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Chapitre 3 Le concept de gouvernance partagée : essai de définition

1.2 Le haut-lieu ou les condensations du territoire

La gouvernance ayant pour double fonction de piloter la valorisation maitrisée des

ressources territoriales et de gérer la pluralité des intérêts et des usages qui convergent - parfois de manière concurrentielle - autour de ces mêmes ressources, nous ne pouvons faire ici l’économie d’un détour par la question de l’appréhension des ressources territoriales par les lieux où elles sont situées. Cela est d’autant plus décisif à notre sens que, s’agissant de la mise en tourisme d’un territoire, ce sont souvent les lieux eux- mêmes qui constituent lesdites ressources ; or, une valorisation mal maîtrisée des lieux touristiques, au dépens notamment des autres activités qui s’y déploient, ou des usages et valeurs dont l’investit la société locale, peut devenir un facteur de conflits. Il convient donc d’exposer ici clairement quelles sont les dimensions multiples que peuvent prendre de tels lieux de valeur, afin de pouvoir par la suite proposer une méthode et des outils adaptés pour en permettre l’identification, la caractérisation et la restitution cartographiée.

A une superposition des prises, des usages et des activités autour d’une ressource, vient s’ajouter la possibilité d’avoir une condensation de ces prises, ressources, usages et activités dans un même lieu. Lorsqu’une telle condensation procède d’une histoire

longue et mouvementée, alors il devient évident que de tels lieux présentent une valeur toute particulière au regard de la société et de son territoire, et prennent de la hauteur. Nous nous rapprochons en cela de la définition que Pascal Clerc propose du haut-lieu, dans un article daté de 2004 et extrait du centre de ressources en ligne Hypergéo :

Un haut lieu est d'abord un lieu, localisé (dans le réel ou le mythe) et nommé. Il est haut, c'est-à-dire « élevé dans l'échelle des valeurs ». Cette « hauteur » procède de sa distinction sociale et physique : le haut lieu est à la fois reconnu par une communauté et souvent matérialisé par une superstructure ou une forme naturelle qui permet de le repérer facilement dans le paysage.(Clerc 2004)

Il en propose, en outre, une brève recension généalogique, ancrant ce terme dans le champ spécifique de la géographie culturelle française :

En France, le champ de la géographie culturelle se développe au début des années 1980.

L'espace Géographique publie un numéro consacré à « L'approche culturelle en

géographie » (n°4, 1981) et Joël Bonnemaison dans son article Voyage autour du territoire (p. 249-262) introduit le concept de géosymbole. Il le définit comme : « un lieu, un

itinéraire, une étendue qui, pour des raisons religieuses, politiques ou culturelles prend aux yeux de certains peuples et groupes ethniques, une dimension symbolique qui les conforte dans leur identité. » Le syntagme « haut lieu » n'apparaît dans des textes géographiques qu'au milieu des années 1990. A la suite de sociologues et d'anthropologues, des géographes (A. Berque, B. Debarbieux, G. Di Méo, P. Gentelle et J-L. Piveteau) proposent des réflexions spécifiques. (Clerc 2004)

A cette définition première, très riche, nous ajouterons, à l'instar de Pierre Gentelle dans son article intitulé Haut lieu, paru en 1995 dans la revue l’Espace Géographique, que :

Le haut lieu est le produit d'une culture, d'une idéologie. Son admission dans la géographie générale - celle où il est question de règles, de paradigmes ou de modèles - n'est possible que s'il participe de la généralité. (Gentelle 1995)

Ainsi, dès que caractérisée, la définition du haut-lieu emporte avec elle une multiplicité de paradigmes et théories auxquelles ce terme est subrepticement associé. Il apparait donc souhaitable de clarifier ces enjeux, pour le moins ceux utiles à notre démarche.

