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2. Radiographie des quotidiens et du lectorat

2.2. Le journal et ses possibilités

2.2.1. La liberté d’expression et ses limites

La liberté d’expression, garantie par la Constitution, a toutefois des limites qui sont l’exercice d’une censure ou plutôt d’une autocensure, intégrée par les journalistes qui savent, par tradition et par éducation, qu’il y trois sujets intouchables: l’Armée, le Président et la Vierge de la Guadalupe, selon Elena Poniatowska (1993). L’expérience de Marta Lamas illustre ces atteintes faites à la liberté d’expression :

Je n’ai reçu qu’une seule fois une menace, quand j’avais écrit un article contre l’armée, qui s’intitulait « Privilège militaire». Je parlais d’un type dans l’armée qui maltraitait sa femme et qu’on n’avait pas pu juger166. (Entr. M. Lamas : 2005)

Dans cet article, intitulé «Crimen machista167 / ¿Fuero militar?» («Crime machiste / Privilège militaire ?» (n°27, El Universal, 30/05/1978), Marta Lamas dénonce

165 « […] desde 1970 se está dando la interminable transición democrática […].»

166 « Sólo una vez recibí una amenaza cuando escribí un artículo contra el ejército, se llamaba “Fuero militar” y yo hablaba de un tipo en el ejército que maltrataba a la mujer y que no habían podido juzgar. »

l’absence d’une enquête sérieuse concernant le crime contre une jeune femme dont l’impunité suggère les privilèges accordés à l’armée, ici un médecin militaire, aux dépens de la victime et de ses proches. Comme l’affirme Elena Poniatowska, le journaliste sait ce qu’il peut traiter ou pas selon le journal où il travaille, sans que le directeur ait à lui donner quelque consigne que ce soit (Egan, 1993: 18). Des sujets peu habituels, voire tabous, donnent lieu à des débats au sein même du journal qui se transforme en tribune et offre un droit de réponse, qui se traduit également par des analyses critiques d’articles de confrères dans d’autres journaux, en l’occurrence sur le féminisme.

2.2.2. Le journal comme tribune

Dans un article intitulé “Escritos antifeministas” (“Écrits féministes”), publié le 7 août 1970, dans Novedades, Esperanza Brito critique, sur le ton du réquisitoire, les articles de la Nord-américaine Lenore Hershey publiés à la Une de Novedades, les 2, 3 et 4 août, qui donnent une image défavorable et erronée du mouvement d’émancipation des femmes qui se développe au même moment aux États-Unis168. Lenore Hershey était directrice de deux magazines féminins, Mc Call's magazine et The Ladies' Home Journal169. Esperanza Brito démonte les préjugés sur le féminisme que L. Hershey expose, tout en réitérant la nécessité de la lutte, pour améliorer la situation des femmes. Elle commence par reprocher à l’auteure ses affirmations qui vont à l’encontre de vérités historiques, ses mensonges (« falsedades ») insultants pour les femmes, « imaginant que la plupart des femmes ne connaissent pas le mouvement féministe170. » Mordante, elle accuse L. Hershey qui, semble-t-il, n’a pas tout bien compris quand elle avance des idées fausses, des contre-vérités « que je suppose volontaires, car je ne veux pas la discréditer en pensant qu’elle ne s’est pas informée avant

167 Surtitre souligné dans le texte.

168 « Los días 2, 3 y 4 de agosto, aparecieron en primera plana de NOVEDADES, dos artículos seriados, firmados por la señora Lenore Hershey, quien comenta desfavorablemente acerca de los movimientos de emancipación femenina que actualmente se desarrollan en Estados Unidos. » (n°63, E. Brito, Novedades, 7/08/1970)

169 « She was executive editor when she left in 1968 to become managing editor of The Ladies' Home Journal. She was appointed editor in 1973, three years after feminists had staged a daylong sit-in demanding that a woman be named editor. », in The New York Times, March 3, 1997;

<http://www.nytimes.com/1997/03/03/business/lenore-hershey-78-ex-mccall-s-editor.html>

170 « basándose en el hecho de que la mayoría de las mujeres no conoce a fondo la temática del movimiento feminista. »

d’écrire et de publier171. » Elle lui reproche donc sa mauvaise foi et son manque de professionnalisme.

