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Chapitre 3 Le concept de gouvernance partagée : essai de définition

2.3 les principes de co-responsabilité et de subsidiarité comme piliers de

partagée

Mais alors, qui participe, dans cette arène de négociation ? Quelles sont les parties

prenantes, autrement dit les membres participant à la gouvernance ? S’il s’agit d’associer toutes les personnes concernées, ne risquons-nous pas d’être confrontée à la difficulté que nous avions évoqué précédemment concernant les dispositifs participatifs, à savoir la limite de la petite échelle sociétale et territoriale, et donc du petit nombre, afin de garantir la qualité des débats et l’expression de tous ? Nous souhaitons réitérer ici une précaution : en aucun cas nous ne nous attacherons à définir la finalité formelle, organisationnelle et légale de la gouvernance. L’objectif de cette recherche est plutôt d’identifier quelles sont les conditions de son émergence, autrement dit quelles sont les étapes et points nodaux du processus qualitatif conduisant à son établissement et à son fonctionnement.

Faut il que nous le rappelions, nous employons le concept de personne concernée par analogie au concept préalablement défini de l’espace de concernement. Autrement dit, l’ensemble des personnes concernées dépend à la fois de l’étendue de l’espace de

concernement et de la thématique de concernement (la thématique ou problématique sur laquelle porte le projet : alimentation, tourisme, transport, santé, etc.). Le traitement de chaque thématique supposera donc un travail préalable et continu, tout au long de l’élaboration et de la conduite du projet, d’identification des personnes concernées, afin de les inviter à participer au processus de prise de décision. Nous ne limiterons pas le champ des possibles en proposant un mode de désignation ou d’élection des parties

prenantes par les personnes concernées, pas plus que nous ne préconiserons la participation exhaustive et systématique de toutes les personnes concernées : cela relève de la liberté de chaque société, de chaque territoire, de chaque gouvernance en construction, que de pouvoir définir ses propres modes de participation ou de représentation démocratique. Car, à notre sens, ce n’est qu’en ouvrant le champ des possibles à la créativité des sociétés et des territoires que nous pourrons voire émerger des formes innovantes et plurielles de démocraties territoriales.

Pour en revenir aux modes d’organisation et de fonctionnement d’une gouvernance partagée, deux principes nous paraissent décisif en ce sens qu’ils garantissent la

virtuosité du processus. Le premier d’entre eux est celui de co-responsabilité ou de Page | 73

responsabilité réciproque entre les parties prenantes : il signifie que chaque partie prenante de la gouvernance doit rendre compte, aux autres parties prenantes, de ses positions, de ses actes et de ses choix. Ceci afin de dépasser le problème de dissolution

des responsabilités évoqué dans le cadre d’une organisation excessivement hiérarchisée. Nous avons vu précédemment comment, selon Elinor Ostrom, cette question de la co-

responsabilité instaurée entre les appropriateurs est décisive quant à l’effectivité de la gouvernance collective de la ressource commune (Ostrom 2010). La co-

responsabilisation passe alors par une appropriation des modalités de contrôle et de sanction, conçus par les participants eux-mêmes et mis en application suivant un

principe de surveillance mutuelle, et non par une autorité externe (Ostrom 2010). Pierre Calame va plus loin encore, et propose de ne pas se limiter aux seuls principes de

conformité ou de légalité comme garants de l’acceptabilité d’une action ou d’un projet. Pour lui, le principe de co-responsabilité ne se rapporte pas simplement au respect des normes et des règles, mais bien plus au respect - sur le plan éthique - des valeurs partagées qui fondent la gouvernance, comme des personnes concernées et de

l’expression de leurs intérêts, autrement dit des formes et modalités de leur concernement (Calame, Freyss, Garandeau 2003). On l’aura compris, il s’agit dans les deux cas d’instaurer une base de confiance entre les parties prenantes de la gouvernance, sur le plan tant éthique que fonctionnel (Calame, Freyss, Garandeau 2003 ; Ostrom 2010), afin de garantir la qualité et la pérennité du processus de négociation permanent qu’est la gouvernance partagée. Toujours selon Pierre Calame, le niveau de responsabilité de chacun devrait être fonction de ses capacités d’intervention :

Les responsabilités des être humains […] sont proportionnées aux possibilités dont ils disposent. Plus une personne ou une organisation dispose de liberté, d’accès à l’information, de connaissances, de richesse et de pouvoir, plus ses actes ont un impact, plus grande est sa responsabilité de s’allier à d’autres pour créer une force collective (Calame, Freyss, Garandeau 2003, p. 137).

Sur un plan opérationnel, cela permettrait, on le comprendra aisément, de contribuer au rééquilibrage des rapports de force entre les parties prenantes au sein de la gouvernance, entre les acteurs forts et les acteurs faibles plus particulièrement. Dès lors qu’institué comme fondement de l’organisation et du fonctionnement de la gouvernance, un tel principe de co-responsabilité garantirait la qualité de la participation des personnes concernées, ainsi que l’effectivité de la coordination et de la coopération horizontale entre les parties prenantes.

Le second principe d’organisation et de fonctionnement de la gouvernance devrait être celui de subsidiarité : le principe de subsidiarité, introduit en droit de l'Union Européenne à compter du Traité de Maastricht, considère qu'une compétence (en matière d'intervention publique) doit être laissée à la plus petite entité à même de résoudre le problème. Autrement dit, les propositions, résolutions, ou solutions doivent être traitées à la plus petite échelle d'intervention permettant par ailleurs la meilleure efficacité de l'action publique quant au phénomène considéré. Selon Alain Faure, l’introduction et la généralisation du principe de subsidiarité au sein de l’Union Européenne sont indissociables des processus de décentralisation et de territorialisation des politiques publiques (Faure 1997). Qu’il soit appréhendé comme « principe d’organisation de politique globale assise sur un socle social et culturel » ou comme « norme régulatrice », il permet de répondre aux problèmes posés par la concurrence entre les institutions et services déconcentrés et décentralisés en s’attachant à une meilleure harmonisation et articulation entre les échelons et secteurs d’intervention des politiques publiques (Faure 1997, p. 10). Sur le plan normatif et légal, il autorise le développement de dispositifs de gestion plus collective ou pluraliste au niveau local, tout en permettant la coexistence, voire l’articulation de cette gouvernance locale avec les autres sphères de gouvernance ou de gouvernement, sans nécessairement remettre en question la légitimité de l’Etat (Faure 1997). Ainsi, suivant ce principe, le territoire, remis au cœur des processus de décision en matière d’aménagement et de développement, devient le centre à partir duquel devraient s’articuler les différents cercles et échelons de gouvernance. De la même manière que les relations entre les parties prenantes au sein de la gouvernance devraient être régies par un principe de co- responsabilité, nous proposons que les relations entre les cercles et échelons de gouvernance se fassent à l’aune d’une responsabilité réciproque. Car c’est bien, à notre sens, la corrélation entre le principe de subsidiarité et celui de co-responsabilité qui autorisera une coordination et une coopération effectives de la gouvernance territoriale avec l’ensemble des autres niveaux de gouvernance : régionale, nationale et supranationale.