Pour débuter notre analyse nous emprunterons, momentanément, le sens de notre problème à Mario Bédard, tel qu’exprimé dans son article Une typologie du haut-lieu,

ou la quadrature d’un géosymbole, paru en 2002 dans les Cahiers de Géographie du Québec. Celui-ci affirme, pour ce qui tient du haut-lieu, « qu’il est devenu l’un des concepts-clés de la géographie, en notre époque où le sens des lieux et le sentiment d’appartenance sont fortement questionnés. » et ce, d’autant plus que « la géographie est interpellée alors […] que sont mis en cause nos façons de penser, de dire et de faire le territoire » mais qu'il demeure « difficile de le définir, voire hasardeux d’en déterminer Page | 61

la fonction. » (Bédard, 2005, pp. 49-50). De façon analogue à ce que nous avons pu constater antérieurement - à l'occasion de notre examen de la notion de gouvernance - ce qui fait obstacle à l'usage opératoire de cette notion, la détermination de sa fonction, se trouve être d'une part la difficulté d'identifier ce à quoi exactement il se réfère (les lieux), d'autre part comment il s'y réfère (le sentiment d'appartenance) enfin son évidente dissémination dans l'ordre du discours du fait de la polysémie qui lui est inhérente. C'est en ce sens que l'auteur résume ces difficultés tout en précisant, dans même temps, ce qui nous apparait être une direction théorique estimable :

L’expression haut-lieu, devenue synonyme d’espace ou de territoire, interpelle un très large spectre de signifiants qui vont du plus abstrait au plus concret. Or, sans une définition précise et un consensus quant à son rôle, et sans une typologie qui nous permette de manœuvrer parmi ces multiples interprétations et usages, toute réflexion qui s’y rapporterait serait incapable de répondre à la question essentielle : à quoi sert le haut-lieu ? (Bédard, 2005, p. 50)

Sans outrepasser les limites raisonnables, assignées par la place que tient le haut-lieu dans notre travail de terrain, nous souhaitons cependant entreprendre, nous aussi, ce travail de géographie réflexive. Il nous semble que nous devons, pour ce faire, partir d'une définition préliminaire. Celle proposée par Mario Bédard est la suivante :

Le haut-lieu est tout d’abord un lieu, c’est-à-dire un fragment d’espace et de temps doté de propriétés accessibles à nos sens. Entité spatiale appropriée par un groupe social, et donc « instantané » à la croisée des possibles de son territoire et de son histoire, il s’agit d’un lieu signifié. (Bédard, 2005, p. 51)

Le haut-lieu est donc, antérieurement à tout ce que l'on peut en dire, un lieu, « un fragment d’espace et de temps doté de propriétés accessibles à nos sens », et l'auteur d'insister quant au fait qu'avant toute distinction du matériel et de l'idéel - de ce en quoi il est « un lieu signifié » -ce fragment est solidaire d'un territoire :

[…] le lieu renvoie explicitement à une portion de ce même territoire. Au contraire d’un espace, le lieu, donné, n’est pas un construit idéel. Il est un support précis et délimité, un instituant matériel spatialisé […]. (Bédard, 2005, p. 51)

C'est précisément à partir de cette matérialité, convoquée comme référent, que le haut- lieu peut apparaitre comme le point d'intersection ou l'interface, d'un lieu - la dimension

matérielle du territoire - et d'un espace c'est-à-dire des représentations symboliques qui lui sont attribuées - la dimension idéelle du territoire -. Sa matérialité comme lieu se manifeste particulièrement par ses propriétés de réceptivité ou de passivité : dit autrement, cette passivité consiste en son aptitude en tant que signifié de s'adjoindre des

signifiants. Ceci admis, le haut-lieu, par opposition à sa passivité première, se présente sous une autre de ses propriétés :

Actif, il est aussi agent et témoin d’une connaissance, d’une mémoire, d’une identité. Si la donnée naturelle demeure le soubassement, le haut-lieu est plus haut qu’il n’est lieu25. (Bédard, 2005, p. 51)

Bernard Debarbieux, pour sa part, dans son article Le lieu, le territoire et trois figures

de rhétorique, paru en 1995 dans la revue l’Espace géographique, préfère souligner les propriétés symboliques et sémantiques des lieux :

[C’est la] caractéristique sémantique des lieux qui nous intéressera ici. Elle repose sur ce que nous pouvons appeler un « double paradoxe géographique ». En effet, la définition que notre sens commun donne du lieu - sa localisation et la spécificité intrinsèque de ses attributs - côtoie un message symbolique apparemment contraire : l'évocation du lieu peut intervenir en tout autre lieu ; sa signification s'inscrit dans un système d'équivalences et de dépendances impliquant d'autres lieux ; elle peut même référer à un espace englobant, d'une tout autre échelle. (Debarbieux, 1995, p. 98)

