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2. Radiographie des quotidiens et du lectorat

2.1. Presse et pouvoir

Le fonctionnement de la presse se fonde sur les articles 6 et 7145 de la Constitution politique des Etats-Unis du Mexique de 1917, qui garantissent le droit d’expression sur n’importe quel sujet dans le respect de la loi, de la morale et de la vie privée. Ce droit d’expression est cependant différent selon les médias, la liberté d’expression se mesurant à l’aune des tirages :

Pour la liberté d’expression, ça se passe plus ou moins comme ça : c’est à la télévision où il y a le plus de contrôle, ensuite c’est à la radio, et dans la presse écrite, les journaux, et enfin dans les revues, et encore cela dépend de leur diffusion146. (Entr. E. Urrutia : 2005)

Esperanza Brito amplifie cette idée selon laquelle la presse n'est pas dangereuse dans la mesure où elle n'est lue que par une élite: “Je crois que c’est dans la presse qu’on peut parler le plus librement parce que les tirages sont très bas, la presse écrite n’est pas dangereuse, par contre la radio, oui147. » (Entr. E. Brito : 1996).

144 Mujerismo : Le mujerismo est une conception qui essentialise le fait d’être femme, il idéalise les conditions ‘naturelles’ des femmes et mystifie les relations entre les femmes. Une attitude typiquement mujerista est de parler au nom des femmes, comme si elles avaient toutes la même situation dans la société.

145 Artículo 6°: « La manifestación de las ideas no será objeto de ninguna inquisición judicial o administrativa, sino en el caso de que ataque la moral, los derechos de tercero, provoque algún delito o perturbe el orden público; el derecho a la información será garantizado por el Estado. »

Artículo 7°: « Es inviolable la libertad de escribir y publicar escritos sobre cualquier materia. Ninguna ley ni

autoridad puede establecer la previa censura, ni exigir fianza a los autores o impresores, ni coartar la libertad de imprenta, que no tiene más límites que el respeto a la vida privada, a la moral y a la paz pública. En ningún caso podrá secuestrarse la imprenta como instrumento del delito.

Las leyes orgánicas dictarán cuantas disposiciones sean necesarias para evitar que, so pretexto de las denuncias por delitos de prensa, sean encarcelados los expendedores, «papeleros», operarios y demás empleados del establecimiento de donde haya salido el escrito denunciado, a manos que se demuestre previamente la responsabilidad de aquéllos.» (Constitución Política de los Estados Unidos Mexicanos, Ed. Porrúa, Mexico, 95a. ed., 1992, p.11-12.)

146 « La libertad de expresión va más o menos así: donde hay más control es en la televisión, después le sigue en este aspecto, la radio, y después de la radio, la prensa escrita, los diarios, y por último las revistas, éstas en función fundamentalmente de su difusión. »

La liberté d’expression est une bien belle idée, quelque peu abstraite dans un pays où la presse est dépendante du pouvoir et, de surcroît, fort peu lue. Le contrôle de l’État sur la presse est à l’image de sa propre histoire. Le Mexique a érigé son modèle politique en le fondant sur le pouvoir perpétuel du Parti National Révolutionnaire (PNR), créé en 1929 par le président Plutarco Elías Calles, qui deviendra ensuite le Parti de la Révolution Mexicaine (PRM), sous la présidence de Lázaro Cárdenas, en 1939, et qui sera encore rebaptisé, cette fois de façon définitive, en 1946, par Miguel Alemán, Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). Ce parti désignait le futur candidat à l’élection présidentielle (el dedazo), qui était toujours élu148. Dès sa création, ce parti a cherché à regrouper tous les secteurs de la société afin d’en assurer le contrôle. Les médias, et en particulier la presse écrite, n’ont pas échappé à cette emprise du pouvoir qui s’est d’abord traduit par la mainmise de l’État sur la distribution du papier à travers l’entreprise PIPSA (Productora e Importadora de Papel, S.A.), créée en 1935, par Cárdenas. L’État, majoritaire, y contrôlait l’importation, la production et la distribution du papier dans tout le pays. L’État intervient également dans le financement de la presse par l’importance du volume de la publicité gouvernementale dans les périodiques, et dans la rémunération des journalistes, aux salaires trop bas pour résister à la corruption, en nature ou en espèces (el embute) (Albert, 1993 : 39). Malgré le danger que représentait PIPSA comme moyen de pression sur les journaux, les directeurs de publication s’étaient prononcés en 1965 pour sa reconduction (Karam, 2005)149.

