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1. Informer et former l’opinion : une question de genre

1.1. Les héritières d’un journalisme au féminin

1.2.3. La diffusion et le militantisme féministes

Elena Urrutia organise, en 1972, à la Casa del Lago112, où elle travaille [1972-1975], une série de conférences sur la femme, qui sont la première contribution à cette nouvelle vague du féminisme au Mexique.

La composition du groupe de conférenciers révèle deux aspects qui la justifient : d’une part, il n’y avait pas beaucoup de femmes susceptibles de participer et, d’autre part, à ce moment de prise de conscience qui commençait à se forger en moi, j’avais besoin de quelques intellectuels que j’admirais et qui viendraient en quelque sorte légitimer le sujet , lui donner son aval : en plus de Rosa Marta Fernández, María Antonieta Rascón113 et Alaíde Foppa114 et j’avais invité Juan José Arreola, Carlos Monsiváis, Santiago Ramírez y Tomás Segovia115. (Urrutia, 2003 : 92)

Ces conférences furent publiées, en 1975, par la maison d’édition Sep/Setentas, sous le titre Imagen y realidad de la mujer, à l’occasion de la Conférence mondiale sur la Femme qui se tenait alors à Mexico (19 juin – 2 juillet 1975) . Elena Urrutia est chargée également de la diffusion culturelle au Musée universitaire del Chopo (Museo del Chopo), dont elle assume la direction entre 1975 et 1977. Elle y monte la pièce de théâtre féministe Ana y Paula, lauréate d’un concours de théâtre féministe qu’elle avait organisé.

Elle multiplie les expériences dans les médias autour d’un axe thématique constant : la culture et les femmes, excluant toute activité politique directe au sein d’un groupe féministe

libertad, un día era una pintora, otro día, un ciclo de cine feminista…»

112 Organisme culturel dépendant de la Diffusion culturelle de la UNAM (Université Nationale Autonome de Mexico) :

113 Rosa Marta Fernández et María Antonieta Rascón faisaient partie du groupe Femmes en Action Solidaire (Mujeres en Acción Solidaria, MAS), qui, en 1974, deviendra le Mouvement de Libération de la Femme (Movimiento de Liberación de la Mujer, MLM).

114 Alaíde Foppa, au Mexique depuis plusieurs années, venait d’inaugurer à Radio Uiversidad, de la UNAM, son programme Foro de la Mujer.

115 « La integración del grupo de conferenciantes habla de dos aspectos que la explican: por un lado, no había todavía muchas mujeres a las cuales invitar a participar y, por el otro, en esa toma de conciencia que empezaba a abrirse paso en mí necesitaba que algunos hombres, a los que admiraba intelectualmente, vinieran a legitimar el tema, le dieran su aval. Así, además de Rosa Marta Fernández, Alaíde Foppa y María Antonieta Rascón, invité a Juan José Arreola, Carlos Monsiváis, Santiago Ramírez y Tomás Segovia. »

ou politique. Ce dernier point l’éloigne d’Esperanza Brito qui, bien que n’appartenant pas non plus à un parti politique, comme elle le revendique – « Yo no soy de ningún partido político » (E.Brito: 2000) -, participe à plusieurs groupes et coordinations féministes. Elle fonde, en 1973, le Mouvement National des femmes (Movimiento Nacional de Mujeres, MNM), avec 23 autres féministes, « toutes issues des médias, journalistes, publicitaires », comme Anilú Elias, publicitaire, Martha de la Lama, journaliste, ou Isabel Custodio, écrivain (Lau Jaiven, 1987: 100). Ce groupe, marqué par des influences européennes et américaines, appartient au courant modéré du féminisme dit libéral, égalitaire, réformiste :

Le féminisme libéral égalitaire (appelé aussi « réformiste «, ou féminisme des droits égaux), est en filiation directe avec l’esprit de la Révolution française : avec sa philosophie, le libéralisme, et avec son incarnation économique, le capitalisme. Liberté (individuelle) et égalité seront deux de ses principaux axes de lutte. (Toupin, 1998 : 11).