Elle reprend deux préjugés sur les féministes - le féminisme est incompatible avec la maternité et lutter est inutile - en citant longuement l’auteure, et ensuite elle explique la réalité en rétablissant quelques vérités. L. Hershey avance l’idée que les féministes n’aiment pas les enfants, qu’elles ne veulent pas s’en occuper, pour pouvoir simplement se distraire, se divertir :

D’une certaine manière les féministes préfèrent cacher leurs enfants chez elles ou dans les garderies […] les laisser dans des centres d’accueil […] ainsi les mères peuvent prendre du bon temps172. (n°63, E. Brito, Novedades, 7/08/1970)

Ce à quoi répond Esperanza Brito, avec mépris et colère, à « cette dame » (« esta señora ») : « Tout d’abord, il n’est pas question de s’amuser, mais de travailler, de développer les capacités intellectuelles de la femme, et cela sans rien enlever à la maternité173. »

L’autre contre-vérité, (« otra falsedad »), consiste à affirmer que les avancées en faveur des femmes se réalisent sans révolution, sans mouvement de contestation174, par exemple dans le domaine professionnel : « sans lancer de manifestes, elles ont réussi à se faire une place dans le monde du travail ». Pour preuve, L. Harshey donne l’exemple de quelques femmes à des postes prestigieux, « une pilote d’avion, une courtier en bourse, cinq scaphandriers. Et sans bruit elles sont parvenues à ces postes, sans faire la révolution, sans mouvement d’émancipation175. » L’exception sert d’argument au détriment d’une démonstration convaincante. Ce à quoi Esperanza Brito rétorque, fermement : « C’est faux, parce que tous les acquis obtenus par les femmes sont directement liés aux luttes libertaires. Rien n’a été obtenu sans qu’au préalable des femmes déterminées aient contesté et lutté176. »

171 « que supongo voluntarias, ya que no deseo negarle el crédito de haberse informado antes de escribir y publicar. »

172 « En cierta forma las feministas gustan de ocultar los hijos bajo la alfombra o en las guarderías infantiles […] despachar a los niños a los centros asistenciales [ ...] mientras las madres salen a divertirse. »

173 « En primer lugar no hablan de divertirse, sino de trabajar, de desarrollar la potencialidad intelectual de la mujer, sin negar la importancia que tiene la maternidad. »

174 « […] las mujeres, sin revolución alguna, están haciendo progresos. »

175 « sin lanzar manifiestos, han logrado destacar en el mundo del trabajo […] ya hay en el mundo una mujer piloto de jet, una corredora de bolsa y cinco acuanautas. Sin alboroto se ha logrado todo esto, sin revoluciones, sin movimientos emancipadores. »

Sa conclusion, pleine d’ironie, semble prendre le lecteur à témoin :

À cette allure et si nous sommes sages, on peut s’attendre à ce que d’ici mille ans il y ait dix femmes pilotes, dix autres à la bourse et cinquante scaphandriers. Le conformisme a encore de beaux jours devant lui177.

Esperanza Brito saisit cette possibilité d’analyser des informations sous un autre angle, plus juste, en s’attaquant à une fausse naïveté ou à une mauvaise foi flagrante, afin d’éclairer le lecteur, même si L. Hershey a plus de chance d’être lue qu’elle.

Dans cette même perspective, Esperanza Brito répond, dans Novedades, à Alardo Prats, journaliste à Excélsior, également sur l’utilité du mouvement féministe (Silva Herzog, 1975 : 392), dans un article intitulé « Réponse à Alardo Prats » (n°87, Novedades, « Respuesta a Alardo Prats », 12/10/1974). A. Prats avait écrit un article dans le journal Diario Baja

California, le 1er septembre 1974, intitulé « Exigences du Féminisme militant » (« Exigencias del Feminismo Militante »), où il faisait part, agacé, de son incompréhension face aux revendications des femmes, qui lui paraissaient injustifiées.

« Mais que veulent-elles donc? », semblait être sa question, une question courante qui peut être aussi celle du lecteur, comme le suggère Esperanza Brito : « Ce n’est pas la première fois qu’on lit ou qu’on entend la question, de quoi veulent-elles s’émanciper ou encore que veulent-elles de plus ? »178, écrit Esperanza Brito dans les premières lignes de son article (n°87, E. Brito, Novedades, 12/10/1974). L’incompréhension d’A. Prats, « un homme surpris et offensé, face à la prétention des femmes de vouloir changer le système social qui les opprime »179, sert de prétexte pour retracer l’histoire du féminisme, en soulignant l’étape du suffragisme et sa légitimité et en rappelant les figures marquantes : Simone de Beauvoir, pour la France, Betty Friedan aux Etats-Unis. Esperanza Brito lui reproche d’abord sa mauvaise foi car les idées féministes sont bel et bien diffusées : « j’ai écrit dans diverses publications, depuis des années, je ne sais combien d’articles aux titres

libertarias. Nada se ha logrado sin que antes mujeres decididas lucharan por ello. »