Bernard Debarbieux s'emploie, lui aussi, à écarter avec précaution, une conception erronée comme étant à l'origine de nombreuses confusions : celle qui verrait dans le renvoi du lieu à d'autres lieux un simple jeu d'images. Il souligne, semblablement à Mario Bédard, que les significations d'un lieu, non seulement se réfèrent à un territoire, mais participent de plus à sa construction :

Nous voudrions montrer ici que ces significations ne participent pas d'un futile jeu d'images ; nous pensons qu'elles participent véritablement et de façon essentielle de la construction du territoire. (Debarbieux, 1995, p. 98)

C’est justement ce rapport étroit au territoire qui permet à Mario Bédard d’établir une discrimination entre les lieux et le haut-lieu :

Partie prenante de la composition même du territoire et de la tessiture de son histoire, le haut-lieu, en vertu d’une sorte d’osmose avec les événements qui s’y sont déroulés, avec les individus qui l’ont façonné, ou avec les œuvres et réflexions qu’il a inspirées (Di Méo, 1995), possède des qualités formelles qui l’émancipent des contingences historiques et naturelles (Debarbieux, 1995). (Bédard, 2005, p. 51)

Le haut-lieu s’émancipe ainsi des conditions qui l’ont produit. Il prend une dimension supplémentaire, au-delà d’un simple résultat de facteurs spatiaux et temporels. L’auteur ajoute en ce sens :

25 Evocation de Jean-Paul Munier, 1990, Perdu dans l’indifférence des parages. In Hauts lieux - Une

quête de racines, de sacré, de symboles, Paris, Autrement, Mutations, 115 : 22-26.

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L’idée même de haut-lieu suppose une distanciation, un détachement proche de l’infidélité face au lieu, au temps et à l’échelle (La Soudière, 1991). Le haut-lieu, par conséquent, n’est pas tant fragment que concrétion d’espace-temps. (Bédard, 2005, p. 51)

Certains éléments doivent être ici expliqués. Le phénomène de concrétion peut être rapporté à ce qu'Augustin Berque appelle concrétude, et qui renvoie au croître ensemble de la société et de son milieu. Nous pouvons, en outre, déjà émettre l'hypothèse que cette émancipation et distanciation du haut-lieu d'avec le lieu matériel auquel il se réfère présente une variabilité, suivant que le territoire est particulièrement chargé d'une interrogation identitaire ou non. Par là est souligné qu'il ne peut être que référé aux cultures spécifiques où il prend place. Il est vraisemblable d'estimer que l'attachement au haut-lieu est fonction de la mobilité des populations : en ce sens qu'une diaspora, privée de ses lieux à un moment donné, pourra surinvestir le haut-lieu comme un ancrage ou un repère symbolique, hors du territoire.

Le haut-lieu est concrétion en ce sens que, selon Mario Bédard, il illustre « un territoire plus vaste que celui qui est immédiatement présenté par le lieu lui-même » et du fait de son inscription dans « un temps plus long et complexe que celui que pose sa seule présence, là, aujourd’hui » (Bédard, 2005, p. 52). Le haut-lieu outrepasse toujours le lieu auquel il se réfère. Ce qui, reformulé à partir du principe de l'en-tant-que

écouménal, laisse entendre que tant sa spatialité que sa temporalité se laissent appréhender comme une superposition et une succession de prises qui dépassent son caractère de donné momentané. Enfin, il concentre « un nombre d’éléments distincts de sa seule qualité d’objet qui seraient sans lui demeurés épars, inaccessibles, ignorés. » (Bédard, 2005, p. 52). Cela nous permet de supposer, dès lors, que ces lieux ont connu une diversité de prises et de re-prises en termes de risques, contraintes, ressources ou

agréments. Nous pouvons donner ici une illustration de ce processus et de son analogie à ce que recouvre la notion de patrimonialisation, par la transformation dynamique, dans le temps, d'un lieu de bataille, lieu initial de risques et de contraintes, qui se métamorphose en une ressource touristique, relevant donc de la catégorie d'agrément. Le haut-lieu permet en cela de redessiner - au fil de son devenir - les contours d'un territoire conçu comme milieu humain et milieu vivant pour la société qui s'y inscrit. En effet, selon l'auteur :