La première tâche des militantes du MNM fut d’analyser les livres scolaires et les textes de loi afin d’y déceler des formes discriminatoires pour les femmes, qu’elles combattront ensuite. Leur objectif était de modifier, réformer le système pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines : juridique, social et politique. Leur activité s’intensifia avec l'action en faveur de la dépénalisation de l’avortement, libre et gratuit, rebaptisée la défense de la maternité libre (maternidad voluntaria).

Esperanza Brito prend la tête des premières manifestations, qui commencent en 1972, pour protester contre la mortalité maternelle, le jour de la fête des mères, le 10 mai. Ce défilé deviendra un rituel du féminisme mexicain. En 1975, Esperanza Brito et son groupe, le MNM, décident de participer à la Conférence internationale sur la Femme, organisée par les Nations Unies dans la ville de Mexico entre 19 juin et le 2 juillet. Pragmatiques, elles saisissent cette occasion pour donner des informations sur la situation des femmes au Mexique et promouvoir les revendications féministes qui tournaient autour de l’avortement libre et gratuit. Leur participation leur valut un conflit idéologique avec les groupes féministes les plus radicaux, en particulier le Mouvement de Libération de la Femme (Movimiento de

Liberación de las Mujeres, MLM), qui voyaient dans la Conférence une récupération

politique du mouvement féministe.

Selon Esperanza Brito, rester en marge de la politique et sans unité, a toujours porté préjudice au mouvement féministe. Son objectif est de promouvoir l’union des féministes et de privilégier les alliances sur le plan politique : « En 1976, avec Esther Hoyos, députée

fédérale du PRI, dans l’Etat du Yucatan, qui a toujours maintenu sa position, nous avons organisé la Première Journée nationale sur l’Avortement116 », à laquelle furent conviées des femmes de différentes origines socio-professionnelles (Entr. E. Brito : 2000). Son action la plus notable fut, en 1976, la fondation de la Coalition des Femmes féministes (Coalición de

Mujeres Feministas), qui regroupait les différents groupes féministes du DF, le Mouvement

National des Femmes (Movimiento Nacional de Mujeres, MNM), le Mouvement Féministe Mexicain (Movimiento Feminista Mexicano), le Collectif La Revuelta, avec l’objectif d’élaborer un Avant-projet de Loi pour une Maternité libre. Cette nouvelle configuration engrangea des bénéfices, notamment en termes de visibilité. Les féministes avaient de plus en plus pignon sur rue :

Les groupes du DF s’étaient unis dans cette lutte et peu importait si nous nous aimions ou pas, s’il y avait des divergences, une seule chose comptait, c’était la dépénalisation de l’avortement et comment y arriver. Nous nous sommes donc regroupés autour de ce thème central. On nous mentionnait dans les journaux, on nous reconnaissait comme une force politique117. (Entr. E. Brito: 1996)

Parallèlement au groupe d’Esperanza Brito, le MNM, un autre courant féministe se structure dans le DF auquel adhère Marta Lamas qui d’emblée se déclare féministe :

J’ai adhéré au mouvement féministe en 1971. Au début de l’année 1972, le groupe Femmes en Action Solidaire (Mujeres en Acción Solidaria, MAS)118, auquel j’appartenais, a organisé un forum ouvert au public à l’école Cipactli, où l’on a présenté différents supports d’information et de réflexion. Chacune abordait ses thèmes de prédilection. Ce qui m’intéressait le plus, c’était la sexualité, l’avortement et le sexisme119. ( Lamas, 2001 : 7 )

116 « En 1976, con Esther Hoyos, que era diputada federal por Yucatán, hicimos la Primera Jornada nacional sobre el Aborto, ella siempre mantuvo su postura. »

