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1. Informer et former l’opinion : une question de genre

1.1. Les héritières d’un journalisme au féminin

1.2.2. Une leçon de journalisme

Même si Esperanza Brito, Elena Urrutia et Marta Lamas ne sont pas des journalistes professionnelles, leurs articles font preuve d’une qualité que confirment leur longévité dans les rédactions et la reconnaissance par leurs pairs. Leurs témoignagnes, recueillis lors d'entretiens dans le DF et largement rapportés ici, reflètent leur parcours respectif et les épreuves auxquelles elles ont été confrontées. Esperanza Brito multiplie les expériences en écrivant dans la presse féminine, culturelle et commerciale :

93 « No hay conflicto alguno entre la batalla de las mujeres y la de las otras víctimas del capitalismo; se trata, en efecto, de la batalla de todo el mundo y lo que las mujeres ganen para sí beneficiará a la sociedad entera. »

Elle a écrit dans Novedades, El Universal, dans le revue Siempre et a été coordinatrice éditoriale du groupe Publicaciones Continentales de México, qui édite les magazines féminins Vanidades, Buenhogar et Cosmopolitan 94. (Lovera, 2007)

Sa collaboration dans la presse nationale commence en 1963, dans le supplément

Novedades para el Hogar, du quotidien Novedades . Dans le sillage de sa mère, qui a donné

une couleur féministe à la page mondaine (Sociales) de El Universal, Esperanza Brito écrit dans ce supplément consacré à la maison jusqu’en 1983, sous la rubrique « Pensándolo bien » (« En y repensant »), tirant profit de cet espace car « les femmes dans ce pays lisent plus ces pages que la page éditoriale95 » (Entr. E. Brito : 2005). Dans les rédactions, les femmes commencent à écrire dans cette rubrique « Sociales » et parfois y sont cantonnées, comme l’affirme Elena Poniatowska, interviewée par Elena Urrutia : « j’ai commencé à faire du journalisme à Excélsior, en écrivant dans la page mondaine parce que c’était l’endroit destiné aux femmes 96.» (n° 11, E.Urrutia, unomásuno, 12/06/1978)

Dirigé par Ramón Beteta, Novedades était alors, techniquement, le meilleur journal national :

Ramón Beteta était un homme très brillant, il avait été ministre de l’Economie sous Miguel Alemán [1946-1952]. Le sous-directeur, qui était espagnol, Ricardo Del Río, était aussi un homme très ouvert, il provenait du groupe des Républicains espagnols, des révolutionnaires, et non pas comme ces franquistes, les catholiques apostoliques. Avec Beteta et Del Río, nous faisions un journal excellent. À la mort de Beteta, à sa place est entré Romero O’Farril, le fils, qui était en faveur de l’avortement mais c’était un très mauvais directeur de sorte que le journal a commencé à aller mal, de plus en plus mal…alors je me suis demandé ce que je faisais là. C’est alors que je suis partie après y avoir travaillé pendant vingt ans. Le journal était devenu très mauvais97. (Entr. E. Brito : 2005)

94 « Escribió en Novedades, en El Universal, en la revista Siempre, y fue coordinadora editorial de Publicaciones Continentales de México, donde se producían Vanidades, Buenhogar y Cosmopolitan. »

95 « […] las mujeres en este país leen más las páginas sociales que la página editorial. »

96 « […] yo empecé a hacer periodismo en Excélsior, entré inmediatamente a sociales porque ése era el lugar de las mujeres. »

97 « Ramón Beteta, era un hombre brillantísimo que había sido Secretario de Hacienda con Miguel Alemán. El subdirector era un señor español, Ricardo del Río, que era también un hombre muy abierto, era del grupo de los republicanos españoles, eran unos revolucionarios, y no como los franquistas, los católicos apostólicos... Entre Beteta y R. Del Río, hacíamos un periódico estupendo. Y murió Beteta. En su lugar entró Romero O’Farril Hijo, estaba a favor del aborto pero era un pésimo director y entonces el periódico empezó a decaer, cada día bajaba más... entonces me dije qué hago yo en este refrigerador. Me fui pero después de 20 años. El periódico ya era

Esperanza Brito se souvient de collaborations très enrichissantes avec des journalistes et des directeurs de presse :

Au journal Novedades, j’ai eu de la chance car le directeur de la page mondaine était un homme assez évolué, il n’a jamais protesté, ne m’a jamais contrariée. Un jour j’étais au journal pour recevoir un prix et le patron était là, O’Farril Junior, et il m’a demandé: - Qu’est ce que vous pensez de la visite du Pape [Jean-Paul II en 1979] ? Et il a répondu : - Il n’y a aucun espoir [ Esperanza] pour qu’on avance dans la lutte pour l’avortement, au contraire, on va reculer98. (Entr. E. Brito : 2005)