Avec la présidence de Lázaro Cárdenas, le pays stabilisé s’est doté d’institutions solides, et des structures de limitation à la liberté d’expression se sont mises en place. Dans ce même mouvement de contrôle, le pouvoir cardéniste cherche à rassembler les masses en utilisant l’organe de presse du Parti de la Révolution Mexicaine (PRM), El Nacional Revolucionario, fondé en 1929. Ce journal s’adresse à tous les groupes socioprofessionnels que le pouvoir cherche à éduquer. Il fait une place aux femmes en les cantonnant dans des rôles traditionnels, comme le souligne Jacqueline Covo-Maurice dans une analyse du journal :

El Nacional Revolucionario, s'adresse en particulier [aux femmes] sous les rubriques « La mujer y el niño» [‘La femme et l’enfant’], à partir du 13 janvier 1935, et « Página feminina - para la empleada, la obrera y el ama

no es peligrosa, la radio es más peligrosa. »

148 Depuis les élections présidentielles de 2000, qui ont donné la victoire au candidat du Parti conservateur, le Parti d’Action Nationale (Partido de Acción Nacional, PAN), le PRI est passé à l’opposition après six décennies au pouvoir.

149 L’entreprise PIPSA perdura ainsi jusqu’en 1989, l’importation de papier fut autorisée sous la présidence de Carlos Salinas de Gortari (1988-1994).

de casa modesta » [‘ Page féminine – pour l’employée, l’ouvrière et la femme au foyer modeste’], en 1936. Même si ces espaces proposent des informations relevant de l'éducation, de la promotion et de l'organisation syndicale des femmes, ils n'encouragent en rien les thèses féministes. (Covo-Maurice, 1989: 14-15)

La proximité du journal El Nacional Revolucionario avec le pouvoir présente deux autres caractéristiques : il dépend économiquement du Ministère de l’Intérieur et c’est le président qui nomme le directeur du journal (Fernández Christlieb, 2001 : 63). En 1939, El Nacional

Revolucionario devient El Nacional tout court (Arredondo, 1987: 40), où collaborera Elena

Urrutia en 1976. Cependant l’État n’a plus guère besoin d’avoir une présence clairement identifiée dans la presse nationale, ayant tissé de très bonnes relations avec les journaux privés. C’est ainsi que la presse des années 1960 et du début des années 1970 est une presse

oficialista, qui flatte le pouvoir par « l’absence de critiques ou de propositions face aux

projets de la nation150. » (Arredondo, 1987 : 36). Les sujets politiques doivent être traités « avec des pincettes, une extrême méticulosité afin de ne pas blesser les susceptibilités politiques151 » et surtout afin de préserver les sources de financement. L’affrontement entre le gouvernement et les étudiants en 1968 n’a pas donné lieu au débat qu’il méritait dans la presse qui, à quelques exceptions près152, n’a reporté dans ses colonnes que la version officielle et autoritaire du massacre de la Place de Tlatelolco, le 2 octobre (Trejo Delarbre, 1995 : 190-191). Par ailleurs, la dépendance économique des journaux face au pouvoir était une garantie de conformité avec les thèses officielles. Les organes de presse ne prennent pas de risques qui mettraient en jeu leur survie.