117 « Los grupos del DF se habían unido en esta lucha y ya no importaba si nos queríamos o no, si había divergencias, en lo que estábamos de acuerdo era la despenalización del aborto y en cómo podríamos hacer esta despenalización. Entonces nos unimos alrededor de ese tema central. Cada vez era más reconocida como una fuerza política y nos mencionaban en los periódicos. »

118 Premier groupe féministe qui se constitue en 1971 : défend un féminisme socialiste (Acevedo et al.,1977:12) 119 « Ingresé al movimiento feminista en 1971. A principios de 1972 el grupo Mujeres en Acción Solidaria (MAS), al que yo pertenecía, organizó una convivencia abierta al público en la escuela Cipactli, para la cual preparamos diversos materiales de información y reflexión. Cada quien trabajó, individual y colectivamente, los temas que más le interesaban. Los míos fueron sexualidad, aborto y sexismo. »

Ce groupe, devenu ensuite le Movimiento de Liberación de la Mujer (MLM), représente un féminisme radical, qui a son pendant en France avec le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) (Toupin, 1998). Marta Lamas et Elena Urrutia, familiarisées avec le travail d’écriture, journalistique, associées à d’autres intellectuelles et féministes, se rejoignent autour d’un projet éditorial, qui prend la forme d’une revue féministe, plutôt théorique,

Fem dont l’organisation, qui se voulait innovante et révolutionnaire, n’allait pas du tout de

soi au regard des contraintes humaines et matérielles, comme le raconte Elena Urrutia :

C’est alors qu’a surgi l’idée de la revue Fem, dont le premier numéro est sorti à l’automne 1976. Au début il n’y avait que deux directrices, Alaíde Foppa et Margarita García Flores mais rapidement, à partir du deuxième numéro, nous avons constitué une direction collective, un tout petit conseil éditorial 120, qui dura dix ans. Je pourrais dire sans me vanter que ce fut l’âge d’or de la revue. Le travail était bénévole, très lourd, très prenant pour quelques unes, certaines n’assumant pas leurs responsabilités, c’était comme une triple journée de travail : le travail rémunéré, le travail à la maison et le travail politique, bénévole. Mais au final tout cela était très agréable, non ?121 (Entr. E. Urrutia : 2005)

Malgré les tensions nées de l’organisation du travail éditorial, la revue et ses auteures s’attachent à défendre un féminisme fédérateur comme le suggère cette définition (Fem n°5, oct-dic. de 1977) :

Le féminisme considère que les relations entre les sexes sont et ont toujours été injustes et conflictuelles, qu’il y a une grande asymétrie. Le féminisme se propose, donc, d’analyser ces relations, les expliquer et les modifier en profondeur.

Le féminisme est la lutte politique des femmes contre le sexisme sur tous les terrains : juridique, culturel et socio-économique.

Le féminisme considère que ce qui est personnel est politique ; donc, à partir d’une prise de conscience individuelle on doit arriver à remettre en question le système social dans lequel nous vivons.

Le féminisme est la prise de conscience, chez la femme, de l’oppression qu’elle subit122.

120 Elena Poniatowska, Lourdes Arizpe, Margarita Peña, Beth Miller, Elena Urrutia, Carmen Lugo et Marta Lamas. Cette première équipe a fonctionné pendant deux ans (1976-1977).

121 « Fue cuando surge la idea de la revista Fem, cuyo primer número salió en el otoño de 1976. Al principio eran dos directoras, Alaíde Foppa y Margarita García Flores y muy pronto, a los dos números, nos constituimos en dirección colectiva, éramos un consejo editorial, chiquitito, que duró diez años y podría decir sin empacho que fueron los años de oro de la revista. Era mucho trabajo, todo voluntario, unas sobrecargadas, y las otras pos no asumían la responsabilidad, por supuesto era la tercera jornada: el trabajo pagado, el trabajo doméstico, de ama de casa, de esposa, el trabajo voluntario, político. Pero al final, muy placentero, no? »

122 « El feminismo considera que las relaciones entre los sexos son y han sido siempre injustas y conflictivas, que hay una gran asimetría. El feminismo se propone, por lo tanto, analizar esas relaciones, explicarlas y modificarlas fundamentalmente.

