est disposé à accepter un taux d'intérêt plus élevé. L'équilibre du marché n'est pas obtenu ici par l'augmentation du taux d'intérêt puisque une demande disposée à accepter un prix plus élevée

152 W. Rogerson (1985). “The first-order approach to principal-agent problems”. Econometrica, 53. Pages 1357-1368.

153 S. Grossman & O. Hart (1983). “An analysis of the principal-agent problem”. Econometrica, 51. Pages 7-45.

154 Il existe plusieurs situations de rationnement. Le cas le plus connu est celui de la situation de guerre. La rareté des biens est tellement forte que l’Etat se voit obligé d’intervenir dans la sphère commerciale pour réguler la commercialisation des produits, en particulier ceux de première nécessité (pain, huile, sucre, …). On trouve également le rationnement dans les économies planifiées, notamment pour les importations qui sont limitées quantitativement de façon centralisée.

ne trouve pas l'offre correspondante. Cette situation est qualifiée de rationnement du crédit et est donc une caractéristique fondamentale du marché du crédit.

Parmi les explications possibles à l'existence du rationnement de crédit à l'équilibre du marché du crédit figure celle de l'aléa moral.155 A la base de cette explication, il faut d'abord remarquer que plus le taux d'intérêt est élevé, moins est grande la part des bénéfices revenant à l'emprunteur. Ceci a pour effet de réduire son incitation à fournir un effort plus élevé, ce qui a pour conséquence d'augmenter la probabilité d'échec du projet financé. Ainsi, l'augmentation du taux d'intérêt peut avoir pour effet d'augmenter le risque pour le prêteur et ne constitue donc pas une réponse tout à fait adéquate pour la couverture contre le risque.

Dans ce cas, le projet n'est financé par le prêteur que si le montant des capitaux propres atteint un montant approprié. De ce fait, l'existence de l'aléa moral devient une explication possible de la structure du capital et de la notion de capacité d'endettement.

Pour montrer cela, considérons un entrepreneur qui envisage de réaliser un projet dont le coût d'investissement est I.156 Son apport personnel sous forme de capitaux propres (cash) est A avec A<I. Pour la réalisation de ce projet, il doit donc recourir à un financement externe d'un montant égal à IA. En cas de succès, le projet procure un revenu global égal à R et en cas d'échec, le revenu global est 0. La probabilité de succès dépend du comportement de l'entrepreneur. Cette probabilité est élevée pH si l'entrepreneur fournit un effort élevé (comportement loyal) pour la réussite du projet. Par contre, si l'entrepreneur ne fournit pas un effort élevé pour le projet (comportement déloyal), la probabilité de réussite devient faible pL , mais l'entrepreneur obtiendra dans ce cas des bénéfices privés B. On a évidemment pH > pL . En cas de succès, la part revenant à l'entrepreneur (insider) est Ri et la part revenant au financier (outsider) est Ro, avec R=Ri +Ro.

Pour simplifier l'exposé, supposons que l'entrepreneur (qui bénéficie de la responsabilité limitée) et le financier sont neutres envers le risque et que le taux d'intérêt est égal à 0.

Considérons également qu'en raison de la concurrence entre les financiers, le profit espéré du financier est nul, ce qui donne pHRo

(

IA

)

=0. La réalisation du projet s'effectue selon le timing suivant :

On supposera également que le projet n'est viable que si l'entrepreneur se comporte loyalement, ce qui donne une valeur actuelle nette du projet conditionnelle au comportement

155 Stiglitz, Joseph et Andrew Weiss. Credit Rationing in Markets with Imperfect Information. The American Economic Review. Vol 71, n° 3. June 1981.

Le phénomène de sélection adverse est également une explication possible du rationnement du crédit dans le marché du crédit.

156 Voir aussi J. Tirole (2001) « Corporate Governance », Econometrica, 69. Pages 1-35.

Accord de Investissement Aléa moral Résultat Financement et (Règle de partage) partage

Figure 9.4

loyal VANH = pHRI >0. En cas de comportement déloyal de l'entrepreneur, la valeur actuelle nette du projet est négative, ce qui donne VANL = pLR+BI <0.

Comme le projet n'a une valeur actuelle nette positive qu'en cas de comportement loyal, le contrat de financement doit être conçu de telle sorte à inciter l'entrepreneur à se comporter de façon loyale. Cette exigence est formalisée à travers la contrainte d'incitation suivante :

B

≤ . En d'autres termes, à partir de la contrainte d'incitation, il ressort que le montant maximal pouvant être gagé (réservé) en faveur du financier sans compromettre l'incitation de l'entrepreneur est

p R B

−Δ . Le montant espéré maximum pouvant être gagé est donc

⎟⎟⎠

≤ et l’équilibre financier des apporteurs de fonds A

La quantité A que nous assumons être positive est donc le montant minimal exigé de l'entrepreneur pour que le financement externe d'un montant égal à IA lui soit accordé.