Pendant la même période, elle écrit dans la revue culturelle Siempre ! La Cultura en

México, entre 1971 et 1975 : elle est récompensée par le Prix national du Journalisme Juan Ignacio Castorena y Visúa, en 1974, pour son reportage sur les femmes mexicaines

professionnelles, intitulé : « Cuando la Mujer Mexicana Quiere, Puede » (Siempre!, 19/09/1973). A cette époque, Siempre ! La Cultura en México, « était LA revue », selon E. Brito :

Marta Acevedo99 écrivit un article dans Siempre !, qui racontait la marche des femmes à San Francisco. Ce texte a touché ici beaucoup de femmes, qui ont commencé à s’organiser100. Pourquoi a-t-on publié son article dans la partie culturelle ? C’est Carlos Monsiváis qui était responsable de cette partie et il décida de publier l’article. Il était pour la lutte féministe, en faveur de la dépénalisation de l’avortement, c’était quelqu’un qui avait des idées avancées101. (Entr. E.Brito : 2005)

Esperanza Brito collabore aussi aux rédactions des magazines féminins, tant critiqués, comme Kena, entre 1969 et 1973, « où l’on n’admettait pas de collaboratrices féministes mais on pouvait quand même écrire ce qu'on voulait102 », grâce à l’ouverture d’esprit de la

una basura. »

98 « En la página Sociales, tuve la fortuna que el director de la página fuera un hombre bastante evolucionado y nunca protestaba. Un día fui al periódico [Novedades], para una premiación, estaba el dueño, O’Farril hijo. Me dijo: ¿qué le parece la visita del Papa? Él dijo: - No es esperanza... ‘nos echa para atrás la lucha del aborto’. » 99 Marta Acevedo « Las Mujeres luchan por su liberación » (« Les Femmes luttent pour leur Liberation »), Siempre!, 30 septembre 1970.

100 Le premier groupe féministe fut celui de Femmes en Action solidaire (Mujeres en Acción Solidaria, MAS). 101 « Marta Acevedo escribió en Siempre!, un artículo señalando la Marcha de las mujeres en San Francisco. Esto despertó a muchas mujeres en México y se empezaron a organizar. ¿Por qué se lo publicó en la parte cultural? Y la parte cultural la manejaba Carlos Monsiváis, que decidió publicar el artículo, estaba por la lucha feminista, a favor de la despenalización del aborto, o sea es un tipo avanzado. »

directrice Gloria Salas (E.Brito, 2005). Elle y publie, entre autres, un article où elle présente le groupe qu’elle a fondé : le Mouvement National des Femmes (Movimiento Nacional de

Mujeres, MNM) (Kena, México, n°246,1973).

La collaboration à des organes de presse hétéroclites – presse généraliste, presse féminine- et à différents médias caractérise le travail journalistique des auteures, comme le témoigne à son tour le parcours d’Elena Urrutia :

Je collaborais, depuis 1967, à une radio, Radio Universidad , dans un programme dirigé par Ramón Xirau; à une époque j’avais jusqu’à trois collaborations par semaine, toujours autour des livres. Les programmes s’appelaient Programa Editorial, Los Libros al Día. Dans le troisième programme, qui s’appelait De autores y Libros, j’interviewais des éditeurs, des libraires, les auteurs eux-mêmes. Je choisissais les livres que je voulais. Ma première critique portait sur un livre de Gregorio Lemercier103, un bénédictain établi dans le monastère de Cuernavaca, Santa María de la Resurrección104. (Entr E.Urrutia : 2005)

Ce bénédictin, féru de psychanalyse, s’interrogeait sur l’origine de la vocation des hommes d’église et exposait ses théories sur les raisons de l’engagement des hommes dans la foi, émettant l’hypothèse d’une homosexualité réprimée. Cela expliquerait le choix du célibat, de l’isolement et de l’exclusion sociale. Il soumettait les moines à une thérapie. En 1965, lors du Concile de Rome, Lemercier fait paraître dans la presse un document intitulé «Un monasterio benedicto en psicoanálisis», qui fit un grand scandale et qui lui valut son renoncement à l’Eglise (1967)105. Elena Urrutia déclare à son sujet : « Il affirmait que les eunuques, au service de la gloire de Dieu, renonçaient en fait à l’exercice de leur sexualité. Le mot « eunuque » était un peu fort à la radio mais c’est passé quand même106. » (Entr. E.