Produit d’un système politique « protecteur » et dirigiste, la presse reflète également l’évolution socio-économique du pays qui connaît une période de prospérité économique et de stabilité politique. Celle-ci se traduit par une explosion démographique153 et un taux d’alphabétisme qui croît dans les années 1940 jusqu’aux années 1960154, mais de façon inégale selon les sexes (Tableau n°2). Le pourcentage d’analphabètes continue de baisser pour

150 « al caracterizarse de manera general por la falta de críticas y sugerencias a los proyectos de la nación. » 151 « […] la información de ese campo era cubierta casi con pinzas, con temerosa meticulosidad, para no lastimar susceptibilidades en el poder político. » ( Trejo Delarbre, 1995 : 190)

152 Cf. les textes de Daniel Cosío Villegas, Labor periodística. Real e imaginaria, México, Era, 1972.

153 La population mexicaine est passée de 23 millions d’habitants en 1948 à 60 millions en 1968, elle a donc triplé en 20 ans.

atteindre en 1970, 28,2%, et en 1980, 17,1%, mais toujours avec la même différence entre les hommes et les femmes, respectivement 2,7 millions et 3,9 millions, pour 1970 (Siller, 1981).

Parallèlement, à partir des années 1950, la presse mexicaine a connu une forte croissance et s’est consolidée dans la décennie suivante: le nombre de journaux a doublé : en 1965, on en compte 168 et à partir de 1970, ce nombre atteint les 340 (Arredondo, 1987: 51) (Tableau n°3). « En 1965, le Mexique avait dépassé légèrement la ‘densité journalistique’ selon les critères de l’UNESCO, de 10 exemplaires pour cent habitants »155. Bien sûr, le journal ne fait pas le lecteur, en paraphrasant Régis Debray, qui affirme : « […] le livre ne fait pas le lecteur (ce serait plutôt l’inverse), (…) » (Debray, 2000 :8).

Même si les taux d’analphabétisme ont baissé, les lecteurs préfèrent lire la presse de faits divers, sensationnaliste, et de petites revues illustrées, sans autre contenu politique que la célébration des héros de l’histoire mexicaine. Une enquête réalisée en 1985, dans le DF, auprès de 628 personnes, bien qu’elle se situe en dehors de nos limites chronologiques, fournit quelques caractéristiques sur le lectorat qui existaient sans doute déjà dans la décennie précédente :

- un tiers des personnes interrogées sont des lecteurs habituels de journaux, mais sans préférence marquée pour un titre ;

- les femmes n’ont pas l’habitude de lire le journal (66,9%) ;

- les hommes préfèrent lire les journaux qui offrent beaucoup plus de pages sportives, de loisir et d’information à sensation tandis que les femmes préfèrent les journaux d’intérêt général ;

Tableau n°2

Taux d’alphabétisme de la population mexicaine (1960)

Population âgée de 6 ans et plus

% Alphabètes % Analphabètes %

155 « Para 1965, México había sobrepasado ligeramente la “densidad periodística” mínima aceptable para la UNESCO, de 10 ejemplares de periódicos por cada cien habitantes. » (Granados Chapa, 1981: 6, cit par Arredondo, 1987: 43).

Etats-Unis du Mexique 27 987 838 100 17 414 675 62.23 10 573163 37.77 Hommes 13 886 456 100 9 102 747 65.56 4 783 709 34.44 Femmes 14 101 382 100 8 311 928 58.95 5 789454 41.05 Population urbaine 14 176 078 100 10 749 345 75.84 3 426 733 24.16 Hommes 6 813 561 100 5 387 722 79.09 1 425 839 20.91 Femmes 7 362 517 100 5 361 623 72.84 2 000 894 27.16 Population rurale 13 811 760 100 6 665 330 48.26 7 146 430 51.74 Hommes 7 072 895 100 3 715 025 52.54 3 357 870 47.46 Femmes 6 738 865 100 2 950 305 43.79 3 788 560 56.21

Source : González Casanova, 1989 : 270-271.

Tableau n°3

Evolution de la presse au Mexique (1945-1980)

Années Nombre de journaux Consommation de papier

(en tonne) 1945 98 (1948) 53.2 (1946-1950) 1950 162 (1952) 39.9 1955 193 60 1960 197 99.6 1965 205 113 1970 201 158.8 1975 256 214.6 1980 319 205 (1979) Source: Arredondo, 1977, p.45.

- les informations culturelles et scientifiques n’intéressent que 2,4% des lecteurs156 (Gutiérrez Espíndola, 1988 : 230).

