• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 Le concept de gouvernance partagée : essai de définition

2.2 Le passage d’un dispositif hiérarchique vertical à un processus

partenarial horizontal de prise de décision

Notre définition de la gouvernance partagée, proposée comme hypothèse centrale de ce travail de recherche, s'origine - entre autres - dans l'aspiration à sortir du modèle hérité d'une conception centralisatrice des politiques publiques d'aménagement et de développement, dont la propriété principale se trouve être la verticalité (Bourhis, Lascoumes 1998 ; Hermet 2004). Cette verticalité, théorisée par certains auteurs via le concept de régulation croisée (Duran, Thoenig 1996), présente deux aspects : celui d'une sectorisation du pouvoir et des compétences des institutions de gouvernement, et celui d'une hiérarchisation, parfois outrancière, des étapes du processus de décision et de mise en œuvre des dites politiques publiques (Muller 1990 ; Bourhis, Lascoumes 1998 ; Duran, Thoenig 1996 ; Hermet 2004 ; Paye 2005). La sectorisation tout d'abord, se vérifie au travers de la multiplication, ces dernières décennies, du nombre de Ministères et de secrétariats d'Etat sectoriels ou thématiques, rendant difficile - voire parfois impossible - la mise en place de politiques coordonnées. Ce phénomène s'accentue, notamment dans les Etats les plus centralisés, du fait de l'adjonction de missions interministérielles pour s'efforcer de procéder à une laborieuse coordination. La sectorisation ne s'opère pas seulement au niveau de l'Etat central mais se réitère à tous les échelons institutionnels et administratifs supranationaux et infranationaux (Muller 1990 ; Duran, Thoenig 1996). Dans un article intitulé Les politiques publiques,

entre secteur et territoires, publié en 1990 dans la revue Politiques et management public, Pierre Muller montre comment l’émergence des thématiques environnementales est exemplaire en ce qu’elle illustre cette double sectorisation, tant au niveau national que territorial :

Les services du ministère de l’Environnement [créé en 1971] ont dû se faire une place au milieu des autres administrations jalouses de leurs prérogatives. Si, au niveau central, quelques services furent affectés en propres à la nouvelle administration, rien de tel ne fut prévu au niveau territorial. (Muller, 1990, p. 26)

Cette sectorisation des politiques publiques instaure un climat de concurrence entre les différents secteurs ou filières d’intervention de l’Etat (Muller 1990 ; Duran, Thoenig 1996), le principal enjeu ne résidant pas tant dans les rapports de pouvoirs et le partage des prérogatives, que dans la question de la captation des ressources budgétaires et financières afférentes (Duran, Thoenig 1996).

Cette sectorisation des politiques publiques produit ce faisant un mille-feuille administratif et territorial qu'il est commun aujourd'hui d'invectiver, comme étant la cause de tous les maux, dans un climat de rigueur budgétaire. Notre critique ne fait pas cortège avec ce tumulte, loin s'en faut, ne serait ce que parce que cet état de fait ne rend pas compte du service ordinairement rendu par les administrations territoriales : il y a là, manifestement, une confusion pour ce qui est de l'interversion des causes et des effets. Notre point de vue est bien davantage que cette sectorisation ne permet de traiter les problèmes ni de manière globale, et encore moins dans leurs dimensions transversales. Pierre Calame, pour sa part, affirme en ce sens que :

Au fur et à mesure que de nouveaux défis apparaissent, la volonté de les traiter par autant de dispositifs spécifiques et de normes aboutit au mieux à produire ce que les praticiens locaux appellent des « politiques en millefeuille » et au pire à des univers kafkaïens. (Calame, Freyss, et Garandeau, 2003, p. 63)

On constate de fait un net déficit de complémentarité et d'articulation entre les politiques publiques sectorielles.

L'examen de ce que nous entendons par hiérarchisation, relève d'une plus grande complexité. En effet, les processus de décision constituent, à l'heure actuelle, une chaîne d'étapes interdépendantes, descendantes - parfois partiellement ascendantes - suivant un ensemble de règles juridiques et de normes de conformité particulièrement contraignantes, régulièrement contrôlées, garantissant la légalité du processus (Duran, Thoenig 1996 ; Bourhis, Lascoumes 1998 ; Paye 2005). Qu'il nous soit permis brièvement de décrire les étapes du processus. En amont, le croisement entre l’intérêt

général29 représenté par l’Etat, et l’expertise technocratique détenue par les administrations, permet à l’Etat central de prendre une décision (directive, loi, ordonnance, décret ministériel, arrêté, préconisation, ou simple document d'orientation), laquelle prévaut pour ce qui est de la définition des finalités ou objectifs stratégiques

29 Ancrée dans une vision rousseauiste de l’Etat héritée de la Révolution Française, la notion d’intérêt

général désigne un bien supérieur, qui dépasse par essence la somme des intérêts individuels et particuliers. Il constitue ce par quoi chaque citoyen s’identifie à l’Etat, et légitime les interventions de ce dernier, déclinées au travers des politiques publiques (Bourhis, Lascoumes 1998 ; Foret 2007).

Page | 71

que doivent atteindre les politiques publiques de mise en œuvre (Bourhis, Lascoumes 1998). Ces finalités s'assortissent de règles juridiques et de normes procédurales permettant d'encadrer le financement et la réalisation des actions localement (Duran, Thoenig 1996 ; Paye 2005). Dès lors que les actions ont été réalisées, deux boucles de rétroaction permettent des ajustements : d'une part le contrôle de la conformité des actions avec les objectifs stratégiques établis en amont peut permettre, le cas échéant, de reconsidérer les objectifs fixés. D'autre part, les élus locaux, témoins et acteurs des expériences de mise en œuvre sur le terrain, peuvent influer directement sur la sphère politique à l'occasion d'une nouvelle prise de décision (Duran, Thoenig 1996). La rigidité du processus de décision impose le strict respect de l'ordre hiérarchique des étapes, tel que décrit ci-dessus. Les risques induits par cette hiérarchisation sont d'une part, un effet de blocage, quelle qu'en soit l'étape, et, d'autre part, une dissolution des responsabilités. Par expérience, la conjugaison de ces risques freine, parfois inéluctablement, l'élaboration et la mise en œuvre de projets d'aménagement et de développement territorial, indépendamment de la qualité et de l'opportunité du projet, comme de son adéquation avec les attentes de la société locale. Ce que nous qualifions de rigidité de l'ordre hiérarchique, Pierre Calame la dénomme « normalisation et standardisation excessives ». C'est de ce constat d'une dissolution des responsabilités, du fait de la protection que procure cet ordre hiérarchique, technocratique et bureaucratique, que nous avons été amenée à repenser le partage des responsabilités entre tous les acteurs, en vue de créer les conditions d'un cercle vertueux30 dans le processus de prise de décision. La construction d’un tel processus vertueux supposerait ainsi de passer du système hiérarchique et vertical de prise de décision classique, tel qu’il a été précédemment décrit, à un dispositif partenarial horizontal, qui associerait l’ensemble des personnes concernées au processus de prise de décision, suivant un principe de coresponsabilité (Teniere-Buchot 1997 ; Bourhis, Lascoumes 1998 ; Theys 2003 ; Calame, Freyss, Garandeau 2003 ; Salles 2009).

30 Nous employons ici l’expression en opposition à celle de cercle vicieux

Page | 72

2.3 les principes de co-responsabilité et de subsidiarité comme piliers