Le haut-lieu présente à l’esprit ce qui est autrement diffus ou abstrait, soit autant de caractéristiques d’un territoire ou de sa population qui sont, par son truchement, toujours présentes et vivantes. (Bédard, 2005, p. 52)

De là découlent de multiples propriétés, permettant d'appréhender, de lire et de décrire le territoire dans sa complexité, puisque :

Entité active, si le haut-lieu situe dans le temps et dans l’espace un lieu dont il permet de

facto la reconnaissance et la transmission, il situe aussi et surtout le complexe socioculturel vécu d’une population et de son territoire. (Bédard, 2005, p. 52)

A admettre les propositions ici explorées, quoique inscrit dans un territoire, le haut lieu situe plus qu'il n'est situé, il est institué mais tout autant instituant. Les éléments ainsi identifiables au travers du haut-lieu intègrent, entre autres :

Les passé, présent ou futur de l’histoire d’un territoire, si ce n’est le traitement interprétatif qui en est fait ; les principaux traits de sa population, que ce soit en termes : d’activités économiques, de comportements politiques, de pratiques religieuses, d’architecture ou d’aménagement du territoire, de culture, de langue ou de patrimoine ; la vocation naturelle de son environnement, et donc sa pédologie, son climat, sa morphologie et sa topographie, son régime hydrique, sa faune et sa flore ; l’esthétique des paysages résultant de l’interaction de tous les paramètres précédents.26 (Bédard, 2005, p. 53)

C'est ce que confirmait déjà Michel Lussault lorsque, dans un article intitulé Des récits

et des lieux : le registre identitaire dans l’action urbaine, paru dans les Annales de

Géographie en 1997, il mentionnait les « lieux emblématiques qui signifient la ville », en précisant qu’un lieu emblématique à son sens est « celui duquel les citadins peuvent dire non pas : ça c’est dans telle ville, mais : ça c’est telle ville » (Lussault, 1997, p. 529).

Le haut lieu participe ainsi de l'articulation d'une identité et d'un territoire. Que pouvons nous dès lors en retenir ? Nous souhaitons nous approprier ici le rôle que Mario Bédard attribue au haut-lieu, comme point d’intersection et d’imbrication des dimensions spatiales, temporelles et humaines du territoire, en ce sens que le haut lieu condense les temps longs du passé, le moment présent et les possibles du futur, en même temps qu’il constitue un élément décisif de cohésion sociétale entre l’individu et la collectivité :

Le haut-lieu symbolise et incarne la singularité d’un territoire et de son mode d’être, car il resitue sans cesse le maintenant dans la longue durée comme l’ici, l’individu et la collectivité aux échelles du Je, du Tu et du Nous. En effet, et que ce soit en termes : de

présent étendu, et donc d’imbrication des passé, présent, futur et conditionnel ou subjonctif ; d’ici pluriel, et donc d’imbrication de toutes ses échelles fondatrices, de la plus grande à la plus petite : de complexe socioculturel où sont simultanément conjugués l’individu et la

26 Le texte cité, initialement présenté sous forme de liste, a été légèrement modifié pour ce qui est de

sa mise en forme.

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collectivité compte tenu des allégeances, idéologies, populations-souche et technicités qui ont pu y avoir cours, c’est dans la dialogique de leurs emboîtements et immixtions que le lieu prend tout son sens.27 (Bédard, 2005, p. 67)

Le haut lieu trouve ici un sens spécifique, lequel relève de l'articulation d'un territoire matériel situable, des temporalités qui lui sont inhérentes et le traversent et enfin du

complexe socioculturel auquel il se réfère, étant entendu que les transformations de ce complexe sont solidaires de ce qu'une population investit dans ses hauts-lieux. Pour sa part, Bernard Debarbieux préfère insister sur la structuration du territoire impliquée par l'identification du haut-lieu à ses propriétés symboliques : ce qu'il nomme l'instauration

simultanée d'un ordre spatial et d'un ordre temporel, laquelle s'apparente à une mise en récit - ou une narration - du territoire auquel se réfère le haut-lieu :