En 1976, le Mexique compte 2 015 périodiques et le District Fédéral 21 quotidiens tandis que les statistiques affichent 17 millions d’analphabètes. Les observateurs étrangers, selon E.

156 Ces informations proviennent de María Antonieta Rebeil, Los medios de comunicación en la vida de la sociedad receptora, México, UAM-Xochimilco, mimeo., 1985, cit par Gutiérrez Espíndola, 1988: 230.

Poniatowska, sont toujours surpris qu’un niveau aussi élevé d’analphabétisme produise tant de papier imprimé (Poniatowska, 1976 : 89). Le nombre élevé de journaux ne signifie pas non plus automatiquement une pluralité informative, de par les liens de la presse avec le pouvoir politique et économique. C’est dans la capitale que se concentrent les plus gros tirages. En 1964 (Tableau n°4)), la ville de Mexico produit 47,8% des journaux, pour une population de presque 6 millions d’habitants, soit environ 15% de la population totale du pays.

Cette tendance s’est maintenue dans la décennie suivante. Cependant, ces tirages (Tableau n°5) qui représentent 40% de la totalité des tirages sur le plan national, sont à considérer avec précaution : selon R.Trejo Delabre, des 500 000 exemplaires effectifs édités dans la capitale, seule la moitié est réellement lue. On peut diviser en effet par deux les tirages affichés pour arriver à des tirages effectifs. Ajoutons à cela que les invendus représentent la moitié des tirages réels (Trejo Delabre, 1990 : 2).

Tableau n°4

Les trois principales villes et la presse (1964)

Ville Nombre d’habitants %

Population nationale Tirage % Tirage national Mexico DF 5 890 204 14.9 2 019 703 47.8 Guadalajara 1 016 784 2.6 172 000 4.1 Monterrey 785 572 2.0 193 000 4.6 Total 7 692 560 19.4 2 384 703 56.5 Mexique 39 642 671 100.0 4 229 413 100.0 Le reste du pays 80.6

Source : González Casanova, 1989 : 286.

Tableau n°5

Titres

(date de fondation, fondateur)157

1964 1977

Excélsior

(18 mars 1917, Rafael Alducín)

139 291 153 873 El Universal (1er octobre 1916, Felix F. Palavicini) 139 252 165 150 Novedades

(le 21 novembre 1939, Ignacio F. Herrerías)

120 000 190 000

La Prensa

(le 30 août 1928, José E. Campos)

185 361 267 131

TOTAL 961 154

Source: González Casanova, 1989 : 286, pour 1964 ; Gutiérrez Espíndola, 1988: 225 , pour 1977.

Malgré ces restrictions, le classement des quotidiens permet de mesurer l’importance de la collaboration des auteures dans les rédactions. Dans deux des plus grands quotidiens, tour à tour vont collaborer, Esperanza Brito (Novedades, 1963-1974), Elena Urrutia (Novedades, 1974-1978) et Marta Lamas (El Universal, 1977-1978).

Novedades constituait le deuxième groupe de presse du pays après l’OEM (Organización Editorial Mexicana), ex Cadena García Valseca (Arredondo, 1987: 41), et propriétaire de El Sol de México, où collabore Elena Urrutia (avec 3 articles en 1976 et 14 articles en 1977).

(Tableau n°6).

Tableau n°6

Caractéristiques des deux groupes éditoriaux les plus importants

(1970) Groupe Nombre de publications % du total Diffusion 1970 % du total García Valseca (El Sol de México) 34 16.8 1 311 000 28.8 O’Farrill Novedades 7 3.5 317 000 7.0 Source: Arredondo, 1977, p.45.