Marta Lamas, qui avait participé à la création de la revue Fem, était une figure connue dans le monde éditorial quand elle a commencé à écrire pour El Universal en 1977.

Quand on a publié la revue Fem en 1976, elle a eu un gros impact, on la considérait comme une revue sérieuse, comme l’expression d’un féminisme académique et Luis Javier Solana, qui avait en charge toute la partie éditoriale à El Universal, avait vu la revue, nos noms. Il connaissait aussi Alaíde Foppa, et il a demandé qui pourrait écrire [pour le journal]. Quelqu’un lui a donné mon nom, peut-être Alaíde et on a passé le contrat par téléphone. Quand je suis passée le saluer et lui remettre mon article, il a été très surpris parce qu’à cette époque on avait toutes un peu plus de vingt ans tout juste. Il ne pensait pas qu’une féministe aussi jeune puisse écrire ainsi.

Dans les années 70, à l’époque où je suis entrée à El Universal, le féminisme était déjà un mouvement politique connu qui faisait du bruit, qui fournissait un travail de réflexion sérieux. La revue Fem était perçue comme une bonne publication et je crois que c’était être un peu d’avant-garde que de comprendre que le point de vue féministe devait être pris en compte dans la discussion des problèmes du pays. Il se peut aussi que c’était à la mode, mais cet homme Luis Javier Solana était quelqu’un d’intelligent, avec un esprit critique, qui comprenait ce qu’était le féminisme, dont il mesurait l’importance pour dire « je veux une féministe à El Universal »123. (Ent. M.Lamas :2005)

Esperanza Brito corrobore cette idée de la présence du féminisme comme un courant de pensée que l’on ne pouvait pas ignorer :

El feminismo es la lucha política de las mujeres contra el sexismo en todos los terrenos: el jurídico, el cultural y el socio-económico.

El feminismo plantea que lo personal es político; por lo tanto, de una toma de conciencia individual debe llegarse a cuestionar el sistema social en que vivimos.

El feminismo es la toma de conciencia por la mujer de la opresión que padece. »

123 « La revista Fem, la habíamos hecho en 1976 y cuando salió tuvo mucho impacto la revista Fem, se veía una revista seria, de un feminismo académico y Luis Javier Solana que era y que sigue siendo una de las personas en El Universal a cargo de toda la cuestión editorial y había visto la revista, conocía a Alaíde Foppa, vio los nombres y preguntó que...quién podría escribir y no sé si la propia Alaíde o alguien le dio mi nombre; hicimos el trato por teléfono. Cando di mi primer artículo, que pasé a saludarlo, se sorprendió mucho porque en esa época teníamos veintitantos... entonces no se iba a imaginar que una feminista joven pudiera escribir así…

En los setentas, para cuando entré yo [1977], ya el feminismo era un movimiento político conocido que hacía ruido, que tenía un trabajo serio, la revista Fem, se veía como una revista seria y creo que era un poco estar en la vanguardia, entender que es un punto de vista, el feminista, que tenía que estar incluido en la discusión de los problemas del país...Puede ser que fuera relativamente de moda, este hombre Luis Javier Solana es un tipo crítico, inteligente, que entiende lo que es el feminismo, entonces yo creo que para él fue importante como decir ‘yo quiero una feminista en El Universal’. »

Dans les années 1970, le féminisme était très actif, très riche, on en parlait beaucoup, de ses actions. Quand Fem a été fondée, le féminisme était partout, dans tous les médias, avec Fem il s’agissait d’avoir une revue avec des préoccupations plus intellectuelles124. (Entr. E. Brito : 2005)

Les journaux de la capitale accueillent donc des plumes connues et reconnues de par leurs activités journalistiques, culturelles ou politiques et, comme il se doit, des sujets d’information en phase avec l’actualité nationale et internationale qui concernent le mouvement féministe et ses différentes expressions.