177 « A ese paso y portándonos bien, podemos esperar que dentro de mil años ya haya diez mujeres piloteando jets, diez en la bolsa de valores y cincuenta acuanautas. Bien por el conformismo. »

178 « No es la primera vez que leemos o escuchamos la pregunta de que pretenden emanciparse? o su gemela qué más quieren ? »

179 « un hombre sorprendido y ofendido, ante la pretensión femenina de querer cambiar los sistemas sociales que la ahogan. »

annonçant clairement le sujet, où j’expliquais nos demandes en matière de politique, de travail, de garderies, de politique familiale, etc180. »

Esperanza Brito interpelle, avec ironie et parfois une condescendance à peine voilée, le journaliste pris en flagrant délit d’ignorance, lui donnant ainsi une leçon qui vaut aussi pour le lecteur. Elle rappelle qu’à l’origine de tout cela se trouve un homme, « l’un des hommes les plus lucides de son temps », Stuart Mill et son livre De l’assujettissement de la femme181, et que les suffragettes ne manifestaient pas, comme l’écrit A Prats, de façon « pittoresque » mais avec une détermination qui a porté ses fruits : « Grâce à elles nous jouissons à présent de droits civils et politiques182. » L’adjectif « pittoresque » souligne le mépris et l’indifférence avec lequel A. Prats traite ces manifestantes, « pour les rabaisser, les caricaturer, les ignorer […] »183, explique Esperanza Brito qui donne sa définition du féminisme : « Ce n’est pas une plaisanterie, ni une mode. C’est un mouvement important, qui recherche l’émancipation des femmes, comme tout groupe opprimé, par un système oppresseur184. »

Après avoir été analysé et critiqué, l’article d’A. Prats est la cible de remontrances de la part d’Esperanza Brito, ferme et directe : « écoutez attentivement ce que nous avons à dire. Ecoutez Simone de Beauvoir […] ; Betty Friedan […] ; et écoutez autour de vous les jeunes étudiantes, les journalistes, les ouvrières, les institutrices185. » Esperanza Brito lui conseille une attitude intelligente, responsable, et avant de condamner, de critiquer et de dénaturer les faits, elle lui demande de faire preuve de plus de discernement sur un ton autoritaire : « regardez de plus près avant de dire que vous n’êtes pas d’accord186. »

Sur la question de la dépénalisation de l’avortement, deux points de vue s’affrontent dans les colonnes de El Universal, celui de Marta Lamas qui défend le droit à l’avortement et celui de Rafael Moya García, collaborateur à El Universal, qui s’y oppose en avançant des arguments d’ordre moral et religieux, susceptibles d’être plus partagés par les lecteurs. Selon

180 « en diversas publicaciones, desde hace años y con títulos por demás claros y alusivos al tema he escrito no sé cuántos artículos en donde explicaba nuestras pretensiones en cuanto a política, trabajo, guarderías, interrelaciones familiares, etc. »

181 John Stuart Mill, (The Subjection of Women) De l’assujetissement de la femme, 1869, version numérisée :

<http://classiques.uqac.ca/classiques/Mill_john_stuart/assujettissement_femmes/ass_femmes.html>

182 « Gracias a ellas las mujeres tenemos derechos civiles y políticos. »

183 « restarle importancia, caricaturizarlas, alzar los hombros y no hacer caso […]. »

184 « No es broma, ni es moda. Es un movimiento emancipador tan importante como cualquiera emprendido por un grupo oprimido contra un sistema opresor. »

185 « escuche con cuidado lo que tenemos que decir. Escuche a Simone de Beauvoir [..] ; a Betty Friedan […] ; y escuche de su alrededor a las jóvenes universitarias, a las periodistas, a las obreras, a las maestras. »

Marta Lamas : « Les thèmes difficiles furent clairement ceux liés à l’avortement. J’ai eu un débat avec un homme Rafael Moya García, j’écrivais un article et ensuite il répondait, et ça a duré environ cinq mois187. » (Entr. M. Lamas : 2005). Malgré ces déclarations, je n’en ai répertorié que quatre qui s’organisent comme un droit de réponse :

N°3, Marta Lamas

« Informe Oculto / Las Mujeres y el Aborto (I) », El Universal, 13/12/1977, p.5

Rafael Moya García,

« Desde Otro Angulo / Abortar no es Tema de Moral Individual», El Universal, 14/12/ 1977, p.4