Novedades (1936) se définit, sur sa page de couverture, comme « le meilleur quotidien du

Mexique » (« el mejor diario de México »), ce qui n’est pas tout à fait vrai : il avait certes un poids éditorial, étant le deuxième tirage le plus important de la presse quotidienne dans la capitale, avec 190 000 exemplaires, après la Prensa, qui tirait à 268 000 exemplaires. Techniquement, il était le meilleur face au modèle vieillot du quotidien Excélsior, qui cependant était reconnu comme le meilleur journal mexicain dans toute l’Amérique latine. Conservateur, Novedades est lié au monde de l’entreprise et au pouvoir, et possède des parts dans l’entreprise privée de télévision mexicaine Televisa. Il se dit indépendant, en bas de la première page, on peut lire « Novedades, un journal indépendant » (« Novedades, un diario independiente »), ce qui n’est pas tout à fait vrai non plus. Novedades appartient à la famille O’Farril dont la fortune est étroitement liée aux intérêts politiques représentés par les ex présidents : Miguel Alemán (1946-1952) et Manuel Ávila Camacho (1940-1946), que le journal a soutenu dans sa campagne électorale. Quant à la campagne présidentielle du candidat Miguel Alemán, elle avait commencé par l’assassinat du directeur de Novedades, Herrerías, victime de calomnies qui devaient justifier son départ et son remplacement par les proches de M. Alemán, O’Farrill et Alemán Velasco (Fernández Christlieb, 2001 : 22).

Les patrons de presse sont souvent proches du pouvoir ou du monde de l’entreprise, comme Novedades ou encore El Sol de México, fondé en 1965 (Ruiz Castañeda, 1974: 383).

El Sol de México appartient à la Organización Editorial Mexicana, dont la famille Vázquez Raña était propriétaire d’une quarantaine de quotidiens et était présente dans l’entourage du

La OEM aurait été rachetée par Echeverría en 1976 pour constituer sa principale source de pouvoir après la prise de fonction du futur président et s’immuniser contre la critique […] Avec la fin d’Excélsior [1976], ses nouveaux intérêts se retrouveraient en outre consolidés. (Albert, 1996 : 43)

D’autre part, on retrouve Luis Echeverría, alors ministre de l’Intérieur, à l’origine de la création, en 1970, de l’agence de presse nationale Notimex. Celle-ci appuiera sa campagne politique lors des élections présidentielles qui le mèneront à la victoire en 1970 (Karam Cárdenas, 2000). La main mise du pouvoir politique sur El Sol de México peut expliquer la destitution du directeur Benjamín Wong Castañeda, en mars 1977 et la démission, le 10 mai, de 26 collaborateurs, qui refusent de se soumettre à la censure du nouveau directeur (R.Trejo Delarbre, 1998). Elena Urrutia donne sa version des faits :

Il y a eu un changement de directeur, le directeur s’est fait expulser, pour des raisons politiques, et le nouveau directeur a commencé à censurer, à supprimer, à couper, et cette attitude a provoqué un rejet qui s’est généralisé au sein de la rédaction, je ne sais combien de journalistes ont renoncé à écrire dans les pages d’El Sol158. (Entr. E. Urrutia : 2005)

Le départ des journalistes est la réponse à la censure et à un État trop présent. Esperanza Brito évoque à son tour l’expérience de sa mère : « maman a commencé à El Heraldo mais elle est partie parce que si un article était jugé trop long, ils prenaient des ciseaux et ils le coupaient, ça ne lui a pas plu, et elle est entrée à El Universal159.” (Entr. E. Brito : 2005).

La personnalité de la direction et ses relations avec le pouvoir marquent clairement l’identité du journal, sa ligne éditoriale et sont les garants de sa prospérité, comme le rappelle de façon exemplaire l’histoire du journal El Sol de México. À l’origine de l’OEM (Organización Editorial Mexicana), se trouvait la chaîne García Valseca, qui publia le premier journal de la série El Sol, dans l’État de Aguascalientes en 1945 et qui s’intitulait El

Sol del Centro. Financé par le président Manuel Ávila Camacho (1940-1946) (Monsiváis,

1985 : 63), le colonel José García Valseca, homme d’affaires très actif, était connu pour « sa défense du nationalisme révolutionnaire, d’un catholicisme extrême, des « bonnes mœurs »,