103 José Gregorio Lemercier (n.1912, Liège, Belgique), appartenait à la gauche cléricale, fondée sur la Théologie de la Libération. Voir Lucero Chacón Juárez, Raúl Rene Villamil, « Homosexualidad y pederastia en la institución religiosa », El Cotidiano, UAM, Azcapotzalco, julio-agosto, n°126, ISSN 0186–1840, 2004;

<http://redalyc.uaemex.mx/redalyc/pdf/325/32512618.pdf>

104 « Tenía colaboración de radio, desde 1967, en Radio Universidad, en un programa dirigido por Ramón Xirau ; en un momento tenía hasta tres colaboraciones a la semana, y siempre en torno a los libros, se llamaba Panorama Editorial, Los Libros al día; luego tuve otro programa también en que entrevistaba yo a gente relacionada con los libros, editores, libreros, los propios autores, se llamaba De autores y libros. Escogía los libros que yo quería. Mi primer libro fue uno de Gregorio Lemercier, un monje Benedicto de Cuernavaca. » 105 « Le 22 juillet il fait la connaissance de Graciela Rumayor, avec qui il se marie un an plus tard. Le 1er août, 21 moines sur 24, dont Lemercier, demandent au Saint Siège d’annuler leurs vœux . Le monastère est fermé. Le 16 septembre, Rome répond favorablement à Lemercier qui, redevenu laïc, prend le nom de José. », in Proceso, « El camino de Gregorio Lemercier », n° 584, 9 de enero de 1988 ;

<http://www.humanistas.org.mx/Lemercier.htm>

106 « Hablaba de los eunucos que servían la gloria de Dios, pero en realidad, ellos , renunciaban al ejercicio de su sexualidad. La palabra “eunuco” era un poco fuerte en la radio pero pasó. »

Urrutia : 2005). Dans la presse, Elena Urrutia diversifie ses collaborations, au sein des rédactions de El Nacional, El Sol et de Novedades:

J’ai commencé à collaborer au quotidien El Nacional, en écrivant dans le supplément culturel dominical Revista Mexicana de Cultura, dirigé alors par Emmanuel Carballo, très respectueux de ce que j’écrivais, il ne m’a jamais rien corrigé. J’écrivais principalement des critiques de livres en adoptant une perspective de genre, mais à cette époque on n’employait pas cette expression, on disait depuis le point de vue de la femme. J’essayais ainsi d’apporter de l’eau au moulin.

J’ai collaboré aussi au supplément culturel du quotidien El Sol [1976-1977] où Emmanuel Carballo, un critique littéraire très connu dirigeait les pages éditoriales : le directeur du journal, Benjamín Wong, m’invita, en 1976, pour que j’écrive sur les femmes, et à l’époque j’écrivais avec beaucoup de plaisir sur les femmes. Non, ce n’était pas une question de mode. B. Wong était une personne sensible, il m’avait entendue à la radio, connaissait mes centres d’intérêt et il pensait que ça valait la peine de s’occuper de ce sujet.

Ensuite quand j’ai collaboré au supplément culturel dominical de Novedades, qui s’appelait La Onda, je présentais aussi des livres, dont je choisissais toujours le thème.

C’est avec une orientation littéraire que j’ai aussi travaillé à Novedades, au supplément culturel dominical La Onda, où je choisissais librement les thèmes107. (Entr. E. Urrutia : 2005)

Ensuite, elle quitte le quotidien El Sol pour écrire dans le quotidien unomásuno (1977), créé par Manuel Becerra. La création de unomásuno ouvre un réel espace d’expression démocratique, comme en témoigne Elena Urrutia :

Après le coup monté contre Sherer, le directeur du quotidien Excélsior108, appelé « Excelsiorazo », un important groupe de journalistes, auquel je me suis associée, a fondé avec l’ex-directeur, unomásuno, qui fut une très belle expérience. Il s’agissait de former un groupe d’actionnaires, composé de journalistes et d’écrivains, et non une coopérative, qui avait été à la source de la dissolution de Excélsior. J’étais très bien à unomásuno parce

107 « Empecé colaborando en El Nacional, en el suplemento cultural, Revista Mexicana de Cultura, dirigido por Emmanuel Carballo, tan respetuoso, nunca me corrigió nada. Lo que hacía fundamentalmente, eran notas críticas sobre libros, ya llevaba agua al molino, enfocaba desde la perspectiva de género, entonces no se usaba esa expresión, era desde el punto de vista de la mujer.

También colaboré en el suplemento cultural de El Sol. Emmanuel Carballo, crítico literario muy reconocido, dirigía las páginas editoriales. El director de El Sol, Benjamín Wong, me invitó, en 1976, para que escribiera sobre las mujeres. No era por estar de moda, no, era una persona sensible, me había oído en la radio, se daba cuenta de mi interés particular por los libros y pensaba que valía la pena ocuparse del tema.