N°4, Marta Lamas,

« Si los hombres embarazaran / Las Mujeres y el Aborto (II) », El Universal, 20/12/1977, p.5

Rafael Moya García,

« Desde Otro Angulo / ¿ Por qué no También Infanticidio Libre? », El Universal, 21/12/ 1977, p.4

Rafael Moya García défend l’idée selon laquelle la vie doit être protégée dès la conception, et que la « morale sociale » doit prévaloir sur la « morale individuelle », contrairement à ce qu’avance Marta Lamas, qui s’appuie sur un rapport demandé par le Conseil National Démographique (Consejo Nacional de Población, CONAPO188), en 1976. Ce document, non divulgué (« Informe Oculto »), est le résultat d’un groupe de travail de 62 personnes de différentes disciplines pour débattre de l’avortement. Il recommande un changement dans la législation restée en l’état depuis 1931, qui permet l’avortement de façon très restrictive, seulement en cas de viol, selon le Code pénal du DF189.

Marta Lamas répond à son détracteur, à l’intérieur du journal : « Je veux mentionner l’article de Rafael Moya García dans lequel il réfute l’opinion selon laquelle la décision d’avorter est un problème de morale individuelle en arguant qu’il s’agit d’une question de morale sociale et que ‘la tâche primordiale (de l’Etat), c’est de défendre le faible et

187 « Los temas difíciles, fueron obviamente el aborto, tuve un debate con un hombre Rafael Moya García, yo escribía un artículo y él contestaba, yo escribía, él contestaba, y así... como cinco meses. »

188 Fondé le 7 janvier 1974, sous la présidence de Luis Echeverría :

<http://www.conapo.gob.mx/index.php?option=com_content&view=article&id=1&Itemid=217>

189 « 1931 : Se aprobó el Código Penal para el Distrito Federal, en el que se incluyó la despenalización del aborto en casos de violación, cuando el embarazo pone en peligro la vida de la mujer y cuando el aborto es producto de una imprudencia de la mujer. »

l’innocent’190. » (n°4, M. Lamas, El Universal, 20/12/1977). La position conservatrice de Rafael García Moya reflète celle de l’Eglise catholique dont il défend les orientations, par exemple dans cet article intitulé « Un autre angle / Examen de conscience nationale « (« Desde Otro Angulo / Examen de conciencia nacional »), sur la confession, où il demande au lecteur de « faire pénitence » (“cumplir la penitencia”) (El Universal, 1/02/1978).

Ces voix multiples, dans les pages du journal, dans Novedades et El Universal, servent un débat démocratique autour de questions ou de revendications nouvelles, condamnées avant d’être comprises et analysées, comme le féminisme et l’avortement, par des journalistes aux prises avec des préjugés, des considérations personnelles de tout ordre, qui sont aussi ceux des lecteurs. Les quotidiens constituent une nouvelle agora où se font entendre des voix discordantes d’une culture protéïforme dont témoignent les suppléments culturels.

2.2.3. La tradition des suppléments culturels : une grande liberté pour encore moins de lecteurs

Dans les années 1960 et 1970, la plupart des quotidiens mexicains proposait dans leur édition dominicale un supplément culturel: Excélsior, El Universal, El Día, Novedades, El Sol

de México, El Nacional, El Heraldo de México. Tous offraient à leurs lecteurs une rubrique

spéciale, comme « Libros », dans le supplément La Onda, de Novedades, qui présentait des interviews, des traductions, des notes bibliographiques, des critiques artistiques, théâtrales et cinématographiques. Cette offre ne dépendait pas de considération financière, l’objectif de servir le lecteur primait.

La tradition des suppléments culturels dans la presse mexicaine remonte aux années 1940, quand Fernando Benítez fonda, d’abord un supplément dans le quotidien gouvernemental El

Nacional, Revista mexicana de cultura, et ensuite, un autre à Novedades, México en la Cultura, en 1948, qu’il dirigea jusqu’en 1961 (Cabrera López, 2006 : 84). Raúl Noriega

succéda à Fernando Benítez (Ochoa Campos, 1968 : 144), qui dut quitter la publication à la suite de conflits au sein de la rédaction sur des choix politiques controversés, en particulier sur la Révolution chinoise et la Révolution cubaine. Elena Urrutia écrit dans ces deux espaces: le supplément dominical de El Nacional, Revista mexicana de cultura, en 1976, dirigé alors

190 « Quiero mencionar el artículo de Rafael Moya García en donde cuestiona que la decisión de abortar sea un problea de moral individual y donde plantea que es de moral social, señalando que ‘el oficio primordial (del Estado) es defender al débil y al inocente’. »

par Fernando M. Garza et le supplément dominical de Novedades, La Onda dans la section « Libros », entre 1974 et 1978. La Onda, en première page, se définit comme suit :

Le supplément éclairé dominical de NOVEDADES qui divertit et instruit. Des informations sur les courants culturels les plus importants et un guide sur les événements artistiques de toute la semaine191.