Nous avons ainsi une théorie explicative de l'existence d'une structure optimale du capital basée sur l'existence du phénomène de l'aléa moral.157 Le minimum requis a donc la forme suivante :

157 Relevons que cette théorie de la structure du capital base l’explication de la structure du capital du côté de l’offre du financement.

Pour l'interprétation de la quantité A, rappelons que la contrainte d'incitation de l'entrepreneur implique que

p Ri B

≥ Δ , ce qui donne

p p B R pH i H

⋅Δ

⋅ . Donc

p pH B

⋅Δ est le revenu espéré minimum à laisser à l'entrepreneur pour satisfaire sa contrainte d'incitation.

Pour cela, la quantité

p pH B

⋅Δ est appelée "rente d'agence".

Cette exigence en fonds propres peut-être interprétée comme suit : la rente d'agence est le revenu minimal que doit obtenir l'entrepreneur pour l'amener à se comporter de façon loyale.

Pour cela, l'apport de l'entrepreneur doit être au moins égal à cette somme. De ce fait, cette avance constitue une assurance crédible donnée par l'entrepreneur pour garantir que son comportement sera loyal. Cette exigence est réduite du montant de la VAN car cette dernière sera donnée par le projet.

Pour illustrer la détermination de la contribution minimale de l'entrepreneur en cas d'aléa moral, considérons la simulation suivante d'un projet d'investissement dont le coût de réalisation est I =1000. La probabilité de succès est de 0,8 en cas de comportement loyal de l'entrepreneur et de 0,6 en cas de comportement déloyal de l'entrepreneur.

Au titre de la simulation1, le revenu (cash-flow) du projet est de 1300 et le bénéfice privé est de 200. Au titre de la simulation 2, le revenu (cash-flow) du projet est de 1450 et le bénéfice privé est de 50. Dans les deux simulations, le revenu global du projet est de 1 500, mais dans la simulation 1, la proportion des bénéfices privés est plus grande. Il s’ensuit que dans la simulation 1, l’incitation au comportement déloyal est plus grande. Par conséquence, la contribution en fonds propres exigé de l’entrepreneur dans la simulation 1 est plus importante.

Le tableau 9.2 fait bien ressortir ce résultat intuitif.

Dans la simulation 1, le risque moral est élevé puisqu'en se comportant de façon déloyale, l'entrepreneur peut obtenir des bénéfices privés de 200. Ces derniers constituent donc une importante incitation à ne pas fournir l'effort nécessaire pour augmenter la probabilité de réussite du projet. La meilleure réponse du financier externe (outsider) est d'exiger un important taux d'autofinancement minimal de 76% ceci afin de contrecarrer cet aléa moral et créer ainsi une contre incitation.

Dans le cas de la simulation 2, l'aléa moral est relativement faible ce qui justifie que le taux d'autofinancement minimal exigé par le financier n'est que de 4%.

Tableau 9.2

Simulation du modèle de rationnement du crédit dans le cas d'aléa moral Le projet

Coût de l'investissement 1.000

Probabilité de succès si

comportement loyal 0.8

Probabilité de succès si

comportement déloyal 0.6

Revenus du projet Simulation 1 Simulation 2

Revenu (apparent) du projet 1.300 1.450

Bénéfices privés 200 50

Résultats Simulation 1 Simulation 2

Valeur Actuelle Nette 40 160

-20 -80

Rente d'agence 800 200

Apport minimal en fonds

propres de l'entrepreneur 760 40

Taux d'autofinancement

minimal exigé 76% 4%

* : Si comportement loyal. : Si comportement déloyal

Cette théorie permet d'expliquer pourquoi dans certains pays, les banques exigent des niveaux importants de taux d'autofinancement et également de garanties. Ces banques étant confrontées à un niveau élevé d'aléa moral, leur meilleure réponse est d'exiger de l'emprunteur de s'engager de façon substantielle.158 Le niveau élevé d'aléa moral est favorisé par plusieurs phénomènes tels que :

− Système judiciaire ne protégeant pas suffisamment les créanciers (par exemple pour la mise en jeu des garanties) ;

− Information comptable manquant de fiabilité et de transparence ;

− Structure familiale des entreprises privées qui peut être un élément favorable à la collusion des actionnaires contre les outsiders ;

− Aléa moral au sein même de la banque d'Etat.

9.5. Application 2 : aléa moral et structure de la propriété des entreprises