Luego cuando colaboraba yo en el suplemento cultural dominical de Novedades, que se llamaba La Onda, era también sobre libros, y escogía siempre el tema. »

108 Excélsior : fondé en 1917 par Rafael Alducín. Le journal publie deux éditions du soir : Últimas Noticias (1936) et Últimas Noticias, la deuxième édition étant connue sous le nom La Extra (1939). En 1964, est édité le supplément hebdomadaire Lunes de Excélsior, ensuite intitulé Últimas noticias del domingo. (Ruiz Castañeda, 1990 : 216). Trop critique au goût du gouvernement, le directeur, suivi par une partie de sa rédaction, est destitué par le président L. Echeverría.

que je faisais ce que je voulais, j’écrivais des commentaires, des interviews, des chroniques, des reportages, ce que j’avais envie109. (Entr. E. Urrutia : 2005)

Unomásuno occupe, en 1977, une place particulière dans le panorama de la presse

nationale, Elena Urrutia y collabore avec fierté :

C’était le journal de gauche, il suivait un peu la ligne de Sherer à Excélsior, mais il était encore plus à gauche, proche des guérillas qui secouaient l’Amérique centrale. En fait c’était LE Journal unomásuno. J’en faisais partie et ce fut une période très belle. Ensuite on m’a invitée au Ministère des Relations Extérieures au département de la diffusion culturelle, au niveau international, à un moment où unomásuno, cette utopie qu’avait été le quotidien, commençait à se dégrader110. (Entr E.Urrutia : 2005)

À la même époque, Elena Urrutia travaille également pour la télévision :

J’ai eu aussi une collaboration à la télévision, pour parler des femmes, sur le Canal 13, une chaîne d’Etat. Le programme durait une ou deux heures et chaque jour, des collaborateurs prenaient la parole, chacun disposant de moments très courts de prise de parole, de seulement six minutes. Je souffrais beaucoup car j’étais habituée à travailler à la radio. Là c’était facile, je préparais mon sujet, j’écrivais un texte que j’enregistrais moi-même, je ne voyais personne, ce n'était presque jamais en direct. Mais à la télévision, pas question d’avoir un papier sous les yeux. J’étais terrorisée à l’idée d’avoir un trou de mémoire, d’un seul coup que dire ?

Ayant peu de temps, tu voulais quand même dire les choses correctement, être cohérente, et ne pas dire de bêtises. Alors j’écrivais un petit plan pour suivre mes idées. Tout cela ne me plaisait pas beaucoup, j’étais très tendue, ça a dû durer six mois. Je parlais de l’actualité culturelle, des femmes, en toute liberté. Un jour c’était une peintre, un autre jour un cycle de cinéma féministe....111 (Entr. E. Urrutia : 2005)

109 « A raíz del Excelsiorazo, el golpe para sacar a Sherer de la dirección de Excélsior, se salió un grupo muy numeroso de personas con Sherer, me uní al grupo y fundamos unomásuno, que fue una experiencia muy linda. Aquí se pretendió hacer un grupo de accionistas fundamentalmente con escritores y periodistas, y no de cooperativistas como era Excélsior, que había sido la fuente de su disolución.

En unomásuno, estuve muy a gusto porque yo hacía lo que quería y hacía artículos, editoriales, lo mismo que entrevistas, testimonios, que crónicas, que reportajes, lo que quisiera yo. »

110 « Era el periódico de izquierda, siguiendo un poco la línea de lo que fue Sherer en Excélsior, pero se hizo más a la izquierda, comprometido con las luchas centroamericanas; era EL Periódico unomásuno. Era socia y fue un período lindísimo, y después me invitaron a trabajar en la Secretaría de Relaciones Exteriores en la Difusión cultural, a nivel internacional; fue cuando se vino degradando esa utopía que había sido el unomásuno.»

111 « Hubo un momento en que me invitaron a la televisión y tuve una colaboración para hablar de las mujeres, en Canal 13, una televisión estatal. El programa duraba una o dos horas, cada día, era una barra de opinión y estaba integrada por varios colaboradores y colaboradoras, pero con fragmentos muy breves, de cómo seis minutos. Pero yo sufría mucho porque estaba acostumbrada a trabajar en radio, que era muy cómodo en radio, porque yo pensaba en algo, escribía, llegaba, yo misma lo grababa, nadie me veía, salía al aire, casi nunca era directo. Pero de pronto, llegar a la televisión, y encontrarte con que sin papel y sin nada, ahí me daban terror pensar que se me iba a hacer un blanco en un momento dado, ¿qué decir?, ¿ cómo seguir?, y además teniendo poco tiempo, lo que quieres es decirlo bien, que sea coherente, que tenga sentido y no llegar a decir bobadas. Entonces escribía un guioncito para desarrollar mis ideas. A mí no me gustaba mucho, me provocaba como mucha tensión y- finalmente, eso duró seis meses. Hablaba de cultura, lo que ocurría a las mujeres, con esa

De façon discontinue, le travail journalistique, riche d’expériences diverses, alterne avec des activités académiques doublées d’une action militante.