158 « Renunciamos porque hubo un cambio de director, sacaron al director que había en ese momento para poner otro, era una posición política y entonces el nuevo director empezó a censurar, a suprimir, a recortar, y hubo un movimiento de rechazo a esta actitud que se generalizaba bastante y entonces renunciamos no sé cuántos editorialistas a las páginas del Sol. »

159 « mi mamá empezó en El Heraldo. Se salió porque si no cabía el artículo, con tijeras lo cortaban y ya, no le gustó y entonces fue cuando entró a El Universal. »

une forte sympathie pour les États-Unis et un anticommunisme féroce160. » (Luévano Díaz, 2006). La chaîne s’est développée au rythme d’un quotidien par an et en 1973 elle en possédait 34 (Arredondo, 1987 : 55). Le 7 juin 1965, paraît El Sol de México, qui inaugure le passage du noir et blanc à l’impression offset en couleurs. À cette édition du soir, vient s’ajouter celle du matin, à partir du 25 octobre de la même année (Ruiz Castañeda, 1974 : 383). L’entreprise Valseca s’est construite en bénéficiant des faveurs des autorités, celles de l’entreprise PIPSA qui effaçait ses dettes et de l’appui financier des candidats à la Présidence. (Monsiváis, 1985 : 63-65)

El Universal, créé en 1916, est le quotidien le plus ancien de la presse de la capitale. De

tendance conservatrice, ce journal a eu aussi son « moment politique » (Bohmann, 1989 :80). En 1926, un grave conflit surgit entre la presse et le président Plutarco Elías Calles. El

Universal, et également Excélsior, soutenaient le mouvement des cristeros161, contre la

laïcisation de la société mise en œuvre dans la Constitution de 1917. En réaction, le président Calles accusa alors d’insurrection les journalistes Félix F. Palavicini ainsi que José Elguero et Victoriano Salado Álvarez, collaborateurs à Excelsior. Ces deux derniers furent expulsés aux États-Unis (Karam Cárdenas, 2004).

Les sexennats se suivent, selon un mécanisme bien rodé : ainsi se succèdent Díaz Ordaz, Echeverría et López Portillo, mais se ressemblent-ils tous ? Il convient de remarquer l’augmentation du nombre de journaux publiés entre 1970 et 1980 pour nuancer la réponse (Tableau n°3 : supra). Cette augmentation correspond à la présidence de Luis Echeverría (1970-1976), initiateur de l’ « ouverture démocratique » ou simplement « politique » nécessaire pour retrouver la paix sociale, après le sexennat de Díaz Ordaz162 marqué par une violence bien visible. La violence n’avait jamais été absente mais elle était discrète jusque-là

160 « su defensa del nacionalismo revolucionario, del catolicismo extremo, de las «buenas costumbres»; una extrema simpatía hacia Estados Unidos y un anticomunismo feroz. »

161 La Guerre des Cristeros (1926-1929), appelée encore la Christiade. Ce conflit avec l'Église fut provoqué par l'autocratie du président Calles «qui attaqua un clergé fort de sa résistance à soixante ans de gouvernements anticléricaux et à la persécution de V. Carranza, fort aussi de sa popularité et de l'incontestable foi du peuple rural. La persécution de l'Église, […], conduisit à la suspension des cultes décidée par les évêques et approuvée, avec réticence, par Rome. Cela provoqua le soulèvement des cristeros, ainsi nommés par dérision, à cause de leur cri de guerre : « Vive le Christ-Roi et la Vierge de Guadalupe ! » ; cinquante mille paysans en armes, appuyés par le peuple des campagnes, tinrent tête à l'armée fédérale pendant trois ans, de 1926 à 1929, lui infligeant de sérieuses défaites. Le gouvernement, incapable de venir à bout du mouvement qui faisait tache d'huile, fit sa paix avec les évêques pressés par Rome de transiger. L'ambassadeur américain Morrow joua un rôle essentiel dans la conclusion de la paix en juin 1929.» (© Encyclopædia Universalis 2005, tous droits réservés.)

Voir Jean Meyer, Apocalypse et Révolution au Mexique. La Guerre des Cristeros (1926-1929), Paris, Gallimard-Julliard, 1974, 244 p.