Le supplément Revista mexicana de literatura, de El Nacional, fondé par Carlos Fuentes et Emmanuel Carballo en 1955, dont ils garderont la direction jusqu’en 1958, fut l’antécédent littéraire de La Cultura en México, de Siempre ! (Cabrera López, 2006 : 84). En février 1962 paraît La Cultura en México, supplément de la revue d’opinion Siempre!, avec l’appui économique du président Adolfo López Mateos (1958-1964), dont les orientations sont clairement définies dans l’éditorial de son premier numéro :

[…] nous aspirons […] à réaliser une nouvelle aventure plus journalistique […] nous offrirons des reportages et des interviews; les essais des écrivains les plus célèbres du Mexique, d’Amérique latine et d’Europe […] qui recueilleront les préoccupations, les idées de notre temps, la lutte continue que mènent penseurs, artistes et scientifiques pour construire un monde plus rationnel, plus libre, moins injuste et moins tourmenté192. (La Cultura en México, 21/11/1962: 1)

Dans ce même numéro, il est précisé que le supplément, tout en cherchant à représenter la diversité et la complexité nationales, choisira ses collaborateurs. Son caractère culturel permettait d’aborder des thèmes et de publier des critiques que la grande presse n’autorisait pas. Selon Trejo Delarbre (1995 : 192), pour éluder les contraintes des quotidiens, « l’opinion politique se manifeste principalement dans les revues. » La position iconoclaste de la revue lui valut le retrait de l’aide financière du Président, à la suite de la publication d’un long reportage en quatre volets sur l’assassinat, resté impuni, du leader paysan Rubén Jaramillo193:

191 « El ágil suplemento dominical NOVEDADES que divierte y cultiva. Con información de las corrientes culturales más importantes y orientación sobre los eventos artísticos de toda la semana.»

192 « […] aspiramos […] a realizar una nueva aventura periodística […] ofrecemos reportajes y entrevistas; los ensayos de los escritores más reputados en México, en América Latina y en Europa […] que recojan las preocupaciones, las ideas de nuestro tiempo, la lucha eterna que libran pensadores, artistas y científicos tratando de formar un mundo más racional, más libre, menos injusto y angustiado. »

193 Ruben Jaramillo, vieux zapatiste de l’Etat du Morelos, était descendu de ses montagnes avec ses guérilleros, acceptant l’amnistie et la trêve offertes par le président López Mateos. Cette rencontre ne se traduisit par aucune répartition de terres, ce qui poussa R.Jaramillo à occuper des parcelles appartenant à des hommes politiques en vue. Les négociations n’eurent qu’une issue: l’assassinat de R.Jaramillo et de sa famille au printemps 1962.

- Fernando Benítez, “En el hogar aniquilado” ; - León Roberto García, “Hablan los campesinos” ; - Víctor Flores Olea, “La mano en la herida”;

- Carlos Fuentes, “Xochicalco, altar de la muerte”. (La Cultura en México, Siempre! 11/08/1962: 1-7).

La revue Siempre! voit alors croître son tirage avec la parution de son supplément et devient la plus importante des revues mexicaines (Tableau n°7).

Tableau n°7

Tirage des revues mexicaines (1961 et 1964) Nom 1961 1964 Hoy 15 000 30 000 Impacto 35 000 37 000 Jueves de Excélsior 38 686 29 861 Revista de Revista 35 000 10 000 Siempre ! 54 200 70 000 Sucesos 70 000 70 000 Tiempo 17 421 21 000 Total Moyenne 265 307 37 901 267 861 38 266

Source: González Casanova, 1989, 16 ème éd.: 265

À la fin des années 1960, le supplément La Cultura en México, qui occupe les pages centrales de Siempre!, s’est consolidé sous la direction de Fernando Benítez, à qui succèdera ensuite Carlos Monsiváis, pendant quinze ans (Trejo Delarbre, 1995 : 192). Le supplément