On retiendra […] que les lieux symboliques structurent le territoire tout autant par l'évocation synchronique de l'espace contenant et de la société qui territorialise que par l'évocation diachronique de sa mise en place et de son devenir. Ils instaurent simultanément un ordre spatial et un ordre temporel. Et si l'ordre spatial semble acquis par une combinaison des échelles géographiques et une structuration des significations associées à chacune, l'ordre temporel résulte d'une combinaison et d'une imbrication des temporalités. L'ensemble structuré de ces lieux constitue alors un embryon de récit sur le territoire, […]. (Debarbieux, 1995, p. 107)

Selon l’auteur, c'est à partir des règles de cette structuration, de l'examen de l'articulation de la spatialité symbolique et du territoire matériel que naitraient - il s'agit d'une hypothèse - les territoires :

Ces constats empiriques nous invitent à suggérer l'existence d'une spatialité proprement symbolique et à en souligner le rôle territorial. Son extension coïnciderait avec un champ, culturel ou politique ; elle serait l'aire sur laquelle se déploie un système de significations greffées sur des objets et des emplacements géographiques. Sa structuration procéderait selon des règles qui ne sont pas celles de l'espace géographique ; ses règles à elle pourraient être narratives, rendant possible l'élaboration d'un récit territorial de type mythique. Mais parce qu'elle s'ancre dans des lieux, la spatialité symbolique interférerait avec l'espace géographique ; de leur interaction naîtraient les territoires. (Debarbieux, 1995, p. 109)

Notre conclusion ira plus essentiellement à ce qu'en dit, en dernier lieu Mario Bédard :

Alors qu’ils [les hauts-lieux] condensent la signification conjuguée des lieux en mettant en scène la nature et la culture, et la partie et le tout, ajoutant à la rationalité du sol celle, symbolique, d’une mémoire vive, restructurée et constitutive d’un présent étendu ; d’une

territorialité aigüe, restructurée et constitutive d’un ici pluriel ; puis d’une convivialité

27 Restitution légèrement modifiée de la citation.

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prégnante, restructurée et constitutive d’un complexe socioculturel, les hauts-lieux transcendent l’éphémère du présent, de l’ici et du Je.28 (Bédard, 2005, p. 69)

L’auteur insiste également sur la dimension intime de l’investissement du lieu par l’être, citant alors Augustin Berque : les hauts-lieux sont « focalisations de l’être dans l’étant » (Berque, 1997, p. 82 cité par Bédard, 2005, p. 69), ils « font que nous sommes au monde comme le monde est en nous » (Berque, 1990, p. 115 cité par Bédard, 2005, p. 69). S'inspirant des propositions de la mésologie, Mario Bédard souligne :

Les hauts-lieux nous aident à retrouver dans les connivences sensibles entre les formes du cadre géographique et les motifs culturels qui traversent les espaces contemporains la charge émotionnelle propre au sentiment d’appartenance et le potentiel de sens caractéristique au lieu. (Bédard, 2005, p. 69)

Nous partageons cette perspective, dont la résonnance est remarquable avec le propos d'Augustin Berque dans Ecoumène : évoquant ce qu'il nomme le processus de

rapatriement du monde, lui aussi défini, dans le cadre de la mésologie, la place assignable au haut-lieu :

En effet, par le truchement de leur corps social [dont nous avons vu qu'il est analogue au corps médial] et de l'investissement de celui-ci dans la terre, les vivants sont alors possédés par la terre […] ; c'est-à-dire que leur médiance est condensée, cristallisée dans ce qu'on appelle un haut-lieu. (Berque, 2010 ; chapitre 5 : sens ; paragraphe 28 : médiance et religion ; p. 212)

Ainsi, l’un des enjeux majeurs quant à l’effectivité de la gouvernance partagée résidera dans la capacité de celle-ci à identifier et à interpréter les hauts-lieux, ainsi qu’à leur porter une attention toute particulière dans le cadre de la conduite de ses politiques,